Poésies de Frédéric Monneron/La Foi d’enfance

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XVI

LA FOI D’ENFANCE.


Leurs anges sont toujours en la présence de Dieu.


Ô nuit ! fille des cieux ! vierge à demi voilée !
Cache-moi sous les plis de ta robe étoilée !
Je veux rêver en paix, et toi, Père d’amour,
Ne me réveille plus qu’au matin du grand jour.


Oh ! ce n’est qu’au berceau, sous l’aile maternelle,
Que s’entrevoit l’Éden de la vie éternelle ;
C’est l’âme vierge encore et le cœur enfantin
Qui savent pressentir l’invisible matin,
Céleste vision des âmes innocentes,
Qui des secrets d’en haut seules sont confidentes.
Oui, les jeunes enfants, archanges inconnus,

Des rivages sans nom sont les nouveaux venus.
Et l’étoile et l’azur et ses molles nuances
Pour eux sont tout remplis de douces souvenances.
La musique des cieux est pour eux seulement.
Tout parle poésie au cœur du jeune enfant.
La nature avec lui, secrètement unie,
De tout lui fait sentir l’idée et l’harmonie.
Ces grands nuages blancs sont les cités du ciel,
Où monte en souriant l’archange Gabriel ;
Et souvent, réchauffé d’une divine flamme,
Il voit dans le miroir de sa jeune et tendre ame
Les tours aux cloches d’or, les portes de Sion,
Des anges et des saints la blanche légion,
Et puis il tend les bras, regrettant tous ces charmes,
Et son œil innocent laisse tomber des larmes.

Ô si fraîche rosée ! ô pleurs du séraphin !
Vous ne reviendrez plus rafraîchir notre sein !

Tout souvenir des cieux passe avec les années.
Sous l’étreinte du temps, nos ames ruinées
Rejoignent dans les pleurs ce bord d’éternité
Que l’enfance, en riant, jadis avait quitté.
Cercle mystérieux, triste et secret voyage,
Qui commence et finit dans la mer sans rivage.
Je me perds aujourd’hui sur cet obscur chemin,

Dont les extrémités n’ont ni soir, ni matin…
· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·

Mais c’est encor l’amour, l’espérance infinie,
Qui sont les feux sacrés d’où sort la poésie.
Beaux souvenirs d’enfance ! ô jours où j’aimais tant !
Dans un monde nouveau mon ame vous attend !
J’aime votre fraîcheur, vos amours si naïves,
Vos horizons si bleus, vos peintures si vives,
Vos clochers tout en or, dessinés dans les cieux,
Le soir, autour du lit, vos anges gracieux,
Et votre ame où n’éclôt qu’à demi la pensée,
Et vos pleurs cristallins, purs comme la rosée.
Voilà les doux trésors de là-haut descendus,
Et que jusqu’au cercueil le poète a perdus !

Mais que dis-je ? Jésus aussi nous purifie ;
Il aime l’homme simple et sans philosophie ;
Il aime les enfants, car l’empire des cieux
Appartient, il l’a dit, à ceux qui sont comme eux.
Oh oui ! soyons enfants pour devenir des anges,
Et le Dieu de Sion recevra nos louanges.
Amour, c’est le secret du Seigneur éternel ;
Tout n’est-il pas compris dans ce mot solennel ?

Ne crains plus d’exister. L’avenir, c’est l’enfance !
Le plus vieux souvenir, la plus jeune espérance

Sont deux frères jumeaux aux pas silencieux
Qui se mirent dans l’ame en marchant dans les cieux.
Aussi l’homme souvent, sur les bords de sa route,
Pose un doigt sur sa lèvre, et souvent il écoute
S’il n’entend pas venir quelque réalité !…
Mais tout n’est qu’un soupir du vent d’éternité.
Qu’il poursuive sa route et monte la colline ;
Là, s’ouvre un horizon où la croix s’illumine ;
Là sur les flots pressés de l’immense océan
L’amour lui tend les bras. Par delà l’ouragan,
Loin, dans les profondeurs de la plage éternelle,
Dieu nous réserve encore une enfance nouvelle.
Ainsi, relève-toi ; poursuis ton long chemin ;
Tâche bien d’éviter le vent froid du ravin,
Et puis le jour viendra qu’à sa forte parole
Dieu fera de Sion scintiller la coupole !
Sur son dôme doré le temps, lugubre oiseau,
S’abattra pour jamais, et dans ce jour nouveau
Les voyageurs lassés, que cette terre ennuie,
Viendront se reposer au seuil d’une autre vie.


Adieu, fille du ciel, sous tes crêpes voilée !
Je dégage mon front de ta robe étoilée ;
Il faut fuir ! déjà l’aube aux longs cheveux épars
Illumine à demi les franges des brouillards.

· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
Chaque repli des monts se déroule et chatoie ;
Clochers, noires forêts, débris de vieille tour,
Solitude des eaux, tout revient au grand jour.
Adieu, de nos pensers que tes sœurs se souviennent,
Et que, sur cette plage, un soir elles reviennent !