Œuvres complètes de Bernard Palissy/Recepte véritable par laquelle tous les hommes de la France pourront apprendre à multiplier leurs thrésors/De la ville de forteresse

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Texte établi par Paul-Antoine CapJ.-J. Dubochet et Cie (p. 113-123).

DE LA VILLE DE FORTERESSE[1].




Q velque temps apres que i’eu consideré les horribles dangers de la guerre, desquels Dieu m’auoit merueilleusement deliuré, il me print enuie de designer et pourtraire l’ordonnance de quelque Ville, en laquelle on peust estre asseuré au temps de guerre : mais considerant les furieuses batteries, desquelles auiourd’huy les hommes s’aident, i’estois presque hors d’esperance, et estois tous les iours la teste baissee, craignant de voir quelque chose, qui me fist oublier les choses que ie voulois penser : car mon esprit voltigeoit tantost en vne Ville, et tantost en l’autre, en me trauaillant, pour rememorer les forces d’icelles, et sçauoir, si ie me pourrois aider en partie de l’ordonnance d’icelles, pour seruir à mon dessein : mais ie trouuay en toutes, vne maniere de faire fort contraire à mon opinion : car les habitans les fortifient, en rompant les maisons, qui sont ioignant les murailles de la cloison de la Ville, et font de grandes allees entre les maisons et lesdites murailles : et cela, disent-ils, estre necessaire, pour batailler, defendre et trainer toute espece d’engin et artillerie : mais ie trouuay aussi, que c’estoit pour faire tuer beaucoup d’hommes, et n’ay iamais sceu persuader en mon esprit, qu’vne telle inuention fust bonne : et m’asseure, que si du temps que les colomnes furent inuentees, l’artillerie eust regné comme elle fait à present, que nos anciens edificateurs n’eussent point edifié les Villes auec separation des maisons aux murailles. Et quoy ? en temps de Paix les murailles sont inutiles, quelques grands thresors et labeurs qui y ayent esté employez. Ayant donc consideré ces choses, ie trouuay, que lesdites Villes ne me pouuoient seruir d’aucun exemplaire, veu que quand les murailles sont gagnees, la ville est contrainte se rendre. Voila bien vn pauure corps de Ville quand les membres ne se peuuent consolider, et aider l’vn l’autre. Brief, toutes telles Villes sont mal designees, attendu que les membres ne sont point concathenez auec le corps principal. Il est fort aisé de battre le corps, si les membres ne donnent aucun secours. Quoy voyant, i’ostay mon esperance de prendre aucun exemplaire és Villes qui sont edifiees à présent, ains transportay mon esprit, pour contempler les pourtraits des compartimens, et autres figures qui ont esté faites par maistre Iaques du Cerseau, et plusieurs autres pourtrayeurs. Ie regarday aussi les plans et figures de Victruue et Sebastiane, et autres Architectes, pour voir si ie pourrois trouuer en leurs pourtraits quelque chose, qui me peust seruir, pour inuenter ladite Ville de forteresse : mais iamais il ne me fut possible de trouuer aucun pourtrait, qui me sçeust aider à cest affaire. Quoy voyant, ie m’en allay comme vn homme transporté de son esprit, la teste baissee, sans saluer ny regarder personne, à cause de mon affection, qui estoit occupee à ladite Ville, et m’en allant, ainsi faisant, visiter tous les iardins les plus excellens qu’il me fut possible de trouuer (et ce, à fin de voir s’il y auoit quelque figure de labyrinthe inuentee par Dedalus, ou quelque parterre, qui me peust seruir à mon dessein), il ne me fust possible de trouuer rien, qui contentast mon esprit. Alors ie commençay d’aller par les bois, montagnes, et vallees, pour voir si ie trouuerois quelque industrieux animal, qui eust fait quelque maison industrieuse : ce que cerchant, i’en vis vn tres-grand nombre, qui me rendit tout estonné de la grande industrie que Dieu leur auoit donnee : et entre les autres, ie fus fort esmerueillé d’vne forteresse, que l’oriou[2] auoit faite, pour la sauue-garde de ses petis, car ladite forteresse estoit pendue en l’air, par vne admirable industrie : toutesfois, ie ne peu là rien profiter pour mon affaire. Ie vis aussi vne ieune limace, qui bastissoit sa maison et forteresse de sa propre saliue : et cela faisoit-elle petit à petit par diuers iours : car ayans prins ladite limace, ie trouuay que le bord de son bastiment estoit encore liquide, et le surplus dur, et cogneus lors, qu’il falloit quelque temps, pour endurcir la saliue de laquelle elle bastissoit son fort. Adonc ie prins grande occasion de glorifier Dieu en toutes ses merueilles, et trouuay que cela me pourroit quelque peu aider à mon affaire : pour le moins, cela m’encouragea, et me tint en esperance de paruenir à mon dessein : alors bien ioyeux, ie me pourmenay deçà delà, d’vn costé et d’autre, pour voir si ie pourrois encore apprendre quelque industrie sur les bastimens des animaux, ce qui dura l’espace de plusieurs mois, en exerçant toutesfois tousiours mon art de terre, pour nourrir ma famille. Apres que plusieurs iours i’eu demeuré en ce debat d’esprit, i’auisay de me transporter sur le riuage, et rochers de la mer Oceane, où i’apperceu tant de diuerses especes de maisons et forteresses, que certains petits poissons auoyent faites de leur propre liqueur et saliue, que deslors ie commençay à penser, que ie pourrois trouuer là quelque chose de bon, pour mon affaire. Adonc, ie commençay à contempler l’industrie de toutes ces especes de poissons, pour apprendre quelque chose d’eux, en commençant des plus grands aux plus petits : ie trouuay des choses qui me rendoyent tout confus, à cause de la merueilleuse prouidence Diuine, qui auoit eu ainsi soin de ces creatures, tellement que ie trouuay, que celles qui sont de moindre estime, Dieu les a pourueuës de la plus grande industrie, que non pas les autres : car pensant trouuer quelque grande industrie et excellente sapience és gros poissons, ie n’y trouuay rien d’industrieux, ce qui me fit considerer qu’ils estoyent assez armez, craints et redoutez, à cause de leur grandeur, et qu’ils n’auoyent besoin d’autres armures : mais quant est des foibles, ie trouuay que Dieu leur auoit donné industrie, de sçauoir faire des forteresses merueilleusement excellentes à l’encontre des brigues de leurs ennemis : i’apperceu aussi, que les batailles et brigueries de la mer, estoyent sans comparaison plus grandes esdits animaux, que non pas celles de la terre, et vis que la luxure de la mer estoit plus grande que celle de la terre, et que sans comparaison, elle produit plus de fruit. Ayant donc prins affection de contempler de bien pres ces choses, ie prins garde, qu’il y auoit vn nombre infini de poissons, qui estoyent si faibles de leur nature, qu’il n’y auoit aucune apparence de vie, fors qu’vne forme de liqueur baueuse, comme sont les huitres, les moucles (moules), les sourdons, les petoncles, les auaillons, les palourdes (pelorides), les dailles (pholades), les hourmeaux, les gembles, et vn nombre infiny de burgaux (limaçons) de diuerses especes et grandeurs. Tous ces poissons susdits sont foibles, comme ie t’ay cy deuant dit : mais quoy ? voicy à présent vne chose admirable, qui est, que Dieu a eu si grand soin d’eux, qu’il leur a donné industrie de se sçauoir faire à chacun d’eux vne maison, construite et niuelee par vne telle Geometrie et Architecture, que iamais Salomon en toute sa Sapience ne sceut faire chose semblable : et quand mesme tous les esprits des humains seroient assemblez en vn, ils n’en sçauroient auoir fait le plus moindre traict. Quand i’eu contemplé toutes ces choses, ie tombay sur ma face, et en adorant Dieu, me prins à escrier en mon esprit, en disant, O bon Dieu ! ie puis à présent dire, comme le Prophete Dauid ton seruiteur : Et qu’est-ce que de l’homme, que tu as eu souuenance de luy ? et que mesme tu as fait toutes ces choses pour son seruice et commodité ? toutesfois, Seigneur, il n’a honte de s’esleuer contre toy, pour destruire et mettre à neant ceux que tu as enuoyez en la terre, pour annoncer ta iustice et iugement aux hommes. O bon Dieu ! et qui sera celuy qui ne s’esmerueillera de ta patience merueilleuse ? Iusques à quand laisseras-tu souffrir et endurer les Prophetes et esleus que tu as mis à la mercy de ceux qui ne cessent de les tormenter ? Ce fait, ie me pourmenay sur les rochers pour contempler de plus pres les excellentes merueilles de Dieu, et ayant trouué certains gembles, qu’on appelle autrement œils de bouc, i’apperceu qu’ils estoyent armez par vne grande industrie : car n’ayans qu’vne coquille sur le dos, ils s’attachoyent contre les rochers, en telle sorte, que ie pense qu’il n’y a nul poisson en la mer, tant soit-il furieux, qui le sceust arracher de ladite roche. Et quand on veut arracher ledit poisson, qui n’est que baue, ou vne liqueur endurcie, si on faille du premier coup de l’arracher, en mettant vn couteau entre la roche et luy, il se viendra si fort resserrer et ioindre à la roche, qu’il n’est pas possible de l’arracher, qui est chose admirable, veu la foiblesse de son estre. L’hourmeau, et plusieurs autres especes s’attachent en cas pareil : car autrement leurs ennemis les deuoreroyent soudain. N’est-ce pas aussi chose admirable de l’herisson de mer ? lequel par ce que sa coquille est assez foible, Dieu luy a donné moyen de sçauoir faire plusieurs espines piquantes, par dessus son halecret (sa cuirasse) et forteresse, tellement qu’estant attaché sur la roche, on ne le sçauroit prendre sans se piquer. N’est-ce pas vne chose admirable, de voir les poissons qui sont armez de deux coquilles ? Si tu consideres les petoncles, et les sourdons, et plusieurs autres especes, tu trouueras une industrie telle, qu’elle te donnera occasion de rabaisser ta gloire. As-tu iamais veu chose faite de main d’homme, qui se peust rassembler si iustement, que font les deux coquilles et harnois desdits sourdons et petoncles ? Certes il est impossible aux hommes de faire le semblable. Penses-tu que ces petites concauitez et neruures, qui sont auxdites coquilles, soyent faites seulement par ornement, et beauté ? Non, non : il y a quelque chose d’auantage : Cela augmente en telle sorte la force de ladite forteresse, comme feroyent certains arcboutans appuyez contre vne muraille, pour la consolider : et de ce n’en faut douter, i’en croiray tousiours les Architectes de bon iugement. Penses-tu que les poissons qui erigent leurs forteresses par lignes aspirales, ou en forme de limace, que ce soit sans quelque raison ? Non, ce n’est pas pour la beauté seulement, il y a bien autre chose. Tu dois entendre, qu’il y a plusieurs poissons, qui ont le museau si pointu, qu’ils mangeroyent la plus part des susdits poissons, si leur maison estoit droicte : mais quand ils sont assaillis par leurs ennemis à la porte, en se retirant au dedans, ils se retirent en vironnant, et suiuant le traict de la ligne aspirale : et par tel moyen, leurs ennemis ne leur peuuent nuire. Quoy consideré, ce n’est pas donc pour la beauté que ces choses sont ainsi faites, ains pour la force. Qui sera l’homme si ingrat, qui n’adorera le souuerain Architecte, en contemplant les choses susdites ? Me pourmenant ainsi sur les rochers, ie voyois des merueilles, qui me donnoyent occasion de crier, en ensuiuant le Prophete : Non pas à nous, Seigneur, non pas à nous : mais à ton Nom donne gloire et honneur, et commençay à penser en moy-mesme, que ie ne pourrois trouuer aucune chose de meilleur conseil, pour faire le dessein de ma Ville de forteresse : lors ie me mis à regarder, lequel de tous les poissons seroit trouué le plus industrieux en l’Architecture, à fin de prendre quelque conseil de son industrie. Or en ce temps-là, vn Bourgeois de la Rochelle nommé l’Hermite, m’auoit fait présent de deux coquilles bien grosses, sçauoir est, de la coquille d’vn pourpre (Murex L.), et l’autre d’vn buxine (buccin), lesquelles auoyent esté apportees de la Guinée, et estoyent toutes deux faites en façon de limace, et ligne aspirale : mais celle du buxine estoit plus forte, et plus grande que l’autre, toutesfois veu le propos que i’ay tenu cy dessus, c’est que Dieu a donné plus d’industrie és choses foibles, que non pas aux fortes, ie m’arrestay à contempler de plus pres la coquille du pourpre, que non pas celle du buxine, parce que ie m’asseurois, que Dieu luy auroit donné quelque chose d’auantage, pour recompenser, sa foiblesse. Et ainsi, estant long-temps arresté sur ces pensees i’auisay en la coquille du pourpre, qu’il y auoit un nombre de pointes assez grosses qui estoyent à l’entour de ladite coquille : ie m’asseuray deslors, que, non sans cause, lesdites cornes auoyent esté formees, et que cela estoit autant de ballouars (boulevards) et defenses, pour la forteresse et retraitte dudit pourpre. Quoy voyant, ne trouuay rien meilleur, pour edifier ma Ville de forteresse, que de prendre exemple sur la forteresse dudit pourpre, et pris quant et quant vn compas, reigle, et autres outils necessaires, pour faire mon pourtrait. Premierement, ie fis la figure d’vne grande place quarree, à l’entour de laquelle ie fis le plan d’vn grand nombre de maisons, ausquelles ie mis les fenestres, portes et boutiques, ayans toutes leur regard deuers la partie exterieure du plan et ruës de la Ville, et aupres d’vn des anglets de ladite place, ie fis le plan d’vn grand portal, sur lequel ie marquay le plan de la maison, ou demeurance du principal Gouuerneur de ladite Ville, à fin que nul n’entrast en ladite place, sans le congé du Gouuerneur, et à l’entour de ladite place, ie fis le plan de certains auuans, ou basses galleries, pour tenir l’artillerie à couuert, et fis le plan en telle sorte, que les murailles du deuant de la gallerie seruiront de defense et de batterie, y ayant plusieurs canonnieres tout autour, qui auront toutes leur regard au centre de ladite place, à fin que si les ennemis entroyent par mine en ladite place, que tout en vn moment, on eust moyen de les exterminer : quoy fait, ie commençay vn bout de rue, à l’issue dudit portail, enuironnant le plan des maisons que i’auois marquees, à l’endroit de ladite place, voulant edifier ma Ville en forme et ligne aspirale, et ensuiuant la forme et industrie du pourpre : mais quand i’eu vn peu pensé à mon affaire, i’apperceus que le deuoir du canon, est de iouër par lignes directes, et que si ma Ville estoit, totalement edifiee, suiuant la ligne aspirale, que le canon ne pourroit iouër par les ruës, parquoy, ie m’auisay deslors de suiure l’industrie dudit pourpre, seulement en ce qu’il me pouuoit seruir, et ie commençay à marquer le plan de la premiere ruë, pres de la place, environnant à l’entour, en forme quarree : et ce fait, ie marquay les habitations à l’entour de ladite ruë, ayans toutes le regard, entrees et issues deuers le centre de ladite place : et ainsi, se trouua vne ruë, ayant quatre faces à l’entour du premier rang, qui est à l’entour du milieu, et en uironnant, suiuant la coquille du pourpre : et ce toutesfois, par lignes directes. Ie vins derechef marquer vne ruë à l’entour de la premiere, aussi en vironnant : et apres que ces deux ruës furent pourtraites, auec les maisons necessaires à l’entour, ie commençay à suiure le mesme trait, pour pourtraire la troisieme rue : mais parce que la place, et les deux ruës d’alentour d’icelle auoyent grandement eslongné le trait, ie trouuay bon de bailler huit faces à la seconde rue : et ce, pour plusieurs raisons. Quand la troisieme ruë fut ainsi pourtraite, auec les maisons requises à l’entour, ie trouuay mon inuention fort bonne et vtile, et vins encore à marquer et pourtraire vne autre ruë semblable à la troisieme, sçauoir est, à huit faces, et tousiours en vironnant. Ce fait, ie trouuay que ladite Ville estoit assez spacieuse, et vins à marquer les maisons à l’entour de ladite ruë, ioignant les murailles de la Ville, lesquelles murailles i’allay pourtraire iointes auec les maisons de la ruë prochaine d’icelles. Lors ayant ainsi fait mon dessein, il me sembla que ma Ville se moquoit de toutes les autres : parce que toutes les murailles des autres Villes sont inutiles en temps de Paix, et celles que ie fais seruiront en tout temps, pour habitation à ceux mesmes qui exerceront plusieurs arts, en gardant ladite Ville. Item, ayant fait mon pourtrait, ie trouuay, que les murailles de toutes les maisons seruoyent d’autant d’esperons, et de quelque costé que le canon sçeust frapper contre ladite Ville, qu’il trouueroit tousiours les murailles par le long : or en la Ville, il n’y aura qu’vne rue, et vne entree, qui ira tousiours en vironnant, et ce, par lignes directes, d’anglet en anglet, iusques à la place, qui est au milieu de la Ville : et en chacun coin et anglet des faces desdites rues, y aura vn portal double, et vosté (voûté), et au dessus de chacun d’iceux, vne haute batterie, ou plate-forme, tellement qu’aux deux anglets de chacune face, on pourra battre en tout temps de coin en coin à couuert, par le moyen desdits portaux vostez : et ce, sans que les Canonniers puissent aucunement estre offensez. Ayant ainsi fait mon pourtrait, et estant bien asseuré, que mon inuention estoit bonne, ie dis en mon esprit : Ie me puis bien vanter à présent, que si le Roy vouloit edifier vne Ville de forteresse en quelque partie de son Royaume, que ie luy donneray vn pourtrait, plan et modelle d’vne Ville la plus imprenable, qui soit auiourd’huy entre les hommes : c’est à sçauoir, en ce qui consiste en l’art de Geometrie et Architecture, exceptez les lieux que Dieu a fortifiez par nature.

Et premierement, si vne Ville est edifiee iouxte le modelle et pourtrait que i’ay fait, elle sera imprenable
Par multitude de gens,
Par multitude de coups de canon,
Par feu,
Par mine,
Par eschelles,
Par famine,
Par trahison,
Par sapes.

Exposition d’avcvns Articles.

Aucuns trouueront estrange l’article de la trahison, mais il est ainsi, que quand les dix ou douze parts de la Ville, et mesme les Gouuerneurs d’icelle auroient fait complot auec les ennemis, pour liurer la Ville, il n’est en leur puissance de la liurer, pourueu qu’il y ait vne petite partie de la Ville, qui vueille résister, parce que l’ordre des bastimens sera si bien concathené, qu’il faudroit necessairement, que tous les habitans fussent consentans à la trahison, deuant qu’elle peust estre liuree, et la coniuration generale ne se pourroit iamais faire, que le Prince ne fust aduerty.

Item, on s’esbahira de ce que ie dis, qu’elle sera par famine imprenable : Ie le dis, parce qu’elle se pourra garder à bien peu de gens : Ie dis à bien peu, car quand bien peu de gens auroient du biscuit pour certaines annees, il n’y aura si furieux Canonniers, ny si subtils ingenieux, qui ne soyent contraints de leuer le siege de deuant vne telle Ville, voire à leur confusion.

Item, on s’estonnera de ce que ie dis, qu’elle seroit imprenable par sapes, mais ie dis d’auantage, que quand les ennemis auroient sapé et emporté les fondemens de tout le circuit de la Ville, et qu’ils les eussent iettez aux abysmes de la mer, si est-ce que par tel moyen les habitans n’auront occasion de s’estonner, parce que les murailles demeureront encore debout comme auparauant. Et quand il aduiendroit, que les ennemis se fussent opiniastrez d’auantage, et qu’ils eussent rué tout à l’entour du circuit des murailles, autant de coups de canons qu’il pourroit tomber de gouttes d’eau durant les pluyes de quinze iours, et que par tel moyen, ils eussent mis tout le circuit des murailles à petits morceaux comme chapple, c’est à dire, mis les murailles à bas et en friche, si est-ce que pour cela, la Ville ne seroit aucunement perduë, ny les habitans blessez en leurs personnes.

Et qui plus est, quand les ennemis se seroyent encore plus opiniastrez et qu’ils eussent brisé vne carriere tout à trauers de la Ville, et qu’ils peussent passer et repasser à trauers de ladite Ville iusques au nombre de quarante de front, trainans auec eux toutes especes d’engins et artillerie, si est-ce qu’ils n’auroient pas encore gagné la Ville : ce que ie sçay qui sera trouué fort estrange.

Ie dis aussi, que quand les ennemis auroient trouué le moyen par vne subtile mine, de sortir en vne place, qui sera au milieu de la Ville, et qu’ils seroient entrez en ladite Ville, en si grand nombre d’hommes et artillerie, que toute ladite place fust pleine de gens bien armez, si est-ce que par tel moyen ils n’auront gagné aucune chose, sinon raccourcissement de leurs iours.

Et quand il aduiendroit, que les ennemis auroient fait vne telle approche, que par multitude de gens ils eussent fait des montagnes, qui fussent si hautes, que les ennemis peussent auoir veuë iusques au paué des rues prochaines des murailles, pour ietter boulets et toutes especes d’engins et feux estranges, par tel moyen les habitans ne receuront aucun dommage, sinon seulement la peur, et l’empoisonnement des mauuaises fumees, qui pourroient estre iettees en la rue prochaine des murailles, et non és autres.

Item, l’ordre de la Ville sera edifié d’vne telle subtilité et inuention, que mesme les enfans au dessus de six ans pourront aider à la defendre le iour des assaux, voire sans desplacer aucun de sa place et demeurance, et sans se mettre en aucun danger de leurs personnes.

Ie scay bien, qu’aucuns se voudront moquer, toutesfois ie m’asseure de tout ce qui est dit cy-dessus, et suis prest à exposer ma vie, quand ie n’en feray apparoir la verité par Modelle, auquel seront demonstrees les vtilitez et secrets de ladite forteresse, tellement que par ledit Modelle, vn chacun cognoistra la verité, tout ainsi comme si la Ville estoit edifiee.

Demande.

Tu fais cy dessus vne promesse bien temeraire, de dire que par pourtrait et plan, tu feras aisement entendre, que ce que tu as dit de la Ville de forteresse contient verité. Pourquoy est-ce donc, que tu n’as mis en ce liure le pourtrait et plan de ladite Ville ? car par là on eust peu iuger si ton dire contient verité,

Responce.

Tu as bien mal retenu mon propos : car ie ne t’ay pas dit que par le plan et pourtrait on peust iuger le total, mais auec le plan et pourtrait, i’ay adiousté qu’il estoit requis faire vn Modelle, veu qu’il n’y auroit aucune raison de le faire à mes despens. Ie t’ay assez dit, que la chose meritoit recompense : parquoy, c’est vne chose iuste, que le labeur dudit Modelle soit payé aux despens de ceux qui le voudront auoir. Or si tu sçais quelqu’vn qui aye vouloir d’auoir vn Modelle de mon inuention, tu me le pourras addresser, ce que i’espere que feras. Et en cest endroit, ie prieray le Seigneur Dieu, te tenir en sa garde.


Quant au reste, si ie cognois ce mien second liure estre approuué par gens à ce cognoissans, ie mettray en lumiere le troisiesme liure que ie feray cy apres, lequel traittera du Palais et plate-forme de refuge, de diuerses especes de terres, tant des argileuses, que des autres : aussi sera parlé de la Merle (Marne), qui sert à fumer les autres terres. Item, sera parlé de la mesure des vaisseaux antiques, aussi des esmails, des feux, des accidens qui suruiennent par le feu, de la maniere de calciner et sublimer par diuers moyens, dont les fourneaux seront figurez audit liure.

Apres que i’auray erigé mes fourneaux Alchimistals, ie prendray la ceruelle de plusieurs qualitez de personnes, pour examiner, et sçauoir la cause d’vn si grand nombre de folies qu’ils ont en la teste, à fin de faire vn troisiesme liure, auquel seront contenus les remedes et receptes pour guerir leurs pernicieuses folies.

fin.
  1. C’etait avant l’usage des bombes et des mines, que Palissy imagina sa ville imprenable ; c’est-à-dire avant les Stevin, les Pagan, les Vauban et les Cohorn. Son génie, relatif aux circonstances de son siècle, suppose, dans l’homme qui traça ce plan, de ces dispositions qui rendent les grands génies supérieurs à leurs contemporains, et qui, dans tous les temps, auraient profité des découvertes nouvelles pour appartenir à tous les siècles. Les ingénieurs remarqueront ce qu’était leur art, en 1563, pour juger Palissy. (G.)
  2. Le Loriot, Oriolus Galbula, L.