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Sur le Ravissement de saint Paul, par Nicolas Poussin

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JEAN NOCRET
PEINTRE
(1612-1672)

SUR
LE RAVISSEMENT DE SAINT PAUL
Par Nicolas POUSSIN


SOMMAIRE : Description du tableau. — Contours, attitudes, expression, jeux de lumière, proportions. — Perspective aérienne. — Composition. — Draperies. — Ce que Nocret appelle les « commandements du sujet. » — Richesse du coloris. — Accessoires. — Unité.


Le Ravissement de Saint Paul[w 1]


Le tableau que M. Nocret se proposa pour son discours est de la main de M. Poussin et représente le Ravissement de saint Paul que trois anges portent au ciel, ce qui répond au témoignage que ce grand apôtre en a rendu lui-même dans le xiie chapitre de sa seconde épître aux Corinthiens, et s’accorde à ce qui est marqué dans le ixe chapitre des Actes des Apôtres[1].

On trouve dans ce tableau, comme le remarque M. Nocret, une savante pratique de tout ce qui s’étoit déjà dit dans l’Académie touchant l’art de bien traiter les contours, de donner aux figures leur attitude naturelle, de leur faire exprimer les plus secrets mouvements de l’esprit, de distribuer à propos les jours et les ombres, de faire avancer ou fuir les objets avec jugement, et d’observer exactement les proportions.

La partie de l’air qui règne derrière le groupe de ces quatre figures est d’une teinte fort douce et soutient une nuée légère et transparente, pour donner moyen aux parties supérieures du tableau de se détacher sans confusion. Le lointain marque une grande étendue de terrain par le sage ménagement des couleurs et de la lumière, et surtout par l’effet d’un grand jour qui tombe sur l’escalier d’un édifice.

Dans le vol des anges, on voit une légèreté la plus aisée et la plus libre du monde ; on diroit que le saint facilite cette rapidité par l’ardeur qu’il a d’être élevé dans le ciel, y tendant les bras et y portant la vue avec un transport divin, comme si l’impatience le pressoit extraordinairement. Sa tête est éclairée d’une lumière douce qui fait un agréable contraste avec la noirceur des cheveux. Les diverses parties de son corps reçoivent l’ombre et le jour avec toute l’économie que demandent leurs différentes situations au respect de la lumière, et selon cet art merveilleux qui les doit faire approcher ou reculer, ce qui se peut remarquer particulièrement au bras droit et à la main droite. La draperie rouge qui sert de manteau à cette figure forme plusieurs grands plis fort étendus, tant pour le ménagement du nu que pour celui des jours et des ombres qui s’y répandent. Comme le tissu de la robe paroît plus fin, les plis en sont beaucoup plus serrés. Cette draperie est de couleur verte, pour mieux relever les carnations vers le genou et vers la jambe, et son ombre ne sert pas seulement à mieux détacher le bras de l’ange qui est auprès, mais aussi à faire un contraste avec la lumière principale, qui règne avec une force dominante dans le tableau.

« La plus grande lumière[2] et la plus apparente domine généralement sur tout le tableau ; car c’est une règle que la plupart des fameux auteurs ont fort observée de n’avoir jamais deux commandants aux sujets que l’on veut traiter, et il n’y a point de partie, quelque inférieure qu’elle puisse être, qui n’ait dans son espèce la même autorité que la plus forte pourroit avoir. » Donc, chaque espèce a son commandant particulier, et il y a plus d’un commandant dans le sujet ; toutefois, il dit qu’il n’en faut jamais deux.

L’ange qu’on voit sous la draperie d’un bleu assez doux en fait paroître les carnations avec plus de grâce et de tendresse, quoiqu’il ne reçoive de clarté que par quelques échappées de lumière qui se répand sur ses bras et sur l’extrêmité d’une manche retroussée auprès de l’épaule. Des deux autres anges, celui qui semble s’approcher le plus de nos yeux et qui est vêtu d’un jaune doré fort léger, porte une étole dont les deux bouts échappés représentent l’autorité divine, à ce que dit M. Nocret. Le troisième paroît avec une draperie de couleur de lin qui fait une union tendre et douce avec le champ du tableau et qui s’y perd insensiblement. Ils semblent montrer à saint Paul le chemin qu’ils prennent et s’entretenir avec lui de la félicité qui comblera bientôt leurs souhaits. Cette expression est vive et naturelle et fit dire pour conclusion à M. Nocret qu’elle étoit dignement soutenue dans ce tableau par toutes les autres parties essentielles de la peinture, et que M. Poussin ne s’y étoit pas moins fait admirer que dans les autres ouvrages qui sont sortis de sa main, de sorte qu’il devoit être proposé aux élèves comme le digne sujet de leurs études.


COMMENTAIRE


La conférence de Nocret sur le Ravissement de saint Paul dut être prononcée le samedi 6 décembre 1670. En effet, le 29 novembre précédent, l’artiste avait informé l’Académie « qu’il avoit choisy pour sujet de la conférence prochaine un tableau du Poussain représentant le Ravissement de saint Paul[3] ». Or, le 7 octobre 1669, il avait été décidé que les conférenciers devraient communiquer « leur sujet et le projet de leurs discours, en tout ou en substance, en l’assemblée particulière de l’Académie, au samedy précédant l’assemblée publique[4] ». Si Nocret s’est conformé à cet article du règlement, son discours eut lieu le 6 décembre 1670.

Le texte qu’on vient de lire est de Guillet de Saint-Georges et il a été publié pour la première fois dans les Mémoires inédits sur la vie et les ouvrages des membres de l’Académie royale de peinture et de sculpture, t. Ier, p. 315-317.

Au cours du mémoire historique sur Nocret, recueilli dans le même volume, p. 312, Guillet de Saint-Georges s’exprime ainsi :

« Jean Nocret a fait cinq discours académiques :

« Un sur le Ravissement de saint Paul de M. Poussin ;

« Un sur le Christ du Guide ;

« Un sur le Pyrrhus de M. Poussin ;

« Un sur la Vierge et l’Enfant Jésus de Raphaël ;

« Un sur le Marquis del Vasto du Titien. »

L’historiographe de l’Académie a vraiment peu de mémoire. Il oublie la conférence de l’artiste prononcée le 1er octobre 1667 sur les Pèlerins d’Emmaüs de Paul Véronèse. Félibien l’avait cependant publiée dès 1669, et nos lecteurs en trouveront le texte dans ce volume[5].

Le tableau le Ravissement de saint Paul est au Louvre[6]. Il provient de la collection de Louis XIV.

  1. M. l’abbé Gallois m’a dit que, dans la bibliothèque du roi, parmi les Théologies in-4o, il y a un traité De raptus sancti Pauli ad tertium cœlum. (Note de Guillet.)
  2. Guillet emprunte ici quelques lignes au discours de Nocret.
  3. Procès-verbaux de l’Académie royale de peinture et des sculpture, t. Ier, p. 353.
  4. Même volume, p. 341.
  5. Voyez plus haut, p. 40.
  6. No 433 du catalogue de Frédéric Villot, édition de 1874.
  1. Note Wikisource : cette illustration ne fait pas partie de l’ouvrage ici transcrit.