Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/162

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prendre son mariage avec Florange. La rudesse de mes seize ans impitoyables, l’humeur où je me trouvais, l’émoi que je redoutais du choc même des mots ne me permirent pas d’attendre l’annonce qu’elle méditait. Je bousculai sa préparation, et dès que nous fûmes seuls, tout trois Je sais, lui dis-je. Inutiles tes précautions. Tu vas épouser le Docteur, n’est-ce pas ! Eh bien, c’est ton affaire ! »

Il fallait cependant que je fusse encore très enfant, puisqu’à cette seconde, j’espérais toujours secrètement qu’elle allait se récrier : « Non, non, je ne me marierai jamais. Je vous aime trop tous les deux. Vous me suffisez. » Mais elle sourit alors béatement et acquiesçant d’un signe des paupières :

— Le mois prochain, dit-elle.

Un petit frisson me parcourut. Et elle, insistant :

— Mon chéri, c’est un bien grand protecteur que je te donne là pour t’épauler dans la vie. Tu seras un peu son fils, désormais.

Je ne sais pas se qui se passa en moi à ces mots. Je pense que ce fut le déchaînement d’une colère comme il est peu d’occasions d’en ressentir dans une existence d’enfant. Ma gorge se serrait. Impossible de vomir les mots qui m’étouffaient, ni ce sentiment horrible de jalousie que je cherchais à expulser de ma poitrine contractée à cette image soudain réalisée de ma mère unie à cet homme.

Ce n’était pas pour moi, cependant, un événement inattendu. Mais autre chose est de prévoir depuis longtemps une catastrophe, autre chose de la voir objectivée et fondant sur vous. Je me rappelais les jours de mon enfance heureuse, ces parties matinales de jeux et de rires que je faisais à quatre ou cinq ans, après m’être glissé dans le lit de mes parents mal éveillés. L’heure était venue où le corps de ma mère s’allongerait pareillement auprès de cet étranger. Il me semblait qu’avec son sourire heureux, elle nous jouait tous les deux, Papa et moi. Quelques paroles sortirent enfin de mon gosier :