Page:Yves - La Pension du Sphinx.djvu/100

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d’une fête princière, et qui, à minuit, s’enfuyait vite, comme elle, mais qui, laissant sa pantoufle, emportait dans ses mains le cœur du fils du roi. Et elle pensa qu’elle laisserait bien là, elle aussi, non seulement sa pantoufle, mais sa richesse, sa jeunesse, son bonheur et sa vie, pour garder une seule parcelle du cœur de ce prince de la plume, dont un fils de roi n’aurait pas été digne de dénouer la chaussure.

Dans l’omnibus, pour le retour, le hasard la plaça près de Vittoria, pour laquelle un instinct délicat lui disait d’être tendre ; il lui sembla qu’elle avait le frisson ; elle l’enveloppa de son châle et elle glissa la bouillotte sous son soulier ; elle lui dit que sa robe était jolie et qu’elle avait de beaux cheveux. Vittoria, sans répondre, eut de nouveau pour elle son immuable sourire, et Annette ne se douta pas que, si ce sourire-là avait pu la changer en statue de sel, Vittoria aurait souri dix fois pour une.

Après cela, elle s’enferma dans ses délicieuses pensées, le visage tourné vers l’avenue, déserte maintenant, qu’on poursuivait. Tout à coup, l’espace s’élargit en une immense place plantée de réverbères impuissants qui pâlissaient sous le clair de lune, puis, aux yeux extasiés de la créole,