Refaire l’amour/01

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J. Ferenczi & Fils (p. 5-7).
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REFAIRE L’AMOUR


I

Comme un chien fidèle, mon désir t’a suivie jusqu’au tournant de cette route, le nez dans ta robe, sans voir, sans entendre, sans essayer de comprendre, ne cherchant plus qu’à te sentir vivre du même frisson que le sien. Mais d’un geste excédé, tu as laissé tomber la chaîne qui nous liait : je ne devais plus marcher à ton ombre, mes pas dans tes pas. J’ai attendu un nouveau signe de ta main, un mouvement des épaules, une petite inclination de la tête me rappelant, et ta silhouette, raidie par une obscure volonté, s’effaçait peu à peu derrière les arbres, rentrait dans la nuit, épaississait l’incertitude. Désormais tu t’en irais seule vers un autre destin très inconnu. Tu ne pouvais plus me souffrir. Je m’étais rendu insupportable. Tu m’avais trop porté ? En amour, il y a donc des choses plus sérieuses que l’amour ? Pourquoi m’avoir tant aimé ou me l’avoir laissé croire ?… Moi, tu sais bien, je n’ai pas d’âme, je ne saisis pas toutes les intentions dont les enfers de vos cœurs de femmes sont pavés. Je ne suis qu’une pauvre bête. De toutes les lois que vous nous imposez, je n’ai retenu que celle de l’obéissance, je ne peux vouloir que ta volonté.

Alors, je suis parti, en sens inverse, je me suis éloigné du tournant dangereux de notre route où tu m’aurais peut-être frappé, où je t’aurais peut-être mordue. Puisque tu me défends de te suivre ainsi, le nez dans ta robe, mendiant le pain blanc de ton corps, je te suivrai… en allant à ton avance. Cercle vicieux, la terre est ronde, et, nous fuyant chacun de notre côté, nous nous rencontrerons fatalement ; ce n’est qu’une question de temps. Non ! je ne plaisante pas ! Je m’en vais, je cours, je me sauve de toi et du désespoir, front bas, aveuglé par la poussière que je soulève, aimanté vers mon pôle. Qu’est-ce donc que le temps pour la brute humaine, puissance inhumaine, qui peut s’offrir, en espérance ou en réalité, toute la joie du monde ? La joie unique au monde… Cela ne me lassera pas de te chercher parmi les formes, les couleurs, les parfums, car je suis le faiseur d’images.

Je crois que nous nous rencontrerons encore une fois. Ce sera très simple, comme tous les miracles… Assagis, l’un et l’autre, nous saurons que nous avons été heureux ensemble, que nous ne pouvons plus l’être, que nul trésor et nulle gloire ne remplacent une grande passion perdue, ce paradis terrestre que perdirent aussi nos premiers parents par leur faute, ou celle de l’amour.

…Et cette course folle fait tinter lugubrement ma chaîne que je traîne malgré moi. J’ai peur de devenir enragé avant de t’avoir revue.

Oui, oui, je me souviens ! Tu me disais : « Vous êtes un amant merveilleux, mais un ami détestable ! » Hélas ! Le chien fidèle ne te suffisait pas. En demeurant un humain ordinaire, en te trompant, pour calmer ma faim, resterai-je ton meilleur ami ?

Ah ! laisse-moi courir après ton ombre, l’ombre du bonheur ! Je préfère devenir enragé en me trompant moi-même. Il faut que j’anéantisse ton image sous le poids de mon bon plaisir ou que je me figure l’avoir inventée.