Système des beaux arts/III/I/Introduction

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Texte établi par Ch. Bénard,  (p. 327-331).

CHAPITRE PREMIER



PEINTURE.



INTRODUCTION ET DIVISION.


L’objet le plus convenable pour la sculpture, c’est le caractère absorbé en lui-même, dans son repos plein de force et de calme, chez lequel l’individualité spirituelle se manifeste tout entière dans la forme corporelle entièrement pénétrée par elle, et de telle sorte que la matière sensible, qui représente cette incarnation de l’esprit, ne s’accorde bien avec lui que sous le rapport de la forme elle-même. Le point de la subjectivité intérieure, la vitalité du sentiment, l’ame de la sensibilité la plus personnelle, n’ont encore ni révélé, dans la figure privée du regard, la pensée concentrée sur elle-même, ni produit ce mouvement de l’esprit en vertu duquel le personnage distingue son existence morale de celle du monde extérieur. Tel est la raison pour laquelle les œuvres de la sculpture antique nous laissent en partie froids. Nous ne nous arrêtons pas longtemps à ce spectacle ; ou, si nous nous y arrêtons, c’est plutôt pour nous livrer à une étude savante des fines particularités de la forme et de ses détails. On ne doit pas s’en prendre au commun des hommes, s’ils ne montrent pas pour les œuvres élevées de la sculpture, le haut intérêt qu’elles méritent. Car il faut, d’abord, qu’ils apprennent à les apprécier. Ainsi, ou nous n’éprouvons, au premier coup d’œil, aucun attrait, ou le caractère général de l’ensemble se révèle bientôt, et, pour le reste, il faut que nous cherchions ensuite ce qui peut nous offrir encore quelqu’autre intérêt. Mais une jouissance qui ne peut naître que de l’étude, de la réflexion, de l’érudition et d’observations multipliées n’est pas le but immédiat de l’art. Et d’ailleurs, même dans la jouissance artistique que ce genre nous fait goûter, il reste toujours un besoin que ne satisfont pas les ouvrages de la sculpture ancienne ; c’est celui de voir un caractère se développer, passer au mouvement, à l’action extérieure, en même temps que se particulariser dans une détermination sur laquelle l’ame se concentre. Par conséquent, nous sommes plutôt chez nous dans la Peinture. Ici, en effet, pour la première fois, le principe de la personnalité finie et en soi infinie, le principe de notre existence propre et de notre vie, se fraye la voie, et nous contemplons dans ses images ce qui se meut et agit en nous-mêmes.

Le dieu de la sculpture reste un simple objet de contemplation sensible. Dans la peinture, au contraire, le principe divin apparaît comme sujet vivant, spirituel, qui descend au milieu de la société des fidèles, et donne à chacun la possibilité de vivre avec lui dans une union et une réconciliation spirituelles. Ce n’est pas, comme dans la sculpture, un personnage immobile et fixé sur sa base ; c’est l’esprit divin qui habite et agit au sein de l’Église.

Or, maintenant, si, en vertu de ce principe, les formes corporelles et les accessoires extérieurs doivent s’harmoniser avec l’esprit, celui-ci doit s’en distinguer d’autant plus profondément. En outre, par cela même que le caractère se prononce davantage ; que l’homme revendique son indépendance vis-à-vis de Dieu, de la nature et des autres hommes ; que, d’un autre côté s’établit un rapport plus intime et plus solide de Dieu à la société religieuse, de l’homme comme individu à Dieu, de l’homme, enfin, à la nature environnante et à l’infinie variété des besoins, des intérêts, des passions et des actions de la vie réelle, — dès-lors, dans ce cercle, entre tout le mouvement et la vitalité que la sculpture doit écarter, tant par la nature de son sujet, qu’à cause de ses moyens d’expression. Dès-lors, s’introduisent dans le domaine de l’art une innombrable multitude de sujets et la vaste multiplicité des moyens de représentation qui, jusqu’ici, lui avaient manqué. Ainsi, le principe de la subjectivité est, en même temps, un principe de particularisation et de distinction et un principe de conciliation et de ralliement. Aussi, la peinture réunit, dans une seule et même œuvre d’art, ce qui, jusqu’ici, appartenait à deux arts différents : l’entourage extérieur que l’architecture façonnait artistiquement, et la forme humaine représentée par la sculpture. La peinture place ses figures au milieu d’une nature extérieure qu’elle créée dans le même sens, ou au milieu d’un entourage architectonique. Elle sait faire également de ces objets extérieurs, par le sentiment et l’ame de la conception, un reflet de l’esprit, en même temps qu’elle les met en rapport et en harmonie avec l’expression des figures qui se meuvent dans ses tableaux.

Telle est la raison du nouvel élément que la peinture ajoute aux modes de représentation artistique que nous avons jusqu’ici étudiés.

Si nous nous demandons, maintenant, quelle marche nous devons nous tracer dans nos recherches ultérieures, nous établirons la division suivante.

D’abord, nous devons étudier le caractère général que doit offrir la peinture, en vertu de son idée même, en ce qui regarde d’abord son fond propre ; ensuite, les matériaux physiques qui s’accordent avec ce contenu, et enfin l’exécution technique qui en est la conséquence.

En second lieu, nous aurons, ensuite, à développer les caractères particuliers qui résident dans le fond même de la représentation et dans les objets appropriés à la peinture, en même temps, à marquer, d’une manière plus précise, les modes de conception, la composition et le colons dans la Peinture.

En troisième lieu, ces caractères particuliers donnent naissance à différentes écoles qui, comme dans les autres arts, ont ici leurs degrés de développement historique.