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Principes d’économie politique/II-2-VII-V

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V

DES DÉPÔTS.


La première opération du banquier c’est de se procurer des capitaux d’autrui. Sans doute il peut bien se servir de son capital propre, ou de ceux plus considérables qui peuvent être réunis par l’association et qui, dans nos grandes sociétés de crédit, peuvent s’élever à des centaines de millions. Mais si le banquier ne faisait ses opérations qu’avec son capital individuel ou même avec un capital social, il ne ferait que peu de bénéfices et même le public ne retirerait que peu d’avantage de ses opérations : nous en verrons tout à l’heure la raison. Il faut qu’il fasse ses opérations avec l’argent du public et que pour cela il le lui emprunte[1]. Mais comment le lui empruntera-t-il ? Ce n’est pas à la façon d’un État ou d’une ville ou même d’une société industrielle qui emprunte à long terme (sous forme de rentes, d’obligations, d’actions) les capitaux que leurs possesseurs cherchent à placer. Non : ce mode d’emprunt exige un taux d’intérêt trop élevé pour que le banquier pût y trouver son profit. Ce que le banquier demande au public, c’est ce capital circulant, flottant, qui se trouve sous forme de numéraire dans la poche de chacun de nous ou dans le tiroir de notre bureau. Il y a dans tout pays, sous cette forme, un capital considérable qui n’est encore fixé nulle part, qui ne fait rien, qui ne produit rien et qui attend le moment de s’employer. Le banquier dit au public : « Confiez-le-moi en attendant que vous en ayez trouvé l’emploi : je vous éviterai l’ennui et le souci de le garder et vous le restituerai dès que vous en aurez besoin, à première réquisition : c’est déjà un service que je vous rendrai. De plus, je vous en donnerai un petit intérêt, par exemple, 1 ou 2 %[2]. Ce sera toujours plus qu’il ne vous produit, puisque chez vous il ne rapporte rien. Enfin je vous rendrai encore un troisième service, celui d’être votre caissier, de toucher vos revenus, d’encaisser vos coupons et de payer vos fournisseurs sur les indications que vous me donnerez, ce qui vous sera fort commode ».

Là où ce langage est écouté et compris du public, les banquiers peuvent se procurer ainsi, à très bon compte, un capital considérable, en drainant, pour ainsi dire, de la circulation, le numéraire qui s’y trouve disséminé[3]. Nous avons dit maintes fois déjà qu’en Angleterre, par exemple, il est d’usage chez tous les gens riches de ne point garder d’argent chez eux et de tout déposer chez leurs banquiers. S’ils ont un paiement à faire à un fournisseur, à un créancier, ils envoient tout simplement ce créancier se faire payer chez leur banquier, en lui remettant un ordre de paiement rédigé sur une feuille détachée d’un carnet à souches qui s’appelle un chèque. Et cet usage tend à se généraliser par tous pays.


  1. Certaines grandes banques même n’emploient jamais leurs capitaux propres dans leurs, opérations elles les placent, soit en immeubles, soit en titres de rente, comme une réserve ou une garantie pour leurs clients. C’est le cas, par exemple, de la Banque de France.
  2. Il pourrait même ne donner aucun intérêt : certaines banques, telles que la Banque de France et d’Angleterre, n’en donnent point en effet, car elles estiment qu’elles rendent un service suffisant aux déposants ; et ce qui prouve bien qu’elles ont raison, c’est que, nonobstant, elles reçoivent des sommes énormes en dépôt. En 1896 la Banque de France a reçu ainsi gratuitement 663 millions. Bien mieux : autrefois les banques de dépôts, ces anciennes banques dont nous avons cité les noms, se faisaient payer par les déposants un droit de garde, parce qu’elles ne touchaient pas à l’argent déposé chez elles et n’en tiraient aucun profit.
    Mais toutes les banques aujourd’hui cherchent à employer productivement l’argent déposé chez elles : aussi la plupart ont l’habitude de faire bénéficier d’un petit intérêt les déposants, afin d’attirer par cette prime la plus grande quantité possible de dépôts. Naturellement l’intérêt est plus élevé si le déposant s’engage à ne pas réclamer son argent pendant un certain temps, six mois, un an, cinq ans.
  3. Le Journal de la Société de Statistique de Londres (septembre 1884) évaluait déjà à 63 milliards le montant des dépôts recueillis ainsi par les Banques dans le monde entier (dont 24 milliards pour l’Angleterre et ses colonies réunies).