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Xavier de Maistre (Anatole France)

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Xavier de Maistre







Xavier de Maistre, né à Chambéry en 1764, était fils du président du sénat savoisien et frère, comme on sait, d’un jeune sénateur qu’on regardait dès ses débuts comme la gloire de la famille. Cadet de bonne maison, il n’avait que son épée et son pinceau ; il servait dans l’armée sarde et peignait des paysages à ses heures de loisir. J’imagine que ces paysages étaient modérés de sentiments et délicats de touche, un peu pauvres d’effet et tristes de ton comme les lacs et les montagnes qu’ils représentaient. Mais les amateurs en faisaient cas.

Les Savoisiens sont probes, fidèles, industrieux, bons soldats et enclins à l’étude des curiosités naturelles que leur sol renferme en abondance.

Xavier de Maistre fut un vrai Savoisien : il aimait ses montagnes, resta fidèle à son roi et s’occupa de chimie. Il n’avait pas ce magnifique entêtement, ce génie étroit et fort, cet aveuglement invincible qui fit du comte Joseph l’adversaire de tout’son siècle ; mais il avait des mœurs douces, un esprit ingénieux, une intelligence étendue, prompte et facile. Il lisait : ce n’est pas là une façon de s’occuper très en usage parmi les jeunes militaires. A vingt-six ou vingt-sept ans, comme il se trouvait avec le régiment de marine, en garnison à Alexandrie de la Paille, il eut une affaire d’honneur à la suite de laquelle il fut mis aux arrêts pour quarante-deux jours. Vous imaginez combien ses camarades, à sa place, eussent bu, fumé, bâillé. Mais Xavier avait d’autres ressources contre la solitude. Il réfléchit à mille choses, capricieusement, puis il écrivit ses réflexions. Descartes, quand il était au service de Maurice de Nassau, remplissait par les mêmes moyens, mais avec une incomparable gravité, le vide de ses journées de soldat. « N’ayant par bonheur, dit-il, aucuns soins ni passions qui me troublassent, je demeurois tout le jour enfermé seul dans un poêle où j’avais tout le loisir de m’entretenir de mes pensées. »

Xavier de Maistre, qui n’avait non plus, ce semble, ni soins ni passions, commença d’écrire un voyage autour de sa chambre. Le sujet était ingénieux et permettait de tout dire à propos de rien.

Quelques chapitres furent faits pendant les quarante-deux jours d’arrêts. Le reste vint ensuite, sans hâte, et le tout fut couché dans un tiroir, car Xavier

n’était pas un écrivain de profession ; il n’avait pas songé à faire un livre pour le public : il était modeste, et l’idée d’être imprimé, d’être vendu chez les libraires et lu dans les compagnies l’eût assurément effarouché. Ce n’est pas à dire pourtant qu’il croyait avoir écrit des sottises.

En 1793, étant allé voir, à Lausanne, le comte Joseph son frère, il lui donna à lire son manuscrit. Le comte Joseph, qui en fut content, le fit imprimer l’année suivante à Turin.

La révolution française était déjà vieille en 1794 ; le livre du jeune officier était nouveau, on en parla ; il était court, on le lut. On goûta fort l’esprit du frère du sénateur. On s’écria : « C’est du Sterne ! »

Oui, mais du Sterne un peu trop innocent. L’on n’est point abeille si l’on n’a point d’aiguillon. 11 faut bien le dire : Xavier de Maistre est trop sage. C’est un tort que de n’avoir jamais tort. Il a celui-là. Puis je voudrais qu’il allât plus avant dans les choses. Il en effleure beaucoup et n’en pénètre aucune.

Le ton du Voyage autour de ma chambre passe d’un enjouement modéré à une mélancolie tempérée. 11 ne va jamais aux extrêmes. C’est pour cela que ce petit livre plaît à tant de personnes. Pour moi, ce qui me le rend sympathique, c’est que j’entre, en le lisant, dans l’intimité d’un homme bon, c’est que j’apprends à connaître, à chaque page, une âme bienveillante, modeste et délicate. Je n’aime guère la métaphysique amusante de l’auteur, et sa fantaisie de Yâme et la bête me semble fade après les badinages mieux assai-

sonnés de nos philosophes du xvm* siècle. Mais je suis touché de la délicatesse de son esprit et de la candeur de son âme.

Xavier de Maistre est humain. Il est vrai avec lui-même ; il est vrai avec les autres. C’est le maître indulgent du bon Joanetti, c’est l’ami fidèle de la pauvre Rosine engraissée et vieillie sur son coussin, c’est l’amant discret de l’imaginaire dame deHautcastel.

Il a le don de s’attendrir à point. Il s’égaie et pleure en même temps. Et après tout c’est un charme encore que le sourire mouillé d’Andromaque sur le visage de la petite muse d’Aoste !

Peu après la prise de Turin par les armées austro-russes, avant de quitter cette ville, il écrivit l’Expédition nocturne autour de ma chambre. Ce second opuscule est plus court encore que le premier : il n’est ni moins délicat ni moins agréable. Il est d’une allure plus ferme et marque plus de maturité dans les idées. C’est un rare exemple en littérature qu’une suite ajoutée à un livre sans le gâter.


Benjamin Constant

Adolphe







Le roman d’Adolphe fut publié pour la première fois en 1815, à Londres, où Benjamin Constant s’était réfugié après les Cent Jours. La célébrité de l’auteur, son renom d’homme à la mode, l’éclat de ses aventures mondaines, durent éveiller vivement les curiosités autour d’une œuvre qui passait déjà pour une autobiographie.

Voici ce que Sismondi, alors en Italie, en écrivait à la comtesse d’Albany :

Il n’y a point de livre que je désire voir comme le roman de M. de Constant. Il y a fort longtemps que j’en entends parler, même plus de deux ans avant qu’il ait songé à l’imprimer. Et quoiqu’il l’ait lu à une moitié de Paris, quoique nous ayons beaucoup vécu dans la même société et que je