Théorie des fonctions analytiques/Partie II/Chapitre 03

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Gauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome IXp. 206-219).
Seconde partie


CHAPITRE III.

Problèmes directs et inverses sur le contact des courbes. Analyse des cas où l’on propose une relation entre les deux éléments du contact du premier ordre. De la courbe représentée par l’équation primitive singulière d’une équation du premier ordre.

15. Les problèmes qu’on peut proposer sur les tangentes, les rayons de courbure, etc., et en général sur les contacts des courbes, sont de deux sortes, directs ou inverses. Les problèmes directs se réduisent toujours à trouver quelques-uns des éléments du contact d’un certain ordre, et, comme ils ne dépendent que de l’analyse directe des fonctions, ils sont toujours résolubles analytiquement. Dans les problèmes inverses, on suppose qu’il y a une relation donnée entre quelques-uns de ces éléments et les coordonnées avec les fonctions dérivées et cette relation, en y substituant les expressions générales des éléments en devient une équation dérivée d’un certain ordre, dont il faut trouver l’équation primitive pour avoir celle de la courbe cherchée en et Ces problèmes conduisent donc immédiatement à des équations dérivées, et leur solution, dépendant essentiellement de l’analyse inverse des fonctions, se trouve sujette à toutes les difficultés de cette analyse.

Il y a cependant des cas où l’on peut les résoudre directement par des considérations particulières, qui méritent d’autant plus d’attention, qu’elles tiennent à des finesses d’analyse qu’il est intéressant de connaître.

Ces cas sont ceux où la relation donnée n’est qu’entre les éléments mêmes du contact, sans que les coordonnées y entrent.

Pour donner d’abord, par un exemple, une idée de ces sortes de problèmes, supposons qu’on demande la courbe dont chaque tangente coupera, deux ordonnées (prolongées s’il est nécessaire) répondant aux abscisses données et de manière que le produit des parties de ces ordonnées comprises entre la même tangente et l’axe des abscisses soit toujours constant et égal à

Puisque l’équation à la tangente est (no 6)

en faisant successivement et on aura les deux valeurs de dont le produit devra être égal à on aura donc, entre les éléments du contact et l’équation

La marche naturelle et directe serait donc de substituer à la place de et leurs valeurs et (numéro cité) ; on aurait alors cette équation du premier ordre

dont il ne serait pas aisé de trouver l’équation primitive par les méthodes ordinaires.

Mais, si l’on prend les fonctions primes de cette équation, il vient celle-ci,

dont tous les termes se trouvent multipliés par de sorte qu’elle peut se décomposer dans ces deux :

La première, qui est du second ordre, donne sur-le-champ celle-ci du premier,

est une constante arbitraire ; ainsi, par les principes établis dans les nos 46 et suivants de la première Partie, on aura l’équation primitive complète de la proposée en y substituant simplement cette valeur de

Cette équation sera donc de la forme

savoir, en développant les termes,

d’où, en extrayant la racine, on tire

en prenant pour la racine de l’équation

D’où l’on voit que l’on n’a de cette manière qu’une équation à la ligne droite.

En effet, l’équation ayant donné celle-ci donnera l’équation primitive

et étant deux constantes arbitraires ; mais, par la théorie des numéros cités ci-dessus, ces deux constantes ne peuvent pas être arbitraires à la fois, car il faut que l’équation trouvée coïncide avec la proposée pour une valeur de or, faisant on a

donc on aura entre et cette équation de condition,

qui est la même que celle que nous avons trouvée ci-dessus pour la détermination de en

Venons maintenant à l’autre équation, qui n’est que du premier ordre. Celle-ci servira également à trouver une équation primitive de la proposée par l’élimination de En effet, elle donne

valeur qui, étant substituée dans la proposée, la réduira à celle-ci,

équation à l’ellipse ou à l’hyperbole, suivant que sera une quantité positive ou négative. Le grand axe sera le petit axe et les deux sommets seront aux points où et où

La propriété des tangentes qui nous a conduits à cette équation est démontrée dans la proposition XLII du Livre III des Coniques d’Apollonius mais l’analyse précédente a l’avantage de faire voir que cette propriété appartient uniquement aux sections coniques.

16. Si on examine maintenant les deux solutions qu’on vient de trouver, il est facile de voir que la première ne donne que la lignee droite même qu’on a supposée tangente, en regardant les deux éléments et comme constants ; car l’équation ne diffère point de l’équation de cette tangente, l’équation entre les deux constantes et étant évidemment la même que celle que l’on a supposée entre les quantités et

En effet, il est visible que toute droite peut résoudre le problème_1, pourvu qu’il y ait entre ses deux constantes la relation donnée par les conditions du problème, et, comme il reste une constante arbitraire, il s’ensuit que l’équation de cette droite doit être l’équation primitive complète de l’équation du premier ordre donnée par le problème. Donc, analytiquement parlant, le problème est résolu complètement par l’équation même

et étant deux constantes, dont l’une est arbitraire et l’autre en dé-

pend par l’équation

À l’égard de la seconde solution, comme elle ne contient point de constante arbitraire, elle est à la rigueur moins générale que la première et ne peut être qu’un cas particulier de celle-ci ou bien une solution singulière provenant de la considération que nous avons développée dans le no 60 de la Ire Partie.

Il est d’abord facile de se convaincre que cette dernière solution ne peut être un cas particulier de la première, car il faudrait pour cela que l’équation de la première pût satisfaire à l’équation

de la seconde, en déterminant convenablementsa constante arbitraire, et par conséquent qu’en éliminant de ces deux équations la résultante ne contînt plus que des constantes, ce qui n’est pas.

Elle ne peut donc être qu’une solution singulière, et, en effet, nous avons vu (Ire Partie, no 59) que le caractère de l’équation primitive singulière de toute équation du premier ordre de la forme est de rendre infinie la fonction c’est-à-dire la fonction prime de prise relativement à seul. Or, l’équation de notre problème

étant mise sous la forme précédente, donne

d’où l’on tire

où l’on voit que devient infini par l’équation

qui est celle de la seconde solution.

17. En examinant la manière dont nous sommes parvenus à cette solution, on verra qu’elle dépend de cette circonstance que les fonctions primes de et regardés comme fonctions de sont entre elles dans un rapport qui ne contient pas la fonction seconde en effet, ayant et on a

ce qui donne

de sorte que, prenant la fonction prime de l’équation

et divisant par on a une équation qui est également du premier ordre, et le résultat de l’élimination de entre ces deux équations donne l’équation aux sections coniques trouvées plus haut. Or je considère que les quantités et sont données par les équations (no 11)

Ainsi l’équation dont il s’agit est le résultat de l’élimination de et entre les équations

et l’équation prime de cette dernière divisée par On obtiendra donc aussi le même résultat en éliminant d’abord, une des deux quantités ou entre les deux équations

et ensuite éliminant l’autre par le moyen de l’équation résultante et de son équation prime prise en faisant varier cette dernière quantité. Ainsi, éliminant d’abord on a l’équation

Prenant l’éduation prime relativement à et divisant par on a

d’où l’on tire

valeur qui, substituée dans l’autre équation, donnera comme ci-dessus l’équation

qui renferme la seconde solution.

On peut encore considérer que l’équation

qui contient la relation entre et dans laquelle consiste la condition du problème, donne, par la résolution, valeur qui, étant substituée dans l’équation

la réduit à celle-ci,

qui ne contient plus que la constante arbitraire qu’on éliminera par l’équation prime prise relativement à savoir

ce qui donnera encore le même résultat. Or, par ce qu’on a vu ci-dessus, l’équation

est l’équation primitive complète de l’équation du premier ordre donnée par le problème ; donc l’équation résultante de l’élimination de entre celle-ci et l’équation

sera précisément l’équation primitive singulière, d’après la théorie du no 60 de la Ire Partie.

D’un autre côté, comme l’équation est l’équation générale des tangentes de la courbe cherchée (no 15), on en peut conclure que pour avoir l’équation de cette courbe il n’y a qu’à regarder la constante arbitraire qui différentie les tangentes comme variable et la déterminer par la condition que l’équation prime relative à cette seule variable ait lieu en même temps, et de là on voit aussi que l’équation primitive singulière que nous avons trouvée pour l’équation du premier ordre donnée par le problème n’est autre chose que l’équation de la courbe formée par l’intersection continuelle des droites représentées par l’équation primitive complète de la même équation du premier ordre.

18. Après avoir ainsi éclairci la matière par un exemple, nous allons la traiter d’une manière générale. Soit, comme dans le no 10,

l’équation de la courbe du contact, que nous avons supposée ci-dessus une ligne droite, et soit

l’équation qui détermine la relation entre les deux éléments et donnée par la nature du problème proposé ; suivant la théorie donnée dans ce même numéro, il faudra déterminer et par les deux équations

Or nous avons vu dans la Ire Partie (no 46) que, si l’on élimine et des trois équations

on a une équation du second ordre entre et que nous désignerons par et dont

sera l’équation primitive complète, et étant les constantes arbi-

traires ; nous y avons vu aussi que, si l’on élimine ou des deux premières, les deux résultantes seront des équations primitives du premier ordre de la même écluation et dont celle-ci sera le résultat, en prenant de nouveau les fonctions primes et éliminant la constante qui y était restée (no 47). Donc, si de ces deux premières équations on tire les valeurs de et que nous désignerons par et en sorte que l’on ait et étant des fonctions de et qu’ensuite on prenne les fonctions primes de ces équations, en y regardant toujours et comme constantes, on aura les équations du second ordre qui devront coïncider avec l’équation de sorte qu’on aura nécessairement

et étant des fonctions de et sans car si, par exemple, contenait encore alors l’équation donnerait, outre cette autre équation du second ordre, qui ne serait pas comprise dans la même équation ce qui ne se peut.

Substituant donc ces valeurs de et dans l’équation du problème

on aura

prenant ensuite l’équation prime, on aura

en dénotant par et les fonctions primes de prises relativement à et isolés ; donc, mettant pour et les expressions ci-dessus, cette dernière équation deviendra

laquelle se décompose naturellement en ces deux-ci :

La première, sera du second ordre et aura pour équation primitive complète

c’est-à-dire l’équation même de la courbe du contact, dans laquelle une seule des deux constantes et sera arbitraire, l’autre étant déterminée par l’équation même du problème

L’autre équation,

ne sera que du premier ordre et sans constante arbitraire ; mais, étant combinée avec l’équation elle donnera, par l’élimination de une équation entre et qui sera l’équation primitive singulière de cette dernière

Cette équation sera donc le résultat de l’élimination des quantités et entre les quatre équations

Or, en regardant et comme des fonctions de et les équations

résultant des deux premières, donnent ces deux équations primes

donc

de sorte que la dernière équation se réduira à celle-ci,

qui n’est autre chose que l’équation prime de divisée par D’un autre côté, dans la supposition de et variables, il est évident que la fonction prime de n’est pas simplement mais qu’il y faut ajouter les termes dus à la variation de et qui sont en désignant pa et les fonctions primes de prises relativement à et à regardés comme seules variables. Donc, prenant les fonctions primes de l’équation

on aura

Mais on a déjà l’équation

on aura donc nécessairement, dans la supposition de et variables, l’équation

d’où l’on tire

c’est la valeur de qu’on peut trouver directement de cette manière, et qu’on voit clairement ne pouvoir être une fonction du premier ordre, puisqu’elle ne contient que les quantités et

Donc l’équation dont il s’agit sera, en dernière analyse, le résultat de l’élimination de et entre les quatre équations

dont les deux dernières sont les fonctions primes des deux premières, prises relativement à et et divisées par l’équation

n’est plus nécessaire ici et se trouve remplacée par l’équation

qui en est une suite. Donc, si on réduit d’abord les deux premières en une seule par l’élimination de il ne s’agira plus que de prendre l’équation prime de celle-ci relativement à seul et d’éliminer ensuite a par le moyen de ces deux ; le résultat sera nécessairement le même qu’auparavant.

Si donc on tire de l’équation

donnée par les conditions du problème entre les éléments du contact la valeur de en et qu’on suppose ( étant aussi la caractéristique d’une fonction), qu’on substitue cette valeur dans l’équation

de la courbe du contac t, qu’ensuite on prenne la fonction prime de relativement à seul, fonction que nous désignerons par étant la fonction prime de regardé comme fonction de on aura ces deux équations,

d’où il faudra éliminer et il est visible que le résultat ne sera autre chose que l’équation primitive singulière de l’équation du premier ordre, dont

sera l’équation primitive complète (no 60, Ire Partie).

La courbe représentée par cette équation singulière sera proprement celle qui résout le problème, et qui aura la propriété d’être touchée dans chaque point par une des courbes représentées par l’équation

étant constant pour la même courbe, mais variable d’une courbe à l’autre.

19. La manière dont nous sommes parvenus à cette dernière solution est la plus directe, analytiquement parlant ; mais on y peut parvenir plus simplement par la considération suivante. Puisque le problème consiste à trouver la courbe qui aura, dans chaque point, un contact du premier ordre avec la courbe représentée par l’équation

étant un paramètre indéterminé, il s’ensuit (no 10) que l’équation de la courbe cherchée doit donner pour et pour des fonctions de de la même forme que celles qui résultent des équations

en désignant par la fonction prime de relative à et Or, étant une quantité indéterminée, on peut la supposer telle que la courbe cherchée soit représentée par la même équation

pourvu que l’équation prime de celle-ci soit aussi de la même forme

Mais, si est une quantité variable, la fonction prime complète de sera, comme nous l’avons vu ci-dessus,

Donc la condition dont il s’agit sera remplie si l’on détermine par l’équation

ce qui donnera la dernière solution que nous venons de trouver.

Toute équation entre et un paramètre indéterminé que nous dénoterons, pour plus de simplicité, par

représente, en donnant successivement à toutes les valeurs possibles, une famille d’une infinité de courbes qui varient de forme ou de position, ou de l’une et de l’autre à la fois, à raison des variations du paramètre, et, si l’on élimine ce paramètre par le moyen des fonctions primes, l’équation résultante du premier ordre appartiendra à toute cette famille de courbes ; elle appartiendra donc aussi à la courbe formée par toutes ces courbes, et qui les enveloppera, ayant avec cha-

cune d’elles un contact du premier ordre. La même équation

ainsi que son équation prime

prise relativement à et seuls, devront donc avoir lieu aussi pour chaque point de cette courbe enveloppante, en regardant le paramètre a comme une quantité variable. Or, dans cette hypothèse, la fonction prime complète de est en dénotant par la fonction prime de prise relativement à seul, et par la fonction prime de regardée comme une fonction quelconque de donc il faudra que la valeur de soit telle que l’on ait ce qui donnera l’équation primitive singulière de l’équation du premier ordre qui répond à l’équation

dans laquelle est regardée comme une constante arbitraire (no 60, Ire Partie).

D’où l’on peut conclure, en général, que l’équation, primitive singulière d’une équation du premier ordre représente toujours la courbe enveloppante de toutes les courbes qui, peuvent être représentées par son équation primitive complète, en donnant à la constante arbitraire toutes les valeurs possibles.


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