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Paysage (Lamartine)

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PAYSAGE.[1]

Montagne à la cime voilée,
Pourquoi vas-tu chercher si haut,
Au fond de la voûte étoilée,
Des autans l’éternel assaut ?

Des sommets triste privilége !
Tu souffres les âpres climats ;
Tu reçois la foudre et la neige
Pendant que l’été germe au bas.

À tes pieds s’endort sous la feuille,
À l’ombre de tes vastes flancs,
La vallée où le lac recueille
L’onde des glaciers ruisselans.


Tu l’enveloppes de mystère,
Tu la tiens dans un demi-jour,
Comme un appas nu de la terre
Que couve ton jaloux amour.

Ah ! c’est là l’image sublime
De tout ce que Dieu fit grandir !
Le génie à l’auguste cime
S’isole ainsi pour resplendir.

Le bruit, le vent, le feu, la glace,
Le frappent éternellement,
Et sur son front gravent la trace
D’un froid et morne isolement.

Mais souvent caché dans la nue,
Il enferme dans ses déserts,
Comme une vallée inconnue,
Un cœur qui lui vaut l’univers.

Ce sommet où la foudre gronde,
Où le jour se couche si tard,
Ne veut resplendir sur le monde
Que pour briller dans un regard.

En le voyant, nul ne se doute
Qu’il ne s’élance au fond des cieux,
Qu’il ne fend l’éther de sa voûte,
Que pour être suivi des yeux !

Et que, du sein de la tempête,
Il ne se penche que pour voir
Les neiges de sa blanche tête
Luire, ô lac ! dans ton bleu miroir.


A. de Lamartine.


Paris, 29 mars 1842.

  1. Nos lecteurs se souviennent, sans doute, d’une charmante pièce de vers improvisée par M. de Lamartine, le Coquillage, que nous avons publiée l’année dernière. On sait que Mme de Lamartine fait tirer chaque année, chez elle, une loterie au profit d’un établissement de charité qu’elle a fondé à Paris. Beaucoup d’artistes distingués concourent à cette bonne œuvre par l’envoi de leurs ouvrages. Le célèbre paysagiste de Genève, Calame, a envoyé cette fois un beau paysage représentant une cime des Alpes couverte de neige, avec une vallée et un lac dans le lointain. M. de Lamartine, chargé de mettre une inscription autographe à ce tableau, a écrit au bas les vers qu’on va lire.