Aller au contenu

Paul Klee (Crevel)

La bibliothèque libre.
Illustrations par Paul Klee.
Gallimard.

PEINTRES ALLEMANDS
 KLEE
par RENÉ CREVEL



PEINTRES NOUVEAUX
RENÉ CREVEL



PAUL KLEE
Portrait
GRAVÉ SUR BOIS PAR GEORGES AUBERT



BIBLIOGRAPHIE

Zahn L. — Paul Klee, Leben, Werk, Geist mit 68 Abb., Kiepenheuer, Postdam 1920.

v Werdderkop H. — Paul Klee mit 33., Junge kunsi Keinkhardt & Biermann, Leipzig 1920

Hausenstein W. — Kairuan oder Eine Geschichte vom Mader Klee und der Kust dieses Zeitalters mit 43 Abb. Piper Munich 1921.

Grohmann W. — Paul Klee avec des articles de Aragon, Crevel, Éluard, Lurçat, Soupault, Tzava, Vitrac, avec 64 planches en héliotype, 84 documents reproduits, Éditions des Cahiers d’Art, Paris 1929,

Paul Klee. — Pädagogisches Skizzenbuch, Bauhausbücher II mit 87 Abbildungen, München 1927.


il a été tiré de cet ouvrage : 115 exemplaires, le texte sur papier de pur fil lafuma, les reproductions sur beau papier couché, avec une épreuve sur chine du portrait signée par l’artiste


Le plus brave des hommes, oserait-il regarder, en plein dans les yeux, un hippocampe, point d’interrogation à tête de cheval, tout droit jailli des profondeurs à la surface du rêve ?

Ce beau fils des mers, plus vertical dans son ascension qu’un lift dernier cri, ce Centaure dont la simple présence trouble au point que tout doive être remis en question, quel autre symboliserait mieux l’œuvre de Klee ?

Or, comparés à ce fatal et solitaire petit Pégase, combien moins redoutables nous apparaissent les mastodontes pesamment affirmés.

C’est que toujours il y a eu, et toujours, il y aura, une quelconque Réalité pour servir de bergère au monstrueux troupeau.

Paissent en paix les baleines parmi les plus glacées des steppes liquides

Si j’en crois mes souvenirs du temps d’histoire naturelle, ces bonnes grosses mères, aussi peu fortes pour plonger que les dondons des plages petites bourgeoises, parce qu’elles n’ont point (telles ces dites dondons) l’hiver venu, la ressource des magasins où chiffonner rubans, soies et galons, crachent de grands jets qui métamorphosent l’eau en panaches jumeaux des plumes, d’un si bel effet sur les galurins régionalistes, au fin fond du fin fond des provinces, car, Dieu merci, les sous-préfètes, les notairesses, les colonelles n’ont point toutes, malgré le siècle, perdu le sens de majesté.

Baleine, impératrice des océans polaires, comme la rose est la reine des fleurs, et le poireau l’asperge du pauvre, aimable cétacé, souveraine sans prince consort, géante trop sage pour aller chercher midi à quatorze heures, entre vos banquises, vous vous pavanez, libre de toute crise de conscience, et vous engraissez plus et mieux qu’une reine Batave, car les icebergs vous épargnent toute tentation, même de tulipes.

Parce que votre destin est d’apparat, persuadée que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, vous concluez : chacun son métier. C’est que vous avez plus d’un tour dans votre sac à main et vous aimez les dictons. Or, aussi mondaine et frivole avec vos proverbes que M. de La Rochefoucault avec ses maximes, vous oubliez que les uns et les autres se retournent comme des gants. Parlez de métier. Les enfants des villes sont assez maigres pour avoir le droit de vous répondre qu’il n’en existe que de sots. Et, en fait, depuis que la science moderne a bien voulu nous apprendre que les vaches, elles-mêmes, étaient sujettes à la tuberculose, il ne nous importe guère qu’elles soient un peu plus ou un peu moins mal gardées.

Nous n’aimons ni les asperges du pauvre, ni les poireaux du riche.

Arraché le masque des métaphores faciles, nous trouverons de belles injures pour vitrioler la sagesse des nations.

Et surtout il ne faut plus de cette sensiblerie dont s’endimanchent les pseudo-intellectuels, les pseudo-artistes.

Nous avons déjà une belle vengeance, une belle joie positive puisque les gouffres que votre peur fait semblant de dédaigner, baleine, fleurissent de très subtils mystères.

Les scaphandriers d’Europe, il est vrai, ont les doigts bien lourds et les plongeurs polynésiens, qui échappent au martyre des semelles de plomb, n’aiment à cueillir, dans leur promenade entre les flots, que les perles douces, rondes, à l’image des paupières de leur sommeil ingénu.

Dès lors, comment ne point appeler miracle, Paul Klee, cette excursion au plus secret des mers d’où vous êtes revenu, avec, dans le creux des paumes, un trésor de micas, de comètes, de cristaux, une moisson d’hallucinants varechs et le reflet des villes englouties.

Tout ce que vous avez rapporté des abîmes se révèle digne, en transparence, des poissons dentelés. Les crabes, oui, les crabes eux-mêmes ont des ailes.

Un peintre a ouvert les poings et, d’entre les lumières de ses doigts d’incroyables volières se sont échappées qui peuplent, maintenant, les toiles dociles, pour leur bonheur, à cette magie.

Et c’est pourquoi, pas une ligne, si ténue soit-elle, qui n’ait sa qualité frissonnante.

Les traits d’ongles qui écorchèrent, au gré d’un caprice cyclopéen, roches et galets, tous les graffiti de l’au-delà, les créatures d’hypnose et les fleurs d’ectoplasme ont été dessinées, photographiées, sans ruse d’éclairage, sans frauduleux romantisme, ni mensonge grandiloquent d’expression.

Et voilà bien la plus intime et aussi la plus exacte surréalité.

Un pinceau devenu aimant, le labyrinthe du rêve, soudain magnétisé, se déroule en longs anneaux.

Combien timide la légende qui faisait obéir à la voix d’Orphée les bêtes féroces, car, maintenant, plantes et pierres s’émeuvent, ne savent plus demeurer immobiles.

Monde en marche, univers de brindilles palpitantes, fourmilières libérées de toute police, de toute contrainte, parce que les yeux des squales en ont contemplé la naissance, un rythme souverain, hors des cadres, hors du temps, de l’espace, précipite les trois règnes de cette création.

Alors, écoutez-moi, baleines et vous aussi tous autres mégalomanes, écoutez-moi et rappelez-vous, ces animaux fabuleux qui se fussent volontiers nourris de ressorts à boudins pour croître encore en long et en large, ces monstres préhistoriques, niais à ne savoir que faire de leur peau, n’ont, et c’est toute justice, laissé sur notre globe que le souvenir de leur squelette.

Et pourtant, à l’aube des âges, la famille Diplodocus devait bien se croire destinée à régner sur ce globe, usque ad vitam œternam.

Je ne suis ni prophète ni prédicateur, mais je puis vous dire qu’il y aura des puces jusqu’au jour du jugement, cependant que l’ultime rejeton de la famille Diplodocus qui devait si bien mépriser les cousins Mammouth, et, à plus forte raison, les éléphants, ses parents pauvres, le dernier et le plus colossal des fabuleux quadrupèdes, dis-je, si l’envie m’en prend, je n’ai qu’à me rendre au Muséum pour lui chatouiller les os.

Paul Klee, parce que vous avez libéré les infiniment petits cet hiver, les aoutats chanteront à voix de sirène et l’Europe et les deux Amériques enfin rougiront de s’être laissé séduire par le système métrique. Il ne s’agit non plus de céder à la tentation du nébuleux Orient que les enquêtes de la grande presse et des revues distinguées, les paradoxes de la philosophie salonnière ont mis à la mode.

Cote de Bourse qui fleure l’encre d’imprimerie ou Nirvana parfumé au papier d’Arménie, c’est, sinon trop beau, du moins trop facile pour être honnête.

On connaît l’image chère à M. Maeterlinck, des deux lobes du cerveau, l’oriental et l’occidental, l’un à l’autre, comme de juste, impénétrables.

Cette métaphore, qu’on eût crue inoffensive en son aimable simplicité, fait qu’on exhorte l’Ouest à rêver de l’Est. Il paraît d’autre part, que l’Orient achète à l’Occident des fusils, des chapeaux, des faux-cols en celluloïd, des tire-chaussettes et des romans psychologiques. Il faut donc noter que ces impénétrables sont, quoique sans espoir, comme Héloïse d’Abélard, amoureux l’un de l’autre.

Europe, Asie.

Les plus optimistes en espèrent un couple, dont, l’union pourrait être célébrée par une de ces chansons du genre de celle qui, après avoir gaillardement affirmé :

La gaine est faite pour le couteau,


conclut :

Et la fille pour le garçon.

Or, bien que Paul Klee, avec trois grains de sable, nous ait prouvé que les gratte-ciel de New-York, les Galeries Lafayette de Paris, l’étonnante boulimie noctambule de Berlin, les enseignes lumineuses de Londres, ne sont rien pour les yeux de l’esprit, rien pour les oreilles de l’imagination, bien qu’il ait fait éclater des yeux illimités au front des plus minuscules créatures et, en dépit des algues, par lui libérées de tout roc, malgré tant d’êtres, de végétaux, de choses moins possibles à nier dans leur impondérable surréalité que nos maisons, nos becs de gaz, nos cafés et la viande des amours quotidiennes ou hebdomadaires, selon des ressources des tempéraments civilisés, tout le merveilleux qu’il dispense ne doit pas être abâtardi, perverti, utilisé pour l’une ou l’autre cause.

Nous nous refusons de voir en lui un de ces fakirs simplistes. Il est le contraire même de ces initiés de music-hall ou prophètes pour vieille vierge britannique et théosophe.

Libre donc au jeune Européen de chanter la toute neuve et déjà classique chanson de ses inquiétudes, libre à l’Adonis cosmétiqué de célébrer son amour des valises, du sleeping, de la vitesse, et que son frère bronzé des antipodes joue au Bouddha mort ou vivant, la phraséologie des journalistes rhéteurs, les distinctions des critiques et leurs propos sophistiqués, tant d’architecture en plein vide ne saurait prévaloir contre une goutte de spontanéité,

Paul Klee, oriental ?

Oui, sans doute, puisque certains de ses tableaux semblent tissés en hommage aux plus fraîches visions des Mille et une Nuits.

Mais qu’il nous mène au milieu des parterres, conduit par des allées secrètes à la caverne dont l’âge de pierre anima les parois d’aurochs, de rennes. Et l’on revient les bras chargés d’un bouquet de fossiles, cueillis à l’ombre incandescente des arbres de sel

L’œuvre de Klee est un musée complet du rêve.

Le seul musée sans poussière.

La cendre elle-même s’y fait prairie autour des villages en miniature, comme en bâtissent les enfants avec leurs jeux de constructions.

L’espace, ce vieux préjugé est enfin dénoncé puisque des cosmogonies serviront de rues, et, la Voie lactée de fleuve à ce paradis lilliputien et magnifique dont les animaux et leurs hommes, tout de nerfs, saluent l’incendie des poissons volants,

À cette lumière, il n’est point de cailloux qui veuillent encore faire la tête dure, la sourde oreille.

Partout ce sont des éclosions surprenantes.

Et par ce que sur l’ongle de son pouce un peintre sut dessiner des murailles à faire rêver de Babylone et de Palmyre, au plafond de leur chambre, les malades qui ont lu dans ses toiles sauront pour se venger de la fièvre, du silence, de l’immobilité, découvrir des kilomètres et des kilomètres d’histoires. Un petit morceau de plâtre écaillé, il n’en faut pas plus pour que soient dévoilés les plus vertigineux secrets. Paul Klee le sait que ne tentèrent ni les arabesques, ni la virtuosité.

La matière la plus simple, mots ou couleurs, sert de truchement entre l’au-delà et le voyant. La poésie est la découverte des rapports insoupçonnés d’un élément à un autre, Le peintre doué de poésie, dans la plus sèche géométrie saura trouver les échelles pour ses plongées. Il monte, descend, remonte et, au plus haut palier, parce que la clef a été perdue de cette porte qui devait s’ouvrir à même le ciel, à même le vent, Paul Klee n’aura qu’à regarder par le trou de la serrure, pour découvrir, dans deux centimètres carrés béants, un monde d’étoiles que les hommes croyaient perdu.

Il n’y a plus de mesure, J’entends que les unités de longueur, poids, capacité, ne sauraient servir de mesures. Nous ne croyons plus au système métrique. Nul ne saurait auner les rêves, les désirs.

Bien mieux, je ne crois plus même à ces lieux communs métaphoriques dont notre paresse avait coutume de se régaler sans craindre la surprise.

À vingt-neuf ans bien sonnés, je commence même à ne plus croire au corbeau, oiseau de malheur, depuis que, ce matin, un de ces nevermore, non au chambranle de ma porte, mais sur mon balcon est venu se poser.

Le sombre personnage avait un bec du plus beau jaune, dit serin. Il était si bien botté de rouge, que malgré moi, j’ai pensé à une paradoxale mariée, dont, parmi les tulles, le visage apparaîtrait maquillé d’émeraude et les pieds chaussés de violet.

Ce corbeau des altitudes répond au déconcertant surnom de Choucas, comme s’il n’était qu’une demi-mondaine cocaïnomane.

Décidément, les conservateurs exagèrent, et, s’ils ont le moindre sens de justice, enfin, ils ne s’étonneront point que Paul Klee méprise les montagnes à sommet de 4.810 mètres, les chutes du Niagara et tous les animaux à réputation trop bien établie même s’ils passent pour féroces, tels les lions, ces commis-voyageurs du désert à cravate Lavallière.

Que le romantisme, au goût du jour célèbre ferrailles, ciment armé et toutes ces métallurgies qui prétendent au record du saut en longueur, Paul Klee, libre de tout vertige, suit un simple cheveu jeté entre ciel et terre. Son œil a saisi le miracle des couleurs, tout le miracle de toutes les couleurs, dans une goutte d’eau, la simple, la fameuse goutte d’eau qui fait déborder le vase, l’océan et, au jour de glorieuse colère, l’insondable résignation des hommes.

La peinture de Paul Klee s’affirme d’après le déluge, d’après celui que nous espérons, pour achever le travail si incomplet de l’autre.

Et vive l’inondation.

En hommage à un poète vous avez eu raison, Paul Klee, de dédier cette échelle rouge perdue au sein de l’éther tourterelle.

Cette échelle, voilà bien l’escalier, le seul qui puisse nous mener jusqu’au tremplin d’où nous sauterons, à pieds joints, dans l’impossible, puisqu’il s’agit enfin de décrocher la lune.

Mais, si la maison qu’habitent les poissons s’appelle aquarium, et, palmarium, celle qui abrite les palmiers, en souvenir des pêches miraculeuses, des grouillants poissons devenus bouquets d’astres, j’appellerai cielarium, le palais dont chacune de vos toiles est une chambre.

Alors, même exilé au pays de l’habitude, des hommes en chair et en os, des montagnes en pierres et en arbres trop véridiques, il n’y a qu’à fermer les yeux, comme au temps de l’enfance, lorsqu’on découvre que le noir c’est un mensonge, car, sous les paupières hermétiquement closes, mille feux minuscules et cependant plus grands que nos étoiles patentées, s’allument.

Touchante fraternité des poètes.

Pour illustrer la délicate et puissante magie de Paul Klee, chante ce vers de Saint-Léger-Léger :

Et le soleil n’est pas nommé, mais sa puissance est parmi nous.

René CREVEL.
Leysin, octobre 1929.
BIOGRAPHIE DE KLEE
d’après les indications de l’artiste.

Paul Klee naquit le 18 décembre 1879, dans un petit pays près de Berne (Suisse). Son père était chef d’orchestre et professeur à l’École Normale. Les familles des parents étaient douées pour la musique ; des dessinateurs ne se trouvent que dans la parenté maternelle. Ce fut aussi la grand’mère du côté maternel qui, la première, incita le jeune Paul à dessiner et à colorier ses dessins. À l’âge de sept ans, il eut d’un excellent professeur, ses premières leçons de violon, et il trouva chez lui l’occasion de feuilleter les monographies de Knackfuss. À dix ans, il commença à dessiner des paysages d’après des revues et d’après nature. Il continua à dessiner et à peindre en amateur jusqu’au début de ses études plus sérieuses. Déjà, il jouait du violon avec tant de talent qu’on le laissa coopérer aux auditions de l’orchestre municipal. C’était un brave petit orchestre, ambitieux, qui s’aventurait même jusqu’à jouer des symphonies de Brahms qu’il exécutait d’ailleurs avec plus d’enthousiasme que de maîtrise.

Il va sans dire que le père, quoiqu’il tolérât ces penchants artistiques, jugeait indispensable que son fils terminât bourgeoisement son lycée. Le fils en jugeait autrement, mais néanmoins, il tint bon jusqu’au baccalauréat, passé avec succès.

Voici venir l’heure décisive pour la direction de sa vie. Bon bourgeois ou artiste ? Artiste, bien entendu. Un nouveau problème surgit : peintre ou musicien ? Les parents le laissent libre dans sa décision ; la mère, évidemment, aurait préféré faire de son fils un musicien. Mais un artiste ne doit se fier qu’à son instinct. Or, celui-ci lui déconseillait la musique. En vérité, il ne savait rien du développement qu’avait pris la peinture à cette époque, mais la musique lui paraissait alors peu fertile en possibilités créatrices. Il choisit la peinture. Cette décision prise, et plein de confiance dans les forces inconnues qu’il sentait dans son âme, il se rendit à Munich en octobre 1898 pour y consulter Lœfftz, directeur de l’Académie des Beaux-Arts. Celui-ci loua les dessins de paysages que Klee lui montra, mais il lui conseilla de commencer par travailler dans l’atelier de Knirr. Le jeune homme suivit le conseil et n’eut pas à s’en repentir. À l’atelier, il trouva avant tout la vie facile avec de bons camarades et Munich lui offrit les théâtres et les concerts, jouissances inouïes.

On appréciait son talent et l’enseignement du maître qui tendait au libre développement des élèves, convenait admirablement à son tempérament. De sorte qu’il n’entra pas chez Stuck à l’Académie avant sa troisième année d’études. Stuck, en véritable académicien, visait avant tout la maîtrise de la forme. Ce qu’on apprenait le mieux chez Stuck, c’était le dessin. Quant à la couleur, on ne s’y perfectionnait guère. Klee, de temps en temps, faisait une apparition chez Knirr, où le ton était plus gai et plus libre, et où le dessin et la caricature étaient à l’ordre du jour.

En octobre 1901, Klee, accompagné de Herrmann Haller, fit son pèlerinage en Italie, en véritable élève des Beaux-Arts. Rome le rendit pensif. C’est là que, pour la première fois, il commença à réfléchir sérieusement sur son art. En plus, sa situation économique exigeait une précision plus nette de ses rêves ; car Klee était fiancé. Gênes l’impressionna d’une façon dramatique, tandis que Rome, plus épique, ne l’influença que graduellement. Mais ce fut l’art byzantin qui le secoua le plus au premier contact. Plus tard, à Naples, à Porto d’Anzio et à Florence, d’autres visions le préoccupèrent d’une manière plus intense.

C’est ainsi que la quatrième année d’études prit son cours. L’Italie devint pour lui une leçon d’histoire pleine de vie, et sa qualité d’épigone se révéla à lui piteusement. Il tâcha de combattre son pessimisme en s’ironisant lui-même.

C’est dans cet état d’âme qu’il débuta par ces gravures si satiriques des années 1903-1906. Il vivait alors tranquillement dans la maison de ses parents, à Berne, n’interrompant que de temps à autre la monotonie de ce séjour par de brefs voyages à Paris, à Munich et à Berlin. La « Münchner Sezession » exposa pour la première fois des gravures de Klee. Dans ce même été 1906, Klee se maria et alla s’établir définitivement à Munich.

Ce qu’il avait appris à Paris et à Berlin le rendit mécontent du style austère de ses premières œuvres et le poussa à une certaine détente qui se manifesta dans ses peintures contre verre (fixés). C’est ainsi qu’il essaya de l’impressionnisme, d’ailleurs sans trouver de solution satisfaisante. À côté des études d’après nature, il donnait libre cours à sa fantaisie. Ernst Sonderegger attira son attention sur les œuvres de James Ensor. Ses peintures l’impressionnèrent profondément et le poussèrent à se chercher lui-même. Il continuait néanmoins ses études d’après nature, et il ne l’a jamais regretté.

L’année 1908 lui fit connaître l’œuvre de van Gogh. 1909 amena la grande exposition de Marées. En plus, Cézanne entra dans son horizon. Sans doute van Gogh l’impressionna davantage : mais il y dépista le côté pathologique, tendis que Cézanne s’imposait à lui comme inspirateur.

En 1910, Klee fit une exposition ambulante en Suisse.

En 1911, W. Michel arrangea la première exposition collective chez Thannhauser. Là, Klee vit les toiles de Matisse qui le remuèrent d’une façon étrange. De plus, il entra en relations avec Auguste Macke, Kandinsky et Franz Marc, Kandinsky l’introduisit dans le cercle du « Blaue Reiter ». C’est l’année des illustrations de « Candide »,

En 1912, l’action révolutionnaire des Picasso, des Rousseau et d’autres, l’attira à Paris.

En rapport constant avec les artistes d’avant-garde en Allemagne et en France, Klee affermissait ses tendances personnelles et finit par acquérir une harmonie de la vision. Matisse surtout l’aida à découvrir sa propre qualité de coloriste. C’est à lui qu’il dut la compréhension des principes essentiels de la peinture moderne. Pour les mettre en pratique, il lui fallut des sujets qu’il espérait rencontrer dans la nature africaine. Accompagné de Macke, il partit pour la Tunisie en 1914. Il y trouva sa voie. Le moment était bien choisi : le voyage était préparé par ses relations avec Kandinsky et Marc. Déjà auparavant, il avait eu de petits succès. La société artistique du « Sturm » de Berlin et les marchands de tableaux de Munich (Thannhauser et Goltz) s’occupèrent de lui. L’année 1915 fut des plus productives en aquarelles. Ce n’est qu’en 1916 que la guerre interrompit cette vie studieuse et calme. En 1919, il redonna libre cours à son désir ardent de travail, C’est surtout la formule de sa petite peinture à l’huile qui se précisa à cette époque.

En 1920, il est nommé professeur au « Bauhaus » à Weimar. (Depuis 1926, le « Bauhaus » se trouve à Dessau).

Le grand succès lui tomba du ciel comme un fruit mûr. Il s’en réjouit dans le calme de sa solitude riche de travail, rêvant, produisant, jouant du violon.

En 1922, grande exposition des œuvres de Klee à la « Nationalgalerie » de Berlin ; en 1928 et 1929, aux galeries Flechtheim à Berlin et à Dusseldorf ; en 1929, chez Georges Bernheim et Cie, rue du Faubourg-Saint-Honoré, Paris, et au « Centaure », à Bruxelles ; en mars 1930, au « Museum of Modern Art », à New-York.

Aujourd’hui, on trouve des toiles de Klee à la Nationalgalerie de Berlin et aux musées de Barmen, de Dresde, de Düsseldorf, de Francfort, de Mannheim et de Weimar ; ses aquarelles dans presque tous les musées d’Allemagne, au Détroit Art Institute et au Kunsthaus de Zurich.

Des toiles de Klee se trouvent dans des collections particulières à Berlin, chez M. Flechtheim et le baron Simolin, à Barmen, chez M. Rudolf Ibach ; à Brunswick, chez M. Ralfs ; à Créfeld, chez M. Herman Lange et le Dr Raemisch ; à Cologne, chez MM. Alfred Tietz et Werner Vohwinkel ; à Dresde, chez Mme Bienert ; à Düsseldorf chez le Dr Cohen, conservateur du Musée, et M. Alex Voemal, à Gœdeborg (Suède), chez Gabrielsoi ; à Berne, chez Mme Buergi-Bigler ; à Zurich, chez M. Streiff ; à New-York, chez M. Gallatin (Musée d’Art vivant) et Ernest Hemingway ; à Détroit, chez M. Valentiner, le directeur du Musée ; à Paris, chez MM. Georges Bernheim, Paul Éluard, Alphonse Kann, G. Meunier, Marcel Monteux, Kurt Mettler et le vicomte de Noailles ; à Versailles, chez la princesse Bassiano.


Company. À TABLE
1907
Collection Paul Strecker, Paris.
Tischgesellschaft.

Sail-Boats. BATEAUX À VOILE
1916
Collection Voemel-Suermondt, Dusseldorf.
Segelboote.

LE PAYSAGE À LA LETTRE R
1919
Landscape with the lettre R. Musée de Francfort. Landschaft mit R.

PAYSAGE AUX OISEAUX BLEUS
1919
Landscape with blue birds. New-York. Museum For living art. Landschaft mit blauen Vögeln.

The Bud. LE BOURGEON
1920
Collection Hermann Lange, Crefeld.
Die Knospe.

The Cold City. LA VILLE FROIDE
1921
Musée de Mannheim.
Die Kalte Stadt.

The twittering-machine. LA MACHINE À GAZOUILLER
1922
National galerie, Berlin.
Die Zwifchermaschine.

Lady with a vail. DAME AU VOILE
1922
Collection Alphonse Kann, Paris.
Dame im Schleir.

In the Meadow. DANS LA PRAIRIE
1923
Collection P. Éluard, Paris.
Auf des Wiese.

Around the Fish. AUTOUR DU POISSON
1925
Musée de Dresde.
Um den Fisch.

PETIT PAYSAGE DE DUNES
Little landscape with dunes. 1926
Musée de Dusseldorf.
Kleine Ovenenlandschaft.

The bird Pep. L’OISEAU PEP
1926
Collection Mme Burgi, Berne.
Der Vogel Pep.

The cloister garden. JARDIN DE COUVENT
1926
Collection Otto Ralfs, Brunswick.
Kloslergarten.

CANTATRICE DE L’OPÉRA-COMIQUE
1927
Collection Ludwig Kaizenellenbogen, Berlin.
The soprano of the Opéra-Comique. Sängerin der Komischen Oper.

L’ESPRIT QUI BOIT ET JOUE
1927
Collection Hermann Lange, Crefeld.
The Spirit that drinks and gambles. Geist bei Wein une Spiel.

The Fool of the depths. LE FOU DE L’ABÎME
1927
Collection Bruno Sfreiff, Zurich.
Narr der Tiefe.

LES LIMITES DE LA RAISON
1927
Collection part. Alfred Flechtheim, Berlin.
The limits of Reason. Grenzen des Verstandes.

ENTRÉE DU PORT DE P. F.
Entrance of the port of P. F. 1927 Hafeneinfahrt von P. F.
Collection Vicomte de Noailles, Paris.

The Fishing-boat. VAPEUR QUI PÊCHE
1928
Collection N. St. Wollf, New-York.
Fischdampfer.

Passing the palace. EN PASSANT DEVANT LE PALAIS
1928
Collection Erich Raeminsch, Crefeld.
Am Palast vorbei.

Fool in the Trance. FOU EN TRANSE
1928
Collection Willy Strecker, Wiesbaden.
Narr in Trance.

BATEAUX À VOILES DANS LE PORT
Sail-Boats in the port. 1928
Collection Alfres Tietz, Cologne.
Segelschiffe im Hafen.

Sensitive boats. BATEAUX SENSIBLES
1928
Collection Alphonse Kann, Paris.
Sensible Schiffe.

The cat and the bird. LE CHAT ET L’OISEAU
1928
Berlin, Galerie Fleichtheim.
Katze und Vogel.

ROUTES PRINCIPALES ET ROUTES LATÉRALES
1928
Collection Werner Vowinckel, Cologne.
The main road and the byeroard. Hauptweg und Nebenwege.

Girl with Flags. FILLE PAVOISÉE
1928
Collection Kürt Mettler, Paris.
Beflaggtes Mädchen.

The ennemies. LES ENNEMIS
1928
Collection Pierre David Weill, Paris.
Abgeneigte.

MAISONS DANS LE VERT
1928
Collection Hoffmann-Stehlin, Bruxelles.
Houses in the open. Häuser im Grünen.

COLLINE DE CHÂTEAU
1929
The castle on the hill. Collection Flechtheim, Berlin. Burgügel.

L’ÉRECTION DU MONUMENT
1929
Collection Ernest Hemingway, New-York.
The building of the monument. Monument in Arbeit.

The loast rider. LE CAVALIER ERRANT
1929
Galerie Flechtheim, Berlin.
Versprengter Reiter.

The clown. LE CLOWN
1929
Collection Ida Bienert, Dresden.
Des Clown.

Egyptian village. VILLAGE ÉGYPTIEN
1929
Collection Mme de Rocques, Berlin.
Aegyptisches Dorf.