Œuvres complètes de Bernard Palissy/Discours admirables de la Nature des eaux et fontaines, etc./Des Eaux et fontaines

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Texte établi par Paul-Antoine CapJ.-J. Dubochet et Cie (p. 136-182).

DES EAUX ET FONTAINES.


Theorique commence.



I e me trouuay ces iours passez (allant par les champs) fort alteré, et passant par quelque village ie demanday où ie pourrois trouuer quelque bonne fontaine, afin de me rafraichir et desalterer, à quoy me fut respondu qu’il n’y en auoit point audit lieu, et que leurs puits estoient tous taris, à cause de la secheresse, et qu’il n’y auoit qu’vn peu d’eau bourbeuse au fond desdits puits. Ce qui me causa grande fascherie, et fus fort estonné de la peine où estoient les habitans de ce village, à cause de l’indigence d’eau. Et lors me souuint d’vne promesse que tu m’as faite long temps y a, de me monstrer à faire des fontaines aux lieux les plus stériles d’eaux. Or puis que nous sommes de loisir, ie te prie (suyuant ta promesse) de m’apprendre ceste science qui me sera fort vtile : Car i’ay vn heritage où il n’y a point de fontaines, et n’y a qu’vn puits qui est suiet à tarir aussi bien que les autres.

Practique.

Ie le feray volontiers : Mais auant que parler des fontaines de mon inuention, ie suis d’auis de te faire petit vn discours de la cause des bonnes ou mauuaises eaux, et de l’imprudence d’aucuns fontainiers modernes : Aussi des naissances des sources naturelles. Et pour cest effect il faut regarder à l’invention moderne, pour connoistre son vtilité et longue duree. Plusieurs desdits modernes, n’ayants nul moyen de trouuer sources ne fontaines viues, ont creusé les terres pour faire des puits, et pour obuier au grand labeur de tirer l’eau ils ont contemplé les pompes des nauires, et combien qu’elles soyent inuentees par nos antiques, aucuns artisans (desirans de gaigner, et se mettre en credit, aussi pour croistre leurs renommees) ont conseillé à plusieurs seigneurs et autres de faire des pompes à leurs puits, non comme inuention vieille, mais comme premiers inuenteurs, et s’en font beaucoup valoir, et plusieurs ont fait de grandes despences esdites pompes, lesquelles ont encores à present grand regne : Toutesfois ie sçay à la verité, tant par Practique que Theorique, que lesdites pompes auront bien peu de duree, à cause de la violence des mouuemens desdites pompes, qu’ils endurent, tant par la subtilité des eaux, que par les vents qui s’entonnent dedans les tuyaux : Et faut conclure que toutes choses violentes ne peuuent durer.

Theorique.

Comment est-ce que tu oses mespriser vne inuention si ingenieuse, et tant vtile, veu que toy mesmes confesse qu’elle est inuentee par les anciens, et de tout temps l’on en a vsé pour la conseruation des navires : car sans lesdites pompes ils periroyent bien souuent : aussi l’on sçait bien qu’en plusieurs minieres de metaux l’on se sert desdites pompes : car autrement les eaux les submergeroyent à tous les coups.

Practique.

Ie ne mesprise point l’inuention des pompes : mais au contraire ie l’estime beaucoup, et quiconques l’a inuentee a eu vne grande considération, et n’a pas esté sans auoir consideré l’anatomie de nature humaine. Car ie sçay bien que l’eau qui est montee le long des canaux n’est montée sinon par vne attraction d’halene causee par la souspape, laquelle ayant donné lieu à l’aspiration, ou sucement du vent qui est amené par le baston de la pompe, et que par l’attraction et haussement tant de la souspape que du baston, estant entré vne quantité d’eau au dedans du tuyau, ladite souspape estant remise en son lieu enferme l’eau et le vent, qui sont enclos dedans la pompe, estant demeuree et poussee par le mouuement dudit baston, lequel contrainct l’eau de monter en haut, et cela ne se peut faire sans grande violence : Comme tu vois qu’vn homme ne peut cracher sans premierement attirer à soy du vent ou de l’air, et cela ne se peut faire que la souspape de la gorge de l’homme (que les chirurgiens appellent la luette) ne ioüe comme celle des pompes. Et combien que i’estime l’inuention desdites pompes merueilleusement grande, et que ie sçay qu’elles seront tousiours de requeste, et vtiles tant aux nauires que minieres, si est ce que pour les puits domestiques elles seront bien peu de requeste : par ce qu’il faut tousiours des ouuriers apres, à cause des fractions engendrees par les violences : et qu’il se trouue bien peu d’hommes qui les sçachent reparer. Voila pourquoy ie parle hardiment, comme estant bien asseuré que plusieurs dedans Paris et ailleurs ont fait faire desdites pompes auec grand fraiz, qui à la fin les ont delaissees à cause des reparations qu’il y falloit souuent faire. Aussi ie sçay qu’il y a eu de nostre temps vn architecte François, qui se faisoit quasi appeller le dieu des maçons ou architectes[1], et d’autant qu’il possedoit vint mil en benefices, et qu’il se sçauoit bien accommoder à la cour, il aduint quelquefois qu’il se venta de faire monter l’eau tant haut qu’il voudroit, par le moyen des pompes ou machines, et par telle iactance incita vn grand seigneur à vouloir faire monter l’eau d’vne riuiere en vn haut iardin qu’il auoit pres ladite riviere. Il commanda que deniers fussent deliurez pour faire les frais : ce qu’estant accordé, ledit architecte feit faire grande quantité de tuyaux de plomb, et certaines roues dedans la riuiere, pour causer les mouuements des maillets, qui font iouër les souspapes : mais quand ce vint à faire monter l’eau, il n’y auoit tuyau qui ne creuast, à cause de la violence de l’air enclos auec l’eau : dont ayant veu que le plomb estoit trop foible, ledit architecte commanda en diligence de fondre des tuyaux d’airain, pour lesquels fut employé vn grand nombre de fondeurs, tellement que la despence de ces choses fust si grande, que l’on a trouué par les papiers des contrôleurs, qu’elle montoit à quarante mil francs, combien que la chose ne valust iamais rien : Et à ce propos i’ay veu plusieurs pompes, qui ont amené par le mouuement de la souspape vue si grande quantité de sable qu’en fin il falloit rompre les tuyaux, pour oster le sable qui estoit dedans.

Theorique.

Ie ne sçay comment cela que tu dis se peut faire : car i’ay veu vn millier de modelles de pompes, qui iettoyent l’eau aussi naturellement que si c’eust esté vne source.

Practique.

Tu t’abuses en m’allegant les modelles : car ils ont trompé vn million d’hommes tant és bastiments que plateformes, batteries, pontages et desuoyements de riuieres, chaussees, leuees, ou paissieres, et singulierement aux eleuations des eaux. Car plusieurs ayants approuué l’esleuation et vuidange des eaux par modelles de pompes, ont fait de grandes entreprises, pour fonder des piliers dedans les riuieres, cuidans qu’apres que l’eau seroit remparee alentour du lieu destiné pour le fondement des piliers il seroit bien aisé de la vuider par les pompes, ont fait faire de grandes pompes suyuant les modelles qu’ils auoyent trouué veritables, en quoy ils ont estez deceus, et se sont ruinez : d’autant qu’ils n’ont sçeu faire en grand volume ce qu’ils faisoyent en petit. Autant en est-il aduenu à plusieurs sur les desuoyemens des cours des riuieres. Si inquisition estoit faite de ces choses l’on en trouueroit quelque tesmoignage à Tholouse, en l’edification d’vn pont assis sur la Garonne ; parquoy faut conclure que les pompes sont vtiles et necessaires és nauires et en quelques minieres : mais pour en faire estat pour les puits, l’on en est bien tost las, pour les causes que i’ay dites cy dessus : parquoy ie ne t’en parleray d’auantage.

Theorique.

Et quant à l’eau des puits, que t’en semble ? la treuues tu bonne ou mauuaise ?

Practique.

Ie ne puis autre chose dire des eaux des puits sinon qu’elles sont toutes froides et croupies, les vnes plus, les autres moins, et ne faut pas que tu penses que les eaux des puits procedent de quelque source : car si c’estoit de quelque source continuelle, les puits s’empliroyent soudain : parquoy est à noter qu’elles ne viennent de gueres loing : et n’est seulement que les esgouts des pluyes qui tombent à l’entour des puits : et ceux qui sont dedans les villes sont suiets à receuoir plusieurs vrines, et s’il y a des priuez circonuoisins il ne faut douter que l’eau desdits puits ne s’en resente : et ne peut-on autrement conclure, sinon que les eaux des puits sont esgouts continuels des pluyes, qui se rendent petit à petit en bas au trauers des autres. Et ce qui fait qu’aucuns puits sont meilleurs les vns que les autres, et n’est autre chose sinon que les terres circonuoisines sont nettes de tous mineraux, salpestres et autre substance que les eaux pourroyent prendre en passant par les terres. Toutesfois depuis que les eaux sont entrees dedans les puits elles croupissent, et sont aisees à empoisonner, par ce qu’elles n’ont point de cours. Si tu auois leu l’histoire de Iehan Sleidan, tu connoistrois que les eaux des puits et cisternes sont suiettes aux poisons. Il raconte que durant la guerre que l’empereur Charles cinquiesme fit contre les protestans, il fut empoisonné plusieurs puits et eaux dormantes, et qu’il fut pris vn homme qui confessa estre venu de lointain pays, expres pour faire ce mauuais effect, et ce par le commandement de deux grands personnages que ie ne veux nommer[2]. Au grand marché de Meaux en Brie, en la maison des Gillets, l’on voulut curer vn puits, et pour ce faire, le premier qui y descendit mourut soudain au fonds dudit puits, et fut enuoyé vn autre pour sçauoir la cause, pourquoy iceluy ne disoit aucune chose, et mourut comme l’autre : il en fut renuoyé encore vn qui descendit iusques au milieu : mais là estant, se print à crier pour se faire tirer diligemment, ce que fut fait, et estant dehors, se trouua si malade qu’il trauailla beaucoup à sauuer sa vie[3].

Item, vne autre histoire racompte qu’il y eut iadis vn Medecin qui se voyant destitué d’argent et de practiques, s’auisa de ietter quelques drogues dans les puits de la ville de son habitation, qui fut cause que tous ceux qui beuuoyent de l’eau estoyent pris d’vn flux de ventre, qui les tormentoit à merueilles, et les faisoit courir apres le Medecin, lequel estant ioyeux de l’operation de ladite medecine, consoloit hardiment les malades, et feindant leur bailler des medecines bien cheres, il leur bailloit de bon vin à boire, leur defendant de boire de l’eau, et par tel moyen la malice de l’eau s’en alloit, et la nourriture du vin demeuroit, et le medecin gaignoit beaucoup. Il y a aussi quelques puits voisins des riuieres, desquels l’eau qui y est ne vient que de la riuiere circonuoisine : et cela est conneu d’autant que quand les riuieres sont grosses il y a beaucoup d’eau dedans lesdits puits, et quand les riuieres sont basses aussi sont les eaux desdits puits : et cela nous donne à connoistre qu’il y a certaines veines qui vont des puits iusques aux riuieres, par lesquelles les eaux se viennent rendre audits puits. Aucuns de ceux qui ont besongné à la congelation du sel qui se fait en Lorraine, m’ont attesté que l’eau de laquelle ils font ledit sel, se prend dedans des puits : et quand les riuieres sont grandes il entre de l’eau douce dedans lesdits puits, qui cause qu’ils sont arrestez iusques à ce que les riuieres soyent remises dedans leurs limites, partant ie conclus qu’aucuns puits sont entretenus des eaux des fleuues circonuoisins.

Theorique.

Puis que nous sommes sur le propos des eaux, que te semble de l’eau des mares ? desquelles, en plusieurs pays, ils sont contraints se seruir, tant pour leur vsage, que pour l’vsage de leurs bestes.

Practique.

Il y a plusieurs especes de mares : plusieurs les appellent claunes : en quelques lieux ce n’est qu’vne fosse gueres profonde, mise en quelque place inclinee d’vn costé, afin que les eaux des pluyes se rendent dans laditte fosse ou mare, et que les bœufs, vaches et autre bestail puissent aisement entrer et sortir pour y boire, et icelles ne sont creusees que deuers la partie pendante. À la verité telles eaux ne peuuent estre bonnes ny pour les hommes ny pour les bestes. Car elles sont eschauffees par l’air et par le soleil, et par ce moyen engendrent et produisent plusieurs especes d’animaux, et d’autant qu’il y a tousiours grande quantité de grenouilles, les serpens, aspics et viperes se tiennent pres desdites claunes : affin de se repaistre desdites grenouilles. Il y a aussi communement des sangsues, que si les bœufs ou vaches demeurent quelque temps dedans les dites mares, ils ne faudront d’estre piquez par les sangsues. I’ay veu plusieurs fois des aspics et serpens, couchez et entortillez au fond des eaux desdites mares : parquoy ie dis que lesdites eaux ainsi aërees et eschauffees ne peuuent estre bonnes ; et bien souuent il meurt des bœufs, vaches et autre bestail, qui peuuent avoir prins leurs maladies és abreuuoirs ainsi infectez. Si les hommes qui verront les enseignemens que ie donneray cy apres, me vouloyent croire, ils auroyent tousiours des eaux pures et nettes, tant pour eux que pour leurs bestes.

Theorique.

Que veux tu dire des mares qui sont plus basses, desquelles on se sert en plusieurs endroits de la Normandie et autre pays, pour le seruice de la maison ?

Practique.

Que veux tu que ie te die, sinon que c’est une eau croupie ; mais d’autant qu’elle est plus froide, elle ne peut produire aucun animal, d’autant qu’il ne se fait iamais de generation, tant des choses animees, que des vegetatiues sans qu’il y ait vne humeur eschauffee. Mais si au dessus desdites eaux et mares il y a seulement du limon verd, c’est un signe de putrefaction et commencement de generation de quelque chose : et plus y apparoist et s’y engendre de putrefaction, et plus l’vsage en est pernicieux.

Theorique.

Di moy qu’il te semble des cisternes que nos predecesseurs ont eu en vsage, comme nous voyons tant par leurs vestiges que par tesmoignage des escritures.

Practique.

Les eaux des cisternes prouiennent des pluyes, comme celles des claunes : mais d’autant qu’elles sont closes, fermees, bien maçonnees, et au dessouz pauees, il ne peut estre qu’elles ne soyent sans comparaison meilleures que celles des mares : à cause qu’elles ne peuuent rien produire, pour leur froidure et le peu d’air qu’elles ont : toutesfois toutes ces eaux ne sont point naturellement bonnes, comme celles que i’ay entrepris te monstrer cy apres. Ie me tairay donc à présent de parler des eaux croupies, et parleray de celles des fontaines naturelles, qui sont à présent en nostre vsage.

Theorique.

Et que sçaurois tu dire des fontaines naturelles ? puis qu’elles sont naturelles tu n’y sçaurois trouuer à redire, comme tu as faict sur les mares et pompes et puits ; que si tu entreprens de parler contre les fontaines naturelles, tu entreprens contre Dieu, qui les a faites.

Practique.

Tu me reprens deuant que i’aye parlé ; ie sçay bien que les sources des fontaines naturelles sont faites de la main de Dieu : parquoy ie n’y sçaurois rien reprendre des fautes qui se commettent pour conduire les eaux des sources naturelles : mais d’autant que les fontainiers qui amenent les sources par tuyaux, canaux et aqueducs, depuis la source iusques aux maisons, villes et chasteaux peuuent commettre de grandes fautes, voila dequoy i’entens parler : d’autant que la vie de l’homme est si brefue qu’il est impossible qu’en l’espace de si peu d’annees vn homme puisse connoistre les effects des eaux, et ne les connoissant point il est impossible de les conduire et amener vn long chemin, qu’il n’y ait quelque faute, et si on l’amene de deux ou trois lieuës loin, enclose et enfermee par tuyaux elle sera de bien peu de duree, et y faudra souuent mettre la main. Voila pourquoy ie te veux bien dire que l’eau et le feu ioints auec l’air ont vn effect si tressubtil et vehement, que iamais homme ne l’a directement conneu, comme tu pourras entendre, lorsque ie parleray des tremblemens de terre : et si tu veux vn peu contempler les vestiges et antiquitez de nos predecesseurs, tu trouueras grand nombre de pyramides antiques, construites, tant par les Empereurs Romains, que par les Roys d’Egypte, tu trouueras aussi grand nombre d’arcs triomphans construits du temps des Césars, comme tu as veu en la ville de Xaintes deux arcs triomphans, que combien qu’ils soyent fondez dedans l’eau, si est ce qu’ils sont encores de bout, et ne peut on nier qu’ils ne soyent du temps des Cesars, l’escriture qui y est inscrite en fait foy. Ie t’ay mis ce propos en auant pour te monstrer que combien que nos predecesseurs ayent aussi fait de grands despens pour les aqueducs, tuyaux et beauté de fontaines, si est-ce que tu ne me sçaurois monstrer vne seule fontaine antique, comme les bastimens des arcs triomphans, palais et amphitheatres : et ne faut pourtant penser que nos predecesseurs antiques ne se soyent estudiez et employez à grands despens aussi bien és fontaines que és autres bastiments, et qu’ainsi ne soit, quelqu’vn m’a asseuré auoir veu en Italie des aqueducs contenans cinquante lieuës de long (chose incroyable toutesfois) lesquels ont estez faits pour amener les eaux d’vn lieu à l’autre. Nos antiques montrent par là qu’ils auoient bien conneu que les eaux amenees par les aqueducs venoient plus à leur aise que non pas celles qui viennent encloses dedans des tuyaux. Il est certain qu’à Xaintes (qui est ville antique, en laquelle se trouue encores des vestiges d’vn amphitheatre, et plusieurs antiquitez, pareillement grande quantité de monnoye des Empereurs) il y auoit vn aqueduc duquel les vestiges y sont encores, par lequel ils faisoient venir l’eau de deux grandes lieuës distant de ladite ville, et toutesfois la ruine s’en est ensuiuie en telle sorte qu’à présent il y a bien peu d’hommes qui ayent connoissance des vestiges de l’aqueduc susdit. Voyla pourquoy i’ay dit que combien que les antiques ayent besongné de meilleures estofes que les modernes, et qu’ils ayent moins regardé aux frais, si est ce que l’on ne treuue aucunes fontaines antiques. Ie ne dy pas pourtant que les sources soyent perdues : car l’on sçait bien que la source antique de la ville de Xaintes est encores au lieu d’où elle procedoit : pour laquelle voir, le Chancelier de l’hospital se destourna de son chemin (reuenant du voyage de Bayonne) pour voir l’excellence de ladite source. Il y a encores en certaines vallees entre la ville et la source, quelques arcades sur lesquelles l’on faisoit passer les eaux de ladite source : toutesfois la cause desdites arcades est inconnue au vulgaire. Et si tu veux sçauoir pourquoy ie te mets deuant les yeux ces arcades aux vallees, c’est pour te monstrer l’ignorance des modernes. Car si les antiques eussent amené les tuyaux de leurs cours de fontaines par dessous la terre il eust fallu monter et puis descendre, et encores monter autant de fois qu’il y eust eu de montagnes et vallees, et eust fallu accommoder les tuyaux à toutes ces passions ; et comme ie t’ay dit en plusieurs endroits l’eau qui est ainsi contrainte, ioints les vents subtils entremeslez auec elle, font des efforts tels que nul homme n’a iamais eu la parfaite connoissance de la violence desdites eaux. C’est vne chose merueilleuse des effects des eaux enserrées ; il y a bien peu d’hommes qui voulussent croire que l’eau qui remplist et occupe vn tuyau de deux poulces de diametre, estant violemment poussée par les vents ou autres eaux elle se resserrera en telle sorte qu’elle passera par vn canal d’vn poulce de diametre : et par ce que les vents, qui sont enclos dedans lesdits tuyaux, ou canaux occupent autant de place que les eaux, les fontainiers sont bien souuent trompez en leurs entreprises : mesmement aux tuyaux enclos souz terre : car quelquefois lesdits tuyaux sont occupez par des racines qui s’engendrent et veiettent dedans, ayants quelque bout racinal entre les ioinctures : autres sont occupez et engorgez par les eaux congelatiues, qui se lapifient au dedans desdits tuyaux. C’est pourquoy les antiques faisoient les aqueducs aërez auec grande despence, afin d’amener les eaux sans violence, et euiter tous ces accidens susdits. Toutesfois ie suis certain que quand les eaux se viennent à congeler soit en cristal ou autrement, elles sont contraintes de se reserrer en leur congelation, et ne se fait nulle congelation sans compression. Le semblable se trouue en la violence du feu, qui se trouuant enclos dedans les montaignes engendre vne vapeur aqueuse et vn vent si impetueux qu’il fait trembler la terre et renuerser les montaignes, et bien souuent les villes et villages, c’est la cause pourquoy les antiques faisoyent venir leurs sources d’eaux par aqueducs, et pour donner pente legitime à leurs eaux ils faisoyent des arcades aux vallees, pour s’accommoder aux montaignes. Je ne demande point de meilleur tesmoignage que le pont du Gua (Gard), qui est en Languedoc, lequel a esté fait expressement pour porter l’aqueduc qui trauersoit la vallee entre deux montaignes, afin d’amener l’eau de dix lieües distant de la ville de Nimes : et ce pour obuier aux compressions et violences que les eaux eussent engendrees si on les eut voulu faire suyure les montaignes et vallees. Ledit pont est vne œuure admirable : car pour venir depuis le bas des montaignes iusques à la sommité d’icelles, il a fallu edifier trois rangs d’arcades l’vne sur l’autre, et sont lesdites arcades d’vne hauteur extraordinaire, et construites de pierres de merueilleuse grandeur. De là nous pouuons tirer que Nimes (ville antique, en laquelle se trouue tesmoignage tant par l’amphitheatre que par autres vestiges) estoit vne ville en laquelle les anciens Empereurs Romains et leurs proconsuls auoient faict de grandes et superbes despenses, pour l’embellir et enrichir, et y auoient employé des gens de sçauoir, des plus grands qui fussent en l’Empire Romain, comme l’ouurage en fait encores foy. Si tu auois esté à Rome tu pourrois aisément iuger combien les modernes sont esloignez des inuentions de nos predecesseurs sur le fait des fontaines : car il y a bien peu de bonnes maisons dedans Rome ausquelles il n’y ait des fontaines prouenantes des aqueducs construits en l’air, et qu’ainsi ne soit, regarde vn peu vn pourtraict de laditte ville de Rome qui a esté nouuellement imprimé, tu verras en iceluy vn receptacle d’eau, haut esleué, d’vne grandeur assez superbe, lequel receptacle contient si grande quantité d’eau, qu’il fournit la plus grande part de ladite ville de Rome, car il y a audit receptacle plusieurs acqueducs diuisez par branches amenez et conduits de rue en rue, pour fournir les palais et grandes maisons de la ville, et sont lesdits acqueducs amenez et conduits sur certaines arcades assez pres l’une de l’autre et toutes-fois autant esleuees en l’air que les maisons de laditte ville. Et te faut notter qu’il y a vn grand acqueduc principal venant de bien loin qui fournit le grand receptacle, duquel procedent tous les autres acqueducs. Or si les fontaines des fontainiers antiques, faites auec si grande despense, n’ont peu durer iusques à present, combien moins de durée peut on esperer de celles que les fontainiers modernes font passer par monts et vaux auec des tuyaux de plomb soudez et cachez trois ou quatre pieds dans terre. Si monsieur l’architecte de la Royne[4], qui auoit hanté l’Italie, et qui auoit gaigné vne auctorité et commandement sur tous les artisans de ladite Dame, eust eu tant soit peu de philosophie seulement naturelle, sans aucunes lettres, il eust fait faire quelque muraille ou arcade à la vallee de saint Cloud, et de là faire venir son eau tout doucement, depuis le pont de sainct Cloud iusques aux murailles du parc, et puis renforcer ladite muraille de la closture dudit parc pour faire passer l’eau par dessus, et au bout de l’angle et coing dudit parc faire certaines arcades, en diminuant petit à petit iusques au dedans, et lors la fontaine eust peu durer, et n’y eust fallu faire tant de regards[5].

Theorique.

Puis que tu trouues tant d’imperfections és eaux des mares, puits et és conduits ou tuyaux des fontaines, ie te veux à présent faire vne demande, asçauoir qui est la cause que les sources des fontaines naturelles sont meilleures les vnes que les autres.

Practique.

Vn homme qui a hanté les minieres, fossez et tranchees, et qui a consideré les diuerses especes des terres argileuses, et qui a voulu connoistre les diuerses especes de sels et autres choses fossiles, il peut aysément iuger de la cause de la bonté ou mauuaistié des eaux prouenans des sources naturelles. Et pour en donner iugement certain, il faut premierement considerer qu’il n’y a aucune partie en la terre qui ne soit remplie de quelque espece de sel, qui cause la generation de plusieurs choses, soit pierre, ardoise, ou quelque espece de metal ou mineral, et est chose certaine que les parties interieures de la terre ne sont non plus oysiues que les exterieures, qui produisent journellement arbres, buissons, ronces, espines et toutes especes de vegetatif. Il faut donc conclure qu’il est impossible que le cours des fontaines puisse passer par les veines de la terre sans mener auec soy quelque espece de sel, lequel estant dissoult dedans l’eau est inconneu et hors du iugement des hommes : et selon que le sel sera veneneux, il rendra l’eau veneneuse ; comme celles qui passent par les minieres d’airain, elles amenent auec soy vn sel de vitriol ou coperoze fort pernicieux : Celles qui passent par des veines alumineuses on salpestreuses, ne peuuent amener sinon la substance salsitiue par où elles passent : et si aucunes sources passent par des bois ou troncs pourriz dedans terre, telles eaux ne peuuent estre mauuaises, par ce que le sel des bois pourriz n’est veneneux comme celuy de la coperose. Ie ne dy pas qu’il n’y aye quelque arbre, et consequemment des plantes, desquelles le sel peut estre veneneux ; et ne faut penser que toutes eaux bonnes à boire soyent exemptes de venin : mais vn peu de venin en vne grande quantité d’eau n’a pas puissance d’actionner sa nature mauuaise : comme les eaux qui passent par des veines où il y a du sel commun, ne peuuent estre mauuaises. Celles qui passent dedans les canaux des rochers ne peuuent amener autre chose que du genre de sel qui a causé la congelation desdits Rochers : et ledit sel est conneu en la calcination extraite des pierres desdits Rochers, et lors que telles pierres sont calcinees l’on trouue au goust de la langue la mordication et acuité dudit sel, lequel estant dedans l’eau peut aussi bien congeler des pierres au corps de l’homme comme il fait en la terre, n’estoit la raison que i’ay alleguée cy dessus ; que la grande quantité d’eau efface le pouuoir d’vn peu de venin[6]. C’est chose certaine qu’il y a des fontaines qui donnent les fieures à ceux qui en boyuent. Ie n’ay iamais veu venir estranger au pays de Bigorre pour y habiter, que bien tost apres n’ayt pris les fieures : l’on voit audit pays grand nombre d’hommes et femmes qui ont la gorge grosse comme les deux poings ; et est chose toute certaine que les eaux leur causent ce mal, soit par la froidure des eaux ou par les mineraux par où elles ont passé. Pline raconte au trentiesme liure de son histoire naturelle, chap. 16, qu’il y a vne fontaine en Arcadie, de laquelle l’eau est d’vne nature si pernicieuse qu’elle dissipe tous les vaisseaux ausquels elle est mise : Et ne peut on trouuer aucun vaisseau qui la puisse contenir. Sur ce propos ie diray ce qu’en escrit Plutarque en la vie d’Alexandre le Grand[7], c’est qu’aucuns ont pensé qu’Aristote enseigna à Antipater le moyen de pouuoir recueillir de ceste eau, à sçauoir dans l’ongle d’vn asne, et qu’Alexandre fut ainsi empoisonné. C’est vne chose toute certaine que tout ainsi qu’il y a diuerses especes de sels en la terre, qu’il y a aussi diuerses huiles, tesmoin l’huile de petrolle, qui sort des rochers : et faut croire que le bitumen n’est autre chose qu’huile au parauant qu’il soit congelé. Et tout ainsi comme les eaux sousternees apportent auec elles quelques especes de sels par où elles passent, semblablement si elles treuuent des huiles elles les ameneront auec elles, et en beuuant telles eaux nous beuuons souuent et de l’huile et du sel. N’as-tu pas leu quelques historiens, qui disent qu’il y a vn fleuue et quelques fontaines d’où il sort grande quantité de bitumen, lequel est recueilli par les habitans du pays, lesquels en font grand trafic, le faisant transporter en pays estranges ? Et pour l’asseurance et tesmoignage de ce que i’ay dit, que les huiles et sels peuuent rendre les eaux mauuaises et pernicieuses : ceux qui ont escrit des fontaines et des fleuues, rendent tesmoignage que telles eaux sont pernicieuses, et que mesme les oyseaux meurent de la senteur d’icelles. Les sources qui passent au trauers des mines des terres argilleuses, ne peuuent qu’elles n’amenent quelque salsitude mauuaise : d’autant qu’il se treuue bien peu de terre argileuse, où il n’y ait quelques marcassites sulphurees et commencement de metaux : aussi qu’il y a bien peu de terres argilleuses, qui ne soyent de diuerses couleurs, comme de blanc, rouge, iaune, noir, ou gris, entremeslees des couleurs susdites, lesquelles couleurs sont causees par les mineraux sulphurez qui sont dedans icelle : comme nous sçauons à la verité, que le fer, le plomb, l’argent, l’anthimoine, et plusieurs autres mineraux ont en eux vne teinture iaune, dont les terres iaunes ont pris leur couleur. Voyla donc vn tesmoignage inexpugnable que les eaux qui passent par les terres argilleuses amenent auec elles du sel semblable à celuy qui est esdites terres : lesquelles terres ne pourroyent iamais s’endurcir, cuire, colliger ny se fixer si ce n’estoit la vertu du sel, qui est esdites terres, et par le moyen dudit sel elles sont bonnes à faire briques, tuilles et toutes especes de vaisseaux pour le seruice de l’homme, comme ie donneray plus clairement à entendre parlant des terres argilleuses et des pierres : et feray fin au propos de la bonté ou malice des eaux, si ce que i’en ay dit t’a suffisamment contenté.

Theorique.

Ie me contente plus que suffisamment de ce que tu m’en as discouru : toutesfois iusques icy ie n’ay rien entendu de toy de la cause des eaux chaudes, qui sont en plusieurs pays, et mesmes en France, au lien de Cauterets, Bauieres (Bagnères), et en plusieurs autres lieux.

Practique.

Ie ne te puis asseurer d’autre chose, qui puisse causer la chaleur des eaux, que les quatre matieres cy dessus nommees, sçauoir le souphre, le charbon de terre, les mottes de terre, et le bitumen : mais nulle de ces choses ne peut eschaufer les eaux si premierement le feu n’est ietté ou esprins au dedans de l’vne de ces quatre matieres. Tu me diras qui est ce qui auroit mis le feu soubs terre pour brusler ces choses ? À ce ie responds, qu’il ne faut qu’vne pierre de rocher tomber ou s’encliner contre vne autre, pour engendrer certaines estincelles, lesquelles seront suffisantes pour allumer quelque veine sulphuree : et de là le feu pourra suiure l’vne des quatre matieres susdites : en telle sorte que le feu ne s’esteindra iamais, tant qu’il trouuera matiere pour se nourrir ; et quand l’vne de ces quatre est allumee, les eaux qui sont encloses dedans les Rochers descendantes continuellement de degré en degré, iusques à ce qu’elles soyent au lieu où lesdites matieres sont allumees, ne peuuent passer qu’elles ne s’eschauffent, et cela ne se peut faire qu’il n’y ait vn merueilleux tourment engendré du feu et de l’eau : et quelque chose que les Philosophes ayent dit des tremblements de terre, ie ne confesseray iamais qu’aucun tremblement de terre se puisse faire sans feu : bien leur confesseray-ie que les eaux seules auec les vents enclos dedans icelles, peuuent abysmer chasteaux, villes et montaignes, tant par l’effect du vent enclos dedans les cauernes, que par la compression des eaux desbordees, qui par leur subtilité et vehemence peuuent pousser, demolir et ruyner ce que dessus : et ce par le moyen d’auoir chassé les terres sur lesquelles ces choses seront assises, et ayant concaué par dessouz les fondements, icelles choses peuuent tomber dedans cest abisme, sans aucune ayde ny action ignee. Mais les tremblements de terre ne peuuent estre engendrez que premierement il n’y ait le feu, l’eau et l’aër ioincts ensemble. Quelques historiens racontent qu’en certains pays il y a des tremblements de terre, qui ont duré l’espace de deux annees (chose fort aisee à croire) et cela ne se peut faire par autre moyen que par celuy que i’ay mis cy dessus. Il faut qu’au parauant que la terre tremble il y ait grande quantité de l’vne de ces quatre matieres (que i’ay nommees cy deuant) allumee, et estant allumee qu’elle aye trouué en sa voye quelques receptacles d’eaux dedans les rochers, et que le feu soit si grand qu’il aye puissance de faire bouillir les eaux encloses dedans les rochers, et alors par le feu, les eaux et l’aër enclos, s’engendrera vne vapeur qui viendra souleuer par sa puissance les rochers, terres et maisons qui seront au dessus. Et d’autant que la violence du feu, de l’eau et de l’aër, ne pourra ietter d’vn costé ny d’autre vne si grande masse, elle la fera trembler, et en tremblant il se fera quelques subtiles ouuertures qui donneront quelque peu d’aër au feu, à l’eau et aux vents, et par tel moyen la violence qui autrement eut tout renuersé est pacifiée ; que si les trois matieres qui font trembler, ne prenoyent quelque peu d’aër en faisant leur action, il n’y a si puissante montaigne qui ne fut soudain renuersee, comme il est aduenu en plusieurs lieux, que plusieurs montaignes ont esté conuerties en vallees, par tremblements de terre, et plusieurs vallees en montaignes par vne mesme action. Et lors que lesdits tremblements ont ietté bas villes, chasteaux et montaignes, ç’a esté lors que les trois matieres susdites estant en leur grand combat ne pouuoyent auoir aucune haleine. Or il falloit necessairement, ou que les choses qui estoyent dessus ces trois elements vainquissent, et qu’elles estoufassent lesdits elements, ou bien que les elements ioints ensemble en leur superbe grandeur vainquissent, se donnant ouuerture pour viure. Veux tu que ie te die le liure des Philosophes, où i’ay appris ces beaux secrets ? ce n’a esté qu’vn chauderon à demy plein d’eau, lequel en bouillant quand l’eau estoit vn peu asprement poussee par la chaleur du cul du chauderon, elle se sousleuoit iusques par dessus ledit chauderon : et cela ne se pouuoit faire qu’il n’y eust quelque vent engendré dedans l’eau par la vertu du feu : d’autant que le chauderon n’estoit qu’à demy plein d’eau quand elle estoit froide, et estoit plein quand elle estoit chaude[8]. Les fourneaux ausquels ie cuis ma besongne, m’ont donné beaucoup à connoistre la violence du feu : mais entre les autres choses qui m’ont fait connoistre la force des elements, qui engendrent les tremblements de terre, i’ay consideré vne pomme d’airain qu’il n’y aura qu’vn petit d’eau dedans, et estant eschauffee sur les charbons, elle poussera vn vent tres-vehement[9], qu’elle fera brusler le bois au feu, ores qu’il ne fut coupé que du iour mesme[10].

Theorique.

Tu es pris à ce coup par tes mesmes paroles : car tu as dit cy dessus que les eaux et l’aër poussez et courroucez par la violence du feu, qui est leur contraire, ne pouuoyent subsister ensemble, qui causoit les tremblements de terre, et renuersements des villes et chasteaux, comme feroyent plusieurs caques de poudre à canon emflambez. Et à present ie prouue le contraire, par le recueil de tes paroles. Car tu dis que les eaux chaudes (desquelles on fait les bains, tant à Aignes-caudes (Chaudes-aigues), Cauterets, Bauieres, qu’à Aix en Alemagne, Sauoye et Prouence, et autres lieux) sont eschauffees par le feu qui est continuel sous la terre, ou par le souphre, le charbon et mottes de terre, ou par le bitumen. Et ce neantmoins ie sçay bien qu’il y a long temps que lesdites fontaines chaudes ont duré, et durent encores en mesme estat, voire si long temps que la memoire en est perdue. Et si ainsi estoit que tu dis, le feu, l’aër et l’eau n’eussent ils pas long temps y a ruyné et despecé et fait sauter à dextre et à senestre les canaux et voutes, par lesquelles lesdites eaux passent ? ou pour le moins elles engendreroyent (selon que tu dis) vn continuel tremblement de terre.

Practique.

Tu as fort mal entendu mes propos : car quand ie t’ay parlé des tremblements de terre, ie t’ay dit qu’en tremblant par la force des trois elements enclos dessouz, qu’il se faisoit quelques subtiles ouuertures, par lesquelles sortoit vne partie de la force et haleine de la vapeur desdits elements, et qu’autrement lesdits elements tourneroyent cul sur pointe, toutes les voutes de dessus les canaux où se fait le mouuement, et d’autant que tu m’as dit que cela se deuroit faire dedans les voutes, par lesquelles les eaux des bains sont eschauffees, par le mesme effect que celles qui causent le tremblement de terre, à ce ie respon que la cause pourquoy la terre ne peut estre esbranlee, ny agitee par lesdits feux, est par ce qu’il y a un canal par lequel les eaux passent et sortent hors, qui appaise la violence desdits elements. Car iceux prennent haleine, et aspirent par le canal par où l’eau sort. Et tout ainsi comme l’homme ne pourroit viure ayant le col serré et l’aër enclos dedans le corps, aussi le feu ne sçauroit viure sans aër. Et tout ainsi que l’homme et la beste à qui l’on estouperoit les conduits de l’haleine feroyent de grands efforts pour eschapper, ainsi le feu se trouuant occupé de trop grande abondance d’aër, que luy mesme a causé, esmouuant l’humide, se trouuant dy-ie ainsi opprimé, et ne voulant point mourir, alors il renuerse les montaignes, pour auoir haleine, tendant afin de viure, et c’est vne conclusion si asseuree, qu’il n’y a Philosophe qui la sçeut impugner par raisons legitimes, ie laisseray à dire le surplus iusques à ce que nous parlions de l’Alquimie.

Theorique.

Puis que nous sommes sur le propos des eaux chaudes, di moy la cause pourquoy tant de personnes se vont baigner esdites eaux, tant en France qu’en Alemagne. As-tu quelque iugement qu’elles puissent seruir à guerir toutes maladies ? Si tu en as quelque connoissance, ie te prie me le dire.

Practique.

Tout ce que ie puis connoistre de ces choses, c’est que comme le poisson, le lard et autres chairs sont fortifiees et endurcies par l’action du sel, il peut estre que les sels qui sont meslez parmy les eaux chaudes pourroyent endurcir quelques lasches humeurs putrifiees au corps de ceux qui se baignent : mais pour t’asseurer ny croire qu’elles puissent seruir à toutes maladies, ie suis logé bien loing d’vne telle opinion, Ie me suis tenu quelques années à Tarbe, principale ville de Bigorre, et ay veu plusieurs malades aller ausdits bains qui sont reuenuz autant malades qu’ils estoyent auparauant : D’autre part si le feu est ceste année en vn endroit où il y aura quelque espece de mineral, et qu’iceluy aye vertu de guerir quelque maladie, peut estre que l’annee qui vient le feu trouuera vn autre mineral, duquel le sel ne pourra faire la mesme action que la premiere.

Voila pourquoy ie dy que les choses sont incertaines, d’autant que les eaux viennent de lieux inconnuz.

Theorique.

Et des eaux de Spa au pays de Liege, veux tu aussi dire, que la guarison d’icelles soit incertaine ? N’y a il pas iournellement des personnes malades de diuerses maladies, qui vont demeurer quelque temps audit lieu, pour boire de ladite eau, et s’en trouuent bien ? il n’est pas iusques aux femmes steriles qu’elles n’y aillent, afin de conceuoir.

Practique.

Ta demande n’est pas à propos, par ce que les eaux de Spa ne sont pas chaudes : toutesfois, afin de respondre à ta demande, ie te di que si les eaux de Spa pouuoient causer vne conception aux femmes, elles feroient de beaux miracles. Ie sçay bien que plusieurs y sont allees boire de ladite eau, qui eussent eu plus de proufit de boire du vin. Ie ne dis pas que ladite eau ne soit vtile contre la grauelle, par ce que plusieurs s’en sont bien trouuez : et la cause de ce est d’autant qu’elle prouoque à vriner, et ne demeurant gueres à passer par les parties ordinaires, les matieres qui causent la pierre n’ont pas le loisir de s’assembler pour s’endurcir et lapifier. Aucuns medecins et autres personnes tiennent pour certain que lesdites eaux passent par des minieres de fer, et prennent cet argument de ce que la gueule de la source est tainte en iaune. L’argument est fort bien fondé comme tu l’entendras par les preuues que ie te diray cy apres. Il se trouue en plusieurs villages du pays de Liege des fontaines qui ont la mesme vertu : Mais les habitans de Spa ont publié la leur des premiers, dont il leur reuient vn grand proufit. Si ainsi est que la mine de fer ait telle vertu, il se trouuera au pays des Ardennes grand nombre de fontaines autant bonnes que les susdites : par ce que les terres du pays sont pleines de mines de fer, les terres argilleuses iaunes qui y sont, en rendent tesmoignage.

Theorique.

Tu m’as cy deuant fait entendre que si les eaux des bains de Bauieres, Cauterets, Argelais et Aix, auoient quelque vertu de guarir les maladies, que cela se faisoit par la vertu des sels, et à présent tu dis que la mine de fer cause la vertu de l’eau de Spa.

Practique.

Quand tu auras bien entendu tout mon discours, tu connoistras que le fer n’est engendré d’autre chose que de sel. Mais par ce que ce propos se trouuera mieux à point en prouuant qu’il y a du sel en toutes choses, ie l’y reserveray.

Theorique.

Si ainsi est nous ne mangerions point de beurre frais. Ie ne vis iamais vn plus arresté, sur ces sels. Mais me penserois tu faire croire qu’il y eust du sel souz la terre, et que les eaux le puissent amener pour causer les effects de la medecine ?

Practique.

Tu n’es guere sage de faire une telle demande, as tu point ouy dire à ceux qui sont venus de Polongne que la miniere de sel est merueilleusement basse dedans terre ? n’as tu pas aussi ouy dire qu’il y a des puits salez en Lorraine ? Il me semble l’auoir dit cy dessus. Ne sçait on pas qu’en Bearn il y a des fontaines salees, desquelles l’on fait le sel qui fournist la pluspart dudit pays, et de Bigorre ? Ce n’est pas encores assez : car quand il n’y auroit point de sel commun és terres et canaux où le feu est allumé, par où les eaux chaudes passent, il y en aura de plusieurs autres especes : par ce que si le feu qui est embrazé dedans les parties sousternees trouue du marbre, ou autre espece de pierre, de laquelle l’humeur ne soit fixe, le feu les calcinera, et estant reduites en chaux, les eaux qui passent par laditte chaux dissoudront le sel qui estoit au marbre, et autres pierres imparfaites ; i’appelle pierres imparfaites celles qui sont suiettes à se calciner. Les parfaites ne se calcinent iamais, ains se vitrifient. Item, si le feu qui est allumé, et qui a causé la chaleur des eaux s’est attaché és mottes de terre, qui sont pleines de petites racines, ce qui les fait brusler, les mottes et racines estant bruslees, laisseront le sel qui est en elles, et l’ayant laissé dedans les cendres, et les eaux passant au trauers d’icelles ne faudront iamais d’emporter le sel dissout en icelles : autant s’en pourra faire des cendres du souphre et du charbon de terre. Et encores que les eaux ne peussent estre salees par les moyens que ie dis (ce qui ne peut estre autrement) encores seroyent elles salees du sel qui degoutte continuellement auec les eaux qui passent au trauers des terres pour se rendre iusques au lieu là où lesdits feux sont allumez. Il faut donc conclure que dedans lesdites eaux chaudes, il y peut auoir plusieurs et diuerses especes de sels tout en vn mesme temps : ie dis et sel commun, sel de vitriol, sel d’alun, et de coperoze, et de toutes especes de mineraux. Et outre ce que ie dis il y peut auoir plusieurs especes de sels, qui seront entremeslez auec du sable ou caillous, en telle sorte que la violence du feu les aura contrains se vitrifier : comme ainsi soit que cela soit aduenu par accident à ceux qui premierement ont inuenté le verre. Aucuns disent que les enfans d’Israël ayant mis le feu en quelque boys, le feu fut si grand qu’il eschauffa le nitre auec le sable iusques à le faire couler et distiler le long des montagnes, et que deslors on chercha l’inuention de faire artificiellement ce qui auoit esté fait par accident, pour faire les verres. Autres disent que l’exemple fut pris sur le riuage de la mer, là où quelques pirates estoyent descendus à bord, et voulant faire bouillir leur marmitte, et n’ayans aucuns chenets ou landiers, prindrent des pierres de nitre, sur lesquelles ils mirent des grosses buches, et grande quantité de bois, qui causa vn si grand feu, que lesdites pierres se vindrent à liquifier, et estant liquifiees, descoulerent sur le sablon ; qui fut cause que ledit sablon estant entremeslé auec le nitre fut vitrifié comme le nitre, et le tout fit vne matiere diaphane et vitreuse. Aussi ie te di, qui pourroit voir le lieu où les feux sont allumez dessouz les terres et montagnes, que l’on trouueroit plusieurs matieres vitrifiees de diuerses couleurs. Aussi trouueroit on or et argent fondu, et autres metaux et mineraux ; car tout ainsi que i’ay dit vne autrefois, que l’exterieur de la terre est tout plein de plantes diuerses, aussi l’interieur se trauaille iournellement à produire choses diuerses, et par ce que i’ai dit cy dessus, que les feux qui sont enclos soubs la terre ne peuuent engendrer tremblement, sinon quand ils ne peuuent aspirer, et que l’haleine est reserree. Pour tesmoignage de mon dire i’ay esté adverti par plusieurs dignes de foy, que aux lieux où il y a de terres sulphurees, l’on voit de nuit vn grand nombre de petis trous au trauers de la terre, par lesquels sortent des flambes de feu procedantes du souphre qui est allumé par dessouz la terre, et disent que les trouz ne sont pas plus grands que trouz de vers, et au tour de l’entree desdis trouz l’on trouue du souphre, que les flambes du feu ont esleué de dessouz la terre, et cesdits feux n’aparoissent que de nuit. Tu peux connoistre par là que le feu prenant aspiration par lesdits trouz brusle sans faire aucune violence ny tremblement en la terre. Autant en est il de celuy qui eschauffe les eaux des bains par ce qu’il prend haleine par le canal desdites eaux. Iusques à présent i’ay pris peine de te faire entendre la cause des bontez ou malices des eaux, tant de celles des sources naturelles, que des puits, mares et autres receptacles, et tout cela tendant afin que tu connoisses mieux la bonté de l’eau des fontaines, que ie te veux apprendre à faire és lieux les plus steriles d’eaux. Ie laisseray donc tous autres propos pour venir à la cause des sources naturelles : Et ce d’autant qu’il est impossible d’imiter nature en quelque chose que ce soit, que premierement l’on ne contemple les effects d’icelle, la prenant pour patron et exemplaire, car il n’y a chose en ce monde où il y ait perfection, qu’és œuures du souuerain. En prenant donc exemple à ces beaux formulaires qu’il nous a laissez, nous viendrons à l’imitation d’iceux.

Quand i’ay eu bien long temps et de pres consideré la cause des sources des fontaines naturelles, et le lieu de là où elles pouuoyent sortir, en fin i’ai conneu directement qu’elles ne procedoyent et n’estoyent engendrees sinon des pluyes[11]. Voila qui m’a meu d’entreprendre de faire des recueils des pluyes, à l’imitation et le plus pres approchans de la nature, qu’il me sera possible ; et en ensuyuant le formulaire du souuerain fontenier, ie me tiens tout asseuré que ie pourray faire des fontaines desquelles l’eau sera autant bonne, pure et nette, que de celles qui sont naturelles.

Theorique.

Apres que i’ai entendu ton propos ie suis contraint de dire que tu es vn grand fol. Me cuides tu si ignorant que ie veuille adiouster plus de foy à ce que tu dis, qu’à vn si grand nombre de Philosophes, qui disent que toutes les eaux viennent de la mer, et qu’elles y retournent ? Il n’y a pas iusques aux vieilles qui ne tiennent vn tel langage, et de tout temps nous l’auons tous creu. C’est à toy vne grande outrecuidance de nous vouloir faire croire vne doctrine toute nouuelle, comme si tu estais le plus habile Philosophe.

Practique.

Si ie n’estois bien asseuré en mon opinion, tu me ferois grand honte : mais ie ne m’estonne pas pour tes iniures ny pour ton beau langage : car ie suis tout certain que ie le gaigneray contre toy et contre tous ceux qui sont de ton opinion, fut ce Aristote et tous les plus excellents Philosophes qui furent iamais : car ie suis tout asseuré que mon opinion est veritable.

Theorique.

Venons donques à la preuue : baille moi quelques raisons par lesquelles ie puisse connoistre qu’il y a quelque apparence de verité en ton opinion.

Practique.

Ma raison est telle, c’est que Dieu a constitué les limites de la mer, lesquelles elle ne passera point : ainsi qu’il est escrit és Prophetes. Nous voyons par les effects cela estre veritable, car combien que la mer en plusieurs lieux soit plus haute que la terre, toutesfois elle tient quelque hauteur au milieu : mais aux extremitez elle tient vne mesure, par le commandement de Dieu, afin qu’elle ne vienne submerger la terre. Nous auons de fort bons tesmoings de ces choses, et entre les œuures de Dieu, ceste la est grandement merueilleuse, car si tu auois pris garde aux terribles effects de la mer, tu dirois qu’il semble qu’elle vienne de vingtquatre heures en vingtquatre heures, deux fois combatre la terre, pour la vouloir perdre et submerger. Et semble sa venue à vne grande armee qui viendroit contre la terre, pour la combatre : et la pointe, comme la pointe d’vne bataille, vient hurter impetueusement contre les rochers et limites de la terre, menant vn bruit si furieux qu’il semble qu’elle veuille tout destruire. Et pource qu’il y a certains canaux sur les limites de la mer és terres circonuoisines, aucuns ont edifié des moulins sur lesdits canaux, ausquels l’on a fait plusieurs portes pour laisser entrer l’eau dedans le canal, à la venue de la mer : afin qu’en venant elle face moudre lesdits moulins, et quand elle vient pour entrer dedans le canal, elle trouue la porte fermee, et ne trouuant seruiteur plus propre qu’elle mesme, elle ouure la porte et fait moudre le moulin pour sa bien venuë. Et quand elle s’en veut retourner, comme vne bonne seruante elle mesme ferme la porte du canal, afin de le laisser plein d’eau, laquelle eau l’on fait passer apres par vn destroit : afin qu’elle face tousiours moudre le moulin. Et s’il estoit ainsi que tu dis, suyuant l’opinion des Philosophes, que les sources des fontaines vinssent de la mer, il faudroit necessairement que les eaux fussent salees, comme celles de la mer, et qui plus est, il faudroit que la mer fust plus haute que non pas les plus hautes montaignes, ce qui n’est pas.

Item, tout ainsi que l’eau qui est entree au dedans des canaux, et fait moudre les moulins, et qui amené les bateaux en plusieurs et diuers canaux, pour charger le sel, bois et autres choses limitrofes de la mer, est suiette à suivre la grande armée de mer, qui est venue escarmoucher la terre. En cas pareil ie di qu’il faudroit que les fontaines, fleuues et ruisseaux, s’en retournassent auec elle : et faudroit aussi qu’ils fussent taris pendant l’absence de la mer, tout ainsi que les canaux sont emplis par la venuë de la mer, et tarissent en son absence. Regarde à present si tes beaux Philosophes ont quelque raison suffisante pour conuaincre la mienne. C’est chose bien certaine que quand la mer s’en est allée, elle descouure en plusieurs lieux plus de deux grands lieuës de sable, où l’on peut marcher à sec, et faut croire que quand elle s’en retourne, les poissons s’enfuyent auec elle. Il y a quelque genre de poissons portant quilles, comme les moulles, sourdons, petoncles, auaillons, huitres et plusieurs especes de burgaus, lesquels sont faits en forme de limace, qui ne daignent suiure la mer, mais se fiant en leurs armures, ceux qui n’ont qu’vne coquille s’attachent contre les rochers, et les autres qui en ont deux demeurent sur le sable. Aucuns genres d’iceux, lesquels sont formez comme vn manche de couteau ayant enuiron demy pied de long, se tiennent cachez dedans le sable bien auant, et alors les pescheurs les vont querir. C’est vne chose admirable que les huitres estant apportees à dix ou douze lieuës de la mer, elles sentent l’heure qu’elle reuient, et approchent des lieux où elles faisoient leurs demeurances, et d’elles mesmes s’ouurent, pour recevoir aliment de la mer, comme si elles y estoyent encores. Et à cause qu’elles ont ce naturel, le cancre sçachant bien qu’elles se viendront presenter, portes ouuertes, quand la mer retournera en ses limites, se tient pres de leurs habitations, et ainsi que l’huitre aura ses deux coquilles ouuertes, ledit cancre pour tromper l’huitre prend vne petite pierre, laquelle il met entre les deux coquilles, afin qu’elles ne se puissent clorre, et ce fait, il a moyen de se repaistre de laditte huitre. Mais les souris n’ont pas conneu la cause pourquoy les huitres auoient deux coquilles : car il est aduenu en plusieurs lieux bien distans de la mer, lors que les huitres sentoyent l’heure de la maree, et qu’elles se venoient à ouurir, comme i’ay dit cy dessus, les souris les trouuans ouuertes, les vouloyent manger, et l’huitre sentant la douleur de la morsure venoit à clorre et resserrer ses deux coquilles, et par ce moyen plusieurs souris ont esté prises : car elles n’auoyent pas mis de pierre entre deux, comme le cancre. Quant est des gros poissons, les pescheurs des isles de Xaintonge ont inuenté vne belle chose pour les tromper : car ils ont planté en certains lieux dedans la mer, plusieurs grandes et grosses perches, et en icelles ont mis des poulies, ausquelles ils attachent les cordes de leurs rets ou filets, et quand la mer s’en est allee, ils laissent couler leurs filets dessus le sable, laissans toutesfois la corde où ils sont attachez, tenant des deux bouts ausdittes poulies. Et quand la mer s’en reuient, les poissons viennent auec elle, et cherchent pasture d’vn costé et d’autre, ne se donnant point de difficulté des filets qui sont sur le sable, par ce qu’ils nagent au dessus : et quand les pescheurs voyent que la mer est preste de s’en retourner, ils leuent leurs filets iusques à la hauteur de l’eau, et les ayant attachez audites perches, le bas desdits filets est compressé de plusieurs pierres, de plomb, qui les tient roides par le bas. Les mariniers ayants tendu leurs rets et esleuez en telle sorte, attendent que la mer s’en soit allee, et comme la mer s’en veut aller, les poissons la veulent suyure, comme ils ont accoustumé : mais ils se trouuent deceus d’autant que les filets les arrestent, et par ce moyen sont pris par les pescheurs, quand la mer s’en est allee.

Et afin de ne sortir hors de nostre propos ie te donneray vn autre exemple. Il faut tenir pour chose certaine que la mer est aussi haute en esté comme en hyuer, et quand ie dirois plus, ie ne mentirois point, parce que les marees les plus hautes sont en la pleine lune du mois de Mars, et à celle du mois de Iullet : auquel temps elle couure plus de terre és parties maritimes des insulaires Xaintoniques, que non pas en nulle autre saison. Si ainsi estoit que les sources des fontaines vinssent de la mer, comment pourroient elles tarir en esté, veu que la mer n’est en rien moindre qu’en hyuer, prens garde à ce propos, et tu connoistras que si la mer alaictoit de ses tetines les fontaines de l’vnivers, elles ne pourroient iamais tarir és mois de Iullet, Aoust et Septembre, auquel temps vn nombre infiny de puits se tarissent. Il faut que ie dispute encores contre toy et tes Philosophes Latins, parce que tu ne trouues rien de bon s’il ne vient des Latins. Ie te di pour vne regle generale et certaine, que les eaux ne montent iamais plus haut que les sources d’où elles procedent[12]. Ne sçais tu pas bien qu’il y a plus de fontaines és montagnes que non pas aux vallees : et quant ainsi seroit que la mer fust aussi haute que la plus haute montagne, encores seroit il impossible que les fontaines des montagnes vinssent de la mer : et la raison est, par ce que pour amener l’eau d’vn lieu plus haut pour la faire monter en vn autre lieu aussi haut, il faut necessairement que le canal par où l’eau passe soit si bien clos qu’il ne puisse rien passer au trauers : autrement l’eau estant descenduë en la vallee elle ne remonteroit iamais és lieux hauts, mais sortiroit au prochain trou qu’elle trouueroit. À présent donc ie veux conclure que quand la mer seroit aussi haute que les montagnes, les eaux d’icelle ne pourroient aller iusques aux parties hautes des montaignes, d’où les sources procedent. Car la terre est pleine en plusieurs lieux de trouz, fentes, et abysmes, par lesquels l’eau qui viendroit de la mer sortiroit en la plaine, par les premiers trouz, sources ou abysmes qu’elle trouueroit, et au parauant qu’elle montast iusques au sommet des montagnes, toutes les plaines seroyent abysmées et couuertes d’eau : et qu’ainsi ne soit que la terre soit percée, les feux continuels, qui sortent des abysmes amenent auec soy des vapeurs sulphurees, qui en rendent tesmoignage, et ne faudroit qu’vn seul trou, ou vne seule fente, pour submerger toutes les plaines. Or va querir à présent tes Philosophes Latins pour me donner argument contraire, lequel soit aussi aisé à connoistre, comme ce que ie mets en auant.

Theorique.

Tu dis que si les sources des fontaines venoyent de la mer, que les eaux en seroyent salées, comme celles de la mer, et toutesfois l’opinion generale et commune est que les eaux se dessalent en passant par les veines de la terre.

Practique.

Ceux qui soustiennent une telle opinion n’y entendent rien : parce qu’il est plustost à croire que le sel de la mer vient de la terre, y estant porté tant par les eaux des riuieres qui se rendent en icelle, que par les flots impetueux, qui frappent violemment contre les rochers et terres salées. Car il te faut notter qu’en plusieurs pays il y a des rochers de sel. Il y a quelque autheur qui a mis en ses œuures qu’il y a un païs où les maisons sont faites de pierres de sel ; quoy consideré il te faut chercher arguments plus legitimes, pour me faire croire que les eaux des fontaines et riuieres procedent de la mer.

Théorique.

Et ie te prie fay moy donc bien entendre ton opinion, et d’où tu cuides qu’elles peuuent venir, si elles ne viennent de la mer.

Practique.

Il faut que tu croyes fermement que toutes les eaux qui sont, seront et ont esté, sont créees des le commencement du monde : Et Dieu ne voulant rien laisser en oysiueté, leur commande aller et venir et produire. Ce qu’elles font sans cesse, comme i’ay dit que la mer ne cesse d’aller et venir. Pareillement les eaux des pluyes qui tombent en hyuer remontent en esté pour retourner encores en hyuer, et les eaux et la reuerberation du Soleil et la siccité des vents frappans contre terre fait esleuer grande quantité d’eau : laquelle estant rassemblee en l’aër et formee en nuées, sont parties d’vn costé et d’autre comme les herauts enuoyez de Dieu[13]. Et les vents poussant lesdiltes vapeurs, les eaux retombent par toutes les parties de la terre, et quand il plaist à Dieu que ces nuees (qui ne sont autre chose qu’vn amas d’eau) se viennent à dissoudre, lesdittes vapeurs sont conuerties en pluies qui tombent sur la terre.

Theorique.

Veritablement ie connois à ce coup que tu es vn grand menteur, et si ainsi estoit que les eaux de la mer fussent esleuées en l’aër, et tombassent apres sur la terre, ce seroit des eaux salees, te voyla donc pris par tes paroles mesme.

Practique.

C’est fort mal theoriqué à toy : me cuides tu surprendre par ce poinct ? tu es bien loing de ton compte. Si tu auois consideré la maniere comment se fait le sel commun, tu n’eusses mis vn tel argument en auant, et s’il estoit ainsi que tu dis, l’on ne pourroit iamais faire de sel. Mais il te faut entendre que quand les sauniers ont mis l’eau de la mer dedans leurs parquetages, pour la faire congeler à la chaleur du soleil et du vent, elle ne se congeleroit iamais n’estoit la chaleur et le vent, qui esleue en haut l’eau douce, qui est entremêlée parmy la salée. Et quand l’eau douce est exalée, la salée se vient à craimer et congeler. Voyla comment ie preuue que les nuées eslevées de l’eau de la mer ne sont point salées. Car si le soleil et le vent exaloyent l’eau salée de la mer, ils pourroyent aussi exaler celle de quoy l’on fait le sel, et par ce moyen il seroit impossible de faire du sel. Voila tes argumens vaincuz.

Theorique.

Et que deuiendra donc l’opinion de tant de Philosophes qui disent que les fontaines, fleuues ou rivieres sont engendrees d’vn aër espois, qui sort du dessous des montaignes, de certaines cavernes, qui sont dans lesdittes montaignes, et disent qu’iceluy aër vient à s’espoissir, et quelque temps apres se dissoult et conuertit en eau, qui cause la source des fontaines et riuieres.

Practique.

Entends-tu bien ce que tu dis ; que c’est vn aër qui s’espoissit contre les voutes des cauernes, rochers, et que cela se vient à dissoudre en eau ? pose le cas que cela soit : toutesfois il me semble que la maniere de parler est mal propre. Tu dis que c’est un aër espoissy, et puis qu’il se dissout en eau : c’estoit donc de l’eau conforme à celle que ie dy qui est eſleuée, que l’on appelle nuées, lesquelles s’approchant pres de la terre obscurcissent l’aër par vne compression qu’elles apportent, et font que ledit aër est tellement esmeu par compression des eaux assemblées en forme de nuées. Et qu’ainsi ne soit, prens garde quand lesdites nuées sont dissoutes et reduites en pluyes, tu connoistras que les vents ne sont autre chose qu’vne compression d’aër, engendree par la descente des eaux : d’autant qu’apres que les eaux sont tombées en bas, les vents sont soudain pacifiez : et de là est venu le prouerbe que l’on dit, petite pluye abat grand vent. Ainsi donc la pluye auoit causé lesdits vents, lesquels estant pacifiez par la cheute de la pluye, deslors l’aër, qui estoit obscurcy, commence à s’esclaircir. C’est pour te faire entendre que ie ne nie pas que les eaux encloses dedans les cauernes et gouffres des montagnes ne se puissent exaller contre les rochers et voutes, qui sont au dessouz desdits gouffres : mais ie nie que ce soit la cause totale des sources des fontaines : tant s’en faut, car si tu veux considerer que depuis la creation du monde, il est sorti continuellement des fontaines, fleuues et ruisseaux desdites montagnes, tu connoistras bien qu’il est impossible que lesdites cauernes peussent fournir d’eau pour vne annee, non pas pour vn mois, autant de fleuues qui descoulent iournellement. Il faut donc conclure que les eaux qui sortent desdittes cauernes ne viennent ny de la mer ny des abysmes : car ie sçay à la verité que desdits creux des rochers il sort vne merueilleuse quantité d’eau : et en plusieurs montagnes on la void sortir comme vne grosse fumée espesse, qui en s’esleuant en haut obscurcit l’aër en se dilatant parmi iceluy d’vne part et d’autre, et quand laditte vapeur vient à se dissoudre ce n’est autre chose que pluye. I’ay veu plusieurs fois sortir de telles espoisses vapeurs au pays d’Ardenne, et ceux qui les voyoyent sortir comme moy disoyent que dans peu de temps nous aurions de la pluye, estans bien asseurez que lesdittes vapeurs se dissoudroyent en eau. I’ay veu aux montagnes Pyrenées, plusieurs fois sortir de telles vapeurs, qui estant esleuées en haut se conglaçoyent en neiges, et bien tost apres lesdittes neiges couuroyent toute la terre. Ie ne nie donc pas que les vapeurs aqueuses des cauernes souzternees ne puissent contenir grande quantité d’eaux : mais il faut nécessairement qu’elle y aye esté mise et portee par les postes et messagers de Dieu, sçauoir est, les vents, pluyes, orages et tempestes, comme il est escrit que ce sont les herauts de la iustice de Dieu. Or donc les eaux des cauernes y ont esté mises par les pluyes engendrees tant des eaux qui sont esleuees de la mer, que de la terre et de toutes les choses humides, lesquelles en dessechant les vapeurs aqueuses, sont esleuées en haut pour tomber de rechef. Voila comment les eaux ne cessent de monter et descendre ; comme le Soleil et la Lune n’ont en eux nul repos, semblablement les eaux ne cessent de trauailler à engendrer, produire, aller et venir ainsi que Dieu leur a commandé.

Theorique.

Tu as cy deuant conclud comme par vn arrest definitif, que toutes les sources des fontaines et fleuues ne procedent d’autre chose que des eaux de pluyes, chose fort esloignée de toute opinion commune ; ie te prie donne moy quelque raison qui aye apparence de verité, pour me faire croyre que ton dire soit fondé sur quelque preuue legitime.

Practique.

Au parauant que venir aux raisons, il te faut considerer la cause des montagnes, et consequemment des vallees, et ayant consideré de bien pres ces choses, tu entendras directement la raison pourquoy en certaines contrées l’on ne peut trouuer aucune source d’eau, non pas mesme souz la terre, pour faire des puits : Et quand tu auras entendu ces choses, il te sera aisé à croire que toutes fontaines ne procedent que des sources prouenantes des pluyes. Venons donc à la connoissance des montagnes, pourquoy c’est qu’elles sont plus hautes que la terre ; Il n’y a autre raison que celle de la forme de l’homme : car tout ainsi que l’homme est soustenu en sa hauteur et grandeur à cause des os, et sans iceux l’homme seroit plus acroupy qu’vne bouze de vache ; en cas pareil si ce n’estoit les pierres et les mineraux qui sont les os de la forme des montagnes, elles seroyent soudain conuerties en vallees, ou pour le moins tous pays seroyent plats et à niueau, par les faits des eaux, qui descendroyent auec elles des terres et montagnes droit aux valees. Ayant mis en ta memoire une telle consideration, tu pourras connoistre la cause pourquoy il y a plus de fontaines et riuieres procedentes des montagnes que non par du surplus de la terre ; qui n’est autre chose sinon que les roches et montagnes retiennent les eaux des pluyes comme feroit un vaisseau d’airain. Et lesdittes eaux tombantes sur lesdittes montagnes au trauers des terres et fentes, despendent tousjours, et n’ont aucun arrest iusques à ce qu’elles ayent trouué quelque lieu foncé de pierre ou rocher bien contigu ou condencé ; Et lors elles se reposent sur vn tel fond, et ayant trouué quelque canal ou autre ouuerture, elles sortent en fontaines ou en ruisseaux et fleuues, selon que l’ouuerture et les receptacles sont grands : et d’autant qu’vne telle source ne se peut ietter (contre sa nature) au montagnes, elle descend aux valées. Et combien que les commencements desdittes sources venant des montagnes ne soyent gueres grandes, il leur vient du secours de toutes parts, pour les agrandir et augmenter : et singulièrement des terres et montagnes qui sont à dextre et à senestre du cours desdittes sources. Voyla en peu de paroles la cause des sources des fontaines, fleuues et ruisseaux : et ne te faut chercher nulle autre raison que celle-là. Si les Philosophes ont escrit que les sources estoyent engendrées d’vn air espois sourdant du bas des montagnes, et que cedit air estant dissout en eau, causoit les fontaines : c’estoit donc de l’eau au parauant provenant des pluyes, estans tombees auant que remonter[14].

Venons à present à la cause pourquoy il n’y a aussi bien des sources és plats pays et campagnes comme és montagnes. Tu dois entendre que si toute la terre estoit sableuze, deliée ou spongieuse, comme les terres labourables, l’on ne trouueroit iamais source de fontaines en quelque lieu que ce fust. Car les eaux des pluyes, qui tomberoyent sur lesdittes terres, s’en iroyent tousiours en bas iusques au centre, et ne se pourroyent iamais arrester pour faire puits ny fontaines. La cause donc pourquoy les eaux se trouuent tant és sources qu’és puits, n’est autre qu’elles ont trouué vn fond de pierre ou de terre argileuse, laquelle peut tenir l’eau autant bien comme la pierre ; et si quelqu’vn cherche de l’eau dedans des terres sableuses, il n’en trouuera iamais si ce n’est qu’il y aye au dessous de l’eau quelque terre argileuse, pierre, ou ardoize, ou mineral, qui retiennent les eaux des pluyes quand elles auront passé au trauers des terres ; tu me pourras mettre en auant que tu as veu plusieurs sources sortant des terres sableuses, voire dedans les sables mesmes : À quoy ie respons, comme dessus, qu’il y a dessouz quelque fond de pierre, et que si la source monte plus hault que les sables, elle vient aussi de plus haut : et ne t’abuses point en ta seule opinion : car tu ne trouueras iamais raisons plus certaines que celle que ie t’ay mis en plusieurs endroits de ce discours, et si tu ne me veux croire, c’est à moy grande folie de t’en parler d’auantage. Parquoy ie feray fin de la cause des sources de fontaines.

Theorique.

À la verité il y a longtemps que nous sommes sur ce propos, et i’ay esté bien deçeu : par ce que dés le commencement tu m’as promis de me monstrer à faire des fontaines és lieux steriles d’eau, et en quelque part que ie voudrois ; mais iusques icy tu ne m’en as pas dit encores vn seul mot.

Practique.

Tu n’es gueres sage ; ne crois tu pas que le Medecin prudent, n’ordonnera iamais vne medecine à vn malade, si premierement il ne connoist la cause de la maladie ? en cas pareil ne faloit il point que, au parauant que t’apprendre à faire des fontaines, ie te montrasse la cause de celles qui se font naturellement ? Ne sçais-tu pas que ie t’ay promis dés le commencement de t’apprendre à faire des fontaines à l’imitation de celles du souuerain fontenier ? et comment cela se pourroit il faire sans premierement contempler les natures ? voila pourquoy ie t’ay voulu inciter à te faire entrer en vne telle contemplation. Et combien que cy deuant ie t’aye beaucoup parlé de l’essence des sources, si est ce que ie te veux encore faire entendre qu’il est impossible qu’elles puissent proceder de la mer, pour vne cause que i’ay oublié à dire cy deuant, qui est qu’il n’y a rien de vuide sous le ciel, et que lors que la mer se retire des canaux, concauitez, trous ou voyes où elle estoit entree quand elle estoit haute, les eaux n’ont pas si tost laissé lesdits trous ou canaux vuides, qu’ils ne soyent remplis d’aër, et si l’eau retournant de la mer vient à enclorre et enfermer l’aër qui aura pris possession en son absence dans lesdits trous, iceluy y fera obstacle à l’eau s’il ne trouue quelque subtile aspiration, pour luy ceder place : et si cela se fait en vne fiole de verre tant soit elle petite ou grande, combien cuides tu que cela se peut faire plus asseurement en vn canal d’eau qui iroit depuis la mer iusques aux montagnes d’Auuergne ? si tu dis que entre les montaignes et la mer il y peut avoir quelques subtiles aspirations par lesquelles l’aër s’en pourra fuir au deuant de l’eau, ie respons que si l’aër y passe, l’eau passera aussi : et est certain que l’eau de la mer vient d’vne telle vitesse, que quand il y auroit vn canal bien clos depuis la mer iusques aux montagnes, et qu’elle fut aussi haute que les montaignes, si est ce que l’eau ne pourroit venir iusques ausdites montaignes, qu’elle ne fit creuer le canal, à cause de la grande distance et de l’aër enclos auec elle. Et comme i’ay dit vne autrefois, si cela se pouuoit faire, les riuieres, fontaines et sources des montaignes, tariroyent quand la mer s’en seroit allee, qui est vne regle aussi certaine que celle que i’ay dit cy dessus, asçauoir que si les fontaines et riuieres venoyent de la mer, les eaux seroyent salees. I’ay encores vne exemple singuliere, et pour la derniere de ce propos, qui est qu’aux pays et isles de Xaintonge limitrophes de la mer, il y a en plusieurs bourgs et villages, des puits doux et des puits salez, l’on peut connoistre clairement par là que les puits dont les eaux sont salees, sont abreuuez de l’eau de la mer, et les puits d’eau douce, qui sont pres des salees, et aussi pres de la mer, sont abreuuez des esgouts des pluyes qui viennent de la partie contraire de la mer. Et qui plus est, et bien à noter, il y a plusieurs petites isles, enuironnees et entourees d’eau de la mer, mesme quelques vnes qui ne contiennent pas un arpent de terre ferme, esquelles il y a des puits d’eau douce ; ce qui donne clairement à connoistre que lesdites eaux douces ne prouiennent ny de source ny de la mer : ains des esgouts des pluyes, trauersant les terres iusques à ce qu’elles ayent trouué fond, ainsi que ie t’ay desia dit. Apres que i’eus conneu sans nulle doute que les eaux des fontaines naturelles estoyent causees et engendrees par les pluyes, i’ay pensé que c’estoit vne grande ignorance à ceux qui possedent heritages steriles d’eaux, qu’ils n’auisoyent les moyens de faire des fontaines : veu et entendu que Dieu enuoye des eaux autant bien sur les terres sableuses que sur les autres, et qu’il faut bien peu de science pour la sçauoir recueillir. Si les antiques n’eussent autrement contemplé les œuures de Dieu, ils se fussent nourris de la pasture des bestes, ils eussent seulement pris les fruits des champs tels qu’ils fussent venus sans labeur : mais ils se sont voulus sagement exercer à planter, semer et cultiuer, pour aider à nature, c’est pourquoy les premiers inuenteurs de quelque chose de bon, pour aider à nature, ont esté tant estimez par nos predecesseurs, qu’ils les ont reputez estre participans de l’esprit de Dieu. Ceres laquelle s’aduisa de semer et cultiuer le bled, a esté appelee deesse ; Bachus homme de bien (non point yurongne comme les Peintres le font) fut exalté parce qu’il s’auisa de planter et cultiuer la vigne : Priapus en cas pareil, pour auoir inuenté le partage des terres, afin que chacun cultiuast sa part : Neptune pour auoir inuenté la nauigation, et consequemment tous inuenteurs des choses vtiles, ont esté estimez estre participans des dons de Dieu. Bachus auoit bien trouué des raisins sauuages, Ceres auoit bien trouué du bled sauuage ; mais cela ne suffisoit pas pour les nourrir suauement, comme quand les choses furent transplantees. Nous connoissons par là que Dieu veut que l’on trauaille, pour aider à nature, comme ainsi soit que toutes choses transplantees sont beaucoup plus suaves que non pas les sauuages : et veu que Dieu nous enuoye de l’eau pure et nette, iusques à nos portes, qui ne couste rien qu’à luy preparer lieu pour recueillir : ne sera ce pas à nous vne grande paresse, apres auoir veu une bonne inuention pour recueillir les eaux que Dieu nous enuoye, de croupir en nostre paresse, sans daigner receuoir vne telle benediction ? or ie feray mon deuoir suyuant la promesse que ie t’ay faicte, protestant que si tu la mesprises tu és indigne de iamais ioüir du benefice des eaux de fontaines ; ie di partant que tu ayes quelque heritage auquel tu puisses recueillir des eaux, ainsi que ie te feray entendre.

Theorique.

Ie te prie donc ne me faire plus languir, mais me monstrer promptement le moyen d’y proceder.

Practique.

Ie ne te puis sagement instruire, que ie n’aye entendu de toy si le lieu où tu veux faire ta fontaine est montueux ou plat : par ce que selon la commodité du lieu, il faut que la chose soit dessignée, ou autrement l’on trauailleroit en vain.

Theorique.

I’ay vne maison champestre aupres de laquelle y a vne montaigne assez roide, et ma maison est pres du pied de laditte montaigne.

Practique.

Si ainsi est, tu as vne grande commodité pour construire ta fontaine à peu de frais, et te diray comment ; il n’est point de montaigne qui ne soit foncée de rochers, comme ie t’ay dit plusieurs fois. Tu te peux donc asseurer que si tu prens garde qu’il n’y ait quelque trou ou fente le long de la montagne, tu pourras recueillir grande quantité d’eau, et la faire descendre iusques aupres de ta maison. Prens donc garde qu’il n’y aye quelque ouuerture, par laquelle ton eau se puisse perdre, et s’il y en a, ferme la de pierres et de terre, et puis rempares la circonference à dextre et à senestre du lieu que tu auras destiné pour receuoir les eaux des pluyes : Et ayant ainsi fait vn rempart en maniere de chaussée, toute l’eau qui tombera dedans ton enclos se viendra rendre au lieu que tu luy auras preparé : Et ce fait, tu feras deux receptacles, l’un apres l’autre : le second sera plus bas que le premier : afin que l’eau du premier, estant desia purifiée, se vienne rendre au second. Et pour purifier les eaux, faut qu’elles passent au trauers d’vne quantité de sable, que tu auras mis au deuant du premier receptacle, et faut maçonner les pierres du premier receptacle sans mortier, afin que les eaux puissent passer iusques au second, ou bien faire quelque grille d’airain, ou une platine percee de petits trous, afin qu’il ne passe rien que l’eau ; et ainsi quand elle aura passé au trauers le sable, et par le premier receptacle, elle sera bien affinee quand elle se rendra au second ; et au bas d’iceluy, pource que le premier receptacle sera grand, et descouuert en l’air comme vn estang, il faudra faire un troisiesme degré plus bas que les deux autres, duquel sortiront les eaux pour l’vsage de la maison : si tu veux enrichir la face du receptacle du costé que tu tires l’eau, tu le pourras enrichir de telle beauté que bon te semblera, soit en façon de roc ou autrement ; et si tu pourras planter des arbres à dextre et à senestre que tu feras courber en forme de tonnelle ou cabinet, pour donner beauté à ta fontaine.

Théorique.

Voyre : mais si ma maison estoit un Chasteau entouré de fossez, cela ne me pourroit seruir.

Practique.

Si ainsi estoit, il faudroit amener l’eau du receptacle par tuyaux iusques au dedans du chasteau, tout ainsi que tu vois les fontaines de Paris, et celles de la Royne, que l’on fait passer au trauers les fossez, par dedans certaines pieces de bois, qui sont creusees pour cest effect, et sont couuertes par dessus, et y a dedans vn tuyau de plomb par où l’eau desdittes fontaines passe.

Théorique.

Ie connois à ce coup qu’il y a quelque apparence de verité en ton dire : toutesfois quand i’aurois fait tout ce que tu dis, ie n’aurois rien fait sinon vne cisterne ; ie me tiens tout asseuré que tous ceux qui verroyent ma fontaine ne l’appelleroyent point autrement.

Practique.

Mais penses-tu conoistre la verité ny le poids de mes paroles, si tu n’as souuenance de ce que i’ay dit au parauant, de la cause des sources naturelles ? Il est bien certain que si tu ne retiens qu’vne partie de tout ce que ie di tu n’entendras rien : Mais toute personne qui entendra les beaux exemples et preuues singulieres que ie t’ay dites cy deuant, il confessera tousiours que la fontaine que ie te veux monstrer à faire ne peut estre appellee cisterne : Ains à bon droit elle sera appellée fontaine naturelle ; d’autant que l’eau qu’elle iettera procede du mesme tresor que les autres fontaines. Et n’y a nulle difference sinon deux points ; le premier est que l’on a aydé à recueillir, ou pour mieux dire receuoir le bien qui nous est presenté : Mais qu’est ce que ie di ; n’y a il point de peine ? et ne fait on point de frais pour amener les sources naturelles dedans les villes et chasteaux ? ne faut il pas aussi bien de la maçonnerie comme à celle que ie te monstre à faire ? et qui est celuy qui la pourra legitimement appeller cisterne ? veu qu’elle n’a rien moins que les fontaines naturelles : Ie t’ai dit qu’elle estoit toute semblable aux naturelles, excepté deux points : le premier est, comme i’ay dit, que l’on a aidé à nature : tout ainsi que semer le bled, tailler et labourer la vigne, n’est autre chose qu’aider à nature : Le second est de grand poids, et ne peut estre entendu si tu n’as bien retenu le commencement de mes propos, et l’ayant bien entendu tu pourras iuger par les preuves que i’ay alleguées, que nulle des fontaines naturelles ne sçauroyent produire eaux desquelles on puisse estre asseuré qu’elles soyent bonnes, comme de celle que ie te monstre à faire. La raison est, comme tu peux auoir entendu, que toute la terre est pleine de diuerses especes de sels et de mineraux, et qu’il est impossible que les eaux passans par les conduits des rochers et veines de la terre, n’amenent auec elles quelque sel ou mineral veneneux, ce que ne peut estre en l’eau de la fontaine que ie t’apprens à faire. Item, tu sçais bien que c’est vne regle generale, que les eaux les plus legeres sont les meilleures : ie te demande, y a il des eaux plus legeres que celles des pluyes ? ie t’ay dit par cy deuant qu’elles sont montées au parauant que descendre, et cela a esté fait par la vertu d’vne chaude exalation : or les eaux qui sont montées ne peuuent porter en elles que bien peu de substance terrestre, et encores moins de substance minerale. Et ceste eau, qui est ainsi legerement montee par exalation, redescend sur les terres, lesquelles tu sçais bien qui sont nettes de tous mineraux et autres choses qui peuuent rendre les eaux mauuaises. Voila pourquoy ie puis conclure que les eaux des fontaines faites selon mon dessein, seront plus asseurement bonnes, que non pas les naturelles, et ne deuront point estre appellees autrement que fontaines naturelles : et tout ainsi que les arbres fruitiers ne peuuent changer de nom pour estre entez et transplantez, aussi mes fontaines ne peuuent changer de nom pour estre meilleures que les autres, et s’il estoit loisible de leur changer de nom, il faudroit appeller les sources naturelles sauuages au regard de celles que ie te monstre : Tout ainsi que les arbres fruitiers qui croissent naturellement és bois, sont appellez sauuages : et estant transplantez on les appelle francs. Et pour te faire mieux connoistre que les eaux des pluyes sont les plus legeres, et par consequent les meilleures, interroge vn peu les teinturiers et les affineurs de sucre, ils diront que les eaux des pluyes sont les meilleures pour leurs affaires, et pour plusieurs autres choses. Si tu ne veux croire tant de belles preuues que ie t’ay amenees, ie te renuoye voir le grand Victruue, qui est celuy de tous ceux qui ont parlé des eaux, qui en parle le plus sainement : il preuue dans son liure, par raisons suffisantes, que l’eau des pluyes est la meilleure et la plus saine.

Theorique.

Ie connois à présent que ce que tu dis est fort aisé à faire, et que les eaux de telles fontaines seront asseurement bonnes. Mais ie crain vne difficulté, qui est que quand il pleut asprement de pluye d’orage, les eaux qui descendent violemment du haut de la montaigne ne viennent à amener grande quantité de terres, sables et autres choses, qui empeschent le cours de la fontaine, ou bien des eaux qui se pourroyent rendre en icelle.

Practique.

Pour vray ie connois à ce coup que tu n’es pas aliené de iugement, et par ce que ie voy que tu es attentif à mes paroles, ie te feray cy apres vn pourtrait ou dessein conuenable pour la place ou lieu que tu m’as fait entendre, pour faire ta fontaine. Et pour obvier à la malice des grandes eaux qui se pourroyent assembler en peu d’heures par quelque tempeste, il faut qu’apres que tu auras designé ton parterre pour receuoir les eaux, tu mettes des grosses pierres au trauers des plus profonds canaux qui viennent en ton parterre. Et par tel moyen, la violence des eaux et rauines sera amortie, et ton eau se rendra paisiblement dans tes receptacles.

Theorique.

Ie te demande si le long de la montaigne que ie veux choisir pour le parterre, il y a des arbres, faudra il les couper ?

Practique.

Nenny de par Dieu, donne t’en bien garde : car lesdits arbres te seruiront beaucoup en cest affaire. Il se treuue en plusieurs parties de la France, et singulierement à Nantes, des ponts de bois, que pour desrompre la violence des eaux et glaces qui pourroyent offenser les pilliers desdits ponts, l’on a mis grande quantité de bois debout, au deuant desdits pilliers : par ce que sans cela ils seroyent de peu de duree. Semblablement les arbres qui sont plantez le long de la montaigne, où tu veux faire ton parterre, seruiront beaucoup pour abattre la trop grande violence des eaux, et tant s’en faut que ie te conseille de les coupper, que s’il n’y en auoit point ie te conseillerois d’y en planter : car ils te seruiroyent pour empescher que les eaux ne puissent concauer la terre : et par tel moyen l’herbage sera conserué, au long duquel herbage les eaux descendront fort doucement droit à ton receptacle : Et te faut noter vn poinct singulier, lequel n’est conneu que de peu de gens, qui est que les fueilles des arbres qui tomberont dedans le parterre et les herbes croissantes au dessouz, et singulierement les fruicts, s’il y en a aux arbres, estant putrifiees, les eaux du parterre attireront le sel desdits fruicts, fueilles et herbages, lequel rendra beaucoup meilleure l’eau de tes fontaines, et empeschera toute putrefaction. Quand nous parlerons des sels tu pourras plus clairement connoistre ce poinct : parquoy ie ne t’en diray plus.

Theorique.

I’ay vne autre maison champestre : mais la montagne est bien à demy quart de lieüe à costé de ma maison : n’y auroit il point de moyen d’y faire venir la fontaine ? car quand les eaux descendent, elles s’en vont tomber dedans des prairies assez loing de ma maison.

Practique.

N’as tu pas moyen de remparer les eaux au pied de la montagne, et leur faire prendre le chemin vers le costé de ton heritage ? et quand tu les auras amenées jusques à la plaine, deuers le costé de ta maison, il te les faudra amener le surplus du chemin par tuyaux de plomb, de terre, ou de bois : tu feras bien cela ; c’est chose bien aisée.

Theorique.

Et si ie voulois faire vne fontaine en vn lieu champestre, que la terre fut à niueau, comme l’on voit communement aux campagnes, y auroit il quelque moyen d’en faire ?

Practique.

Ouy bien : mais c’est à plus grand frais que non pas és montagnes : d’autant que là où la place est droicte, il luy faut donner pente à force d’hommes.

Theorique.

Comment est il possible de luy donner pente si elle n’y est de nature ?

Practique.

Encores n’est ce pas le pis : car il est bien aisé de donner pente à force d’hommes : Mais le pis est qu’estant haussée d’vn costé et abaissée de l’autre, il la faut necessairement pauer : car autrement tout ne vaudroit rien.

Theorique.

Il faut donc conclure tout en vn coup que cela ne se peut faire : parquoy il n’en faut plus parler.

Practique.

Si fait, si fait : et la chose est bien aysée, moyennant que l’on veuille employer du temps et de l’argent.

Theorique.

Ie te prie me dire comment tu y voudrois proceder.

Practique.

Ie voudrois, en premier lieu, choisir vn champ bien pres de la maison, et selon la grandeur de ma famille ie voudrois faire mon parterre, et ayant tendu mes cordeaux, i’aurois vn nombre de mercenaires, ausquels ie ferois oster la terre du bout prochain de la maison où ie voudrois faire les receptacles, et la ferois porter à l’autre bout de mon parterre, et par ce moyen ie n’aurois pas si tost baissé la partie prochaine de la maison de deux pieds, que l’autre partie ne se trouuast plus haute de quatre pieds, qui seroit vne hauteur assez capable pour amener toutes les eaux des pluyes qui tomberoyent dedans ton parterre, les frais de cela ne sont pas si grands qu’ils vaillent le disputer. Mais quant aux frais du paué, il pourroit couster plus ou moins, selon la commodité des estoffes qui se trouueront pres du lieu.

Theorique.

Et quel besoing est il de pauer ce parterre ?

Practique.

Par ce que tu m’as dit que c’est vn pays plat, et que tu as tasché à y faire des puits, où tes predecesseurs et toy auez beaucoup despendu, et si n’auez sçeu trouuer d’eau, ie t’ay dit cy deuant que si toutes terres estoyent sableuses et spongieuses, que les eaux des pluyes passeroyent soudain, qu’elles seroyent cheutes : et que si toutes terres estoyent ainsi, que iamais ne pourroit y auoir source de fontaine, et que les fontaines ne sont causees que de ce que les terres sont foncées de pierre, ou de quelque minerai. Pour ces causes quand tu aurois fait apporter les terres du bout de ton parterre à l’autre, et qu’il seroit tout preparé à receuoir les pluyes, cela ne te seruiroit de rien : parce qu’elles ne trouueroyent rien qui les peut arrester : voyla pourquoi ie t’ay dit qu’il faut necessairement que ton parterre soit paué, afin qu’il puisse contenir l’eau. Ie n’entens pas qu’il faille que ce soit vn paué taillé ny choisi de pierres dures, comme celuy des villes, ny assis auec du sable, s’il ne se trouue sur le lieu, ains les poser toutes cornues auec de la terre simplement[15]. Voyla comment ie l’entends : afin que tu ne penses que la despence soit si grande ; et s’il se trouue de la pierre plate, comme l’on voit en plusieurs contrees, il les faut mettre de plat, afin qu’elles tiennent plus de place ; pourueu qu’elles puissent empescher que les terres ne boyuent l’eau, c’est tout vn, comment elles seront mises.

Theorique.

Et si ie veux eriger ma fontaine en quelque lieu où il n’y aye point de pierre ?

Practique.

S’il n’y a point de pierre, fonce la de brique.

Theorique.

Et s’il n’y a ny pierre ny brique ?

Practique.

Fonce la de terre argileuse.

Theorique.

Et comment ? la terre argileuse ne boira elle point l’eau comme l’autre terre ?

Practique.

Non : car si les eaux pouuoyent passer au trauers des terres argileuses l’on ne pourroit iamais faire du sel à la chaleur du Soleil. Qu’ainsi ne soit, les champs et parquetages des maraiz salans, sont foncez de terre argileuse, et par ce moyen l’eau de la mer, qui est enclose dedans lesdits parquetages, y est contenue pour estre congelée et reduite en sel. Mais il te faut noter que les terres argileuses de quoy l’on se sert pour tenir lesdites eaux, faut qu’elles soyent conroyees, comme ie te diray le moyen duquel ceux des isles vsent pour la conroyer. Premierement, ils ont vn nombre de cheuaux attachez à la queue l’vn de l’autre tout d’vn rang, et au premier cheual, pour la conduite d’iceux, y a vn homme qui tient la bride d’vne main, et de l’autre les touche tout à coup d’vn fouët, les faisant pourmener tout le long de la place, iusques à ce qu’elle soit bien conroyée : apres ils l’applanissent, et la mettent en telle forme qu’elle leur puisse seruir à tenir les eaux. Et pource ie t’ay dit que tu pourrois foncer ton parterre de terre argileuse, par faute de pierre, ou de brique, ie te parleray plus amplement de cecy en traitant du sel commun.

Theorique.

Et si mon parterre estoit paué de pierre, de brique, ou de terre d’argile, mon champ ne me pourroit seruir sinon pour receuoir les eaux, et ce seroit grand dommage à vn panure homme, qui n’auroit qu’vn peu de terre, de l’employer en vne fontaine seulement.

Practique.

Si tu me veux croire, ledit parterre te portera grand profit et vtilité ; à sçauoir en y plantant grand nombre d’arbres fruitiers de toutes especes, et les planter par lignes directes, et puis paueras ton parterre, et à l’endroit d’vn chacun arbre, tu laisseras trois ou quatre pouces de terre sans estre paué, afin que ledit paué n’empesche l’accroissement des arbres. Et quand cela sera fait tu pourras faire apporter sur ledit paué, de la terre iusques à vn pied de haut et d’auantage ; apres tu pourras semer telle espece de legumes que tu voudras, et par ce moyen les arbres croistront, et la terre fructifiera, et te portera plusieurs fruits, et mesme du bois pour te chauffer ; et n’y aura piece de terre de si grand reuenu, parce qu’elle seruira à plusieurs choses. Premierement pour les fontaines, secondement pour les fruits, tiercement pour le bois, quartement pour les choses que tu semeras audit parterre : que si tu n’y veux rien semer de ce que nous auons dit, semes y du foing lequel seruira de pasturage : et pour la fin, ce sera vn pourmenoir fort delectable, or voyla vne piece de terre qui portera cinq belles commoditez.

Theorique.

Voire mais si ie couure ledit parterre paué de terre, et que ie seme quelque chose dessus, les eaux qui passeront submergeront les semences que i’y auray semées.

Practique.

Tu as fort mal retenu le propos que ie t’ay dit plusieurs fois, que les terres spongieuses et labourées ne peuuent contenir l’eau, parquoy tu dois entendre que les pluyes qui tomberont dedans ton parterre descendront à trauers des terres iusques sur le paué et trouuant la pente d’iceluy, descendront iusques au sable qui sera ioignant les receptacles, et en continuant passeront à trauers des sables, pour se rendre iusques au premier. Cela te doit bien faire considerer que les eaux des pluyes qui tombent par les montagnes, terriers et toutes places qui ont inclination vers le costé des riuieres ou fontaines, ne s’y rendent pas si soudain. Car si ainsi estoit toutes sources tariroyent en Esté : mais par ce que les eaux qui sont tombees durant l’Hyuer sur les terres ne peuuent passer promptement, mais petit à petit descendent iusques à ce qu’elles ayent trouué la terre foncée de quelque chose, et quand elles ont trouué le roc elles suyuent la partie inclinée, se rendant és riuieres, de là vient qu’au dessouz desdites riuieres, il y a plusieurs sources continuelles : et par ainsi, ne pouuant passer que peu à peu, toutes sources sont entretenues depuis la fin d’vn hyuer iusques à l’autre.

Theorique.

Tu m’as donné le desseing de trois fontaines, deux és montaignes et vne en plat pays : mais d’autant que celle du plat pays ne se peut faire sans frais, et tous n’ont pas la commodité des montagnes, ne me sçaurois tu donner quelque inuention, de laquelle les laboureurs se puissent aider en plat pays, sans estre contrains de pauer la sole ? parce que tous n’ont pas la puissance d’auoir du paué : mesme qu’il y a plusieurs campagnes où l’on ne sçauroit trouuer ny pierre, ny brique, ny terre argileuse.

Practique.

Si i’estois homme de village, et que mon habitation fut en plaine campagne, i’aurois espoir de trouuer moyen de faire quelque fontaine pour la prouision de ma famille.

Theorique.

Ie te prie me dire comment tu voudrois faire.

Practique.

I’eslirois quelque piece de terre prochaine de ma maison, et l’ayant haussée d’vn bout, comme i’ay dit cy deuant, ie voudrois auoir certains maillets de bois, et battrois la terre fort vnie : et estant ainsi battue et bien dressée, ie ferois les deux receptacles que i’ay dit cy dessus, et chercherois en quelque part, soit prez ou bois, quelque terre qui fut bien espoisse d’herbe, et d’icelles ie ferois vn si grand nombre de gazons, que i’en aurois pour foncer tout le dedans de mon parterre, et afin que les racines des herbes entrassent d’vn gazon à l’autre ie remplirois toutes les iointures de terre fine, et par tel moyen les racines des gazons passeroient de l’vne à l’autre, et lors ce seroit vn paué de pré qui ameneroit les eaux iusques au receptacle, par le moyen de son inclination.

Theorique.

Et cuides tu que les eaux des pluyes ne puissent passer au trauers desdits gazons, ou pour mieux dire, que les terres les boiroyent sans leur donner le loisir de se rendre au receptacle ?

Practique.

Et penses tu que ie te baille vn tel conseil sans auoir premierement contemplé les prées naturelles. I’en ay veu pres d’vn millier qui n’auoyent pas trois pieds de pente, ou toutesfois les eaux des pluyes se rendoyent en la partie basse de la prée, et demeuroyent là vn bien long temps au parauant que la terre les eut succees. Car la quantité des herbes et racines empesche que la terre ne puisse succer l’eau comme les terres labourees, ie ne di pas que les fentes qui suruiennent en esté à cause de la siccité ne puissent boire une partie des eaux, quand les terres sont alterées : mais l’inclination ou pente du parterre, cause que la plus grand part des eaux qui tombent se rendent soudain entre les sables qui sont au dessus du premier receptacle. Si tu auois seulement bordé ton parterre de plusieurs especes d’arbres, cela donneroit ombrage audit parterre : afin que le soleil ne fit fendre lesdits gazons. Item, ie voudrois laisser croistre l’herbe desdits gazons, sans la couper, et les pluyes descendantes du haut du parterre en bas, feroyent coucher ton herbage, et lors elle seruiroit de couuerture aux fentes de la terre. Et quand lesdites herbes se putrefieroyent, leur sel seroit amené par les eaux dedans le receptacle qui causeroit vne bonté és eaux, comme i’ay dit.

Theorique.

Tu m’as donné tant de raisons que ie suis contraint de confesser que les fontaines naturelles ne procedent que des eaux des pluyes, toutesfois i’ay veu de si grandes sources qu’elles faisoyent moudre des moulins, et d’autres qui estoyent commencement de riuieres, et cela ne se peut faire qu’il n’y aye quelque autre cause que les pluyes.

Practique.

Tu t’abuses ; par ce que tu n’entends pas que celles des grandes sources viennent de bien loing, à cause qu’elles trouuent la continuation des rochers fort grande, et ayant trouué vn canal naturel, lequel les eaux mesmes auront fait par longue espace de temps, tout ainsi que tu vois que dans les grandes riuieres il se rend plusieurs petites riuieres : ce qui se fait en cas pareil dedans la matrice des montagnes : y ayant des canaux principaux qui amenent les sources, ausquels s’en rendent plusieurs autres. Cela se fait, di-ie, aussi bien dans les montaignes interieurement comme il se fait visiblement à toutes riuieres. Et ne cherche plus la cause de la grandeur ou petitesse des sources ; car tu ne trouueras nul qui t’en puisse donner d’autre plus veritable.

Theorique.

Et si le champ lequel i’aurois mis en parterre pour recueillir les eaux à fournir ma fontaine, ne suffit pour toute l’annee, et qu’elles viennent à tarir aux grandes chaleurs, par quel moyen pourroy-ie obuier au defaut desdites eaux ?

Practique.

Le moyen est fort aisé, et ne faut pas grand esprit pour la connoistre. Si ton parterre ne suffit, aioustes y encores vne piece de champ : et le paue en cas pareil que ie t’ay dit : et par tel moyen tu n’auras iamais faute d’eau.

Theorique.

Ie n’ay pas encores entendu vn poinct principal, à sçauoir si ceste fontaine sourdera continuellement ou bien si l’eau se doit tirer par un Robinet.

Practique.

Ie t’ay dit cy deuant qu’en la face de ta fontaine tu mettrois telle beauté ou enrichissement que bon te sembleroit, et qu’il faudroit vn robinet en ladite face.

Theorique.

Et si ainsi est, il me faudra tirer l’eau comme le vin d’vn tonneau, et pour ceste cause ne se pourra appeller fontaine. Car les fontaines naturelles sourdent tousiours.

Practique.

Si iamais ie n’auois veu de fontaines tu me ferois accroire beaucoup de choses : et ne sçait on pas bien que celles de Paris et vn millier d’autres se tirent par robinets ?

Theorique.

Voire, mais tu m’as dit que les fontaines que tu m’apprend à faire seruiront pour moy et pour mes bestes ; veux-tu qu’elles aillent tendre la gueule au dessouz du robinet ?

Practique.

Ie ne sçay comment tu oses faire une telle demande. Ne sçaurois tu faire quelque receptacle à costé, hors le chemin de ta fontaine, pour retirer de l’eau afin d’en abreuuer ton bestail ? ie ferois vn robinet à part sur le coing de la fontaine, et quand il faudroit abreuuer le bestail il le faudroit ouurir et le laisser descouler dedans l’abreuuoir, et alors tes bestes boiroyent de l’eau fresche, pure et nette.

Theorique.

Voire, mais ce seroit dommage d’employer tant de terre pour seruir seulement en fontaine.

Practique.

Ie ne connus iamais homme de si peu d’esprit : estimes tu si peu de chose l’vtilité des fontaines ? y a-il quelque chose en ce monde plus necessaire ? ne sçais tu pas que l’eau est l’vn des elements, voire le premier entre tous, sans lequel nulle chose ne pourroit prendre commencement ? ie dy nulle chose animee, ny vegetatiue, ny minerale, ne mesmes les pierres, comme ie te feray entendre en parlant d’icelles.

Item, ie t’ay dit que tu pourras planter toutes especes d’arbres dedans le parterre : et si ainsi est, estimes tu vne terre inutile de produire arbres fruictiers ou autres ? il faut à present que ie te face vn long discours de ton ignorance, et de cent mil autres, laquelle ie ne puis assez detester, et mon esprit n’est pas capable de crier assez contre vne telle ignorance. Premierement regarde que c’est que ie t’ay dit, que l’homme ny la beste ne sçauroyent viure sans eau. Aussi dis-ie qu’ils ne sçauroyent viure sans feu : voila pourquoy ie di que quand ton parterre ne seruiroit que d’apporter du bois, ce seroit la plus belle chose que tu sçaurois auoir en ton heritage. Ie t’ay dit cy dessus que tu pourras recueillir du bois, des fruits, et de toutes especes de pasturages dans ton parterre, sans que les eaux en soyent aucunement desbauchées. Cuides tu que ce soit peu de chose à l’homme prudent, qui considerera l’utilité du bois, et qui sur toutes choses s’estudiera d’en auoir en son heritage ? que sçaurois-tu faire sans bois ? feras tu cuire ton disner au soleil ? ie te prie, considere vn peu si tu trouueras quelqu’vn de quelque estat que ce soit qui s’en puisse passer. Regarde qu’il y a peu d’artisans qui ne gaignent leur vie par le moyen du bois. Si tu veux bastir des maisons il faut du bois tant pour les poutres, soliues, que cheurons, pour cuire la chaux, pour faire la massonnerie ; s’il est question de faire outils et instruments pour trauailler de quelque estat que ce soit, il faut du charbon pour les forger. S’il est question de nauiger pour trafiquer en pays estranges, il faut du bois pour faire les nauires, s’il est question d’auoir des armes de defence, il les faut monter de bois. Il faut du bois pour faire les chariots et charettes, les mareschaux, serruriers, orfeures, et tous ceux qui besongnent de charbon, quel estat prendront ils pour se passer de bois ? Bref, s’il est question de faire des moulins, de conroyer les cuirs, de faire les teintures, de faire des tonneaux à mettre du vin et autres choses, desquelles on ne se peut passer, pour toutes ces choses il faut necessairement du bois. Quand est des fruits, comme poires, pommes, cerises, chastaignes, prunes, et autres especes, d’où les recueillera on si on ne plante des arbres ? Si ie voulois mestre par escrit combien la necessité du bois est grande, et comme il est impossible de s’en passer, ie n’aurois iamais fait.

AVERTISSEMENT AV GOUVERNEUR ET
habitans de Iaques Pauly (Jacopolis), autrement nommé Broüage[16]



E n poursuiuant le discours des fontaines, i’ay trouué bon d’aduertir par cest escrit le gouuerneur de Broüage, du beau moyen et utilité qui est audit lieu, pour faire vne fontaine selon mon desseing, et à peu de frais, d’autant qu’audit lieu il y a commencement des bois des pompes tout percé qui ne reste qu’à les emboister l’vn dans l’autre, depuis les bois d’Yers iusques au lieu de Iaques Pauly, autrement Broüage ; la pente du lieu est si commode que l’on pourroit faire pisser vne fontaine plus d’vne lance haute audit lieu de Iaques Pauly, et cela di-ie pour auoir entendu la grande indigence d’eau que l’on a eu audit lieu durant vn siege qui a esté fait de nostre temps deuant laditte ville.

  1. G. pense que ce dieu des maçons était Philibert Delorme, et que le haut jardin que désigne Palissy était celui de Meudon, construit pour le cardinal Charles de Lorraine, et modifié depuis par Mansard et Le Nôtre.
  2. Voici le passage de Sleidan : « Vers le même temps, l’électeur de Saxe et le landgrave de Hesse publièrent un écrit où ils disoient qu’ils avoient appris de gens dignes de foi, que le Pape qui étoit l’Antéchrist Romain, l’organe de Satan, et l’auteur de cette guerre, et qui quelques années auparavant avoit envoyé des incendiaires en Saxe qui y avoient causé de grands dommages, y avoit fait présentement passer des empoisonneurs pour empoisonner les puits et les étangs, afin de faire périr par le poison ceux qu’ils n’avoient pu détruire par le fer et les armes » [Histoire de la Réformation, ou Mémoire de Jean Sleidan sur l’état de la religion et de la république sous l’empire de Charles-Quint  ; 1767, t. II, p. 360). Une note de le Courrayer, traducteur de Sleidan, relative à ce passage, montre l’absurdité des soupçons populaires à ce sujet. “La quantité de poison qui serait nécessaire, dit-il, pour le succès d’une telle scélératesse, rend la chose incroyable, lors même qu’il y aurait des gens assez méchants pour donner une telle commission ou pour s’en charger.” Cette croyance n’en était pas moins très-répandue parmi le peuple à l’époque des guerres de religion.
  3. Les accidents d’asphyxie causés par l’accumulation de gaz délétères au fond de certains puits, passaient alors pour l’effet d’un poison dont chaque parti accusait l’autre d’avoir infecté les eaux potables.
  4. Il s’agit encore de Philibert Delorme, architecte et intendant des bâtiments de Catherine de Médicis.
  5. Palissy jette ici le blâme sur les travaux exécutés à Saint-Cloud par Nicolas Wasser-Hun, Jean de Sponde et Paul de La Treille, privilégiés par lettres patentes de Roi Henri III, du 7 mars 1585. Ce privilége, assez curieux par les projets qu’annonçaient les inventeurs, fut imprimé chez Frédéric Morel, in-12, 1585. Il est rapporté par Gobet, dans l’édition de 1777, p. 675.
  6. On ne peut mieux raisonner sur cette matière ; et c’est là la veritable manière d’envisager les eaux de source, qui sont toutes plus ou moins minéralisées par les substances répandues au milieu des terrains qu’elles traversent.
  7. Traduct. d’Amyot, cxxiii.
  8. On voit par ce passage remarquable combien Palissy, en observant tous ces faits, se trouvait près de la théorie de l’ébullition, de l’augmentation du volume des liquides par la chaleur, de la dilatation des gaz par la température, et enfin de la puissance de la vapeur.
  9. Palissy avait probablement appris ce phénomène dans Vitruve. « La force du soufle (de l’air), dit celui-ci, est en raison de la chaleur. C’est ce que nous apprend l’expérience des éolipyles : boules d’airain, ayant un très-petit orifice par lequel on les remplit d’eau. On place ces éolipyles, pleins d’eau, auprès du feu ; tant qu’ils ne sont pas chauds on n’observe rien, mais dès qu’ils commencent à s’échauffer ils émettent un souffle véhément. » (Vitruv. archit., I, 6.)
  10. Dans le siècle suivant, R. Boyle mit à profit cette remarque de Palissy pour activer la combustion du charbon.
  11. Palissy est évidemment le premier qui, par suite de ses observations, ait été amené à attribuer l’origine des eaux de source aux infiltrations des eaux de pluie.
  12. On reconnaît ici, et dans ce qui va suivre, les bases de la théorie de nos jaillissements artésiens.
  13. Expression biblique. On reconnaît souvent dans le langage de Palissy le prédicateur évangéliste.
  14. Cette théorie, qui est la veritable, est aussi ingénieuse que clairement exposée.
  15. Ces principes, que Palissy avait déjà présentés dans son premier ouvrage (voy. p. 42), furent plusieurs fois mis en pratique et avec succès. On lit dans l’éloge de Couplet, par Fontenelle, des détails fort curieux sur l’application qui en fut faite à Coulanges-la-Vineuse, à Auxerre et à Courson. (Éloges des Savants.)
  16. Le Brouage est une sorte de havre, assez bien défendu, situé au milieu des marais salants de Saintonge.