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FRANÇOIS ZOLA

I

Le 23 mai 1898, le matin même du jour où je devais comparaître devant le jury de Versailles, M. Judet publia, dans le Petit Journal, une biographie mensongère et diffamatoire de mon père, l’ingénieur François Zola, dans laquelle il insistait particulièrement sur des faits qui se seraient passés à Alger, en 1832, lorsque mon père y était lieutenant, à la légion étrangère.

Le 25 mai, deux jours après, M. Judet publiait un nouvel article, où il donnait, pour appuyer les prétendus faits révélés par lui, une conversation que le général de Loverdo aurait eue avec un reporter du Petit Journal, conversation que le général devait rétracter en partie, dans un entretien qu’il eut plus tard avec un autre journaliste.

Le 28 mai, je répondis, dans l’Aurore, par un article intitulé : Mon père, utilisant les quelques documents que j’avais sous la main, ne pouvant puiser dans un dossier qu’on me disait enfermé sous des triples serrures au ministère de la guerre, racontant tout ce que je savais de mon père, quel homme de travail, de loyauté, de bonté il avait toujours été, et quelle mémoire il avait laissée, vénérée de tous, après des travaux considérables et des bienfaits sans nombre. Puis, immédiatement, j’assignai M. Judet devant le tribunal correctionnel pour diffamation

Dans les premiers jours de juin, avant le 15, date de la chute du ministère Méline, dont il faisait partie, j’écrivis au général Billot, ministre de la guerre, pour lui demander la communication du dossier de mon père, en me basant sur la divulgation criminelle qui venait d’en être faite. Et, dès que M. Cavaignac lui eut succédé, au commencement de juillet, j’écrivis au nouveau ministre, pour lui faire la même demande. Tous les deux refusèrent, en alléguant cette raison formelle que « les dossiers des officiers sont des dossiers secrets, constitués uniquement en vue des besoins administratifs ».

Le 18 juillet, le matin même du jour où, pour la deuxième fois, je devais comparaître devant le jury de Versailles, M. Judet publia, dans le Petit Journal, les deux lettres prétendues du colonel Combe, comme preuve décisive des malversations commises par mon père, qu’il avait divulguées le 23 mai, environ deux mois auparavant. Il prétendait avoir reçu deux lettres d’un anonyme, accompagnées d’un commentaire.

Le 3 août, M. Judet fut condamné, pour ses articles diffamatoires du 23 et du 25 mai, à cinq mille francs de dommages-intérêts ; et ce fut ce même jour que mon avocat, Me Labori, déposa en mon nom, contre lui, une accusation en usage de faux. Le 18 juillet, le jour où je quittai la France, au sortir de l’audience de Versailles, je n’avais pas lu le Petit Journal. Je ne le lis jamais. Et je n’avais connu les prétendues lettres du colonel Combe qu’en Angleterre, lorsqu’un ami était venu me les faire lire. Notre conviction fut absolue, nous soupçonnions par quelles mains suspectes elles avaient passé, elles ne pouvaient être que des faux.

Le 29 août, M. Cavaignac écrivit au garde des sceaux qu’il m’avait bien refusé la communication du dossier de mon père, parce que j’étais un simple particulier, mais qu’il ne croyait pas pouvoir la refuser à M. Flory, le juge d’instruction chargé d’instruire le cas de M. Judet, accusé par moi d’usage de faux. Et, le 9 septembre, le général Zurlinden autorisa M. Flory à prendre possession de la deuxième lettre Combe qui se trouvait seule au dossier, car on n’y avait pas trouvé la première. Et, le 15 septembre, M. Flory la recevait des mains de M. Raveret, chef du bureau des archives. Et, le 14 octobre, mon avoué, Me Collet, ayant demandé la communication des huit pièces, mentionnées dans la deuxième lettre Combe, M. Flory dut retourner au ministère, où M. Raveret lui déclara qu’il n’existait au dossier, en dehors de cette lettre, que la demande de démission de mon père et une lettre de transmission du général Trézel, chef d’état-major du duc de Rovigo, commandant en chef du corps d’occupation, en Algérie. Et les deux pièces furent remises à M. Flory, ainsi que la deuxième lettre Combe.

Le 11 janvier 1899, M. Flory ayant rendu une ordonnance de non-lieu, en déclarant que les pièces lui paraissaient authentiques, et M. Judet m’ayant en conséquence attaqué pour dénonciation calomnieuse, je fus condamné par défaut à cinq cents francs de dommages-intérêts. J’étais absent de France, je ne devais y rentrer que le 5 juin. Et c’est ce procès qui, en revenant, après mon opposition, m’a permis de reprendre mon enquête et d’adresser une troisième demande au nouveau ministre de la guerre, le général de Galliffet, pour que le dossier de mon père me fût communiqué. Le procès qui, après plusieurs remises, revenait le 27 décembre dernier, a été renvoyé au 24 janvier prochain, pour me permettre de mener à bien mes recherches.

Le 9 décembre 1899, j’avais donc demandé la communication du dossier au général de Galliffet. qui refusa, le 14, dans les mêmes termes que le général Billot et M. Cavaignac : les dossiers des officiers étaient des dossiers secrets, constitués uniquement en vue des besoins administratifs. Mais, dans une seconde lettre, le 16, il voulait bien me transmettre les résultats de l’enquête que je lui avais demandé d’ouvrir, pour arriver à savoir comment et par qui M. Judet avait eu communication du dossier de mon père. Le sous-chef du bureau des Archives, M. Hennet se souvenait très nettement qu’il avait remis ce dossier à un officier, aujourd’hui décédé. Et cet officier n’était autre que le colonel Henry.

Le 16 décembre, le même jour, j’écrivis à M. Waldeck-Rousseau, président du conseil des ministres, afin de porter les faits à sa connais-