Paysages introspectifs/Dernière invocation

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L’illusion Apollidienne.

DERNIÈRE INVOCATION

Il fait soir. Sur les monts des ombres ont surgi,
Toutes frêles d’abord, formes toutes menues,
Qu’étoffe peu à peu le rythme de la Nuit :
Et voici qu’elles ont peuplé le champ des nues.


Seul, je viens respirer le Soir comme un amant,
Au cœur surabondant de tristesse apaisée.
Pleurent autour de moi des larmes de rosée ;
Sur mon être il fait soir délicieusement.



Or la forêt n’agite plus sa chevelure
Et le jet d’eau qui prie a chu dans un murmure,
Peut-être qu’au village un vieil homme se meurt
Et le bois attentif voit son âme : J’ai peur....


Sans un bruit, sous l’effort muet d’une main d’ombre,
La grille du jardin a tourné sur ses gonds.
Qui donc vient à cette heure ? Un tremblement profond
Saisit mon être enfui dans ses cavernes sombres.


… Quelque chose est entré dans ma vie ; on dirait
Que j’entends sangloter mon cœur en ma poitrine.
Et cependant il fait si doux que je voudrais
M’évanouir comme un son de cloche argentine.


Serait-ce toi, que j’ai si longtemps attendu
À genoux pour t’offrir l’hymne de ma croyance,
Toi, un peu de moi-même en moi-même perdu,
Idéal dont je souffre et qu’ardemment je pense ?



Te verrai-je jamais, toute pleine de nuit,
Vers quoi le pur élan de mes actes converge,
Portant au bout des bras en ton manteau de serge
Des corbeilles de fleurs et des grappes de fruits ?


..... Oui je t’ai respirée, oui je te sens présente,
Les bosquets fleurissants sont pleins de ta venue ;
Je devine en mon cœur le bruit de tes pieds nus,
Étouffés sur le gazon que la lune argente.


C’est pourquoi, rénovant tous les cultes anciens,
Qui chantèrent l’amour dont ta survie est faite,
Je t’évoque et je crie en mon cœur de poète :
« Je te désire, éternelle Beauté, viens, viens.... »

..................

Et soudain tu parais, flottant à la lisière
De ce verger si calme, où je bêche pour toi
Le parterre bordé de mes roses trémières
Et le pied du laurier où se suspend ma foi.



Et tandis que ton âme approche de mon âme,
Mon œil te reconnaît et se caresse à toi,
Et je n’ose vers ton désir tendre mes doigts,
De peur de n’enlacer qu’un simple corps de femme.


Toi, toi, immarcessible Idéal de Beauté !
Toi, seule fiancée à ma fierté de mâle !
Depuis toujours je t’appelais à mes côtés,
Et voici que ce soir je vois ta face pâle.


Tu dissipas les pleurs de mes espoirs muets,
Tu m’as souri du fond de ma jeunesse folle,
Tu me glissas au cœur de troublantes paroles,
Et tandis que l’azur fait pleuvoir des bluets,


Languissamment au bord des étoiles frileuses,
Sur ta robe de chair que mon rêve a tissé,
Tu viens vers moi les bras tendus, lèvres rieuses,
Entraînant dans ton vol tous les siècles passés.



Laisse-moi, laisse-moi goûter une seconde
À la source de feu qui coule dans ton sein !
Oh ! laisse-moi plonger mon cœur qui surabonde
De tout ce que ta grâce a dévoilé soudain,


Dans le fleuve d’amour qui jaillit de ta gloire ;
Un nouvel astre, issu de cette oblation,
Se lèvera sur nous, éclairant ma mémoire
Des feux illucescents de ton assomption !


.... Mon jardin s’illumine et des lilas festonnent
Le haut des murs enguirlandé comme un autel ;
Chaque arbre refleurit sous ton souffle immortel,
Qui balaye la feuille et qui chasse l’Automne.


Non ce n’est plus ton corps, non ce n’est plus ta chair,
Que je baise ce soir dans ce silence tiède
De tout mon être énamouré qui te possède ;
C’est un peu de ton âme éparse en tous les airs.


..................

..... Oui c’est ton souffle pur, ton âme immaculée,
Que je bois à longs traits comme un coup de clarté…
Ah ! j’ai cueilli la fleur de ta splendeur voilée,
À présent laisse-moi mourir dans la Beauté !…