Revue Musicale de Lyon 1903-12-22/Chronique Lyonnaise

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Chronique Lyonnaise

grand-théâtre


Myosotis

Le ballet de M. Philippe Flon, créé à la Monnaie de Bruxelles en 1887, repris à Liège puis à Anvers, vient d'obtenir à Lyon le plus grand et le plus légitime succès.

La donnée a le grand mérite d’être excessivement simple. Les affabulations de ces sortes de spectacles ne brillent généralement ni par la clarté ni par l’esprit. Myosotis n’est qu’un prétexte à figuration. C’est l’histoire d’un papillon butinant dans un parterre de fleurs.

Au lever du rideau, un jardinier M. Soyer le Tondeur) se promène au milieu de son parterre. Un dessin très léger des premiers violons l’accompagne. Le sécateur en main, il va dans la nuit finissante choisir ses fleurs les plus fraîches. Le chant orchestral va crescendo, l’aube paraît, les fleurs s’éveillent et commencent sur le thème d’une valse lente une série de figurations. Selles se disposent en corbeilles d’aspect varié, tandis que les violoncelles chantent une caressante mélodie, spirituellement agrémentée d’un contrechant des cordes hautes. Puis, c’est un intermezzo, le jardinier muni d'un arrosoir poursuit le Myosotis (Mlle Cerny) qui, par un symbolisme qui ne nous déplait point, est le roi du Parterre. L’orchestre va crescendo à grand renfort de cuivres et de batterie, puis s’éteint pour laisser entendre le chant d'un hautbois solo qui nous annonce l’arrivée d’un jardinier travesti (Mlle Saint-Cygne) ; la pastorale est suivie d’une polka, très gracieusement phrasée par les premiers violons au moment de la rentrée du ballet qui entoure le jeune berger. Un adagio et un allegro se succèdent. Le papillon (Mlle Ghibaudi), est entré dans le parterre. Il poursuit le Myosotis. Signalons un motif extrêmement mélodique du premier violon solo et dont l’accompagnement par les bois est particulièrement intéressant ; puis la phrase tumultueuse des trombones à laquelle se superpose un dessin des cordes du plus heureux effet. Et c’est enfin une série de variations et le final comportant une mazurka et une apothéose.

L’interprétation chorégraphique a réuni tous les suffrages. Mlle Cerny, Mlle Ghibaudi, Mlle Saint-Cygne, sont dans des genres différents, d’une grâce parfaite, et ont fait preuve du plus réel talent. Il n’y a que des compliments à adresser à M. Soyer le Tondeur pour la manière dont il a réglé les pas, les ensembles, la figuration. L’apothéose en particulier, était d’un goût exquis.

Quant à la partition, elle fait le plus grand honneur à M. Flon. Elle nous a semblé fort supérieure aux productions classiques de Delibes ou de Luigini. Relevons surtout la science orchestrale et contrapuntique qu’elle dénote, l’heureux emploi des bois et la variété des timbres ; la finesse des dessins de cordes, l’adresse des transitions et des oppositions dans un genre que l’inévitable constance du rythme ternaire tend à rendre facilement monotone. Le seul reproche que l’on pourrait adresser à cette musique à la fois habilement facturée et agréablement mélodique, ce sont quelques réminiscences de Delibes ou d’Hérodiade. Il n’en reste pas moins que Myosotis est une œuvre charmante que nous serons heureux d’applaudir souvent encore.

Werther

Il y a deux choses intéressantes dans Werther, le caractère du personnage principal, et l’habileté de facture de la partition.

Le werthérisme est une maladie mentale qui fit fureur, mais qui a actuellement évolué d’une façon complète. Il y a un siècle la mode était d’aimer la Nature, le Clair de lune, l’irréel, l’impossible, de désespérer à tout propos et de se tuer hors de propos. De nos jours on a inventé la dégénérescence, et depuis que Lombroso a prétendu que d’être dégénéré était l’indice du génie, tout le monde se tâte pour se trouver des stigmates. Il n’y a pas encore de dégénéré supérieur dans le répertoire d’opéra, mais M. Massenet nous a gratifié d’un intéressant mélancolique. C’est en définitive autour de l’âme werthérienne que gravite toute la partition, les autres personnages étant plutôt falots. Les pages essentielles sont en effet l’entrée de Werther, le Clair de lune, l’air d’Ossian, la scène de la mort. Je ne parle pas de l’aria J’aurais sur ma poitrine qui est un lamentable sacrifice au mauvais goût public. Mais ces quelques motifs ne suffisent pas à constituer une partition, et lorsque le rôle de Werther n’est pas tenu par un chanteur de goût doublé d’un habile comédien, l’œuvre de Massenet semble quelque peu creuse : il ne lui reste plus d’autre mérite que d’être merveilleusement écrite avec une orchestration d’une habileté inouïe. Au point de vue métier, c’est un chef d’œuvre à qui il ne manque d’ailleurs qu’une inspiration égale et soutenue pour être réellement et définitivement une œuvre.

La représentation de samedi ne comptera pas parmi les meilleurs de la saison. Il est difficile de comprendre par quelle aberration on confie un rôle aussi délicat, aussi finement psychologique, aussi difficile à soutenir quand on a derrière soi des interprétations comme celle de Scaremberg et de Leprestre, à M. Gauthier qui n’a que des qualités de violence, et qui, passable dans Don José, est impossible dans Werther. Le résultat le plus clair a été d’exposer un artiste qui, en définitive, a un certain talent, à la réprobation énergiquement manifestée du public. Mme Charles Mazarin a fait montre de sa coutumière intelligence, et de sa très honorable originalité, mais il ne semble pas que le rôle soit bien dans sa voix. Les rôles secondaires étaient les mieux tenus.

Il a semblé que l’orchestre jouait presque trop bien ; j’entends par là qu’il a poussé un peu loin la recherche du menu détail, et qu’il s’est un peu égaré à la poursuite du « fin du fin ». Notons enfin une mise en scène extraordinairement inintelligente.

Edmond Locard.

Au Grand-Théâtre les répétitions du Crépuscule des Dieux sont très activement poussées par M. Flon.

La distribution est la suivante : Siegfried : M. Verdier ; Brünnhilde, Mlles Janssen et Claessen ; Gutrune, Mlle la Palme ; Gunther, M. Rouard ; Hagen, M. Sylvain ; Alberich, M. Arthus.

La distribution en double du rôle de Brünnhilde n’a d’autre raison que la question financière : Mlle Janssen est engagée pour cinq représentations par mois et l’ordre est formel, de la part de l’administration, de ne pas donner de cachets supplémentaires.

Les autres parties de la Tétralogie passeront dans l’ordre suivant : la Walkyrie en février ; Siegfried, puis l’Or du Rhin. Dans la Walkyrie, M. Gauthier chantera le rôle de Siegmund ; Mlle Claessen, Brünnhilde ; M. Rouard, Wotan. Pour l’Or du Rhin, des pourparlers sont engagés avec M. Cazeneuve qui reprendrait le rôle de Loge, créé par lui l’an dernier sur notre scène.

L’Étranger, qui doit passer en février, sera interprété par M. Rouard (l’Étranger), Mlle Claessen (Vita) et M. Boulo (André).

MM. les Artistes et Organisateurs de Concerts qui désirent qu’il soit rendu compte de leurs auditions sont priés d’adresser un double service à la Rédaction de la Revue Musicale de Lyon, 117, rue Pierre-Corneille.


les concerts

Concert Jaudoin-Bachmann

Pour présenter ses pianos aux Lyonnais, le directeur de la maison Henri Herz a eu l’heureuse idée de nous convier à un concert dans le programme comportait, à côté de morceaux destinés uniquement à faire ressortir les qualités de l’instrument, des œuvres du plus haut intérêt, comme la Sonate de Franck et les Variations symphonies de Schumann. Ces œuvres reçurent une bonne interprétation avec M. Jaudoin, un excellent pianiste au jeu très précis et très intelligent, et M. Alberto Bachmann, violoniste très réputé mais dont le style n’est pas à la hauteur des qualités de mécanisme. La Sonate de Franck, si belle et si profondément expressive, fut interprétée de façon simplement correcte surtout dans le premier morceaux que M. Bachmann a joué sans expression. Les Variations symphoniques ont par contre été jouées de façon parfaite par M. Jaudoin, ainsi que la Toccata et la Fugue d’orgue de Bach transcrite pour le piano. Nous n’avons rien à dire de la seconde partie du programme, très peu musicale et qui comprenait, entre autres œuvres, un Nocturne de Scriabine, pour main gauche seule, qui n’a pas grand chose à voir avec la musique.

S.

concert reuchsel

MM. Reuchsel ont donné, le même jour que MM. Bachmann et Jaudoin, leur premier concert de la saison, avec le concours de MM. Ticier et Bay. Comme d’habitude, la soirée a débuté par une intéressante causerie de M. Amédée Reuchsel sur Rameau et sur les œuvres portées au programme. Celui-ci réunissait les noms de Corelli, Hændel, Rameau, Beethoven, et ceux plus modernes de Guillaume Lekeu, Georges Hue et Maurice Reuchsel. La sonate de Handel pour viole de gambe et clavecin, avec ses deux allegro si pimpants et si légers, a été fort bien enlevée par MM. Ticier et Amédée Reuchsel ; l’interprétation de trois pièces de Rameau (Menuet, La Forqueray et Tambourin) a également été excellente. Nous ne parlerons pas de celle d’un Menuet pour viole d’amour, de Mélandre. M. Maurice Reuchsel a joué avec beaucoup de charme une très intéressante Romance de Georges Hüe et une Poème élégiquage de sa composition. Le voisinage d’une œuvre de Georges Hüe était dangereux pour le Poème de M. Reuchsel, qui nous a semblé de bien médiocre intérêt et qui abonde en réminiscences trops saillantes. C’est ainsi que les premières mesures du piano d’accompagnement ne sont autres qu’un ressouvenir du thème du destin de la Walkyrie, que l’on reconnait plus loin un motif très proche parent de certain passage de l’allegro de la Sonate de Franck, et aussi le thème du mystère du nom de Lohengrin, textuellement reproduit dans la partie de piano.

Le concert se terminait par le quatuor inachevé de Lekeu, œuvre admirable et intensément passionnée, mais dont l’exécution a été quelque peu compromise par l’insuffisance de l’artiste chargé de la partie d’alto. MM. Reuchsel ont droit à toutes nos félicitations pour le choix de cette œuvre peu connue et que nous espérons pouvoir réentendre bientôt.

M. Degaud.

Je me permettrai d’ajouter à l’article de notre collaborateur un mot sur la question des instruments anciens que j’ai déjà eu l’occasion d’effleurer l’hiver dernier dans le Guide Musical et dans un journal de Lyon.

MM. Reuchsel ont composé pour leur premier concert un excellent programme où en dehors des noms des compositeurs modernes, se trouvent réunis ceux de Corelli, Händel, Rameau et Beethoven ; or les musiques de Corelli sont jouées sur le quinton, la viole de gambe et la viole d’amour ; celles de Beethoven, sur le violon, le violoncelle et l’alto ; cette différence de traitement est justifiée, paraît-il, par un souci louable de reconstitution historique, ce qui donnerait à entendre que les œuvres de Corelli, par exemple, ont été écrites pour des instruments différents de nos modernes instruments à cordes.

Or, il n’en est rien : Corelli était un violoniste, des plus remarquables du reste, et non pas un virtuose du quinton.

Le quinton, à son époque, était depuis longtemps remplacé par le violon. Corelli vécut, en effet, de 1653 à 1713 et le violon était presque généralement employé depuis le début du xvie siècle. Des documents nous montrent qu’en 1550 des violons figurèrent dans les fêtes offertes par la ville de Rouen à Henri ii et à Catherine de Médicis. Vers la même époque, l’italien Baltasarini vint à la cour de France avec un troupe de violonistes, et tout le monde sait que, sous le règne de Louis xiii, fut instituée une bande de musiciens qui devint célèbre sous le nom de « vingt-quatre violons du roi » et qui compta plus tard parmi ses membres J.-B. Lulli, né vingt ans avant Corelli. D’autre part, Stradivari, qui a amené le violon à un degré de perfection qui n’a jamais été atteint depuis, n’était-il pas lui aussi l’aîné de Corelli ? Du reste, argument essentiel, les œuvres de Corelli sont écrites uniquement pour le violon.

Pour donner, sans doute, un peu de vraisemblance à cette prétendue reconstitution historique, le programme de la soirée de vendredi dernier comporte une note indiquant la date de fabrication des instruments employés : le quinton est signé Michel Colignon et daté de Paris 1686. Cette indication ne saurait être un argument. En effet, maintenant encore, certain facteurs de pianos construisent des clavecins et un luthier lyonnais se chargerait certainement aujourd’hui de faire un quinton du xve siècle : que penserait-on, pourtant, d’un musicien qui, dans deux cents ans, en vue d’une reconstitution historique, s’aviserait de faire jouer sur le clavecin et le quinton le Poème élégiaque de M. Reuchsel composé en 1903, en se basant sur ce fait qu’il aurait en sa possession un clavecin Erard et un quinton signé Blanchard, daté de la même année ?…

Léon Vallas.