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princesses de science

dire qu’on est médecin, et n’être pas capable de les prolonger seulement huit jours ! Ah ! ce n’est pas gai !… La tumeur était là, nous la sentions sous nos doigts, et nous étions autour du lit, le mari, Artout et moi, comme trois imbéciles, à regarder le mal empirer… Ah ! elle est jolie, la médecine ! Tenez, je suis comme Morner, je n’y crois plus. Il n’y a qu’une science vraie : l’anatomie… Là, pas d’erreur. Un nez n’est pas une fesse. Un point, c’est tout.

Elle s’arrêta, heureuse d’avoir, dans sa trivialité loquace, déchargé son cœur des amertumes, des dégoûts entassés par le métier excédant qu’elle faisait. Et comme Morner, de son air de viveur méditatif, l’observait, intéressé par le type de cette bonne camarade joviale, elle recommença :

— Et figurez-vous que Lucie, ma fille aînée, qui n’a pas douze ans, donne aussi dans ces idées médicales. Mais, j’y mets bon ordre ! Pauvre chou ! la lancer dans cette vie de chien que mène sa mère, non, non ! Je la caserai dans les Postes, comme dame employée, ou dans les modes… Si l’on pouvait trouver pour les femmes une profession qui les laisserait travailler chez elles, ça serait le rêve. Regardez-moi : est-ce que j’ai une maison, un intérieur, ce que toutes les femmes aiment, enfin, un petit coin gentil où rester tranquille quand l’envie vous en vient ? Toujours dehors, mangeant à la diable, volée par mes bonnes, à peine si je vois mes enfants, qui s’élèvent comme ils peuvent…