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princesses de science

Enfin il fut au quai Bourbon. La seule vue de leur porte gonfla son cœur d’une émotion suave. Il pressa le pas, joyeux comme un homme qui va vers sa fiancée. Ce fut avec fièvre qu’il fit retomber le marteau de la porte, comme si elle devait résister, refuser de s’ouvrir, lui dérober les consolations de Thérèse, lui défendre cette amitié, cette compassion d’épouse dont il avait un tel besoin.

— Madame est là-haut ? demanda-t-il à Léon.

— Non, monsieur : Madame est partie à cinq heures pour un accouchement. Madame pense que ce sera très long et fait dire à Monsieur de ne pas l’attendre avant minuit.

Guéméné se raidit, blêmit, refoula sa colère, et vint s’attabler seul pour le repas froid qui demeurait servi dans la salle à manger. La vieille Rose les avait quittés depuis longtemps en déclarant que le service n’était pas possible chez de semblables « patrons ». Depuis son départ, plusieurs cuisinières s’étaient succédé, traitant Madame et Monsieur comme des clients qu’on nourrit tant bien que mal, constituant avec les femmes de chambre une association occulte pour l’exploitation de la maison où l’on était maîtresses. Thérèse se savait volée, et, comme elle s’acharnait toujours, pour le principe, à une apparente surveillance de son intérieur, elle emportait la clef de telle ou telle armoire, au hasard, condamnant son mari à se priver, en son absence, tantôt de linge de table, tantôt de fruits, tantôt de liqueurs.