Aller au contenu

Principes d’économie politique/A-I

La bibliothèque libre.

APPENDICE

LES FINANCES PUBLIQUES



I

LES DÉPENSES PUBLIQUES.

L’accroissement continu des dépenses publiques est un des faits les plus caractéristiques de notre temps. Au commencement du siècle et jusque vers 1830, le budget des dépenses ne dépassait guère 1 milliard ; il atteint aujourd’hui 3 milliards 1/2 en moins d’une vie d’homme, il a donc plus que triplé[1] et si l’on ajoute les dépenses des communes et des départements, il atteint plus de 4 milliards 1/2. Il est vrai que l’augmentation générale de la richesse et la diminution de valeur de l’argent expliquent en partie ce phénomène. Mais ces causes ne suffisent pas pour rendre compte de l’énorme accroissement des dépenses publiques. Il faut en chercher d’autres :

1o La première est le développement de l’esprit militaire avec toutes ses conséquences, la guerre d’abord et la paix armée qui coûte beaucoup plus que la guerre d’autrefois. Sur les 3 1/2 milliards de dépenses de l’État que nous venons d’indiquer, près des deux tiers sont consacrées à payer les frais des guerres passées ou les préparatifs des guerres futures. Le budget de la guerre et de la marine en France, en y comprenant les pensions militaires, atteint 1.100 millions fr. D’autre part, la presque totalité des arrérages ou intérêts de notre dette publique, qui représente un peu plus de 1 milliard par an, vient d’emprunts faits dans ce siècle pour payer des frais de guerre ou des indemnités de guerre.

Les pays neufs d’Amérique ou d’Australie, grâce à ce fait qu’ils n’ont pas de voisins ou qu’ils n’ont heureusement pour voisins que des sauvages, n’ont à supporter de ce chef que des charges insignifiantes, et il est impossible, comme on l’a fait remarquer avec juste raison, que cette inégalité énorme dans les charges ne finisse pas par leur créer une supériorité économique tout à fait décisive sur nos pays d’Europe.

2o La seconde est l’extension graduelle des attributions de l’État. Toute dépense publique correspond, en effet, à une certaine fonction de l’État. Or, on voit se manifester par tout pays, sans en excepter même le pays du self-help, l’Angleterre, une tendance de plus en plus marquée à élargir les attributions de l’État, non seulement en développant dans des proportions considérables certains services publics, tels que ceux de l’instruction publique ou des travaux publics, mais encore en créant des ministères nouveaux ou tout au moins de grands départements ministériels, tels que l’agriculture, le commerce, le travail (surveillance des manufactures au point de vue de l’observation, des lois qui limitent le travail ou qui prescrivent certaines mesures de sécurité, publication de documents statistiques relatifs au travail), l’assistance publique, l’hygiène publique (logements insalubres, préservation des épidémies, falsification des denrées alimentaires).

Il va sans dire que cette extension progressive des attributions de l’État doit se traduire par un accroissement proportionnel des dépenses publiques[2]. Néanmoins il serait injuste de faire retomber sur le socialisme d’État, comme on l’appelle, la plus lourde part de responsabilité dans l’aggravation énorme des charges publiques. Si du chiffre total des dépenses de l’État qui est de 3 milliards 1/2, on retranche le milliard de la guerre et de la marine et le milliard de la dette publique — qui se rattache aussi pour la plus grande part, comme nous l’avons fait observer, à la guerre, — si l’on retranche aussi les 4 ou, 500 millions que coûte la perception des impôts, il reste à peine un milliard de dépenses publiques à répartir entre les divers ministères. Or si l’on songe que le revenu total de la France est évalué à 20 ou 25 milliards, on ne trouvera plus aussi exorbitant qu’elle consacre 4 à 5 % de ce revenu à des dépenses d’intérêt collectif[3].


  1. Voici, d’après un tableau que nous empruntons, en l’abrégeant, à l’excellent précis de statistique de M. de Foville, La France économique, les accroissements successifs du budget de la France depuis saint Louis :
    Saint Louis (1243) 3.7 millions de francs.
    François Ier (1515) 72.8
    Henri IV (1607) 90.8
    Louis XIV (1683) 226.8
    Louis XVI (1789) 475.8
    Napoléon Ier (1810) 1.007.8
    Louis-Philippe (1840) 1.363.8
    Napoléon III (1869) 1.904.8
    République (1898) 3.414.8

    Mais le budget de 1898 n’est qu’un projet qui sera encore vraisemblablement, tout compte fait, majoré d’un certain nombre de millions.

    Ajouter les dépenses ordinaires des communes qui sont de 730 millions et celles des départements qui sont de 314 millions.

  2. En 1876 on comptait, 189 000 fonctionnaires de l’État coûtant 303 millions de traitement. Aujourd’hui on en compte 463.000 coûtant 615 millions. En 20 ans seulement, l’augmentation a donc été de plus du double.
  3. Il est vrai qu’il faut ajouter plus d’un milliard pour les dépenses des communes et des départements, qui sont aussi des dépenses d’intérêt collectif, ce qui élève la proportion à 10 %.
    Il est clair que le militarisme n’était pour rien — ou pour peu de chose (quelques casernes à bâtir) — dans l’accroissement des dépenses municipales, celui-ci ne peut être expliqué que par l’extension des attributions des municipalités.