Aller au contenu

Traité de la résolution des équations numériques de tous les degrés/Note 06

La bibliothèque libre.


NOTE VI.

SUR LA MÉTHODE D’APPROXIMATION TIRÉE DES SÉRIES RÉCURRENTES.


1. Reprenons l’équation

dont on a désigné les racines par on aura (Note II), par la nature de ces racines, l’équation identique

laquelle doit avoir lieu, quelle que soit la valeur de .

L’identité de l’équation subsistera donc encore en mettant au lieu de quelles que soient les valeurs de et donc aussi, si après la substitution on développe suivant les puissances de les termes affectés de fourniront d’autres équations identiques ; ce seront les équations que nous avons appelées dérivées dans la Théorie des fonctions.

La première de ces équations dérivées sera

Divisons cette équation par l’équation identique ci-dessus ; on aura

équation qui doit être aussi identique, quelle que soit la valeur de . Donc elle le sera encore si l’on en développe les deux membres en séries qui procèdent suivant les puissances positives ou négatives de .

2. Développons d’abord suivant les puissances négatives ; la fraction qui forme le premier membre deviendra

et, pour trouver les valeurs des coefficients il n’y a qu’à multiplier par le dénominateur et comparer ensuite les termes avec ceux du numérateur on aura ainsi

où l’on voit que la suite des quantités devient après le ième terme une suite récurrente, dont l’échelle de relation est

Développant de même les fractions qui forment le second membre, il deviendra

Maintenant, la comparaison des termes semblables des deux membres de l’équation donne

et, en général, un terme quelconque ; dont le quantième sera à compter de sera égal à

C’est l’expression du terme général de la série.

On a par là la démonstration la plus simple de la loi donnée par Newton pour la somme des puissances des racines. Mais les formules précédentes sont surtout utiles pour approcher de la valeur de la plus grande des racines En effet, il est clair que, si toutes ces racines sont réelles et que soit par exemple la plus grande des racines, soit qu’elle soit positive ou négative, la puissance surpassera d’autant plus les puissances semblables des autres racines, et même la somme de ces puissances, que l’exposant sera plus grand ; d’où il s’ensuit que, si et sont des termes consécutifs de la série on aura à très-peu près et cette valeur de la racine sera d’autant plus approchée que les termes dont il s’agit seront plus éloignés du commencement de la série.

3. Si parmi les racines il y en avait d’imaginaires, on aurait, par exemple,

alors, faisant et on aurait

donc, par le théorème connu,

et par conséquent

Ainsi, pourvu que la racine soit en même temps plus grande que ou c’est-à-dire plus grande que la puissance surpassera aussi la somme de pareilles puissances de et

Donc la méthode ne sera en défaut, à cause des racines imaginaires, qu’autant qu’il s’en trouvera dans lesquelles le produit réel des deux racines correspondantes sera plus grand que le carré de la plus grande des racines réelles ; et, dans ce cas, la série, au lieu de s’approcher et de se confondre à la fin avec une série géométrique, s’en éloignera continuellement.

4. Cette méthode rentre évidemment dans celle que Daniel Bernoulli a déduite de la considération des suites récurrentes, et qu’Euler a exposée en détail dans son Introduction. Dans celle-ci, on donne à la fraction génératrice de la série, pour numérateur, un polynôme quelconque d’un degré moindre que le dénominateur, ce qui rend les premiers termes de la série entièrement arbitraires. Cette fraction se décompose dans les fractions simples

d’où résulte, pour les termes de la série, cette expression générale

laquelle donne également, lorsque la racine est beaucoup plus grande que chacune des autres, pour la valeur approchée de quelle que soit la valeur du coefficient Mais l’indétermination des premiers termes de la série, au lieu d’être un avantage de cette méthode, est plutôt un inconvénient ; car s’il arrive que les deux racines soient égales, alors les deux termes prennent en général la forme

et, si les trois racines sont égales, les trois termes prennent la forme

et ainsi de suite ; d’où il est aisé de voir que, lorsque la plus grande racine est une racine double ou triple, etc., la série converge bien moins rapidement vers une série géométrique. En prenant pour numérateur la fonction prime du dénominateur, ainsi que nous l’avons fait ci-dessus, tous les coefficients deviennent égaux à l’unité,

et, dans le cas des racines égales et les deux termes deviennent simplement et ainsi des autres ; de sorte que les racines égales n’influent en rien sur la convergence de la série.

5. Pour donner un exemple de ce que nous venons de dire, je prendrai celui de l’article 346 de l’Introduction d’Euler. L’équation à résoudre est

Euler prend et pour les trois premiers termes, et il forme par l’échelle de relation, la série récurrente

dans laquelle il observe que le quotient de chaque terme, divisé par le précédent, est toujours plus grand que racine double, et en même temps la plus grande.

Si l’on emploie les formules données ci-dessus, en faisant

tous les termes se trouvent multiples de de sorte que, rejetant ce facteur pour plus de simplicité, on trouve par la même échelle de relation, mais en partant des termes la série

où l’on voit que le quotient de chaque terme, divisé par celui qui le précède, converge très-rapidement vers la racine double

6. Nous avons développé plus haut l’équation identique

suivant les puissances négatives de développons-lâ maintenant suivant les puissances positives. Pour cela, soient

les derniers termes du polynôme

on mettra le premier membre de l’équation identique sous la forme

et le développement de cette fraction suivant les puissances croissantes de sera de la forme

en multipliant par le dénominateur et comparant les termes, on trouvera

ce qui donne une série récurrente dont l’échelle est

Le second membre de la même équation, étant développé pareillement suivant les puissances croissantes de donnera la série

de sorte qu’on aura par la comparaison

Ces formules renferment la loi des sommes des puissances réciproques des racines.

Il est évident que, si est la plus petite racine, soit positive ou négative, les puissances surpasseront d’autant plus la somme des pareilles puissances des autres racines, que sera plus petite que chacune des autres racines Par conséquent, si et sont deux termes consécutifs de la série le quotient approchera d’autant plus de la valeur de la plus petite racine réelle de l’équation, que ces termes seront plus éloignés du commencement de la série. Ainsi cette série servira à trouver la plus petite racine, comme la première sert à trouver la plus grande ; et, à l’égard des racines imaginaires, on prouvera de la même manière qu’elles n’empêcheront pas l’approximation vers la plus petite racine réelle, pourvu que le carré de cette racine soit en même temps plus petit que chacun des produits réels des racines imaginaires correspondantes.

7. On pourrait donc employer cette méthode d’approximation pour chacune des racines réelles d’une équation quelconque si l’on connaissait d’avance une valeur approchée de cette racine, telle que la différence entre cette valeur et la vraie valeur de la racine fût moindre en quantité, c’est-à-dire abstraction faite des signes, que la différence entre la même valeur et chacune des autres racines réelles, et en même temps moindre que la racine carrée de chacun des produits des racines imaginaires correspondantes, s’il y en diminuées de la même valeur ; car alors, en nommant la valeur approchée de la racine cherchée et faisant on aura une transformée en dont la plus petite racine pourra se déterminer par la méthode précédente, et cette racine, jointe à la première valeur approchée, donnera la racine cherchée. Mais on ne saurait trouver les premières valeurs qu’en faisant usage des méthodes que nous avons données, et, ces valeurs étant une fois connues, il est bien plus exact d’employer la méthode d’approximation du Chapitre III ; aussi ne suis-je entré dans ce détail sur la méthode d’approximation tirée des séries récurrentes que pour ne rien laisser à désirer sur le sujet dont il s’agit.

8. Si l’on veut appliquer la méthode précédente à l’exemple de Newton, on prendra d’abord la transformée (Note précédente)

et, comme on sait que la racine réelle est moindre que il s’ensuit que le produit des deux autres racines, qu’on sait être imaginaires, sera puisque le dernier terme est le produit des trois racines ; ainsi l’on est assuré que le carré de la racine cherchée est beaucoup moindre que le produit des deux racines imaginaires. On formera donc la série récurrente par le moyen de la fraction et l’on aura les termes

qu’on peut continuer aussi loin qu’on veut par l’échelle de relation chacun de ces termes, divisé par le suivant, donnera les fractions

qui, étant réduites en décimales, deviennent

Or, nous avons vu dans la Note précédente que la méthode de Newton donne pour la valeur de la série convergente

d’où l’on peut juger de l’accord des deux méthodes. En effet, nous ferons voir plus bas que ces méthodes, quoique fondées sur des principes différents, reviennent à peu près au même dans le fond et donnent des résultats semblables.


Séparateur