Paysages introspectifs/Rondeaux sérieux

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RONDEAUX SÉRIEUX

À Maurice Foucault.

I

Dans les roseaux souillés des marais pestilents,
Et des stagnations des limons ruisselants,
De frêles mouches d’or aux têtes de topaze,
Au corselet d’opale, aux élytres de gaze,
Réverbèrent les dards des rayons virulents.

En haut toute la foi des ciels étincelants !
En bas tous les péchés des chancres purulents !
Mais l’insecte bourdonne au-dessus de la vase,
Dans les roseaux.

Virevoltes de l’âme entre deux stimulants !
L’un d’argile glaiseux, l’autre d’azurs brûlants,
Dont la double action neutralise l’extase ;
Et sans pouvoir fixer le soleil qui l’embrase,
L’esprit plane très bas, sans joie et sans élans,
Dans les roseaux.

II

Ces longs soupirs devinés des forêts,
Chromatisent sur des modes abstraits,
L’espoir inespéré de voir renaître,
Sous l’ombre du bois mort qui s’enchevêtre,
D’anciens guerriers germains aux durs jarrets.

Ils coulent la plainte de leurs regrets,
Dans les sillons délaissés des guérets,
Et soupirent après un vieil ancêtre,
Ces longs soupirs.

Mais les gardes logés dans les retraits,
Sachant le symbole, restent discrets,
De peur d’ouïr quelque géant peut-être,
Frapper terrible au bas de leur fenêtre,
Et n’osent pas trahir dans leurs secrets,
Ces longs soupirs.

III

Ô voyageurs, déjà la nuit s’achève,
Chassant dans l’air les papillons du rêve,
Et dans les bois les fauvettes d’amour.
Écoutez les battements des tambours,
Qui disent les pulsations du glaive.

Fuyez, fuyez la caresse trop brève,
Et les moiteurs hypocrites de l’Ève ;
La route est longue et les printemps sont courts,
Ô voyageurs !

Malheur ! les bois de vos vaisseaux sans sève
Ne fendront plus les sables de la grève,
Et forcés de pérégriner toujours,
Vous penserez aux couchants des beaux jours,
Vous qui partez quand l’aurore se lève,
Ô voyageurs !

IV

Les âmes sœurs se sentent pénétrées
D’un doux émoi fait de larmes filtrées
À travers les cloisons du sentiment ;
Et les rumeurs de l’une obscurément
Chez l’autre sont toutes enregistrées.

Sans se connaître elles ont leurs entrées
Dans leur chaque maison, où, bien cloîtrées,
Elles se cherchent le soir par moment,
Les âmes sœurs.

Leurs aspirations, en vain frustrées,
Voudraient s’unir par delà les contrées ;
Mais comprenant que leur tourment
Est d’adorer sans voir, éperdument,
Elles mourront sans s’être rencontrées,
Les âmes sœurs.