Palmira/XXIX

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Maradan (3p. 80-89).


CHAPITRE XXIX.




Palmira s’arracha enfin de ce triste séjour, et regagna le rivage, où l’attendait madame de Saint-Pollin, qui s’attendrit encore en voyant la profonde émotion de sa nièce, et en écoutant les expressions vives et touchantes dictées par le sentiment que la comtesse devait inspirer à toutes les ames sensibles.

On reprit le chemin de la maison de Louise. Pour répondre aux soins empressés des bonnes gens qui la recevaient, Palmira s’efforça de vaincre sa mélancolie, et le dîner se passa assez agréablement. Il n’était pas tard encore. On parla de faire une nouvelle promenade avant le départ. Charles proposa d’aller au château voisin. Miss Harville déclara qu’elle ne pouvait se déterminer à visiter les propriétés de madame de Mircour ; mais madame de Saint-Pollin l’assura, ainsi que Charles, que cette dame conservait à peine l’idée de celle-là, et n’était même pas connue des régisseurs de cette terre ; que Palmira pouvait donc y paraître sans le moindre inconvénient. Elle céda, non sans répugnance.

Bientôt l’on fut dans les avenues du grand manoir, qui n’offrait rien de curieux dans l’intérieur, mais les superbes marroniers qui l’entouraient formaient un assez bel effet. Palmira se reposa sur un siége de gazon, à l’ombrage d’un de ces arbres, remarquable, même parmi les autres.

Vous avez été émue, dit Charles, tout bas à miss Harville, dans le bosquet d’Armandine ; cette enceinte-ci n’a pas reçu de moins douloureux soupirs ! Oh ! Palmira ! y serez-vous insensible, parce que c’est vous qui en êtes l’objet ! À de pareils discours, Palmira se taisait toujours, ou se fâchait. Cette fois, elle prit le parti de ne pas entendre.

Ces dames, se trouvant fatiguées de leurs différentes courses, se préparèrent à partir. Palmira devait quitter cette contrée dans trois jours. Ses adieux à Louise et Roger furent encore plus tristes qu’en quittant leur cabane la première fois. Louise, enfant de la nature, ne pouvant dissimuler aucune de ses impressions, pleurait de toutes ses forces. Son mari demanda à madame de Saint-Pollin la permission d’aller chez elle de temps à autre, s’informer des nouvelles de miss Harville, ce qui lui fut accordé avec plaisir. Soyez persuadés, leur dit Palmira, que, dans toutes mes lettres, il y aura un article concernant mes bons amis du rivage ; et, jetant un dernier regard sur l’humble chaumière : hélas ! s’écria-t-elle, dans un asile plus magnifique, je regretterai peut-être l’hospitalité que je trouvai sous ce modeste toit. Affaiblie par les différentes émotions de la journée, son ame s’oppressait. Elle embrassa Louise : adieu, honnête Roger, adieu, répéta-t-elle ; et elle s’élança sur son cheval.

Elle ne tarda pas, selon sa coutume, de prier M. de Mircour de retourner au Hâvre ; mais il résista avec opiniâtreté. On accorde tout, lui répondit-il au malade désespéré, au criminel condamné à mort : je suis aussi malheureux, je ne dois pas être plus maltraité. Effectivement, il ne la quitta pas d’un seul instant, le peu de temps qu’elle devait encore passer à Angecour.

La veille d’un départ si redouté par Charles, il remit à miss Harville cinquante-quatre mille livres en excellens effets de commerce, et quatre cents louis en or. M. de Mircour, dit Palmira, en posant le porte-feuille et le sac sur une table, il est impossible que la vente des objets que je vous ai confiés soit montée à une somme si considérable. — Je vous jure que vous n’aviez pas d’idée de leur valeur, que la boîte, entre autres, jugée simplement par vous un bijou de fantaisie, est d’un prix inappréciable. Le frère de mon père, célèbre antiquaire, m’en eût donné le double, j’en suis sûr, si je le lui eusse demandé. Madame de Saint-Pollin appuya fortement ce qu’il venait d’avancer, et Palmira fut obligée de les croire.

Le lendemain matin, à six heures, elle était déjà toute prête dans le salon, attendant sa compagne de voyage. Charles parut d’abord ; son air pâle, abattu, toucha plus sa cousine que son exaltation ordinaire. Sachez-moi gré, lui dit-il, de la pénible déférence qui m’empêche de vous suivre ; mais ne pensez point, Palmira, à m’exiler ainsi pour long-temps. — Je révoquerai un jour cette sentence, en vous voyant uni à une femme digne de vous ; alors je me confierai à votre pure amitié, et votre protection me sera infiniment précieuse. — Quels froids rapports, quand il pourrait en exister de si intimes, de si doux ! — Et quand la raison ne s’y opposerait pas, oubliez-vous l’opposition que votre famille pourrait y mettre ? — Non, non, le grand obstacle est votre indifférence, votre aversion même… Trop heureux encore si un penchant vers un autre !…

Palmira rougit, et, avec un peu d’humeur, déclara qu’elle n’aimait pas les suppositions. Dans ce moment descendit madame de Saint-Pollin, et la voiture s’avança. C’est ainsi que nous nous quittons ? dit tristement Charles. Quoi ! ma belle cousine, pas un témoignage de compassion ! Ses regards, sa physionomie, exprimaient tant de douleur, que la fière Palmira répondit, non sans émotion : Oui, je dois plus qu’un témoignage de compassion à l’estime, à la prédilection que vous avez montrées pour moi. Je dois beaucoup aussi à un neveu de Saint-Ange, qui veut bien m’avouer, et m’honorer sans restriction. C’est d’après ces titres, M. de Mircour, que je vous prie d’accepter et de conserver ce gage de ma fraternelle affection.

En disant ces mots, elle coupa une boucle de ses cheveux, qu’elle lui présenta. Charles, transporté, baisa dix fois ce don chéri, le plaça contre son cœur. Tant qu’il palpitera, s’écria-t-il, elle restera là, cette précieuse partie d’un tout si charmant, si adoré !

Il eût bien continué deux heures encore ; mais madame de Saint-Pollin et miss Harville, accompagnées d’une femme-de-chambre, montèrent en voiture. Charles les escorta à cheval près de six lieues. Palmira assura qu’elle n’irait pas plus loin, s’il ne reprenait le chemin du Hâvre, et il fallut bien finir par céder à une volonté si décidée, si soutenue.