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Réponse dans Le Petit Peuple

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Réponse dans Le Petit Peuple


Mon cher ami,

Me trouvant de passage à Paris où je resterai cette quinzaine, j’apprends qu’un monsieur Pierre Veber, grand redresseur des torts bolchevistes, a publié ces mois derniers un article dans lequel il raconte que des collaborateurs du Mercure de France, des Entretiens et de la Revue blanche jouaient autrefois aux libertaires et venaient ainsi à L’Endehors où le snobisme voisinait avec la rouge anarchie. Là-dessus l’émérite censeur avertit charitablement l’Académie Française qu’un de ses membres les plus éminents fut directeur de L’Endehors ! Je n’invente pas. Il paraît que tout l’article de ce moraliste gai est parfumé d’anecdotes de crus aussi authentiques. Pourquoi s’étonner ? Ce P.V. oublie un détail charmant. Il ne sait plus que lui-même, s’imaginant suivre la mode, s’insinua dans les mauvais lieux et qu’il osa ses initiales, sous des proses peu compromettantes, dans les feuilles les plus mal famées. J’ai en effet le souvenir précis que ce long serpent à sornettes se glissa jadis vers L’Endehors pour y déposer sa ponte.

Ça n’a aucune importance. Mais, par ces jours de victoire, souffle un tel vent de servitude, se faufilent tant de nouvelles vertus, que me taire ne suffirait peut-être pas à me préserver de l’honneur de figurer comme repenti.

Le silence, un instant rompu, me sera léger tout à l’heure d’être modestement nu.

Les derniers amis de L’Endehors et de La Feuille connaissent le sens d’un passé que le présent n’entend point renier. Pendant un bon bout de chemin, contre les laideurs du temps, nous avons réagi ensemble. On nous traitait d’anarchistes, l’étiquette importait peu. En somme il n’y a que deux partis : deux instincts, deux façons de sentir. Oui, j’écrivais pour le plaisir — le plaisir de dire ce que je pensais, au fait ce que je ressens toujours.

J’ai moins l’amour des exploités, patients à tous les brancards, que le mépris et le dégoût de l’élite des esclaves : les maîtres — harnacheurs sournois, bons apôtres, honnêtes gens, maîtres fourbes. Dérision ! leurs communions feintes sous les espèces des grands mots — ces grands maux des hommes. Ecoutez-les. Dressez la liste. Tout ce qu’ils vantent cache un licol. Tout ce qu’ils chantent, détestez-le !

De mon mieux je les sabordai, avant de prendre licence de m’en aller regarder plus loin. Circuler un peu par le monde, entrevoir l’épaisseur des masses, retrouver partout florissantes les mêmes duperies transposées, les croyances et les fétichismes enracinés jusqu’à l’os, il est vrai ne m’a pas porté à d’édifiantes illusions. Respirer, respirer ailleurs. N’être rien dans la vaine affaire. Lampée d’air pur, vent du large… Et sans doute plutôt nomade. Qu’est-ce donc vivre si ce n’est passer, selon sa nature, un moment ? J’aime le matin sur les routes, proches ou lointaines, et sans stylo, sans autre ambition ni but que de comprendre la journée claire en dehors des mirages flottants — en dehors ainsi que toujours, à des feuilles d’écriture près.

Pâleur des paroles. C’est à peine si j’indique, rapide… Du moins pas de faux-nez. Ça gène. Au petit bonheur de naissance, privilège absurde et commode, la société capitaliste, avant les banqueroutes finales, me dispense quelque pécunes. J’use des derniers assignats aux promenades qui me plaisent encore.

Et déplaire ne me déplait pas.

Tant pis et zut pour qui soupçonne qu’une lueur de liberté modifie le fond de la pensée. Elle en accentue les nuances. À l’instant où des projets de lois exaltent les militarismes, il est du reste bon d’avouer qu’il faut être mal enclin aux redites sempiternelles pour s’abstenir d’insister sur les meilleures évidences.

Saluons l’Armée Professionnelle, permanente provocatrice des tueries les plus illogiques.

En serait-il d’autres — explicables ? On y marche. L’inconscience règne. Les gouvernants tablent sur ce fait, non douteux, que le peuple, habitué au joug, ne veut pas la révolution. Politiciens agioteurs, alchimistes du papier-monnaie, ils supposent que l’inévitable faillite se terminera par un concordat, et que la secousse amortie laissera l’Édifice debout. Ils sont là, piétinant sur place, tisonnant la crise. Imbéciles ! La révolution, mais on ne la fera pas exprès ! Elle résultera fatale, implacable aussi, de vos défis, de vos maladresses, d’une situation sans issue, de la force même des choses, de leur faiblesse… Déjà les craquements se perçoivent : un krach ultime et sismique jettera bas la façade. Le régime s’effondrera.

Qu’en sortira-t-il, cher ami ? Je ne ferai pas semblant de songer à l’affranchissement, à l’émancipation d’une classe plus spécialement que d’une autre, perverties qu’elles sont toutes par le manque de simplicité, le goût nègre des verroteries, du clinquant et des cinémas tombés dans le roman-feuilleton. Rien de très beau à espérer. Étant donné ce que sont les hommes, tous les hommes que nous connaissons — nous compris, il ne sied pas d’anticiper au-delà du bouleversement, vengeur des mensonges d’un monde. Il s’annonce. La seule certitude c’est de Vivre et sans attendre. Vivons donc : action, parole ou silence. Question d’heure, cas individuels. Et le moins sottement possible…


Zo d’Axa

Le Petit Peuple, 1921