Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/186

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de souvenirs coloniaux : corbeilles de paille tressée, panoplies de sagaies, calebasses, tamtams, fétiches effarants ; puis, sculptées dans un bois satiné à reflets roses, de petites pirogues longues et sveltes à l’image de celles qui glissent sur le Nil noir, si étroites que les nègres doivent s’y aligner un par un pour pagayer librement. C’est de toute cette vie coloniale qu’était sortie cette fille merveilleuse, pensait Pierre Arbrissel comme étourdi de cette plongée dans le passé tragique de Marie. Il avait peine à détacher ce beau visage paisible des évocations du vieux soldat d’Afrique.

Il comprenait clairement à cette minute qu’on ne l’avait invité que pour qu’il fit le point dans ce drame ancien. Mais il y avait longtemps qu’il en avait ressenti le tragique et comme la fatalité. Le plus urgent : convaincre son père qu’il n’y avait pas eu infamie demeurait encore à faire et ses épaules fléchissaient là-devant. Pourtant jamais Marie ne lui avait été plus proche, plus unie, plus douce. Et il pensait à ce colon ivre d’amour, parti dans la chaude et verte humidité, parmi le désordre des lianes retombantes sous des frondaisons dressées, emportant le beau corps dont il était fou. Son amour à lui se trouvait d’une bien autre essence. Mais est-ce que spirituellement il n’emportait pas aussi vers l’inconnu de la vie cette proie chérie qu’il ne se lassait pas de contempler ?