Richard Wagner à Mathilde Wesendonk/Lettres de Munich et de Tribschen

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Traduction par Georges Khnopff.
Alexandre Duncker, éditeur (Tome secondp. 221-226).


Munich — Tribschen
Janvier 1865 — 28 Juin 1871.


146.

Munich,[1] 7. Janvier 1865.
Chère enfant,

Je crois qu’il serait mieux de m’envoyer tout le portefeuille. Je jure, par tout ce qui m’est le plus sacré, qu’il reviendra à la propriétaire plutôt enrichi que diminué. Autrement il serait difficile de spécifier ce qui doit être copié pour nous l’envoyer : il est préférable que je le désigne moi-même.

Il a fallu beaucoup d’instances pour m’amener à m’occuper de tout cela. Mon jeune Roi, cependant, est bien fait pour apporter de l’ordre en cette matière : il a l’obstination qu’il faut ; toute initiative vient de lui-même. Maintenant Semper doit construire à mon intention un magnifique théâtre, cela ne peut être autrement :[2] de tous côtés, les meilleurs chanteurs seront convoqués pour la représentation de mes œuvres, et de tous les portefeuilles cachés doit sortir tout ce que j’ai jamais écrit. Il sait qu’il ne peut me surcharger de travail et s’adresse adroitement toujours à des amis. Dans le cas présent, sa façon d’agir a été la même : sur ses instances réitérées, j’ai dû lui dire ce que j’ai écrit et où cela se trouve. Je devais donc dénoncer le grand portefeuille de la « colline verte ». Impossible de faire autrement. D’ailleurs, il n’y a pas de mal à cela ; il veut seulement que tout soit réuni dans l’intention de le conserver, et de savoir qu’ainsi il me possède bien complètement.

Oui, mon enfant, celui-ci m’aime, vraiment ! Si, malgré tout, je ne vais pas bien encore, il y a des raisons pour cela. Plus le poids de ma foi diminue, plus précieux je deviens — déjà je ne crois pour ainsi dire plus à rien du tout, et comment combler ce vide : par un lest formidable de faveurs royales !

Autrefois on pouvait m’avoir à bien meilleur marché : maintenant mon esprit d’observation est devenu beaucoup plus aigu, et l’illusion sur les inconcevables faiblesses, qui reculaient partout devant moi, comme à l’approche d’un fou, ne m’est presque plus possible. Toujours est-il que je fais ce que je peux, et que j’aime à attendre encore quelque chose des humains. En cela m’assiste précisément le jeune Roi : il sait tout — et veut ! Il faut donc que moi aussi je veuille encore, quoique souvent j’aie des doutes au fond de mon cœur.

Mes meilleures amitiés à « la colline verte » ! On me disait récemment qu’elle avait été offerte en vente, cet été. Est-ce vrai ? Où ira-t-on alors ? Est-ce que je suis bien indiscret ? Accepterez-vous encore mes remerciements pour les cadeaux de Noël ? Est-ce que la grande Micky s’est attendue à cela ? Sans doute que non ! Il y a encore à lire une ancienne lettre :[3] la trouverai-je dans le portefeuille ?

Adieu ! Affectueux souvenir !

R. W.



147.

[1865]
Amie,

Le Tristan devient merveilleux.

Venez-vous ??
Votre
R. W.


Le 15 Mai, 1ère représentation.

148.

Chère amie,

Ayez donc la bonté de rechercher parmi les écritures du vieux temps que vous avez bien voulu conserver une page de musique

intitulée :
Au tombeau de Weber,
chant pour 4 voix d’hommes,


et, si vous la trouvez, de m’en faire parvenir une copie. Vous obligeriez beaucoup celui qui, de même que sa femme, vous salue avec empressement et se dit

Votre
Richard Wagner.
Tribschen,
28 Juin 1871.
  1. Comparer Lettres de Wagner à Otto Wesendonk.
  2. Voir Glasenapp, III, 1, 37 et suiv.
  3. Elle n’a pas été retrouvée.