Richard Wagner, sa vie et ses œuvres/Avertissement

La bibliothèque libre.
Traduction par Alfred Dufour.
Perrin et Cie, libraires-éditeurs (p. i-iii).


AVERTISSEMENT DE L’AUTEUR
POUR LA TRADUCTION FRANÇAISE


Dans la préface de mon étude sur le Drame wagnérien, (publiée en 1894, à la librairie Chailley), j’annonçais la prochaine publication d’un ouvrage d’ensemble sur la vie et les œuvres de Richard Wagner. Cet ouvrage a, depuis, paru en langue allemande (1896, à la librairie Bruckmann) et en langue anglaise (1897, à la librairie Dent.) Grâce au concours dévoué de M. Alfred Dufour, de Genève, je puis en faire paraître aujourd’hui une traduction française, abrégée en beaucoup d’endroits, modifiée en quelques autres, mais, pour le fond, entièrement conforme à l’ouvrage original.

Je n’ai point cherché, dans ce livre, à faire œuvre de critique. Tout mon effort a été de m’assimiler, autant que possible, la pensée de Wagner. Sans abdiquer ma propre personnalité, je l’ai rigoureusement laissée dans l’ombre, pour essayer de considérer hommes et choses par les yeux même du grand artiste dont je voulais reconstituer la figure vivante. Puis, après m’être assimilé cette pensée aussi complètement que je l’ai pu, j’ai tenté, non pas de la refléter d’une façon mécanique, mais de dégager, de grouper, de comparer ses diverses manifestations, de manière à en offrir au lecteur une vue d’ensemble claire et instructive.

C’était là, je crois, une entreprise utile. Wagner, en effet, a eu une destinée si mouvementée que par moments on a peine à suivre le fil des événements de sa vie, même quand on n’a en vue qu’une étude purement biographique. Mais bien plus difficile encore est, pour un lecteur non préparé, de mettre au clair les idées fondamentales qui dominent dans ses œuvres, et particulièrement dans ses écrits théoriques. C’est que la pensée de cet infatigable créateur n’est pas seulement ardente et touffue : elle se plaît à un incessant contrepoint d’antinomies, de thèses qui, au premier abord, nous font souvent l’impression de se contredire. Nietzsche, un bon juge en pareille matière, a déclaré que la prose de Wagner était admirable. Et vraiment elle l’est, pour peu qu’on se soit accoutumé à la pratiquer ; mais elle est, en même temps, d’une pratique difficile, surtout en raison de cet incessant enchevêtrement des idées. Impossible de classer et d’analyser ces documents, si dépassant leur portée immédiate, on ne parvient pas à saisir, derrière eux, la personnalité de l’auteur.

Et c’est ce que j’ai tenté de faire. Dans chacune des diverses parties du livre, j’ai cherché à mettre en relief tous les traits pouvant servir à mieux faire connaître l’homme qu’était Wagner, à mieux éclairer ses intentions et la marche de sa pensée. Un portrait de Richard Wagner : mon livre n’a pas la prétention d’être rien de plus.

Puisse-t-il, du moins, intéresser à ce point de vue le public français, et retrouver auprès de lui l’accueil qu’il a reçu en Allemagne et en Angleterre !

H. S. C.
Vienne (Autriche), 8 juillet 1899.