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Page:Yver - Princesses de Science.djvu/354

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princesses de science

blement sereine et tranquille en apparence, mais plus pâle toujours, plus triste, dévorée du tourment inconscient qu’elle portait en elle, et que n’apaisait plus ce tendre commerce d’amitié bénigne et décevante. Alors ils causaient sans liberté, sans abandon, les yeux fixés sur la pendulette qui réglait la durée de leurs entrevues hâtives. Ils contenaient leurs propos, leurs attitudes, se défendaient, contrairement à toute logique, d’une naturelle intimité, conséquence d’une plus profonde connaissance mutuelle. Chacun d’eux faisait le même effort pour entretenir, par mille artifices, cette architecture illusoire d’amitié qui recouvrait, en le sauvegardant, le sentiment violent qui les unissait. Que cette fragile tour d’ivoire tombât, et entre eux fût apparue, troublante et nue, la vérité de leur passion. Et l’heure marchait ; Guéméné devait quitter cette inaccessible amie qui le calmait par ses airs de madone, et le ravageait par sa secrète et orageuse mélancolie. Il la quittait en souffrant, plus éloigné d’elle qu’à l’arrivée, affamé d’elle, malheureux, inassouvi.

Ce soir-là, il était venu dans un état de surexcitation inaccoutumé, irrité par des causes vagues, mécontent de tout. Elle s’en aperçut :

— Mon ami, lui dit-elle, qu’avez-vous ?

Et sa main, si douce d’ordinaire, serra celle de Guéméné avec tant de nervosité qu’il frémit. Aussitôt, d’instinct, ils s’écartèrent.

— Eh ! dit-il, je n’ai rien de plus que chaque jour.