Œuvres complètes de Bernard Palissy/Recepte véritable par laquelle tous les hommes de la France pourront apprendre à multiplier leurs thrésors/Recepte véritable, etc.

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Texte établi par Paul-Antoine CapJ.-J. Dubochet et Cie (p. 13-112).



P our auoir plus facile intelligence du present discours, nous le traiterons en forme de Dialogue, auquel nous introduirons deux Personnes, l’une demandera, l’autre respondra comme s’ensuit.

Puisque nous sommes sur les propos des honnestes delices et plaisirs, ie te puis asseurer, qu’il y a plusieurs iours que i’ay commencé à tracasser d’vn costé et d’autre, pour trouuer quelque lieu montueux, propre et conuenable pour edifier vn iardin pour me retirer, et recreer mon esprit en temps de diuorces, pestes, epidimies, et autres tribulations, desquelles nous sommes à ce iourd’huy grandement troublez.
Demande.

Ie ne puis clairement entendre ton dessein, parce que tu dis que tu cerches vn lieu montueux, pour faire vn iardin delectable. C’est vne opinion contraire à celle de tous les Antiques et Modernes ; car ie sçay qu’on cerche communement les lieux planiers, pour edifier iardins : aussi sçay-je bien que plusieurs ayans des bosses et terriers en leurs iardins, se sont constituez en grands fraits pour les applanir. Quoy consideré, ie te prie me dire la cause qui t’a meu de cercher vn lieu montueux pour édifier ton iardin.

Responce.

Quelques iours apres que les esmotions et guerres ciuiles furent appaisees, et qu’il eut pleu à Dieu nous enuoyer sa paix, i’estois vn iour me pourmenant le long de la prairie de ceste ville de Xaintes, près du fleuue de Charante : et ainsi que ie contemplois les horribles dangers, desquels Dieu m’auoit garenti au temps des tumultes et horribles troubles passez, i’ouy la voix de certaines vierges, qui estoyent assises sous certaines aubarees[1], et chantoyent le Pseaume cent quatriesme. Et parce que leur voix estoit douce et bien accordante, cela me fit oublier mes premières pensees, et m’estant arresté pour escouter ledit Pseaume, ie laissay le plaisir des voix, et entray en contemplation sur le sens dudit Pseaume, et ayant noté les poincts d’iceluy, ie tus tout confus en admiration, sur la sagesse du Prophete Royal, en disant à moy-mesme, O diuine et admirable bonté de Dieu ! À la miene volonté, que nous eussions les œuures de tes mains en telle reuerence, comme le Prophete nous enseigne en ce Pseaume ! Et deslors ie pensay de figurer en quelque grand tableau les beaux paysages que le Prophète descrit au Pseaume susdit : mais bien tost apres, mon courage fut changé, veu que les peintures sont de peu de duree, et pensay de trouuer vn lieu convenable, pour edifier vn jardin iouxte le dessein, ornement, et excellente beauté, ou partie de ce que le Prophete a descrit en son Pseaume, et ayant desia figuré en mon esprit ledit iardin, ie trouuay que tout par vn moyen, ie pourrois aupres dudit iardin edifier vn Palais, ou amphitheatre de refuge pour recevoir les Chrestiens exilez en temps de persecution, qui seroit vne saincte delectation, et honneste occupation de corps et d’esprit.

Demande.

Ie te trouue fort eslongué de toute opinion commune en deux instances : la premiere est, parce que tu dis qu’il est requis trouuer un lieu montueux pour edifier vn jardin delectable : et l’autre, parce que tu dis que tu voudrois aussi edifier vn amphitheatre de refuge pour les Chrestiens exilés : ce que ne puis prendre à la bonne part, consideré que nous auons la Paix. Aussi que nous espérons que de brief on aura la liberté de prescher par toute la France, et non seulement en France, mais aussi par tout le monde : car il est escrit en saint Matthieu, chapitre xxiii, là où le Seigneur dit que l’Évangile du Royaume sera presché en l’universel monde, en tesmoignage à toutes gens. Voilà qui me fait dire et asseurer, qu’il n’est plus de besoin de cercher des Citez de refuge pour les Chrestiens.

Responce.

Tu as fort mal consideré les sentences du Nouveau-Testament : car il est escrit que les enfans et esleus de Dieu seront persecutez jusqu’à la fin, et chassez et moquez, bannis et exilez ; et quant à la sentence que tu as amenée escrite en sainct Matthieu, vrai est qu’il est escrit, que l’Évangile du Royaume sera presché à l’universel monde ; mais il ne dit pas qu’il sera receu de tous, mais bien dit, qu’il sera en tesmoignage à tous, savoir est, pour iustifier les croyans, et pour condemner iustement les infideles. Suyvant quoy, il est à conclurre que les pervers et iniques, symoniaques, avaricieux et toutes especes de gens meschans, seront tousjours prests à persecuter ceux qui par lignes directes voudront suivre les statuts et ordonnances de nostre Seigneur.

Demande.

Quant au premier poinct, ie te le donne gagné ; mais quant est de ce que tu dis, qu’il est requis vn lieu montueux pour edifier iardins, ie ne puis à ce accorder.

Responce.

Ie sçay que toute folie accoustumee est prinse comme par vne loy et vertu : mais à ce ie ne m’arreste, et ne veux aucunement estre imitateur de mes predecesseurs, sinon en ce qu’ils auront bien fait selon l’ordonnance de Dieu. Ie voy de si grands abus et ignorances en tous les arts, qu’il semble que tout ordre soit la plus grand part peruerti, et qu’vn chacun laboure la terre sans aucune Philosophie, et vont tousiours le trot accoustumé, en ensuiuant la trace de leurs predecesseurs, sans considerer les natures, ny causes principales de l’agriculture.

Demande.

Tu me fais à ce coup plus esbahir de tes propos, que ie ne fus oncques. Il semble à t’ouyr parler, qu’il est requis quelque Philosophie aux laboureurs, chose que ie trouue estrange.

Responce.

Ie te dis qu’il n’est nul art au monde, auquel soit requis vne plus grande Philosophie qu’à l’agriculture, et te dis, que si l’agriculture est conduite sans Philosophie, que c’est autant que iournellement violer la terre, et les choses qu’elle produit ; et m’esmerueille, que la terre et natures produites en icelle, ne crient vengeance contre certains meurtrisseurs, ignorans, et ingrats, qui iournellement ne font que gaster et dissiper les arbres et plantes, sans aucune consideration. Ie t’ose aussi bien dire, que si la terre estoit cultiuée à son deuoir, qu’vn journaut produiroit plus de fruit, que non pas deux, en la sorte qu’elle est cultiuee iournellement. Te souuient-il point auoir leu vne histoire, qu’il y auoit vn certain personnage agriculteur, qui estoit si très bon Philosophe, et subtil ingenieux, que par son labeur et industrie, il faisoit qu’un peu de terre qu’il auoit, luy rendoit plus de fruict, que non pas vne grande quantité de celles de ses voisins, dont s’en ensuiuit vne enuie : car ses voisins voyans telles choses, furent marris de son bien, et l’accuserent qu’il estoit sorcier, et que par sa sorcelerie, il faisoit que sa terre portoit plus de fruict que non pas celles de ses voisins. Quoy voyant les Iuges de la Cité, le feirent conuenir, pour luy faire declarer, qui estoit la cause que ses terres apportoyent si grande abondance de fruicts : quoy voyant le bon homme, print ses enfans, et seruiteurs, son chariot et hastelage, et auec ce plusieurs outils d’agriculture, lesquels il alla exhiber deuant les Iuges, en leur remonstrant, que la sorcelerie de laquelle il vsoit en ses terres, estoit le propre labeur de ses mains, et des mains de ses enfants et seruiteurs, et les diuers outils qu’il auoit inuentez, dont le bon homme fut grandement loué, et renuoyé en son labourage : et par tel moyen l’enuie de ses voisins fut amplement cognuë[2].

Demande.

Ie te prie, di moy en quoy est-ce qu’il est besoin que les laboureurs ayent quelque Philosophie : car ie sçay que plusieurs se moqueront d’une telle opinion mesme, ie sçay que S. Paul le defend aux Colossiens, chapitre II, disant : Donnez vous garde d’estre seduits par vaines Philosophies.

Responce.

Tu t’abuses, en m’allegant ce passage de sainct Paul en cest endroit, d’autant qu’il ne fait rien contre moy : car quand sainct Paul dit, Donnez vous garde d’estre seduits par Philosophie, il adiouste vaine, mais celle dont ie te parle n’est point vaine : Parquoy, ie conclus, que cela ne fait rien contre mon opinion. Comment cuides-tu qu’vn laboureur cognoistra les saisons de labourer, planter ou semer, sans Philosophie ? Ie t’ose bien dire, qu’on pourra labourer la terre en telle saison, que cela luy causera plus de dommage, que de profit. Item, comment cognoistra vn laboureur la différence des terres, sans Philosophie ? Les vnes sont propres pour les froments, les autres pour les pois, et autres pour les febues. Les febues creuës en vn champ sont cuisantes, et, tout auprès d’icelles, y aura vn autre champ, duquel les febues qui y seront produites, ne seront iamais cuisantes : pareillement en est-il de toutes especes de legumes. Aussi il y a des eaux, desquelles les legumes ne pourront cuire, et il y a d’autres eaux, desquelles les légumes seront cuisans. Brief, il est impossible de te pouuoir reciter, combien la Philosophie naturelle est requise aux agriculteurs. Et ce n’est sans cause, que ie t’ay mis ces propos en auant : car les actes ignorans que ie voy tous les iours commettre en l’art d’agriculture, m’ont causé plusieurs fois me tourmenter en mon esprit, et me cholerer en ma seule pensée, parce que ie voy qu’vn chacun tasche à s’agrandir, et cerche des moyens pour succer la substance de la terre, sans y trauailler, et cependant on laisse les pauures ignares pour le cultiuement de la terre, dont s’en ensuit, que la terre et ce qu’elle produit est souvent adulterée, et est commise grande violence ès bestes bouines, que Dieu a créées pour le soulagement de l’homme.

Demande.

Ie te prie me monstrer quelque faute commise en l’agriculture, à fin de me faire croire ce que tu dis.

Responce.

Quand tu iras par les villages, considere vn peu les fumiers des laboureurs, et tu verras qu’ils les mettent hors de leurs estables, tantost en lieu haut, et tantost en lieu bas, sans aucune consideration, mais qu’il soit appilé, il leur suffît : et puis, pren garde au temps des pluyes, et tu verras que les eaux qui tombent sur lesdits, emportent vne teinture noire, en passant par ledit fumier, et trouuant le bas, pente, ou inclinaison du lieu où les fumiers seront mis, les eaux qui passeront par lesdits fumiers, emporteront ladite teinture, qui est la principale, et le total de la substance du fumier. Parquoy, le fumier ainsi laué, ne peut seruir, sinon de parade : mais estant porté au champ, il n’y fait aucun profit. Voila pas doncques vne ignorance manifeste, qui est grandement à regretter ?

Demande.

Ie ne croy rien de cela, si tu ne me donnes autre raison.

Responce.

Tu dois entendre premierement la cause pourquoy on porte le fumier au champ, et ayant entendu la cause, tu croiras aisement ce que ie t’ay dit. Il faut que tu me confesses, que quand tu apportes le fumier au champ, que c’est pour luy rebailler vne partie de ce qui luy a esté osté : car il est ainsi qu’en semant le blé, on a esperance qu’vn grain en apportera plusieurs : or cela ne peut estre sans prendre quelque substance de la terre, et si le champ a esté semé plusieurs annees, sa substance est emportee auec les pailles et grains. Parquoy, il est besoin de rapporter les fumiers, bouës et immondicitez, et mesme les excremens et ordures, tant des hommes que des bestes, si possible estoit, à fin de rapporter au lieu la mesme substance qui luy aura esté ostee. Et voila pourquoy ie dis, que les fumiers ne doiuent estre mis à la merci des pluyes, parce que les pluyes en passant par lesdits fumiers, emportent le sel, qui est la principale substance et vertu du fumier.

Demande.

Tu m’as dit à présent vn propos, qui me fait plus resuer que tous les autres, et sçay que plusieurs se mocqueront de toy, parce que tu dis, qu’il y a du sel ès fumiers : ie te prie donne moy quelque raison apparente, pour me le faire croire.

Responce.

Par cy deuant tu trouuois estrange que ie te disois qu’il est requis aux laboureurs quelque Philosophie, et à present tu me demandes vne raison, qui est assez despendante de mon premier propos, ie te la diray, mais ie te prie l’auoir en tel estime, comme elle le requiert de soy : en entendant icelle, tu entendras plusieurs choses que par cy deuant tu as ignoré. Note doncques, qu’il n’est aucune semence tant bonne que mauuaise, qui n’apporte en soy quelque espece de sel, et quand les pailles, foins, et autres herbes, sont putrefiees, les eaux qui passent à trauers, emportent le sel qui estoit esdites pailles, et autres herbes, ou foins : et tout ainsi comme tu vois qu’vn merlu salé, ou autre poisson, qui auroit long temps trempé, perdroit en fin toute sa substance salsitiue, et en fin n’auroit aucun goust, en cas pareil te faut croire, que les fumiers perdent leur sel, quand ils sont lauez des pluyes. Et quant est de ce que tu me pourrois alleguer, en disant, que le fumier demeure fumier, et qu’estant porté en la terre, il pourra encore beaucoup seruir, ie te donneray vn exemple contraire. Ne sçais-tu pas bien que ceux qui tirent les essences des herbes et espiceries, ils tireront la substance de la canelle, sans desfaire aucunement la forme ? toutesfois tu trouueras qu’en la liqueur qu’ils ont tiré de la canelle, ils auront emporté de ladite canelle la saueur, la senteur, et entièrement la vertu d’icelle, ce neantmoins, la canelle demeurera en sa forme, et aura apparence de canelle comme auparauant : mais si tu en manges tu n’y trouueras ni senteur, ni saueur, ni vertu. Voila un exemple qui doit suffire pour te faire croire ce que dessus.

Demande.

Quand tu m’aurois presché l’espace de cent ans si est-ce que tu ne me sçaurois faire à croire qu’il y eust du sel és fumiers, ny à toutes especes de plantes, comme tu me veux faire croire.

Responce.

Ie te donneray à present des arguments, qui te feront croire ce que tu ignores, ou bien il faudroit que tu eusses la teste d’vn asne sur tes espaules. En premier lieu, il faut que tu me confesses que le salicor est vne herbe qui croist communément és terres des marais de Narbonne et de Xaintonge. Or ladite herbe estant bruslée, se reduit en pierre de sel, lequel sel les Apoticaires et Philosophes Alchimistes appellent sal alcaly, brief, c’est vn sel prouenu d’vne herbe.

Item, la fougere aussi est vne herbe, et estant bruslée, se reduit en pierre de sel, tesmoins les verriers, qui se seruent dudit sel à faire leurs verres, auec autres choses que nous dirons quand le propos se presentera, en traittant des pierres. Item, considere vn peu les cannes desquelles on fait le sucre, c’est vne herbe noiiée, et creuse comme vne jambe de seigle, faite en façon de roseau : ce neantmoins, d’icelle herbe le sucre est tiré, qui n’est autre chose que sel. Vray est, que tous les sels n’ont pas vne mesme saueur, ny vne mesme vertu, et ne font vne mesme action, neantmoins, ie te puis asseurer, qu’il y a un nombre infini d’especes de sels sur la terre. Si elles n’ont vne mesme saueur, et vne mesme apparence, et vne mesme action, cela n’empesche toutesfois qu’elles ne soyent sel, et t’ose bien dire derechef, et soustenir hardiment, qu’il n’est aucune plante, ny espece d’herbe sur la terre, qu’elle n’aye en soy quelque espece de sel, et te dis encore, qu’il n’est nul arbre de quelque genre que ce soit, qu’il n’en aye consequemment les vns plus, et les autres moins. Et qui plus est, ie t’ose dire que, s’il n’y avoit du sel és fruits, qu’ils n’auroient ne saueur, ny vertu, ne odeur, et ne pourroit-on empescher qu’ils ne fussent putrefiez : et afin que tu ne dises que ie parle sans raison, ie te baille en premier lieu le principal fruit qui est à nostre vsage, à sçavoir le fruit de la vigne. Il est chose certaine, que la lie estant bruslée, elle se reduit en sel, que nous appellons sel de tartare (tartre) : or ce sel est grandement mordicatif, et corrosif. Quand il est mis en lieu humide, il se reduit en huile de tartare, et plusieurs guerissent les enderces[3] dudit huile, par ce qu’il est corrosif. Le sel de l’herbe salicor, quand il est tenu en lieu humide, il est ainsi oligineux comme celuy de tartare. Voila des raisons, qui te doiuent faire croire, qu’il y a du sel aux arbres et plantes. Qui me demanderoit combien il y a d’especes de sel, ie voudrois respondre, qu’il y en a d’autant d’especes que de diuerses saueurs. Il est donc à conclure, que le sel du poiure et de la maniguette est plus corrosif, que celui de la canelle, et que de tant plus les vins sont forts et puissans, de tant plus il y a abondance de sel, qui cause la force et vertu dudit vin. Qu’ainsi ne soit, contemple vn peu les vins de Montpellier, ils ont vne puissance et force admirable, tellement que les rapes de leurs raisins bruslent et calcinent les lamines d’airain, et les reduisent en vert de gris : et si quelqu’vn ose dire, que cela ne se fait par la vertu du sel qui est ausdites rapes, mon dire est aisé à verifier, par ce que c’est chose certaine, que si on met du sel commun, ou du sel de tartare dedans vne poele d’airain, elle deuiendra verde en moins de vingt et quatre heures, pourueu que le sel soit dissout, et cela se fera à cause de son acreté. Voila vn argument qui te doit suffire pour le tout, toutesfois pour mieux te faire entendre ces choses, ie te veux apprendre à present de tirer du sel de toutes especes d’arbres, herbes et plantes, et si te le feray entendre presentement, sans mettre la main à l’œuure. Tu me confesseras aisément, que toutes cendres sont aptes à la buee (lessive), aussi tu me confesseras qu’elles ne peuuent seruir qu’vne fois en ladite buee, si tu me confesses cela, c’est assez : car par là tu dois entendre, que le sel qui estoit aux cendres, s’est dissout et meslé parmi la lessiue, et cela a causé d’emporter les saletez et ordures des linges, à cause de sa mordication : dont s’ensuit, que la lessiue est teinte et oligineuse dudit sel, qui est dissout parmi, et la lessiue estant venue en sa perfection, elle a emporté tout le sel qui estoit ausdites cendres, d’où vient que les cendres demeurent alterees, et inutiles, et la lessiue qui a emporté le sel desdites cendres, a tousiours quelque vertu de nettoyer. Si tu ne veux croire ces raisons, pren vn chauderon de lessiue, et le fay bouillir iusques à ce que l’humide soit tout éuaporé, et lors tu trouueras le sel au fons de la chaudière. Si les argumens susdits ne sont suffisans, pren garde à la fumee du bois : car il est ainsi, que les fumees de toute espece de bois, font cuire les yeux, et endommagent la veuë, et ce, pour cause de certaine salsitude, qu’elle attire du bois, lors que les autres humeurs sont exhallees par la vehemence du feu, qui chasse les matieres haineuses et humides. Et qu’ainsi ne soit, tu le cognoistras, lors que tu feras bouillir l’eau dans quelque chaudiere, parce que la fumee de ladite eau ne te nuira aucunement à la veuë, combien que tu presentes les yeux sur ladite fumee. Et pour mieux encore et prouuer qu’il y a du sel és bois et plantes, considere l’escorce, de laquelle les Taneurs courrayent leurs peaux : si elle est sechee, et puluerisee, elle endurcist et garde de putrefier les peaux des bœufs et autres bestes. Cuides-tu que les escorces de chesne eussent vertu d’empescher la putrefaction desdites peaux, sans qu’il y eust du sel esdites escorces ? Non pour vray, et si ainsi estoit que l’escorce eust ceste vertu, elle pourroit seruir plusieurs fois, mais dés qu’elle a serui vne fois, l’humidité de la peau a fait attraction, et a dissout le sel qui estoit en l’escorce, et l’a prins et attiré à soy, pour se fortifier et endurcir. Et ainsi, ladite escorce ne sert plus de rien que de mettre au feu, apres qu’elle a serui vne fois seulement.

Autre exemple. Il me souuient auoir veu certaines pierres, qui estoient faites de pailles bruslees, ce qui ne peut estre fait, sans que lesdites pailles tiennent en soy grande quantité de sel[4]. Item, le feu se print vne fois à vne grange pleine de foin, le feu fut si grand, que ledit foin en fin fut reduit en pierre, de la manière que ie t’ay conté du salicor et de la fougere : mais parce qu’en iceluy foin il y a moins de sel qu’au salicor et au tartare, lesdites pierres de foin et de paille ne sont suiettes à dissolution, ains endurent l’iniure du temps, comme pourroit faire un lopin d’excrement de fer. Ie sçay aussi que plusieurs verriers de ceux qui font les verres des vitres, se seruent de la cendre du bois de fayan[5] en lieu de salicor, qui vaut autant à dire, que la cendre dudit fayan n’est autre chose que sel : car autrement elle ne pourroit seruir à cest affaire. Quand ie voudrois mettre par escrit tous les exemples que ie pourrois trouuer, il me faudroit vn bien long temps : mais pour conclusion, ie te dis, comme dessus, qu’il y a vn nombre infini d’especes de sel, voire autant d’especes diuerses, que de diuerses saueurs. La couppe rose, et vitriol, ne sont que sel, le bourras (borax) n’est que sel, l’alun sel, le salpestre sel, et le nitre sel. Ie te dis, que sans qu’il y eust du sel en toutes choses, elles ne pourroient se soustenir, ains soudain seroyent putrefiees et annichilees. Le sel affermit, et garde de putrefier les lards, et autres chairs, tesmoins les Égyptiens, qui faisoient de grandes pyramides, pour garder les corps de leurs Roys trespassez : et pour empescher la putrefaction desdits corps, ils les poudroyent de nitre, qui est vn sel, comme i’ay dit, et de certaines espiceries, qui tiennent en soy grande quantité de sel. Et par tels moyens leurs corps estoient conseruez sans putrefaction : mesme iusques à ce iourd’huy, on en trouue encore esdites pyramides, qui ont esté si bien conseruez, que la chair desdits morts sert aujourd’hui d’vne médecine, qu’on appelle Momie. Ie te demande, As-tu pas veu certains laboureurs, que quand ils veulent semer vne terre deux années suiuantes, ils font brusler le gleu, ou paille restée du blé, qui aura este couppé, et en la cendre de ladite paille, sera trouué le sel que la paille auoit attiré de la terre, lequel sel demeurant dans le champ, aidera derechef à la terre ? Et ainsi la paille estant bruslee dedans le champ, elle seruira d’autant de fumier, parce qu’elle laissera la mesme substance qu’elle auoit attiree de la terre. Il est temps que ie face fin à ce propos : car si tu ne veux croire les raisons susdites, ce seroit grand folie de te donner autres exemples : toutesfois, parce que nostre propos a esté dés le commencement, pour te remonstrer que les pluyes emportent le sel des fumiers qui sont au descouuert, ie te donneray encore pour conclurre mon propos, vn exemple, qui te suffira pour le tout. Pren garde au temps de semailles, et tu verras que les laboureurs apporteront leurs fumiers aux champs, quelque temps auparauant semer la terre, ils mettront iceluy fumier par monceaux ou pilots dans le champ, et quelque temps apres, ils le viendront espandre par tout le champ : mais au lieu où ledit pilot de fumier aura reposé quelque temps, ils n’y laisseront rien dudit fumier, ains le ietteront deçà et delà, mais au lieu où il aura reposé quelque temps, tu verras qu’apres que le blé qui aura esté semé sera grand, il sera en cest endroit plus espes, plus haut, plus verd, et plus droit. Par là tu peux aisement cognoistre, que ce n’est pas le fumier qui a causé cela, car le laboureur le iette autre part : mais c’est que quand ledit fumier estoit au champ par pilots, les pluyes qui sont suruenues, ont passé à trauers desdits pilots, et sont descendu à trauers du fumier iusqu’à la terre, et en passant, ont dissout et emporté certaines parties du sel qui estoit audit fumier[6]. Tout ainsi que tu vois que les eaux qui passent à trauers des terres salpestreuses, emportent auec elles le salpestre, et apres que les eaux ont passé par lesdites terres, lesdites terres ne peuuent plus seruir à faire salpestre, car les eaux qui ont passé, ont emporté tout le sel : autant en est-il des cendres, desquelles les Salpestreurs se seruent, et semblablement de celles qui seruent aux buees : et voyla pourquoy elles sont apres inutiles, qui est le poinct qui te doit faire croire ce que ie t’ay dit dés le commencement : c’est à sçauoir que les eaux qui passent par les fumiers, emportent tout le sel et rendent le fumier inutile, qui est vne ignorance de tres-grand poids. Et si elle estoit corrigee, on ne sçauroit estimer combien le profit seroit grand. À la mienne volonté, qu’vn chacun qui verra ce secret, soit aussi soigneux à le garder, comme de soy il le merite.

Demande.

Dy moy, comment donc pourrois-ie garder de gaster mon fumier ?

Responce.

Si tu veux que ton fumier te serue à plein et à outrance, il faut que tu creuses vne fosse en quelque lieu conuenable, pres de tes estables, et icelle fosse creusee en maniere d’vn claune, ou d’vn abruuoir, faut que tu paues de caillous, ou de pierres, ou de briques ledit claune ou fosse, et iceluy bien paué auec du mortier de chaux et de sable, tu porteras tes fumiers pour garder en ladite fosse, iusques au temps qu’il le faudra porter aux champs. Et afin que ledit fumier ne soit gasté par les pluyes, ni par le soleil, tu feras quelque maniere de loge pour couurir ledit fumier : et quand il viendra au temps des semailles, tu porteras ledit fumier dans le champ, auec toute sa substance, et tu trouueras que le paué de la fosse, ou receptacle, aura gardé toute la liqueur du fumier, qui autrement se fust perdue, la terre eust sucé partie de la substance dudit fumier : et te faut icy noter, que si au fons de la fosse, ou réceptacle dudit fumier, se trouue quelque matiere claire, qui sera descendue des fumiers, et que ladite matière ne se puisse porter dans des paniers, il faut que tu prenes des basses[7], qui puissent tenir l’eau, comme si tu voulois porter de la vendange, et lors tu porteras ladite matiere claire, soit vrine des bestes, ou ce que voudras. Ie t’asseure que c’est le meilleur du fumier, voire le plus salé[8] : et si tu le fais ainsi, tu rapporteras à la terre la mesme chose qui luy auoit esté ostee par les accroissemens des semences, et les semences que tu y mettras apres, reprendront la mesme chose que tu y auras porté. Voila comment il faut qu’vn chacun mette peine d’entendre son art, et pourquoy il est requis, que les laboureurs ayent quelque Philosophie : ou autrement, ils ne font qu’auorter la terre, et meurtrir les arbres. Les abus qu’ils commettent tous les iours és arbres, me contraignent en parler ainsi d’affection.

Demande.

Tu fais icy semblant que des arbres ce sont des hommes, et semble qu’ils te font grand pitié : tu dis que les laboureurs les meurtrissent, voila vn propos qui me donne occasion de rire.

Responce.

C’est le naturel des fols et des ennemis de science : toutesfois, ie sçay bien ce que ie dis, car en passant par les taillis, i’ay contemplé plusieurs fois la maniere de coupper les bois, et ay veu que les buscherons de ce pays, en couppant leurs taillis, laissoient la seppe ou tronc qui demeuroit en terre tout fendu, brisé, et esclatté, ne se souciant du tronc, pourueu qu’ils eussent le bois qui est produit dudit tronc, combien qu’ils esperassent que toutes les cinq annees les troncs en produiroyent encores autant. Ie m’esmerueille que le bois ne crie d’estre ainsi vilainement meurtry. Penses-tu que la seppe qui est ainsi fendue et esclattee en plusieurs lieux, qu’elle ne se ressente de la fraction, et extorsion qui luy aura esté faicte ? Ne sçais-tu pas bien que les vents et pluyes apporteront certaines poussieres dans les fentes de ladite seppe, qui causera que la seppe se pourrira au milieu, et ne se pourra resoudre, et sera à tout iamais malade de l’extorsion qui luy aura esté faicte ? Et pour mieux te faire entendre ces choses, contemple vn peu les aubiers, lesquels sur un mesme degré produisent plusieurs branches, qui croissent directement en haut en peu de temps, et icelles paruenues à la grosseur ou enuiron du bras d’vn homme, on les vient à coupper, et la mesme année que lesdites branches auront esté couppees, pres et ioignant la couppe d’icelles, il sortira un nombre de gittes, qui derechef viendront à la mesme grosseur que les susdites : et par tel moyen la teste de l’aubier s’engrossira en cest endroit, après que plusieurs années on luy aura couppé ses branches, desquelles aucuns font des cercles, et des paux[9] pour soustenir les seps des vignes : dont s’en ensuiura, que les couppes de la multitude des branches qui auront esté couppees sur la teste dudit aubier, feront vn receptale d’eau sur ladite teste, laquelle eau estant ainsi retenue entrera petit à petit dans le centre et moile de l’aubier, et pourrira la iambe et tronc, comme tu peux apperceuoir en plusieurs aubiers, lesquels tu trouueras communement pourris par le dedans : et s’ils estoient couppez par science, ce mal seroit obuié par la prudence de l’homme. Veux-tu que ie te produise tesmoignage de mon dire ? Va à vn Chirurgien, et luy fay vn interrogatoire ; en disant ainsi, Maistre, il est aduenu à ce iourd’huy, que deux hommes ont eu chacun d’eux vn bras couppé, et y en a vn d’iceux à qui on l’a couppé d’vn glaiue tranchant, du beau premier coup tout nettement, à cause que le glaiue estoit bien esguisé : mais à l’autre, on luy a couppé d’vne serpe toute esbrechee, en telle sorte qu’il luy a falu donner plusieurs coups, deuant que le bras fust couppé : dont s’ensuit que les os sont froissez, et la chair meurtrie, et lambineuse, ou serpilleuse à l’endroit où le bras a esté couppé. Ie vous prie me dire, lequel des deux bras sera le plus aisé à guerir. Si le Chirurgien entend son art, il te dira soudain, que celuy qui a eu le bras couppé nettement par le glaiue tranchant, est beaucoup plus aisé à guerir que l’autre. Semblablement ie te puis asseurer, qu’vne branche d’arbre couppee par science, la playe de l’arbre sera beaucoup plustost guerie, que non pas celle qui par violence et inconsiderement sera froissee. Voila pourquoy ie voudrois que les laboureurs et buscherons eussent ceste consideration, quand ils couperont les branches des arbres, en esperance que la seppe apporte encore branches, qu’ils eussent esgard de faire la couppe nettement, et en pente, à fin que les eaux, ni aucune chose, ne se peust retenir sur ladite couppe. Et sur toutes choses, qu’on se donnast bien garde de les froisser, ni fendre en les couppant. Veux-tu ouyr vn bel exemple ? Il y auoit deux laboureurs, qui auoyent arrenté vne terre nouuelle, et pour icelle clorre, ils auoyent fait vn fossé, par égale portion : et sur le bord dudit fossé, ils auoyent planté des espines vn mesme iour l’vn et l’autre : quelque temps apres que les espines furent grandes, et bonnes à faire fagots, pour chauffer les fours, ils vont ensemble accorder, qu’il faloit estaucer (tailler) leur palice ou haye, à fin que les espines produisissent de rechef multitude de gittes et branches : cela fait et accordé, au iour determiné l’vn d’iceux print vn volant, qui est vn ferrement comme vne serpe : mais il est emmanché au bout d’un baston, et ainsi, celuy qui auoit le volant, couppoit ses espines de bien loin, à grands coups, craignant s’espiner, et en les couppant, faisoit plusieurs fautes et fractions aux seppes et racines desdites espines : mais son compagnon plus sage que luy, monstra qu’il auoit quelque Philosophie en son esprit : car il prist vne sie, et ayant des gans aux mains, il sia toutes les branches de ses espines, auec ladite sie, en telle sorte, qu’il ne fut fait aucune fraction : mais plusieurs se moquoyent de luy, dont à fin, ils furent moquez : car la partie de la haye qui auoit esté siee ainsi sagement, elle se trouua auoir produit derechef ses branches en deux annees plus grosses et plus grandes, que non pas celles de son compagnon en cinq annees : voila vn tesmoignage, qui te doit donner occasion de premediter et philosopher les choses deuant que les commencer. Ce n’est donc pas sans cause, que ie t’ay dit, qu’il est requis vne grande Philosophie en l’art d’agriculture.

Demande.

Tu m’as dit, que les aubiers estoyent creux, et pourris au dedans du cœur, à cause des eaux qui sont retenues sur la teste, pour la faute, ou imprudence de ceux qui couppent les branches, toutesfois, i’ay veu plusieurs Chesnes és forests, qui auoyent la iambe creuse, et n’auoyent iamais esté estaucez ou couppez.

Response.

Cela n’empesche pas que ma raison ne soit légitime, mais en cest endroit tu dois entendre, que plusieurs arbres ont des carrefours sur la rencontre des fourches, et plusieurs branches, qui ont prins leur accroissement en vn mesme endroit, et en se dilatant l’vne deçà, et l’autre delà, elles font vn certain receptacle entre lesdites branches, sur lesdits carrefours : et en temps de pluyes, les eaux qui descoulent le long des branches sont retenues sur lesdits carrefours ; et ainsi, par succession de temps, elles percent, et penetrent la iambe de l’arbre iusques à la racine, parce que le naturel de l’eau est de tirer tousiours en bas, voila qui cause que lesdits arbres sont creux dedans le corps. Veux-tu bien clairement entendre ces choses ? pren garde au bois de Noyer, et tu trouueras que quand il est vieux, le bois est madré, ou figuré, et de couleur noire par le dedans du tronc : et pour ceste cause, les vieux Noyers, sont plus estimez à faire menuserie, que non pas les ieunes : car le bois des ieunes est blanc, et n’y a aucune figure. Cela te doit asseurer, que les eaux qui distillent le long des branches, se retienent et arrestent sur les carrefours desdits Noyers, et petit à petit lesdites eaux entrent par les porres dudit Noyer. Et si tu ne veux croire que le bois de Noyer soit porreux, va chez vn menusier, et tu trouueras, que quand il rabote quelque table, ou membrure dudit Noyer, il se fait des escoupeaux longs, et terues (minces) comme papier : pren vn desdits escoupeaux, et le regarde contre le iour, et tu verras là vn nombre infini de petits pertuis, qui est la cause que ledit bois est fort espongieux, et suiet à s’enfler, soudain qu’il reçoit quelque humidité. Ie te donneray encore vn exemple fort aisé ; il faut que tu me confesses, que le bois d’Érable est plus madré, figuré, et damasquiné que nul autre bois, et pour ceste cause, les Flamans en font des tables merueilleusement belles : car ayans vn bois bien damasquiné, ils le sieront bien terue, et l’enchasseront dans quelque autre table de moindre estime en ioignant et assemblant plusieurs desdites tables ensemble : ils cercheront le racord des figures de la damasquine, tellement qu’il semblera que toutes lesdites tables iointes ensemble, ne sont qu’vne mesme piece, à cause que le racord des figures, empesche la cognoissance de l’assemblage. Veux-tu sçauoir à present qui est la cause que ledit bois se trouue ainsi figuré ? Note qu’il est tout branchu, depuis la racine iusques aux branches, et parce qu’il ne produit aucun fruit profitable, on couppe souuent les branches, et on laisse le tronc, lors les branches estant couppees, la teste du tronc se renforce d’escorce, et de gittes, et fait vn réceptacle, sur lequel sont retenues quantités d’eaux és temps des pluyes, ainsi que ie t’ay dit cy dessus. L’eau a son naturel de percer tousiours en bas, et passant par les porres le long du tronc, en tirant en bas, elle trouue qu’à l’endroit des branches de la iambe, le bois est plus dur, et moins porreux, parce que les nœuds desdites branches prennent leur origine dés le centre du tronc. Et ainsi que ladite eau descend en bas, et qu’elle trouue le dur de la naissance, et la branche, elle est contrainte se desuier par autre voye en tenant lignes obliques, et tant plus il y a de branches audit tronc, d’autant plus se trouuent diuerses figures au bois d’Érable. Et pour bien cognoistre cela, va à vn ruisseau où il n’y a gueres d’eau et mets plusieurs pierres dedans le cours de l’eau, enuiron distantes de quatre doits l’vne de l’autre : si les pierres sont vn peu plus hautes que l’eau, tu verras que les pierres feront diuertir l’eau en la maniere que dessus. Si ce secret estoit cogneu de tous les bois d’Érable, ils ne seroyent bruslez, ains seroyent gardez precieusement, desquels on pourroit faire de belles colonnes, et autres telles choses. Puis que nous sommes sur le propos des arbres, et des abus que les ignorans commettent au gouuernement d’iceux, combien penses tu qu’il y ait de gens, qui regardent le temps et saison conuenable pour coupper les bois de haute futee ? De ma part, ie pense qu’il y en a bien peu : vray est que communement ils ne les couppent pas en esté, parce qu’ils ont d’autres affaires, qui les pressent : et parce qu’ils n’ont rien à faire en hyuer, et qu’il fait bon trauailler pour s’eschauffer, ils couppent communement leurs bois en hyuer : car en esté ils ne pouroient finer de iournalliers, par quoy sont contrains d’attendre l’hiuer : mais il faut philosopher plus outre, car si les bois sont coupez és iours que le vent est au Sus, ou au Ouëst, ce sont les vents humides, lesquels par leurs actions font enfler les bois, et remplir les porres d’humidité : et estans ainsi enflez, humectez, et abreuuez, s’ils sont couppez en tel estat, l’humeur qui est dedans les porres s’eschauffera, et engendrera quelques cossons, ou vermines, qui quelque temps après gasteront le bois. Quoy qu’il en soit, la charpante d’vn bois couppé en la saison susdite sera de petite duree : mais si le bois est couppé en temps de froidures, et que le vent soit au Nord, les porres desdits bois sont resserez en telle sorte, que comme l’homme est plus sain et plus fort en temps de froidure, que non pas au temps que par sueur les humeurs sont dilatees, et les porres ouuerts, semblablement le bois qui est couppé au temps que le vent est au Nord, il est plus halis et plus fort que non pas en esté. Et te faut aussi noter que nulle nature ne produit son fruit sans extreme trauail, voire et douleur : ie dis autant bien les natures vegetatiues, comme les sensibles et raisonnables. Si la Poule deuient maigre, pour espellir (expellere) ses poulets, et la Chienne souffre en produisant ses petits, et consequemment toutes especes et genres, et mesme la Vipere, qui meurt en produisant son semblable[10], ie te puis aussi asseurer, que les natures vegetatiues et insensibles souffrent, en produisant leurs fruicts. I’estois quelque fois és Isles de Xaintonge, où i’apperceu vne vigne plus chargee de fruits que toutes les autres, et m’enquerant de la raison, on me respondit qu’elle estoit chargee à la mort : lors ayant demandé l’interpretation de cela, on me dist, qu’on lui auoit laissé plus de rameaux que de coustume, parce qu’on la vouloit arracher apres la cueillie, et qu’autrement on n’eust voulu permettre, qu’elle eust chargé si abondamment, ce qui vaut autant dire, que si on laissoit faire ausdites vignes ce qu’elles voudroyent, qu’elles se tueroyent, à cause de l’abondance des fruits, qu’elles s’efforceroyent de produire. I’ay contemplé plusieurs fois des arbres et plantes, qui par secheresse, ou autre accident se mouroyent : toutesfois, deuant que mourir, ils se hastoyent de fleurir et produire graines et fruits deuant le temps accoustumé. Or si ainsi est, que les arbres et autres vegetatifs trauaillent, et sont malades en produisant, il faut conclurre, que si tu couppes tes arbres au temps des fruits, des fleurs, et des feuilles, tu les couppes en leur maladie, dont la foiblesse de ladite maladie demeurera audits arbres, et la charpente qui sera faite desdits arbres ne sera iamais si forte, ni de si grande duree, que celle qui sera faite des arbres qui seront couppez au temps d’hyuer et froidures seches, comme i’ay dit cy dessus. Si tu es homme de bon iugement, tu peus à present cognoistre par les argumens susdits, que ce n’est pas sans cause, que i’ay dit, qu’il est requis quelque Philosophie à ceux qui exercent l’art d’agriculture, et si tu eusses entendu ce qu’vn bon laboureur deuroit entendre, tu n’eusses trouué estrange ce propos que ie t’ay dit au commencement, c’est à sçavoir, que ie cerchois un lieu montueux, pour edifier un iardin excellent et de grand reuenu.

Demande.

À la vérité, i’ay trouué cela fort estrange, et ne puis encore entendre la cause : parquoy, ie te prie, me la dire à fin de m’oster de ceste fantasie.

Responce.

Tu dois entendre, que les terres des lieux montueux sont plus salees, que non pas celles des vallees : et pour ceste cause, les arbres fruitiers qui croissent sur les hauts terriers produisent leurs fruits plus salez, et de meilleur goust, que ceux des vallees : voila vne raison qui te doit suffire pour le tout.

Demande.

Cuides-tu que ie te croye, de ce que tu dis à present, qu’il y aye du sel en la terre, et mesme en toutes especes ?

Responce.

Veritablement tu as vn pauure iugement : ie t’ay prouué cy deuant que, en toutes especes d’arbres, herbes, et plantes, il y auoit du sel, et à present tu veux ignorer qu’il y en aye en toutes terres. Et où penses-tu que les arbres, herbes, et plantes prennent leur sel, s’ils ne le tirent de la terre ? Tu trouuerois bien estrange, si ie te disois, qu’il y a aussi du sel en toutes especes de pierres, et non seulement és especes de pierres, mais ie te dis aussi, qu’il y en a en toutes especes de metaux : car n’y en ayant point, nulle chose ne se pourroit tenir en son estre ; ains se reduiroit soudain en cendre.

Demande.

Si de ces choses tu ne me donnes des raisons bien apparentes, ie ne croiray rien de tout ce que tu m’en as dit.

Responce.

Il te faut icy entendre, que la cause qui tient la forme et bosse des montagnes, n’est autre chose que les rochers qui y sont, tout ainsi comme les os d’vn homme tiennent la forme de la chair, de laquelle ils sont reuestus. Et tout ainsi que si l’homme auoit les os froissez et escachez, la forme du corps se viendroit à encliner, perdre et rabaisser son estre : semblablement, si les pierres qui sont és montagnes se venoyent à reduire en terre, lesdites montagnes perdroyent leur forme : car les eaux qui descendent des nues, emmeneroyent les terres desdites montagnes aux vallees, et ainsi il n’y auroit plus de montagnes, mais les pierres, comme ie t’ay dit, tiennent ladite forme. Et parce qu’esdites pierres il y a plus de sel, que non pas en la terre, les terres qui sont sur les rochers, se ressentent du sel desdites pierres : car, tout ainsi que ie t’ay dit que l’acreté de la fumee du bois estoit tesmoignage qu’elle portoit en soy quelque salsitude, qui faisoit cuire et gaster les yeux, semblablement la vapeur qui sort des rochers desdites montagnes apporte quelque salsitude és terres qui sont dessus, qui causent que les fruits qui y croissent sont plus salez, et de meilleur goust, et ne sont si sujets à putrefaction et pourriture, comme ceux qui sont produits és vallees, et ceux des vallees sont communement plus fades, et de mauuaises saveur, et sujets à pourriture. Et ce, pour cause que les terres des vallees sont suiettes à receuoir et donner passage és eaux qui descendent des montagnes, lesquelles eaux font dissoudre, et emportent le sel des terres desdites vallees, qui causent que les fruits ne sont guere salez. Item, les arbres qui sont plantez és vallees, ne peuuent porter si grande abondance de fruits, que ceux des montagnes, ou terriers hauts : et la cause est, parce que les arbres des vallees sont trop guais, à cause de l’abondance d’humeur, qui fait qu’ils employent leur temps et force à produire grande quantité de bois et branches, et cerchent le Soleil, et deuiennent plus hauts et plus droits, que ceux qui sont aux terriers hauts : aussi lesdits arbres des vallees en cas pareil n’ont point si grande quantité d’huile en leur bois, comme ceux des hauts terriers et montagnes. Voila aussi pourquoy ils ne bruslent pas si bien que ceux des hauts lieux, et ne sont lesdits arbres de si longue durée. Et si tu ne veux croire qu’il y aye du sel és fruits, contemple vn peu quelque arbre de Serisier, Pommier, ou Prunier ; si tu vois vne année qu’il n’aye guere de fruit, et que le temps se porte sec, tu trouueras ce fruit là d’vne excellente saueur : et s’il aduient vne annee fort mouillee, et que ledit arbre aye grande quantité de fruit, tu trouueras que ledit fruit sera fade, et de mauuaise saueur, et de peu de garde. Et cela aduiendra pour deux causes : la premiere est, parce que le tronc et branches dudit arbre n’ont pas assez de sel, pour en distribuer abondamment, à si grande quantité de fruit : l’autre, parce que l’annee a esté pluuieuse, et que les pluyes ont emporté partie du sel dudit fruit, comme il seroit d’vn poisson salé, qui seroit pendu à vne branche dudit arbre.

Demande.

Quant est de ces raisons que tu m’as donnees des fruits, elles sont aisees à croire : mais de croire qu’il y aye du sel aux pierres et métaux, il n’y a homme qui me le sçeust faire accroire.

Responce.

Tu trouues bien estrange, que ie dise qu’il y a du sel en toutes especes de pierres et métaux : tu t’esbahiras donc beaucoup plus, quand je te diray, qu’aucunes pierres sont presque toutes de sel, et je te prouueray par bonnes raisons, qu’il y a certains métaux, qui ne sont autre chose que sel : et à fin que n’ayes occasion de t’en aller mal édifié de mes propos, commençons du mineur au maieur. Tu me confesseras, en premier lieu, que les pierres de chaux empeschent la putrefaction, et endurcissent et mondifient les peaux des bestes mortes : ou autrement, elles ne pourroyent seruir aux Corrayeurs. Tu es bien asne, si tu penses que la pierre de chaux aye ceste vertu, sans qu’il y eust du sel. Passons outre, ie te demande, Pourquoy est-ce que les Corrayeurs iettent ladite chaux apres qu’elle a serui vne fois ? N’est-ce pas, parce que son sel s’est dissout, et estant dissout, a salé lesdites peaux, et le residu de la pierre est demeuré inutile ? Car autrement ladite chaux pourroit seruir plusieurs fois. Je t’ay donné cy dessus vn exemple du sel de l’écorce du bois, duquel se seruent les Tanneurs : l’vne raison te doit assez suffire, pour te faire croire l’autre. Si tu tastes de la chaux dissoute sur le bout de la langue, tu trouueras vne mordication salsitive beaucoup plus poignante que celle du sel commun. Item, tout ainsi que le sel du vin qu’on appelle cendre gravelee, nettoye les draps, et est bonne à la buee, aussi fait le sel, qui est aux cendres du bois. Semblablement le sel de la pierre de chaux, est bon à la buee, quelque chose qu’on die, qu’il brusle les draps : cela ne peut estre, si ce n’estoit que dedans vn peu d’eau, on mist vne grande quantité de ladite chaux : mais si vne moyenne quantité de chaux est mise et dissoute dedans assez bonne quantité d’eau, et que ladite chaux aye trempé quelque temps dedans ladite eau, le sel qui y est, se viendra à dissoudre et mesler parmi l’eau : lors ladite eau, estant salee du sel de la chaux, sera fort apte pour seruir à la buee, comme ie t’ay dit cy deuant, que l’eau qui distille des fumiers, est presque le total de ce qui deust estre porté en la terre. Voila les raisons qui te doiuent faire croire le total, toutesfois ie te donneray encore certains exemples, qui te feront croire ce que tu ignores à présent. Considere vn peu certaines pierres qu’on appelle gelices ou venteuses, et tu verras qu’elles se consomment iournellement, et se réduisent en cendre, ou menue poussière. Veux-tu sçauoir la cause de cela ? C’est parce qu’il n’y a pas long temps, que ladite pierre a esté faite, et a esté tirée de sa racine, deuant que sa discretion fust parachevée : dont s’ensuit que l’humidité de l’air, et pluyes qui donnent contre, font dissoudre le sel qui est en ladite pierre, et le sel estant ainsi dissout et reduit en eau, il laisse ses autres parties ausquelles il s’estoit ioint : et de là vient, que ladite pierre se reduit de rechef en terre, comme elle estoit premierement, et estant reduite en terre, elle n’est jamais oisifue : car si on ne luy donne quelque semence, elle se trauaillera à produire espines et chardons, ou autres especes d’herbes, arbres ou plantes, ou bien quand la saison sera conuenable, elle se reduira de rechef en pierre. Pour bien cognoistre ces choses, quand tu passeras pres des murailles qui sont gastées par l’iniure du temps, taste sur la langue, de la poussiere qui tombe desdites pierres, et tu trouueras qu’elle sera salée, et que certains rochers, qui sont descouuers, combien qu’ils soyent encore au lieu de leur essence, ils sont sujets à l’iniure du temps : et dois icy noter, que les murailles et rochers qui sont ainsi incisez par l’injure du temps, le sont beaucoup plus deuers la partie du Sus, et du Ouëst, que non pas du Nord, qui est attestation de mon dire, c’est à sçauoir, que l’humidité fait dissoudre le sel, qui estoit la cause de la tenance, forme, et discretion de la pierre : et mesme tu vois que le sel commun, estant dedans les maisons, se dissout de soy-mesme en temps de pluyes, qui sont agitées par lesdits vents du Ouëst et Sus.

Demande.

L’opinion que tu m’as dite à present, est la plus menteuse, que i’ouys iamais parler : car tu dis, que la pierre qui depuis peu de temps a esté faite, est suiette à se dissoudre, à cause de l’injure du temps, et ie sçay que dés le commencement que Dieu fit le Ciel et la terre, il fit aussi toutes les pierres, et n’en fut fait onques depuis. Et mesme le Pseaume, sur lequel tu veux édifier ton iardin, rend tesmoignage que le tout a esté fait dés le commencement de la création du monde.

Responce.

Ie ne vis onques homme de si dure ceruelle que toy : ie sçay bien qu’il est escrit au liure de Genese, que Dieu crea toutes choses en six iours, et qu’il se reposa le septiesme : mais pourtant, Dieu ne crea pas ces choses pour les laisser oisifues, ains chacune fait son deuoir, selon le commandement qui luy est donné de Dieu. Les astres et planetes ne sont pas oisifues, la mer se pourmeine d’vn costé et d’autre, et se trauaille à produire choses profitables, la terre semblablement n’est iamais oisifue : ce qui se consomme naturellement en elle, elle le renouuelle et le reforme de rechef, si ce n’est en vne sorte, elle le refait en vne autre. Et voila pourquoy tu dois porter les fumiers en terre, afin que de rechef, la terre prenne la mesme substance qu’elle luy auoit donnee. Or faut icy noter que, tout ainsi que l’extérieur de la terre se trauaille pour enfanter quelque chose : pareillement le dedans et matrice de la terre se trauaille aussi à produire : en aucuns lieux elle produit du charbon fort utile, en d’autres lieux, elle conçoit et engendre du fer, de l’argent, du plomb, de l’estain, de l’or, du marbre, du iaspe, et de toutes especes de mineraux, et especes de terres argileuses, et en plusieurs lieux elle engendre et produit du bitume, qui est une espèce de gomme oligineuse, qui brusle comme résine : et aduient souuent que, dedans la matrice de la terre, s’allumera du feu par quelque compression, et quand le feu trouue quelque miniere de bitume, ou de souffre, ou de charbon de terre, ledit feu se nourrist, et entretient ainsi sous la terre : et aduient souuent, que par un long espace de temps, aucunes montagnes deuiendront vallées par vn tremblement de terre, ou grande vehemence que ledit feu engendrera, ou bien, que les pierres, metaux, et autres mineraux qui tenoyent la bosse de la montagne se brusleront, et en se consommant par feu, ladite montagne se pourra encliner et baisser petit à petit : aussi autres montagnes se pourront manifester et esleuer, pour l’accroissement des roches et minéraux, qui croissent en icelles, ou bien il aduiendra, qu’vne contree de pays sera abysmee, ou abaissee par un tremblement de terre, et alors, ce qui restera, sera trouvé montueux : et ainsi, la terre trouuera touiours dequoy se trauailler, tant és parties intérieures, qu’extérieures. Et quant est de ce que tu te mocques, que ie t’ay dit, que les pierres croissent en terre, il n’y a aucune occasion, ni raison de se mocquer de moy : mais ceux qui s’en mocqueront, se déclareront ignorans deuant les Doctes : car il est certain, que si depuis la création du monde, il n’estoit creu aucune pierre en la terre, il seroit difficile d’en trouuer auiourd’huy une charge de cheual en tout vn Royaume, sinon en quelques montagnes et deserts, ou autres lieux non habitez, et donneray à present à cognoistre, qu’il est ainsi que ie t’ay dit. Considere vn peu combien de millions de pippes de pierres, sont iournellement gastees, à faire de la chaux. Item, considere vn peu les chemins, tu trouveras qu’un nombre infiny de pierres, sont reduites en poussiere, par les chariots et cheuaux, qui passent iournellement par lesdits chemins. Item, regarde vn peu trauailler les Massons, quand ils feront quelque bastiment de pierre de taille, et tu verras qu’vne bien grande partie de ladite pierre est gastée, et mise en poussiere, ou en farine par lesdits Massons. Il n’y a homme au monde ny esprit si subtil qui sçeust nombrer la grande quantité de pierres qui sont iournellement dissoutes et puluerisees par l’effet des gelees, non comprins vn nombre infini d’autres accidens, qui iournellement gastent, consument, et reduisent les pierres en terre. Parquoy, ie puis asseurement conclurre que, si les pierres n’eussent esté aucunement formees, creuës, et augmentees depuis la premiere creation escrite au liure de Genese, qu’il seroit auiourd’huy difficile d’en pouuoir trouuer vne seule, sinon, comme i’ay dit cy deuant, és hautes montagnes et lieux deserts et non habitez, et sera bien gros d’esprit, celuy qui ne le croira ainsi, s’il a esgard és choses susdites.

Demande.

Donne moy donc quelque raison, qui me face entendre, comment les pierres croissent iournellement entre nous, et lors ie ne t’importuneray plus.

Response.

Sur toutes les choses qui m’ont fait croire et entendre, que la terre produisoit ordinairement des pierres, ç’a esté, parce que i’ay trouué plusieurs fois des pierres, qu’en quelque part qu’on les eust peu rompre, il se trouuoit des coquilles, lesquelles coquilles estoyent de pierre plus dure que non pas le residu, qui a esté la cause, que ie me suis tourmenté et debatu en mon esprit l’espace de plusieurs iours, pour admirer et contempler, qui pouuoit estre le moyen et cause de cela. Et quelque iour ainsi que i’estois és Isles de Xaintonge, en allant de Marepnes à la Rochelle, i’ay apperceu vn fossé creusé de nouueau, duquel on auoit tiré plus de cent charetées de pierres, lesquelles en quelque lieu ou endroit qu’on les sçeust casser, elles se trouuoient pleines de coquilles, ie dis si pres à pres, qu’on n’eust sçeu mettre vn clos de cousteau entre elles sans les toucher : et deslors ie commençay à baisser la teste, le long de mon chemin, à fin de ne voir rien qui m’empeschast d’imaginer qui pourroit estre la cause de cela : et estant en ce trauail d’esprit, ie pensay deslors, chose que ie crois encore à present, et m’asseure qui est veritable, que pres dudit fossé il y a eu d’autres fois quelque habitation, et ceux qui pour lors y habitoient, apres qu’ils auoient mangé le poisson qui estoit dedans la coquille, ils iettoyent lesdites coquilles dedans cette vallée, où estoit ledit fossé, et par succession de temps, lesdites coquilles s’estoient dissoutes en la terre, et aussi la terre de ce bourbier s’estoit mondifiee, et les saletez pourries, et reduites en terre fine, comme terre argileuse : et ainsi que lesdites coquilles se venoient à dissoudre et liquefier, et la substance et vertu du sel desdites coquilles faisoient attraction de la terre prochaine, et la reduisoyent en pierre avec soy, toutesfois, parce que lesdites coquilles tenoient plus de sel en soy, qu’elles n’en donnoient à la terre, elles se congeloient d’vne congelation beaucoup plus dure, que non pas la terre : mais l’vn et l’autre se reduisoyent en pierre, sans que lesdites coquilles perdissent leur forme[11]. Voila la cause, qui depuis ce temps là, me fit imaginer, et repaistre mon esprit de plusieurs secrets de nature, desquels ie t’en monstreray aucuns. Item, vne autre fois je me pourmenois le long des rochers de cette ville de Xaintes, et en contemplant les natures, i’apperceu en vn rocher certaines pierres, qui estoyent faites en façon d’vne corne de mouton[12], non pas si longues, ny si courbées, mais communement estoient arquees et auoyent environ demi-pied de long. Ie fus l’espace de plusieurs annees, deuant que ie cogneusse qui pouuoit estre la cause que ces pierres estoyent formees en telle sorte : mais il aduint vn jour, qu’vn nommé Pierre Guoy, Bourgeois et Escheuin de cette ville de Xaintes, trouua en sa Mestairie vue desdites pierres, qui estoit ouuerte par la moitié, et auoit certaines denteleures, qui se ioignoyent admirablement l’vne dans l’autre : et parce que ledit Guoy sçauoit que i’estois curieux de telles choses, il me fit un present de ladite pierre, dont ie fus grandement resiouy, et deslors ie cogneu, que ladite pierre auoit esté d’autres fois vne coquille de poisson duquel nous n’en voyons plus. Et faut estimer et croire, que ce genre de poisson a d’autres fois frequenté à la mer de Xaintonge : car il se trouue grand nombre desdites pierres, mais le genre du poisson s’est perdu, à cause qu’on l’a pesché par trop souuent, comme aussi le genre des Saumons se commence à perdre en plusieurs contrees des bras de mer, parce que sans cesse on cerche à le prendre, à cause de sa bonté. I’estois quelque fois à Sainct-Denis d’Olleron, qui est la fin d’une isle de Xaintonge, où ie prins une vingtaine de femmes et enfans, pour me venir aider à cercher sur les roches maritimes, certaines coquilles, desquelles i’avois necessairement affaire, et m’estant rendu sur vn rocher, qui estoit iournellement couuert de l’eau de la mer, il me fut monstré vn grand nombre de poisson armé, qui estoit fait en forme d’vn pellon de chastagne, plat par dessous, et vn trou bien petit, duquel il s’attachoit à la roche, et prenoit nourriture par ledit trou : or ledit poisson n’a aucune forme, ains est vne liqueur semblable à l’huitre, toutesfois elle remplist toute sa coquille[13]. Le dehors et dessus de sa coquille, est tout garny d’vn poil dur, et poignant, comme celui d’vn herisson, aussi ledit poisson s’appelle herisson. Ie fus fort aise de l’auoir trouué, et en ayant prins et emporté vne douzaine en ma maison, ie fus grandement deceu : car quand le dedans de la coquille fut osté, la racine du poil qui tenoit contre la coquille, se putrefia en peu de iours, et ledit poil tomba : et apres que le poil fut tombé, la coquille demeura toute nette, et à l’endroit de la racine de chacun poil, se trouua vne bossette, lesquelles bossettes sont mises par vn si bel ordre, qu’elles rendent là coquille plaisante et admirable. Or quelque temps apres, il y eut vn Aduocat, homme fameux, et amateur des lettres et des arts, qui en disputant de quelque art, il me monstra deux pierres toutes semblables de forme ausdites coquilles d’herisson qui toutesfois estoyent toutes massives ; et soustenoit ledit Aduocat nommé Babaud, que lesdites pierres auoyent esté ainsi taillees par la main de quelque Ouurier, et fut fort estonné, quand ie lui maintins, que lesdites pierres estoyent naturelles, et trouua fort estrange, que ie disois, que ie sçauois bien la cause pourquoy elles auoyent prins vne telle forme en la terre : car i’auois desja consideré, que c’estoit de ces coquilles d’herisson, qui à succession de temps s’estoyent liquifiees, et en fin reduites en pierre, voire que la salsitude de ladite coquille auoit ainsi congelé et reduit en pierre, la terre qui estoit entrée dans ladite coquille : or ay-ie recouuert depuis ce temps-là plusieurs desdites coquilles, qui sont conuerties en pierre. Voila qui te doit faire croire, que iournellement la terre produit des pierres, et qu’en plusieurs lieux la terre se reduit en pierre par l’action du sel, qui fait le principal de la congelation, comme tu peux cognoistre, que pour cause que les coquilles sont salees, elles attirent à soy ce qui leur est propre, pour se reduire en pierre. Item, ay trouué plusieurs coquilles de sourdon, qui estoyent reduites en pierres : toutesfois elles estoyent massiues, combien qu’elles fussent iointes, comme si le poisson eust esté dedans. Et que diras-tu de ceux qui ont trouué des os d’hommes enclos dedans des pierres, et autres ont trouué des monnoyes antiques ? N’est-ce pas bien attestation, que les pierres augmentent en la terre ? Veux tu encore vn bel exemple ? Il y a certaines pierrieres, desquelles la pierre a vn nombre infini de fins, combien qu’elles se tiennent en vne masse, si est-ce qu’en mettant des coins par dessous, elle se fendra aisément, et se leuera en sus. Veux tu sçauoir comme on la tire, sçache que parce que les veines ou fins[14] de ladite pierre sont en trauersant, Vitruue dit qu’en couppant ladite pierre il faut marquer son lict : car si les Massons mettoyent la pierre qui estoit couchée en son lict debout, le bout qui estoit de trauers, cela causeroit que ladite pierre se fendroit, et s’esclatteroit, pour la pesanteur de celles qui seroyent mises dessus. Toutes pierrieres ne sont pas ainsi, il y en a aucunes, qui n’ont ne long, ne trauers ; mais sont si bien congelées, qu’on ne regarde pas du costé qu’on les met. Venons à present à la cause, qu’aucunes pierres ont si grand nombre de veines, lesquelles sont aisees à fendre, et pourquoy c’est que les veines ne sont aussi bien descendantes d’en haut, comme elles vont en trauersant. La cause de cela, est, parce qu’au dessus de la pierriere, il y a vue grande espesseur de terres : il est bien vray, que quand la pierre se faisoit, l’eau qui tomboit des pluyes, passant à trauers de ladite terre, prenoit auec soy quelque espece de sel et l’eau estant descendue iusques à la profondeur du lieu où elle s’arrestoit, ladite eau ainsi salée, conuertissoit et congeloit la terre où elle estoit arrestee, en pierre : et pour ce coup se formoit une couche, ou lict, de ladite pierre, et estant endurcie, elle seruoit après de receptacle pour les autres eaux qui tomboyent apres, et passoyent à trauers des terres, iusques audit receptacle, et ayant prins encores un coup quelque sel en passant par les terres, il se formoit vne autre couche, ou lict, qui se formoit et se ioignoit auec le premier ; et ainsi à diuerses fois, annees, et saisons, plusieurs minieres de pierres ont esté augmentees, et augmentent journellement en la matrice de la terre. Et il aduient quelque fois qu’un lict et couche de pierre aura par dessus quelque couche de terre glueuse, qui causera quelque saleté au dessus du terrier ou lict : les autres eaux qui se congeleront auec la terre, qui est dessus ledit lict, ne se pourroyent ioindre ou souder ensemble, à cause de la saleté contraire. Dont se commencera un lict à part, et se trouuera vne separation en ladite roche, que les pierreurs appellent vne fin.

Demande.

Penses-tu me trouuer si beste, que ie croye à present une telle folie, que tu m’as icy proposé ? Ne sçay-ie pas bien, si ainsi estoit, que de puis la creation du monde, toutes les eaux et la terre seroyent conuerties en pierre, et qu’à present les poissons seroyent à sec ?

Response.

Ie t’asseure, que ie ne cogneus onques vne si grande beste que toy ; i’ay perdu mon temps de tout ce que ie t’ay dit cy deuant : car tu n’as rien conceu. T’ay-ie pas dit, que tout ainsi, que journellement les pierres estoyent augmentees d’vne part, qu’en cas pareil, elles estoyent diminuees d’vne autre part, et en se diminuant par fractions, brisures, et dissolutions des vents, pluyes, et gelees, lorsqu’elles sont dissoutes, elles rendent l’eau, le sel, et la terre, de laquelle elles auoyent prins leur essence ?

Demande.

Voire, mais ie voy bien souuent des pierres qui sont fort blanches, et toutesfois la terre qui est dessus, est noire : s’il y auoit de ladite terre, comme tu dis, la pierre ne seroit ainsi blanche, ains seroit de la couleur de la terre qui est dessus, puis qu’elle a esté formée de partie d’icelle.

Responce.

Si tu auois quelque Philosophie, tu n’eusses ainsi argumenté : car c’est chose certaine, que le sel blanchist la terre en la congelation, et non seulement la terre, mais plusieurs autres choses, tesmoins les experts Alchimistes, qui souuentesfois prendront du sel de tartare, ou du sel de salicor, ou quelque autre espece de sel, pour blanchir le cuiure, et le faire ressembler argent. Le plomb aussi qui est noir, quand il est calciné par la vapeur salsitive du vinaigre, il se reduit en blanc de plomb dequoy la ceruse est faite, et blanc rasis, qui est la plus blanche de toutes les drogues. Et quant est de ce que tu as allegué, que depuis le commencement du monde, toutes les eaux eussent esté conuerties en pierre, s’il estoit ainsi comme ie t’ay dit, tu as fort mal entendu ce poinct : car ie ne t’ay point dit, que toute l’eau qui passoit à trauers des terres, se conuertissoit en pierre, mais seulement vne partie : et qu’ainsi ne soit, qu’il n’y aye de l’eau dedans les pierres, considere celles qu’on fait cuire pour faire la chaux, et tu trouueras, qu’elles sont pesantes deuant qu’estre cuites, et apres qu’elles sont cuites, elles sont legeres. N’est-ce pas attestation, que l’eau qui estoit iointe auec le sel de la terre, s’est euaporé par la vehemence du feu, et les autres parties sont demeurees alterees, qui cause que soudain qu’on met de l’eau dessus lesdites pierres de chaux, se trouuans alterees, emboiuent si tres violemment que cela les cause soudain reduire en farine ? et te faut icy noter, que les pierres qui sont faites d’vn bien long-temps, l’eau et les autres parties se sont si bien vnies, qu’elles ne peuuent estre propres à faire la chaux, à cause que leur congelation est plus parfaite, comme ie te feray bien entendre, en te parlant des cailloux : mais les pierres bonnes à faire chaux, il n’y a pas long temps qu’elles sont congelees et fermees : et si autrement estoit, qu’ainsi que ie te dis, toutes pierres seroyent bonnes à faire chaux. Et quant est de l’autre poinct, que l’eau qui passe à trauers des terres se reduit en pierre, et que ie t’ay dit, que cela ne s’entendoit pas du tout, ains d’vne partie, considere vn peu la maniere de faire le salpestre. On fera bouillir l’eau qui aura passé par la terre salpestreuse, et par les cendres : est-ce pourtant à dire que toute ladite eau se conuertisse en salpestre ? Non. Pareillement, toute l’eau qui passe à trauers des terres, ne se conuertist pas en pierre, mais vne partie : et ainsi, il y a bien peu d’endroits en la terre, qui ne soyent foncez de pierre, ou d’vne espece, ou d’autre : car autrement il seroit difficile de trouuer une seule fontaine.

Demande.

Ie te prie, laisse pour cette heure le propos des pierres, et me fay une petite enarration de ces fontaines, puis que le propos s’y presente.

Responce.

Ie t’ay dit cy deuant, qu’il y a bien peu de terre, qui ne soit foncee par dessous de pierres, ou de mines de metaux, ou de terre argileuse, voire bien souuent foncee de toutes les trois especes : dont s’ensuit, que quand les eaux des pluyes tombent de l’air sur la terre, elles sont retenues sur lesdits rochers, et lesdits rochers seruent de vaisseau et receptacle, pour lesdites eaux : car autrement, les eaux descendroyent iusques aux abysmes, ou au centre de la terre : mais estans ainsi retenues sur les rochers, elles trouuent quelque fois des iointures et veines esdits rochers, et ayans trouué tant peu soit-il d’aspiration, soit terue, ou fente, ou quoy que ce soit, lesdites eaux prendront leurs cours deuers la partie pendante, pourueu qu’elles trouuent tant peu soit-il d’ouuerture : et de là vient le plus souuent, que des rochers et lieux montueux sortent plusieurs belles fontaines : et de tant plus elles viennent de loin, sortans et passans par des bonnes terres, d’autant plus lesdites eaux seront saines et purifiees, et de bonne saueur. Aussi communement les eaux qui sortent desdits rochers, sont plus salees, et de meilleur goust que les autres, parce qu’elles font tousiours quelque peu d’attraction du sel qui est esdits rochers.

Demande.

Tu reuiens tousiours au propos de ce sel, et on ne te sçauroit oster de la teste, qu’il n’y aye du sel aux pierres.

Responce.

Ie ne t’ay pas dit, aux pierres seulement, mais aussi aux cailloux, et en toutes choses.

Demande.

Ie te nie à present qu’il y aye aucun sel aux cailloux, et te prouueray le contraire, par certains argumens, que tu m’as cy deuant baillez. Tu m’as dit, que les pierres qu’on appelloit gelices ou venteuses, se dissoluoyent à l’humidité du temps, à cause du sel qui estoit en elles : aussi tu m’as dit que, des pierres à faire chaux, l’humide s’euaporoit, pour la vehemence du feu : or est-il chose certaine, que les cailloux ne sont suiets à nuls de ces accidens : car ie n’en vis iamais dissoudre par l’iniure du temps, aussi le feu ne chasse aucunement l’humeur desdits cailloux : te voila donc vaincu par tes mesmes raisons.

Responce.

Ie veux à present prouuer mon dire veritable, par les mesmes raisons que tu prens, pour le rendre menteur. Tu dis qu’aux cailloux, il n’y a aucune espece de sel, parce qu’ils ne sont suiets à se dissoudre, ne par eau, ne par feu : cela n’empesche point qu’il n’y en aye, voire beaucoup plus abondamment, que non pas és pierres tendres, bonnes à massonner : et qu’ainsi ne soit, as-tu iamais veu faire verre, qu’il n’y eust du sel ? As-tu aussi iamais veu aucun, qui sceust faire fondre, ou liquifier les cailloux, sans sel ? Il faut necessairement, que pour faire liquifier les cailloux, qu’on y mette quelque espece de sel : or le plus apte pour cest affaire est le salicor, et apres cestuy là, le sel de tartare y est fort propre, car il a pouuoir de contraindre les autres choses à se liquifier, combien que d’elles-mesmes soyent liquifiables. Tu m’as dit, que les cailloux n’estoyent suiets à nulle dissolution par humidité, ne par feu : et par là tu as voulu prouuer, qu’ils ne tenoyent point de sel en leur nature, mais tu n’as pas dit ce qui est du caillou : car veritablement, quand il est mis en vne fournaise extremement chaude, comme les fournaises à faire chaux ou verre, ou autres telles fournaises, esquelles le feu est extremement violent, lesdits cailloux se viennent à vitrifier d’eux-mesmes, sans aucune mixtion, ce qui est vne attestation bien notoire, que les cailloux ont en eux grande quantité de sel, qui leur cause se vitrifier, voire que le sel qui est en soy, tient si bien fixes les autres especes, que lesdits cailloux ont retenu leur humeur, en telle sorte qu’ils ne se peuuent iamais exhaller, ains toutes les matieres desdits cailloux sont fixes et inseparables : et qu’ainsi ne soit, pren vn certain poids de verre, qui aura esté fait desdits cailloux et du salicor, fay le chauffer le plus violemment que tu pourras, si est-ce que tu trouueras encore son poids. Par cy deuant ie t’auois bien dit, que l’humidité de la pierre de chaux s’exhalloit au feu, mais quant est du sel qui est en ladite pierre, ie ne t’auois pas dit, qu’il fust suiet à exhallation, mais bien à se dissoudre. Voila vne raison qui te doit faire croire, que tant plus il y a de sel en vne pierre, d’autant plus elle est fixe. I’ay encore vn exemple, pour te le mieux prouuer. Il est ainsi, que le verre le plus beau, est fait de sel et de cailloux : or est-il fixe autant que matiere de ce monde, comme ie t’ay dit : toutesfois, il est transparent, qui est signe et apparence euidente, qu’il n’y a guere de terre. Il s’ensuit donc, qu’il y en a bien peu au caillou, et au salicor. Que dirons-nous donc, que c’est de ces matieres ainsi diaphanees ? Nous pourrons dire, qu’il n’y a guere autre chose que de l’eau, et du sel, et bien peu de terre : car la terre n’est pas diaphane de soy, et s’il y en auoit quantité, le verre ne pourroit estre transparent : suiuant quoy, que pourrons nous dire du caillou, sinon qu’il est engendré de semblables matieres que le verre ? Et ce, d’autant qu’il est diaphane comme le verre, et aussi sujet à se vitrifier de soy-mesme, sans aucun aide, et la vitrification ne se pourroit faire sans sel. Parquoy, il est à conclurre, que esdits cailloux, il y a vne bonne portion de sel.

Demande.

Tu m’as cy deuant dit, qui estoit cause que la pierre s’augmentoit assiduellement és minieres, mais quant est des cailloux, qui sont faits de petites pieces, tu ne m’as pas dit la cause, ne l’origine de l’essence.

Responce.

En ce pays de Xaintonge nous auons grande quantité de terres vareneuses[15], auxquelles se trouue vn nombre de cailloux, qui se forment annuellement en la terre, qui sont fort cornus, et raboteux, et mal plaisans par le dehors : mais par le dedans, ils sont blancs et cristalins, fort plaisans, et propres à faire verres et pierreries artificielles[16]. La cause que lesdits cailloux sont ainsi cornus et raboteux par le dehors, c’est à cause de la place et lieu où ils ont esté formez, qui est, que quelque temps apres que les herbes et pailles dudit champ ont esté pourries, et qu’il aura demeuré long temps sans pleuuoir, il viendra quelque temps apres, qu’il fera vne certaine pluye, qui prendra le sel de la terre et des herbes qui auoyent esté pourries dans le champ : et ainsi que l’eau courra le long du seillon du champ, elle trouuera quelque trou de taupe, ou de souris, ou autre animal, et l’eau ayant entré dedans le trou, le sel qu’elle aura amené prendra de la terre et de l’eau ce qu’il luy en faut, et selon la grosseur du trou et de la matiere, il se congelera (cristallisera) vne pierre, ou caillou tel que ie t’ay dit cy dessus, qui sera bossu, raboteux, et mal plaisant, selon la forme de la place où il aura esté congelé. Veux-tu que ie te donne des raisons, qui m’ont fait cognoistre qu’il est ainsi ? Quelquefois ie cerchois des cailloux, pour faire de l’esmail, et des pierres artificielles : or apres auoir assemblé vn grand nombre desdits cailloux, en les voulant piler, i’en trouuay vne quantité qui estoyent creux dedans, où il y auoit certaines pointes, comme celles de diamant, luisantes, transparentes, et fort belles : alors ie me commençay à tormenter, pour sçauoir qui estoit la cause de cela, et ne la pouuant entendre par Theorique, ne Philosophie naturelle, il me print desir de l’entendre par pratique, et ayant prins vne bonne quantité de salpestre, ie le fis dissoudre dans vne chaudiere auec de l’eau, laquelle ie fis bouillir : et estant ainsi bouillie et dissoute, ie la mis refroidir, et l’eau estant froide, i’apperceu que le salpestre s’estoit congelé aux extremitez de la chaudiere, et lors ie vuiday l’eau de ladite chaudiere, et trouuay que les glaçons du salpestre estoient formez par quadratures et pointes fort plaisantes. Quoy consideré deslors en mon esprit, ie vi, que les cailloux dont ie t’ay parlé, estoient aussi congelez : mais ceux qui se trouuerent massifs, c’est signe et euidente preuue qu’il y auoit assez de matiere pour remplir la fosse ; et ceux qui estoient creux, c’est qu’il y auoit vne superfluité d’eau, laquelle s’estoit dessechee, pendant que la congelation se faisoit aux extremes parties : et quand l’humidité du milieu se dessechoit, les matieres propres pour le caillou, demeuroient fermes et congelees par le dedans, comme petites pointes de diamant. Ie ne te dis chose, que ie ne te monstre de quoy, si tu veux venir en mon cabinet, car ie te monstreray de toutes especes de pierres, que ie t’ay parlé. I’ay trouué quelques especes de cailloux, qui ont vn trou ou canal, qui passe tout à trauers desdits cailloux, cela m’a faict asseurement croire, que l’eau qui apportoit les matieres du caillou, passoit tout à trauers, pendant que ledit caillou se congeloit : et parce que le cours de l’eau ne trouuoit aucune fermure qui l’arrestast, elle a tousiours passé à trauers dudit caillou, et en passant en ceste sorte, la vistesse de l’eau a empesché qu’il ne se fist congelation au milieu dudit caillou : dont s’en est ensuiui, que le caillou est demeuré creux comme vne canelle tout à trauers. Tu peux prendre cest exemple par les ruisseaux courans au temps des gelees, lesquels se congelent aux extremitez, mais non pas au cours principal, à cause de la vistesse de l’eau. Il y a vn autre exemple, qui m’a fait croire, que les pierres ont esté congelees de certaine liqueur, par la vertu du sel. Quelquefois ainsi que i’allois de Xaintes à Marepnes, passant par les brandes[17] de sainct Sorlin, ie vy certains manouuriers, qui tiroient de la terre d’argile, pour faire de la thuile : et ainsi que i’estois arresté, pour contempler la nature de la terre susdite, i’apperceu vn grand nombre de petits tourteaux de marcacites (pyrites), qui se trouuoient parmy ladite terre : et ayant contemplé plus outre, ie cogneus que lesdites pierres de marcacites auoient vne forme telle, comme si quelqu’vn auoit coulé de la cire fondue petit à petit auec vne cuillere : car lesdites marcacites estoient faites par rotonditez conglacees, la premiere plus euasee que la seconde, et la seconde plus que la tierce, et consequemment toutes les circulations et rotonditez estoyent faites en appetissant, en montant en haut, et en la fin de ladite pierre, il y auoit vne pointe, qui me faisoit naturellement cognoistre, que c’estoit la fin et derniere goutte de la liqueur, qui auoit distillé lorsque lesdites marcacites se congeloyent : si de cela tu ne me veux croire, va t’en ausdits terriers, et tu trouueras quantité desdites marcacites, et si tu les gardes long temps, tu trouueras qu’elles chaumeniront (durciront), et taste au bout de la langue, et tu trouueras qu’elles sont salees, qui te fera croire, que les metaux ont en eux du sel, aussi bien comme les pierres : car les marcacites ne sont autre chose, que commencement de quelque metal : et qu’ainsi ne soit, pren deux desdites pierres, et les frotte l’vne contre l’autre, et tu trouueras qu’elles sentiront comme le souffre, et mesme si tu les frappes, il en sortira du feu, comme fait des autres mines de metaux. Ie te veux alleguer encore un exemple de la congelation des cailloux. Quelque fois que i’estois à Tours durant les grands iours de Paris, qui estoyent lors audit Tours, il y eut vn grand Vicaire dudit Tours, Abbé de Turpenay, et maistre des requestes de la Royne de Nauarre, homme Philosophe et amateur des lettres, et des bonnes inuentions, il me monstra en son cabinet plusieurs et diuerses pierres : mais entre toutes les plus admirables, il me monstra vne grande quantité de cailloux blancs, formez à la propre semblance de dragees de diuerses façons, et en faisoit ledit Abbé plusieurs presens, comme de chose admirable : quelques iours apres, il me mena en son Abbaye de Turpenay, et en passant par vn village, qui est le long de la riuiere de Loire, il me monstra vne grande cauerne, par laquelle on alloit bien auant sous terre, par le dessous des rochers : et me dist, qu’au dedans de ladite cauerne, il y auoit un rocher, duquel tomboit de l’eau par petites gouttes, bien lentement : et en distillant, elle se congeloit, et se reduisoit en vne masse de caillou blanc, et me dit, qu’on mettoit par dessous l’eau qui distilloit de la paille, à fin que les gouttes qui distilleroyent, se congelassent sur ladite paille, pour faire des dragees (stalactites) de diuerses façons, et m’asseura ledit Abbé, que la dragee qu’il m’auoit monstree, auoit esté prinse en ce lieu là, et qu’elle auoit esté faite par le moyen susdit : aussi plusieurs gens dudit village m’attesterent la chose estre telle. Tu peux bien donc croire à present, que l’eau des pluyes qui passe à trauers des terres, qui sont au dessus du rocher, apporte quelque espece de sel, qui cause la congelation de ces pierres, qui est le propos que ie t’ay tousiours tenu. Cela se peut encores auiourd’huy verifier : nous pouuons aussi iuger par là, que le cristal, et autres pierres transparentes, sont congelees la plus grand part d’eau et de sel.

Demande.

Par quel argument me voudrois-tu faire croire, que le cristal soit fait d’vne eau congelee ?

Responce.

J’avois vne fois vne boule de cristal, qui estoit bien nette, ronde, et bien polie : quand ie la regardois en l’air, i’apperceuois certaines estincelles à trauers dudit cristal, apres, ie prenois vne phiole pleine d’eau claire, et voyois aussi des bluettes ou estincelles semblables à celles du cristal. Je prenois aussi une piece de glace, et la regardois en l’air, et en cas pareil, j’apperceuois des petites bluettes et estincelles comme dessus : et me sembloit, que les trois choses susdites se ressembloyent de couleur, de pesanteur, et de froidure. Voila qui me donna occasion d’entendre et cognoistre, que toutes les pierres transparentes, sont la pluspart de matiere haineuse, et de tant plus elles sont haineuses, elles resistent plus vaillamment au feu, et de tant plus qu’elles sont de nature froide, de tant plus elles se cassent en se froidissant, quand elles sont vne fois eschauffees.

Demande.

Entre toutes les choses que tu m’as conté de la croissance des pierres, ie ne trouue rien si estrange, que ce que tu m’as dit des varaines : car tu dis qu’en ceste terre là, il y a quelque espece de sel, qui cause la congelation desdites pierres.

Responce.

Veux-tu que de cela ie te donne presentement vn bon argument ? Va t’en à un four à chaux, duquel le mortier sera fait de ladite varaine, si ledit four a chauffé deux ou trois fois, tu verras que son mortier se sera vitrifié. J’en ay veu aucuns duquel le mortier estoit si fort vitrifié, qu’il y avoit plusieurs tetines de verre, qui pendoyent és voutes dudit fourneau. Penses-tu que la terre se fust ainsi vitrifiee, s’il n’y auoit quelque espece de sel ? Tu trouuerois bien estrange, si quelqu’vn te disoit, qu’il y a du bois, qui se reduist en pierre : il te fascheroit beaucoup de le croire, toutesfois ie croy qu’il est ainsi : et sçay bien les causes pourquoy cela se fait. Il y a vn Gentilhomme pres de Peyrehourade, qui est l’habitation et Ville du Viscomte d’Orto, cinq lieux distante de Bayonne, lequel Gentil-homme est Seigneur de la Mothe, et Secretaire du Roy de Nauarre, homme fort curieux et amateur de vertu : il se trouva quelquefois à la Cour, en la compagnie du feu Roy de Nauarre, auquel il fut apporté audit Roy, vne piece de bois, qui estoit reduite en pierre, dont plusieurs furent esmerueillez : et apres que ledit Sieur, eust reçeu ladite pierre, il commanda à vn quidam de ses seruiteurs, de la luy serrer auec ses autres richesses : lors le Seigneur de la Mothe, Secretaire susdit, pria ledit quidam de luy en donner vn petit morceau, ce qu’il fit, et ledit de la Mothe, passant par ceste ville de Xaintes, m’en fit vn present, sçachant bien à la vérité, que i’estois curieux de telles choses. Cela te peut estre dur à croire : mais de ma part, ie sçay à la vérité, qu’il est ainsi, et depuis, ie me suis enquis, d’où c’estoit que le bois reduit en pierre, auoit esté apporté : il me fut dit, qu’il y auoit vne certaine forest de Fayan, qui estoit vne partie marescageuse, dont je conclus en mon esprit, que le bois de Fayan, tient en soy plus de sel, que nulle autre espece de bois : parquoy il faut croire, que quand ledit bois est pourri, et que son sel est humecté, il reduit le bois, qui est desja pourri, en espece de fumier, ou terre, et deslors, le sel qui est dissout dudit bois, endurcist l’humeur pourrie du bois, et la reduist en pierre, qui est la mesme raison, que ie t’ay dit des coquilles, c’est, que pour se mollifier et reduire en pierre, elles ne perdent aucunement leur forme : semblablement, le bois estant reduit en pierre, tient encore la forme du bois, tout ainsi comme les coquilles. Et voila comment nature n’est pas si tost destruite d’vn effet, qu’elle ne recommence soudain vn autre, qui est ce que ie t’ay tousiours dit, que la terre et autres elemens ne sont iamais oisifs. Sçais-tu ce qui me fait croire, que le bois de Fayan est plus apte à reduire en pierre, que non pas les autres bois ? C’est parce qu’il a en soy vne si grande quantité de sel, qu’il y a aucunes verrieres de verre de vitre, où apres qu’ils ont chauffé leur fourneau dudit Fayan, ils prennent la cendre, pour se seruir à faire verres de vitres, en lieu de salicor, ou de fougere. Il ne faut donc trouuer estrange, si ledit bois estant pourri, est propre pour se reduire en pierre, attendu qu’il est propre et vtile à faire verres : car tout bien consideré, le verre n’est autre chose qu’une pierre. Pourquoy est-ce que tu trouves estrange, que ie dis, que les pierres s’engendrent annuellement en la terre, veu qu’elles s’engendrent bien dedans le corps des hommes, et dedans la teste des bestes ? Il n’est pas iusques aux limaces rouges, qui n’en ayent. Les Medecins disent, que les poissons portans coquilles, sont dangereux d’engendrer la pierre, c’est vne attestation, de tout ce que i’ay dit cy deuant, que si le poisson qui porte coquille engendre la pierre, la coquille a esté formee de la propre substance du poisson : et ainsi, ils sont d’vne mesme nature. Je finiray donc mon propos, en concluant, que tout ce que i’ai dit cy dessus, contient vérité. Combien que i’eusse cy devant conclu, ce que ie pretendois traitter de l’essence des pierres, et de l’action du sel, si est-ce, qu’à fin que le secret que i’ay donné des fumiers, serue à l’vniuersel, et qu’on ne meprise en cest endroit mon conseil, pour tousiours mieux asseurer, que le sel a affinité auec toutes choses, et que sans iceluy, toutes choses se putrefieroyent soudain, i’ay voulu encore t’aduertir, que i’ay leu quelque historien, qui dit, qu’en Arabie se trouue quelques Contrees de pierre de sel, desquelles on bastist les maisons. Tu ne dois donc trouuer estrange, si ie t’ay dit, que les cailloux, qui sont transparens comme verres, sont congelez par le sel. Et quant à ce que ie t’ay dit, qu’aucunes pierres se consomment à l’humidité de l’air, ie te dis à present, non seulement les pierres, mais aussi le verre, auquel il y a grande quantité de sel : et qu’ainsi ne soit, tu trouueras és temples de Poitou, et de Bretagne, vn nombre infini de vitres, qui sont incisees par le dehors, par l’iniure du temps, et les vitriers disent, que la Lune a ce fait, mais ils me pardonneront : car c’est l’humidité des pluyes, qui a fait dissoudre quelque partie du sel dudit verre[18] : ie te dis derechef, que le sel fait des congelations merueilleuses. Les Alchimistes en ont senti quelque chose : car ils se tourmentent fort apres ces sels preparez. Il me souuient auoir veu vn potier, qui faisoit broier du plomb calciné à vn moulin à bras : et ainsi qu’on lui annonça l’heure du disner ; il envoya ses seruiteurs deuant, et print vne poignee de sel commun, et le mesla parmi sondit plomb, qui estoit destrampé clair comme eau, et l’ayant meslé, il donna deux ou trois tours à son moulin, à fin que ses seruiteurs n’apperceussent le beau secret, qui luy auoit esté apprins, de mettre du sel dedans son plomb, pour faire la couleur plus belle, mais au retour du disner, ce fut vne fort belle risee : car il trouua que le sel, le plomb, et l’eau s’estoyent si bien endurcis, et congelez, par la vertu du sel, qu’il ne fut possible de plus virer les meules, et estoit le dessus et le dessous si bien prins l’vn à l’autre, qu’il fut difficile de les separer. Voila une histoire, que ie t’ay voulu dire, pour mieux t’asseurer, que le sel a vertu de congeler et les metaux, et les pierres.

Demande.

Puis que tu as cerché la maniere de cognoistre ainsi les pierres et cailloux, et l’effet de leur essence, me sçaurois-tu donner quelque raison, des douze pierres rares, lesquelles Sainct Iean en son Apocalypse prend comme par vne figure des douze fondemens de la Saincte Cité de Ierusalem ? Car il faut entendre, que les douze pierres sont dures et indissolubles, puis que Sainct Iean les prend par figure d’vn perpetuel bastiment.

Response.

Le Iaspe, qui est vne desdites pierres, est vne eau qui a passé par beaucoup de terres, et en passant, elle a prins la substance salsitiue, et est tombee sur vn certain receptacle, et estant ainsi cheute, deuant qu’estre congelee, sont tombees autres gouttes d’eau, qui en passant à trauers des terres, ont trouué quelque espece de marcacites, ou metaux parfaicts, et ayant prins teinture es choses susdites, les gouttes d’eau, qui estoyent ainsi teintes, sont cheutes sur l’autre eau : et ainsi, l’eau teinte tombant sur la blanche, a fait plusieurs figures, idees, ou damasquinees en ladite pierre de iaspe. Et parce qu’vne partie de l’eau a apporté auec soy vne substance de sel metallique, la congelation de la pierre s’est faite merueilleusement dure, et sa dureté est cause, que quand ladite pierre est polie, le polissement est merueilleusement beau, et ses figures fort plaisantes.

Quant est du Calcidoine, ie t’en dis en cas pareil.

La Thopasse est vne eau, qui aussi a passé par quelque miniere de fer, où elle a prins sa teinture iaune, et de là vient que la substance metallique lui donne quelque dureté d’auantage.

L’Esmeraude est vne eau fort nette, qui a passé à trauers des minieres d’airain, ou de coupe-rose, de laquelle l’airain est fait, et là a prins sa teinture de verre, et le sel qui a causé sa congelation : car ladite coupe-rose n’est autre chose que sel, qui est tousjours tesmoignage de ce que ie t’ay dit cy deuant.

La Turquoise est aussi vne eau, qui a distillé et passé par certaines veines des minieres d’airain et de saphre[19], et de là vient, qu’elle tient aucunement couleur des deux especes des mineraux, et y a parmy lesdites especes quelque quantité de terre, qui cause que ladite pierre n’a point de transparence, comme l’Esmeraude.

Le Saphyr, est comme dessus, vne eau bien pure, mais parce qu’elle a passé par quelque miniere de saphre, elle tient vn peu de la couleur et teinture dudit saphre.

Le Diamant n’est autre chose qu’vne eau, comme le cristal, mais il est congelé par quelque rare espece de sel, pur et munde, lequel est tellement endurci en sa congelation, qu’il est plus dur que mille des autres pierres ; et faut icy noter, que son excellente beauté procede en partie de sa dureté, et ce, d’autant que le polissement est plus beau, de tant plus la pierre est dure. Les Lapidaires disent ainsi, voila vn Diamant qui a vne belle eau, ils parlent bien, mais il y a du cristal, que s’il estoit ainsi dur qu’est le Diamant, il se trouueroit aussi lumineux et excellent en beauté, comme le Diamant, et ne cognoistroit-on aucunement la difference de l’vn avec l’autre.

Demande.

Iusques icy tu as tousiours persisté, en disant, qu’en toutes especes de pierres il y auoit du sel, i’en ay rompu plusieurs, et principalement certains cailloux, qui auoyent la propre semblance de sel : toutesfois, quand ie tastais à la langue, ie n’y trouuois aucune saueur.

Response.

Cela n’empesche point, qu’il n’y aye du sel : si tu tastes à la langue une pesle d’airain, tu n’y trouueras aucun goust, toutesfois l’airain est venu de couppe-roze, qui n’est autre chose que sel. Veux-tu bien sçauoir la cause pourquoy en tastant à la langue, tu n’aperçois aucun goust de sel ? La cause est, parce que les matieres sont si bien fixes, qu’elles ne se peuuent dissoudre par l’humidité de la langue, comme fait le sel commun. Le sel commun, la coupe-roze, le vitriol, l’alun, le sel armoniac, et le sel de tartare, toutes ces especes, soudain qu’elles sont tant peu soit-il humectees du bout de la langue, elles se dissoudent, et lors la langue trouue aisement le goust, parce que l’humidité de ladite langue fait attraction, et dilate les parties de toutes ces especes de sel : mais quand vn sel est bien fixe auec l’eau, et la terre, ou autres choses à luy iointes, lors il ne se peut dissoudre, que par bonne Philosophie, ou par le moyen et pratique de Philosophie. Exemple. Le verre est la plus grande partie de sel et d’eau ; ie dis de sel, à cause du salicor, qui est un sel d’herbe : apres, ie dis d’eau, parce que les cailloux ou sable ioints au sel de salicor, sont partie d’eau et de sel. Or est-il ainsi, que si tu tastes vn verre à la langue, tu n’as garde de le trouuer salé, combien que ce ne soit la plus grande partie que sel : Qui est donc la cause que l’humidité de la langue ne peut faire attraction de la saueur dudit sel ? C’est pour la mesme cause que i’ay dit, que les matieres terrestres, aineuses et salsitiues, sont si bien jointes ensemble, qu’elles ne se peuuent dissoudre, sinon par industrie et pratique. Un iour vn Alchimiste trouua fort estrange, que ie luy dis, que ie tirerois du sel d’vn verre, il pensoit estre bon Philosophe, mais il n’auoit pas encore pratiqué iusques là, combien que la chose fust assez aisee. Ie ne te parleray plus de ces choses, sçachant bien, que si tu ne reçois les raisons que ie t’ay donnees, ce seroit folie de t’en monstrer d’auantage.

Demande.

Ie ne t’en feray aussi plus de question : mais ie voudrois que tu m’eusses dit quelque chose de l’essence des métaux.

Responce.

C’est vne regle bien accordee entre les Philosophes, que les metaux sont engendrez de souphre et d’argent vif, ce que ie leur accorde : ce neantmoins, il y a quelque espece de sel qui aide à la congelation. Nous ne pouuons nier, que l’argent, l’estain, le plomb, et le fer, ne tiennent la plus grant part de la couleur et du poids de l’argent vif. Item, nous sçauons, qu’auparauant que les metaux soyent purifiez, ils sentent le souphre, et toutesfois ie ne puis accorder, que le souphre qui estoit à la miniere d’argent, soit fixe auec ledit argent, parce que les Orpheures disent, que le souphre empesche de souder l’argent, et est grandement ennemy de la forge d’argent. Bien croiray-je, que ledit souphre aye aidé à la discretion dudit argent, et qu’ainsi que la miniere estoit à la fournaise, le souphre se soit exhalé. Quant est de l’or, les Philosophes disent, qu’il est engendré de souphre rouge, et de vif argent, voulans dire par là, que le souphre rouge a donné la teinture à l’or. Quant est de moy, ie ne vy oncques souphre rouge, mais quand ainsi seroit, qu’il s’en trouueroit quantité, si ne pourrois-ie accorder, que l’or print sa teinture dudit souphre : car il faut necessairement, que ce qui a teint ledit or, soit de plus haute couleur que rouge, car vn rouge ne peut augmenter vn autre rouge, sans se palesir. Ie crois plustost, que la teinture de l’or seroit venue de l’antimoine que non pas du souphre : et ce, à cause que sa teinture iaune, est de si haute couleur, qu’vne liure d’antimoine pourra teindre vn grand nombre de liures d’argent vif, ou autre metal blanc. Ie suis fort esmerueillé, comment on peut croire, que l’or puisse servir à restaurer les personnes, sans estre dissout, c’est pour les mesmes causes, que ie t’ay dit, que tu ne peux trouuer le goust du sel, si premierement il ne se dissout : et si ainsi est qu’on ne trouue point de saueur és pierres salees, ausquelles le sel est fixe parfaitement, combien moins de goust trouuera vn malade en l’or, s’il n’est dissout ? Or il est ainsi, qu’il n’y a rien plus fixe que l’or : tu l’as beau tremper et bouillir, tu n’as garde de le dissoudre. Il me semble que la nourriture de l’homme, est en ce que son estomac cuist et dissout les choses qu’il prend par la bouche, et puis la substance se depart par toutes les parties du corps, et voila vne nourriture et restaurant : mais comment l’estomac d’un homme debile, et quasi mort, pourra-t-il dissoudre l’or, et le departir par toutes les parties de son corps, veu que les fournaises, voire mesme eschauffees d’vne chaleur plus que violente, ne le peuuent consommer ? Il faudroit que l’estomac de l’homme malade fust plus chaud que les fournaises, ou ie n’y entens rien. Vray est, qu’aucuns Philosophes Alchimistes, disent sçauoir rendre l’or en eau par quelque dissolution : veritablement s’ils le peuuent dissoudre, il est potable : or venons à present à sçauoir, si estant potable, il peut seruir de nourriture. Les Philosophes disent qu’il est de souphre et d’argent vif, estant donc dissout, ce sera du souphre et de l’argent vif, que tu donneras à boire aux malades, autre chose n’en peux-tu tirer, que ce qui y a esté mis, et toutesfois tu dis, que le vif argent est vn poison. Veux-tu donc nourrir le malade de poison, pour le restaurer ? Ie ne puis entendre autrement cest affaire : parquoy, ie m’en tairay pour le present, et le laisseray disputer à ceux qui le croyent autrement que moy.

Demande.

Comment oses-tu tenir vn tel propos, contre la commune opinion de tous les medecins ? Car il ne fut oncques, qu’on ne fist du restaurant d’or.

Responce.

Ie ne t’ay pas dit mal des Medecins, i’en serois bien marry : car il y en a en ceste Ville, à qui ie suis grandement tenu, et singulierement à Monsieur l’Amoureux, lequel m’a secouru de ses biens, et du labeur de son art : toutesfois, comme par vne maniere de dispute, ils ne doiuent trouver mauvais, si ie dis ce qu’il m’en semble. Ie sçay bien que plusieurs Medecins et Apothicaires ont fait bouillir de l’or dans les ventres des chapons gras, pour restaurer les malades, et disoyent que l’or se diminuoit, ce qu’on n’a garde de me faire croire : tu l’as beau bouillir et fricasser, tu n’as garde de le faire amoindrir de poids. Si le sel, ou graisse du pot fait trouuer sa couleur plus pale sur la superficie seulement, cela ne fait rien contre mon opinion. Si l’or se pouuoit diminuer en bouillant, les Alchimistes auroyent gagné le prix, et ne se faudroit tant trauailler pour dissoudre l’or : car apres qu’ils en auroyent fait bouillir vne grande quantité, ils prendroyent l’eau où ledit or auroit esté bouilli, et ayant fait euaporer l’humide, ils trouueroyent l’or au fonds de leur vaisseau, duquel ils se seruiroyent, à ce qu’ils pretendent. Ie te demande, Sais-tu que c’est à dire restaurant ? N’est-ce pas à dire nourriture et reparation de nature ? Veux-tu vn peu penser l’effet et le naturel des choses, qui restaurent les corps des humains ? Considere vn peu toutes les choses qui sont bonnes à manger et à restaurer, et tu trouueras, que soudain qu’elles sont sur la langue, elles se commencent à dissoudre : car autrement, la langue ne pourroit iuger de la saueur de la chose : et si la langue ne reçoit aucune saueur, ni goust bon, ne mauuais de ce qui luy est presenté, tu peux par là aisement iuger, que le ventre, ne l’estomac ne pourront aussi receuoir quelque saueur de ce qui leur sera presenté. Considere aussi que nulle chose n’est bonne pour nourriture, que d’elle-mesme ne soit suiecte à s’eschauffer, corrompre, et putrefier : c’est vn argument bien notable, pour soustenir mon propos. Or il est ainsi, que l’or n’est suiet à nul de ces accidens : tu as beau appiler des escus ensemble, ils n’ont garde de s’eschauffer, ne putrefier, comme font les choses bonnes à manger. Que diras-tu là ? As-tu quelque chose, pour legitimement contredire à ce propos ? Peut estre que tu diras, qu’il faut croire les Doctes et Anciens, qui ont escrit ces choses, il y a vn bien long temps, qu’il ne se faut arrester à mon dire, d’autant que ie ne suis ne Grec, ne Latin, et que ie n’ay rien veu des liures des Medecins. À ce ie respons, que les Anciens estoyent aussi bien hommes comme les Modernes, et qu’ils peuuent aussi bien auoir failli comme nous : et qu’ainsi ne soit, regarde vn peu les œuures d’Ysidore, et du Lapidaire, et de Dioscorides, et plusieurs autres autheurs anciens : quand ils parlent des pierres rares, ils disent, que les vnes ont vertu contre les diables, et les autres contre les sorciers, et les autres, pour rendre l’homme constant, plaisant, beau et victorieux en bataille, et plus d’vn millier d’autres vertus, qu’ils attribuent ausdites pierres. Ie te demande, N’est-ce pas vne fausse opinion, et directement contre les authoritez de l’Escriture Saincte ? Si ainsi est, que ces Docteurs anciens, et tant excellens ayent erré en parlant des pierres, pourquoy est-ce que tu voudrois me nier, qu’ils ne puissent avoir erré, en parlant de l’or ? Si tu dis, que peut estre que l’or estant dans le corps a pouuoir d’attirer à soy les mauuaises humeurs, comme l’emant tire le fer, ie te demande, Pourquoy est-ce donc, que tu le separes en tant de parties ? Car les vns le mangent estant limé, et les autres battu par fueilles, et d’espece bien menu : or si l’emant estoit ainsi puluerisé, il n’auroit pouuoir d’attirer le fer, comme il a, estant ioint en vne masse. Parquoy, ie conclus, que si on ne me donne meilleure raison, que celles que i’ay alleguees, ie ne sçaurois croire que l’or sçeust restaurer vn malade, non plus que feroit du sable dedans l’estomac, et ce d’autant qu’il est impossible à nul estomac le pouuoir dissoudre.

Demande.

Dés le premier commencement de nostre propos, tu m’as dit, que tu cerchois vn lieu montueux, pour edifier vn iardin de plaisance : tu sçais que i’ay trouué fort estrange vne telle opinion : et toutesfois, tu ne m’as aucunement contenté, comme des autres choses, que nous auons parlé. Ie voudrois te prier, de m’en donner quelque raison.

Responce.

Es-tu encore si ignorant, que tu ne sçaches qu’il ne fut jamais montagne, qu’au pied d’icelle n’y eust une vallee ? Quand ie t’ay dit, que ie cerchois vn lieu montueux, pour edifier mon iardin, ie ne t’ay pas dit, que ie voulois faire le iardin sur la montagne : mais pour auoir la commodité du iardin, il faut necessairement, qu’il y aye des montagnes aupres d’iceluy.

Demande.

Ie te prie, me faire vn discours de l’ordonnance du iardin que tu veux edifier.

Responce.

Le propos sera bien prolixe, mais toutesfois ie te le feray assez bien entendre. Il est impossible d’auoir un lieu propre pour faire vn iardin, qu’il n’y aye quelque fontaine ou ruisseau, qui passe par le iardin : et pour ceste cause, ie veux eslire vn lieu planier au bas de quelque montagne ou haut terrier, à fin de prendre quelque source d’eau dudit terrier, pour la faire dilater à mon plaisir par toutes les parties de mon iardin, et alors ayant trouué telle commodité, ie designeray et ordonneray mon iardin de telle inuention, que iamais homme n’a veu le semblable. Et m’asseure, qu’ayant trouué ce lieu, ie feray vn autant beau iardin, qu’il en fut iamais sous le ciel, hors-mis le iardin de Paradis terrestre.

Demande.

Et où penses-tu trouuer vn haut terrier, où il y aye quelque source d’eau, et vne plaine au bas de la montagne, comme tu demandes ?

Response.

Il y a en France plus de quatre mille maisons nobles, où ladite commodité se pourroit aisement trouuer, et singulierement le long des fleuues, comme tu dirois le long de la riuiere de Loire, le long de la Gironde, de la Garonne, du Lot, du Tar, et presque le long des autres fleuues. Cela n’est point impossible quant à la commodité : ie penserois trouuer bien tost vn lieu commode le long d’vne riuiere.

Demande.

Dy moy donc comment tu pretens orner ton iardin, apres que tu auras acheté la place.

Responce.

En premier lieu, ie marqueray la quadrature de mon iardin, de telle longueur et largeur que i’auiseray estre requise, et feray ladite quadrature en quelque plaine, qui soit enuironnee de montagnes, terriers, ou rochers, deuers le costé du vent de Nord, et du vent d’Ouest, à fin que lesdites montagne, terriers, ou rochers, me seruent és choses que ie te diray cy apres. I’aviseray aussi de situer mon iardin au dessous de quelque source d’eau, sortant desdits rochers, et venant de lieu haut, et ce fait, ie feray madite quadrature : mais quoy qu’il soit, ie veux edifier mon iardin en vn lieu, où il y aye vne pree par dessous, pour sortir aucunesfois dudit iardin en la pree : et ce, pour les causes qui seront desduites cy apres, et ayant ainsi fermé la situation du iardin, ie viendray lors à le diuiser en quatre parties esgales, et pour la separation desdites parties, il y aura vne grande hallee, qui croisera ledit iardin, et aux quatre bouts de ladite croisee, il y aura vn amphitheatre tel que ie te diray cy apres, aux quatre anglets dudit iardin. Il y aura en chacune vn cabinet, qui sont en nombre huit cabinets, et un amphithéâtre, qui seront edifiez au iardin : mais tu dois entendre que tous les huit cabinets seront diuersement estoffez, et de telle inuention, qu’on n’en a encore jamais veu, ni ouy parler. Voila pourquoy, ie veux eriger mon iardin sur le Pseaume cent quatre, là où le Prophete descrit les œuures excellentes, et merueilleuses de Dieu, et en les contemplant, il s’humilie deuant luy, et commande à son ame de louër le Seigneur en toutes ses merueilles. Ie veux aussi edifier ce iardin admirable, à fin de donner occasion aux hommes de se rendre amateurs du cultiuement de la terre, et de laisser toutes occupations, ou delices vicieux, et mauuais trafics, pour s’amuser au cultiuement de la terre.

Demande.

Ie te prie me designer, ou me faire vn discours de ces beaux cabinets, que tu pretends ainsi eriger.

Responce.

En premier lieu, tu dois entendre, que ie feray venir la source d’eau, ou partie d’icelle, du rocher, aux huict cabinets susdits. Ce qui me sera assez aisé à faire : car ainsi que l’eau distillera de la montagne, ou rocher, ie prendray sa source, et la meneray par toutes les parties de mon iardin, où bon me semblera : et en donneray à chacun cabinet une portion, ainsi que ie verray estre necessaire, et edifieray mes cabinets de telle inuention, que de chacun d’eux sortira plus de cent pisseures d’eau : et ce, par les moyens que ie te feray entendre, en te faisant le discours de la beauté des cabinets. Venons donc au discours de tous mes cabinets l’vn apres l’autre.

Du premier Cabinet.

Le premier cabinet, qui sera deuers le vent du Nord, au coin et anglet du iardin, au bas, et ioignant le pied de la montagne ou rocher, ie le bastiray de briques cuites, mais elles seront formees de telle sorte, que ledit cabinet se trouuera ressembler la forme d’vn rocher, qu’on auroit creusé sur le lieu mesme, ayant par le dedans plusieurs sieges concaves au dedans de la muraille, et entre deux d’vn chacun des sieges, il y aura une colomne, et au dessous d’icelle, vn piedestal, et au dessus des testes des chapiteaux des colomnes, il y aura un architraue, frise et corniche, qui regnera autour dudit cabinet : et au long de la frise, il y aura certaines lettres antiques pour orner ladite frise, et aussi au long de ladite frise, y aura en escrit, Dieu n’a prins plaisir en rien, sinon en l’homme, auquel habite Sapience : et ainsi, mon cabinet aura ses fenestres deuers le costé du Midi, et seront lesdites fenestres, et entree dudit cabinet, en maniere d’vn rocher : aussi ledit cabinet sera du costé du Nord, et du costé du Ouëst, massonné contre les terriers, ou rochers, en telle sorte, qu’en descendant du haut terrier, on se pourra rendre sur ledit cabinet, sans cognoistre qu’il y aye aucun bastiment dessous, et à fin de rendre ledit cabinet plus plaisant, ie feray planter sur la voûte d’iceluy plusieurs arbrisseaux portans fruits, bons pour la nourriture des oiseaux, et aussi certaines herbes, desquelles ils sont amateurs de la graine, à fin d’accoustumer lesdits oiseaux à se venir reposer et dire leurs chansonnettes sur lesdits arbrisseaux, pour donner plaisir à ceux qui seront au dedans dudit cabinet et iardin, et le dehors dudit cabinet sera massonné de grosses pierres de rochers, sans estre polies, ni incisees, à fin que le dehors dudit cabinet n’aye en soi aucune forme de bastiment : et en massonnant le dehors dudit cabinet, i’ameneray vn canal d’eau, lequel ie feray passer au dedans de la muraille, et estant ainsi massonné dans le mur, ie le dilateray en plusieurs parties de pisseures, qui sortiront par le dehors dudit cabinet, en telle sorte que ledit cabinet ressemblant vn rocher, on pensera que lesdites pisseures sortent dudit cabinet, sans aucun artifice, à cause que le dehors d’iceluy cabinet semblera vn rocher, et lesdites pisseures estans cheutes, se rendront à vn certain lieu, que ie te diray cy apres : mais ie te veux premierement discourir la beauté du polissement du dedans du cabinet. Quand le cabinet sera ainsi massonné, ie le viendray couurir de plusieurs couleurs d’esmails, depuis le sommet des voûtes, iusques au pied et paué d’iceluy : quoy fait, ie viendray faire vn grand feu dedans le cabinet susdit : et ce, iusques à temps que lesdits esmails soient fondus ou liquifiez sur ladite massonnerie : et ainsi, les esmails en se liquefiant, couleront, et en se coulant s’entremesleront, et en s’entremeslant, ils feront des figures et idees fort plaisantes, et le feu estant osté dudit cabinet, on trouuera que lesdits esmails auront couuert la iointure des briques, desquelles le cabinet sera massonné : et en telle sorte, que ledit cabinet semblera par le dedans estre tout d’vne piece, parce qu’il n’y aura aucune apparition de iointures : et si sera ledit cabinet luisant d’vn tel polissement, que les lezars et langrottes qui entreront dedans se verront comme en vn miroir, et admireront les statues : que si quelqu’vn les surprend, elles ne pourront monter au long de la muraille dudit cabinet, à cause de son polissement, et par tel moyen, ledit cabinet durera à iamais, et n’y faudra aucune tapisserie : car sa parure sera d’vne telle beauté, comme si elle estoit d’vn iaspe, ou porphire, ou calcidoine bien poli.

Du second Cabinet.

Le second Cabinet, qui sera en l’autre coin ou anglet, qui aura aussi son regard deuers la partie meridionale, sera par le dehors de semblable ornement et parure que le premier : aussi par dessus sa voute, il y aura certains arbrisseaux plantez, ainsi que ie t’ay dit du premier : aussi le dedans dudit cabinet sera tout massonné de briques, mais lesdites briques, seront massonnees et façonnees d’vne telle industrie, qu’il y aura au dedans du bastiment plusieurs figures de termes, qui serviront de colomnes, et seront posez lesdits termes sur vn certain embassement, qui seruira de siege, pour ceux qui seront assis dedans ledit cabinet, et au dessus desdites figures de termes, il y aura vn architraue, frise et corniche, qui regnera à l’entour du dessus desdites figures, et au dedans de la frise y aura plusieurs grandes lettres antiques, et y aura en escrit, La crainte de Dieu, est le commencement de Sapience : lesdits termes qui feront gestes et grimaces estranges, seront esmaillez de plusieurs et diuerses couleurs, qui seroyent trop longues à desduire : aussi tout le residu dudit cabinet sera esmaillé de diuerses couleurs d’esmails, et tout ainsi que ie t’ay dit, que les esmails du premier cabinet seroient fondus sur le lieu mesme, ainsi en sera fait de cestuy second, et ce, à fin que les iointures, et la massonnerie ne soit apperceuë, et que le tout luise comme une pierre cristaline.

Du troisiesme Cabinet.

Le troisiesme cabinet, qui sera à l’autre coin, deuers la partie du midy, du costé de la prairie, sera vouté et couuert des terres et arbres, en telle forme que le premier : aussi sortiront du dehors du cabinet plusieurs pisseures d’eau, comme du premier, et le dedans sera aussi massonné de briques, mais sa façon sera differente aux autres : car il sera tout rustique, comme si vn rocher auoit esté creusé à grands coups de marteaux : toutesfois, il y aura tout à l’entour dudit cabinet, certaines concauitez creusees dedans la muraille, qui seruiront de sieges, et au dessus, il y aura espece ou maniere d’architraue, frise et corniche, non pas proprement insculpees, mais comme qui se mocqueroit, en les formant, et les insculpant à grands coups de marteaux : toutesfois elles auront quelque apparence, et seront grauees certaines lettres antiques au long de ladite frise, qui denoteront, que la Sapience n’habitera point au corps sujet à peché, ny en l’ame mal affectionnée : or ce cabinet sera couuert d’vn esmail blanc maderé, moucheté, et iaspé de diuerses couleurs par dessus ledit blanc, de telle sorte, que lesdits esmails et diuersitez de couleurs, couuriront les iointures des briques, et de la massonnerie ; et ainsi ledit cabinet apparoistra estre tout d’vne mesme piece, comme le premier, et ses esmails seront luisans et plaisans, comme ceux du premier et second.

Du quatriesme Cabinet.

Le quatriesme cabinet sera massonné de briques comme les trois susdits : mais la façon sera fort differente des trois premiers : car il sera massonné par le dedans d’vne telle industrie, qu’il semblera proprement que ce soit vn rocher, qui auroit esté caué, pour tirer la pierre du dedans : or ledit cabinet sera tortu, bossu, ayant plusieurs bosses et concauitez biaises, ne tenant aucune apparence ny forme d’art d’insculpture, ny labeur de main d’homme : et seront les voutes tortues de telle sorte, qu’elles auront quelque apparence de vouloir tomber, à cause qu’il y aura plusieurs bosses pendantes : toutesfois, parce qu’aux trois susdits, il y a à chacun d’iceux vne authorité notable escrite, et prinse en la Sapience, en ce quatriesme cy sera escrit, sans Sapience, est impossible de plaire à Dieu. Et ledit cabinet sera comme d’vn esmail de couleur d’vn calcidoine, iaspe maderé, et moucheté d’vn esmail blanc, qui en se fondant, ou liquifiant, fera plusieurs veines, figures, et idees estranges, en se dilatant et dissoudant d’en haut au bas dudit cabinet : et en ce faisant, il couurira les iointures des briques, desquelles ledit cabinet sera massonné, en telle sorte, qu’il semblera qu’il soit d’vne mesme piece comme les trois susdits, et par le dehors sera massonné de grosses pierres, telles comme elles seront prinses au rocher, sans estre aucunement taillees ny façonnees, à fin que le dehors dudit cabinet ressemble proprement vn rocher naturel : et parce que ledit cabinet sera erigé ioignant le pied de la montagne, qui est deuers le costé du Ouest, en l’anglet qui est deuers le Midy, iceluy cabinet estant dessus couuert de terre, et ayant plusieurs arbres plantez sur ladite terre, il y aura bien peu d’apparence de bastiment, parce qu’en descendant du terrier haut, on pourra marcher sur la voute dudit cabinet, sans apperceuoir qu’il y aye aucune forme de bastiment : et tout ainsi que ie t’ay dit, qu’au premier cabinet il y auroit plusieurs pisseures d’eau, qui sortiront de la muraille par le dehors, aussi en ce quatriesme en sortira abondamment, qui sera chose de grande recreation : et ainsi qu’au premier cabinet, ie t’ay dit, qu’il y auroit certains arbres portans fruits, pour les oiseaux, il y en aura aussi à ce quatriesme cy. Aussi les fenestres seront de telle monstruosité que les premieres : voila le discours des quatre cabinets.

Des Cabinets qui seront aux quatre bouts de la croisee, qui trauersera le milieu du iardin du trauers et du long.

Quant est de ces quatre cabinets cy, ils seront faits de certains hommeaux (ormeaux), que ie planteray tout à l’entour de la circonference de la place que i’auray pourtraite, pour la grandeur de mes cabinets susdits, et combien qu’au commencement de mon propos, tu pourras, peut estre, iuger en toy-mesme, que ce n’est rien de nouueau, que de faire des cabinets d’hommeaux, ou autres arbres, toutesfois, si tu veux ouyr patiemment mon propos, ie te feray bien entendre, que ce sera vne grandissime chose, voire telle, qu’homme n’a veu la semblable : ayes donc patience, et ne me redargue point de prolixité. Au premier des quatre cabinets, qui seront ainsi faits d’hommeaux, y aura au dedans et dessous la couuerture des branches desdits cabinets, à chacun vn rocher, qui sera massonné auec la muraille de la closture du iardin. Ce premier rocher donc, qui sera au cabinet du costé du vent de Nord, sera fait de terre cuite, insculpee et esmaillee en façon d’vn rocher tortu, bossu, et de diuerses couleurs estranges, ainsi que ie fay la Grotte de Monseigneur le Connestable, non pas proprement d’vne telle ordonnance, parce que ce n’est pas aussi vn œuvre semblable. Note donc qu’au bas et pied du rocher, il y aura vn fossé naturel, ou receptacle d’eau, qui tiendra autant en longueur comme ledit rocher. Pour ceste cause, ie feray plusieurs bosses en mon rocher, le long dudit fossé, sur lesquelles bosses ie mettray plusieurs grenouilles, tortues, chancres, escreuisses, et vn grand nombre de coquilles de toutes especes, à fin de mieux imiter les rochers. Aussi y aura plusieurs branches de corail, duquel les racines seront tout au pied du rocher, à fin que lesdits couraux ayent apparence d’auoir creu dedans ledit fossé. Item, vn peu plus haut dudit rocher, y aura plusieurs trous et concauitez, sur lesquelles y aura plusieurs serpents, aspics et viperes, qui seront couchees et entortillees sur lesdites bosses, et au dedans des trous : et tout le residu du haut du rocher, sera ainsi biais, tortu, bossu, ayant un nombre d’espece d’herbes, et de mousses insculpees, qui coustumierement croissent és rochers et lieux humides, comme sont scolopendre, capilli Veneris, adianthe, politricon, et autres telles especes d’herbes, et au dessus desdites mousses et herbes, il y aura vn grand nombre de serpents, aspics, viperes, langotres et lezars, qui ramperont le long du rocher, les vns en haut, les autres de trauers, et les autres descendans en bas, tenans et faisans plusieurs gestes, et plaisans contournemens, et tous lesdits animaux seront insculpez et esmaillez si pres de la nature, que les autres lezars naturels et serpents, les viendront souuent admirer, comme tu vois qu’il y a vn chien en mon hastelier de l’art de terre, que plusieurs autres chiens se sont prins à gronder à l’encontre, pensans qu’il fust naturel : et dudit rocher distillera vn grand nombre de pisseures d’eau, qui tomberont dedans le fossé, qui sera dans ledit cabinet, auquel fossé y aura vn grand nombre de poissons naturels, et des grenouilles et tortues. Et par ce que sur le terrier ioignant ledit fossé, il y aura plusieurs poissons et grenouilles insculpees de mon art de terre, ceux qui iront voir ledit cabinet, cuideront que lesdits poissons, tortues, et grenouilles soyent naturelles, et qu’elles soyent sorties dudit fossé, d’autant qu’audit fossé il y en aura de naturelles : Aussi audit rocher sera formé quelque espece de buffet, pour tenir les verres et coupes de ceux qui banqueteront dans le cabinet. Et par un mesme moyen, seront formez audit rocher certains parquets, et petits receptacles, pour faire rafraischir le vin, pendant l’heure du repas, lesquels receptacles auront tousiours l’eau froide, à cause que quand ils seront pleins à la mesure ordonnee de leur grandeur, la superfluité de l’eau tombera dedans le fossé, et ainsi l’eau sera tousiours viue dedans lesdits receptacles : aussi audit cabinet y aura vne table de semblable estoffe que le rocher, laquelle sera assise aussi sur vn rocher, et sera ladite table en façon ouale, estant esmaillee, enrichie, et coloree de diuerses couleurs d’esmail, qui luiront comme vn cristallin. Et ceux qui seront assis pour banqueter en ladite table, pourront mettre de l’eau viue en leur vin, sans sortir dudit cabinet, ains la prendront és pisseures des fontaines dudit rocher.

Et quant est à present des hommeaux, qui feront la closture et couuerture dudit cabinet, ils seront mis et dressez par vn tel ordre, que les iambes des hommeaux seruiront de colomnes, et les branches feront vn architraue, frise et corniche, et tympane, et frontispice, en obseruant l’ordonnance de la massonnerie.

Demande.

Veritablement ie pense que tu es insensé, de vouloir obseruer les reigles d’architecture és bastimens faits d’arbres, et tu sçais que les arbres croissent tous les iours, et qu’ils ne peuuent tenir longuement quelque mesure que tu leur sçaurois donner : et nous sçauons que les anciens Architectes n’ont rien fait qu’auec certaines mesures, et grandes considerations, tesmoins Victruue, et Sebastiane, qui ont fait certains livres d’architecture.

Responce.

Tu te deuois bien effrayer, et esleuer contre moy : tu as allegué de belles raisons, pour me prouuer d’estre insensé, et mespriser l’inuention de mon iardin, veu que c’est vue chose de si grande estime. Si tu as leu les liures que tu dis d’architecture, tu trouueras que les anciens inuenteurs des excellens edifices, ont prins leurs pourtraits et exemplaires de leurs colomnes, és arbres et formes humaines, et qu’ainsi ne soit, mesure vn peu leurs colomnes, et tu trouueras qu’elles sont plus grosses par le bas de la iambe, que non pas en haut, qui est vne des raisons qu’ils ont prins en formant leurs colomnes : et aussi les colomnes faites d’arbres seront trouuees tousiours plus rares et excellentes, que non pas celles des pierres : et si tu veux tant honorer celles des pierres, que tu les vueilles preferer à celles qui seront faites de iambes d’arbres, ie te diray, que c’est contre toute disposition du droit Diuin et humain : car les œuures du Souuerain et premier edificateur, doiuent estre en plus grand honneur, que non pas celle des edificateurs humains. Item, tu sçais qu’vne pourtraiture qui aura esté contrefaite à l’exemple d’vne autre pourtraiture, la contrefacture ou pourtraiture qui aura esté faite, ne sera jamais tant estimee comme l’original, sur lequel on aura prins le pourtrait. Parquoy, les colomnes de pierre ne se peuuent glorifier contre celles de bois, ne dire, nous sommes plus parfaites, et ce, d’autant que celles de bois ont engendré, ou pour le moins ont aprins à faire celles de pierre. Et puis que le Souuerain Geometrien, et premier edificateur y a mis la main, il les faut plus estimer que celles des pierres, quelques rares qu’elles soyent, hors-mis qu’elles fussent de pierre de iaspe, ou d’autres pierres rares.

Demande.

Voire, mais les colomnes des pierres qui ont esté insculpees par nos anciens edificateurs, ont chacune vn chapiteau, pour imiter la teste de l’humaine nature : Aussi les anciens edificateurs ont insculpé au pied d’vne chacune desdites colomnes, vne base, qui signifie le pied de l’homme. Et quand ceux de Corinthe inuenterent leurs genres de colomnes, desquelles ils edifierent le Temple de la grand Diane, qui estoit un merueilleux bastiment, ils firent au corps de leurs colomnes certains canaux, et voyes creuses, qui denotoyent les plis et froncis des robes et cotes de leur Deesse Diane : Aussi au chapiteau de leurs colomnes, ils mirent certains rouleaux, façonnez en maniere d’vne ligne aspiralle, lesquels entortillemens signifioyent les cheueux et coiffure de ladite Diane. Voila comment nos anciens edificateurs n’ont rien fait sans grande consideration, et raison bien asseuree : mais toy, quelle raison, mesure, ni ordre pourrois-tu tenir à ton bastiment fait de pieds et branches d’hommeaux, veu que lesdits hommeaux augmentent tous les iours en grosseur et hauteur ?

Responce.

Pour vray, ie pense que tu as vne teste sans ceruelle : n’as-tu point considéré tant de beaux iardins, qui sont en France, ausquels les iardiniers ont tondu les romarins, lizos, et plusieurs autres especes d’herbes, les vnes auront la forme d’vne grue, les autres la forme d’vn coq, les autres la forme d’vne oye, et consequemment de plusieurs autres especes d’animaux : et mesme, i’ay veu en certains iardins, qu’on a fait certains gens-d’armes à cheual et à pied, et grand nombre de diuerses armoiries, lettres, et deuises : mais toutes ces choses sont de peu de duree, et les faut refaçonner souuent. Si ainsi est, que les choses qui sont de peu de profit, et de petite duree soyent tant estimees, combien penses-tu que le bastiment de mes cabinets meritera d’estre estimé, veu que la chose sera de longue duree, et aisee à entretenir, utile, et profitable ? voire si profitable, que quand par vieillesse elle sera inutile au bastiment, et closture desdits cabinets, si est ce qu’encore les colomnes auront grandement profité, à cause du bois qu’elles rendront à son possesseur. Et quant est de l’entretien, tant il s’en faut, qu’il ne soit de si grands frais que celuy des petites herbes sus escrites : Car ces petites herbes ne sçauroyent tenir leur forme guere long temps, sans estre tondues : mais les colomnes de mes cabinets dureront pour le moins la vie d’vn homme, ou de deux, sans y faire aucune reparation. Quant est des branches il les faudra estaucer et arranger vne fois ou deux l’annee, c’est pour le plus, cognois tu pas par là, que mon bastiment ainsi fait de pieds d’hommeaux, sera grandement vtile, excellent et louable ?

Demande.

Voire, mais ie ne puis entendre l’ordre, que tu pretens tenir au bastiment et edification de ton cabinet. Fay m’en presentement quelque discours, par lequel ie le puisse aisement entendre.

Responce.

Apres que les hommeaux seront plantés, iouxte la quadrature et circonference de mon cabinet, et que ie seray asseure que lesdits hommeaux auront prins racine, ie couperay toutes les branches iusques à la hauteur des colomnes : et ce fait, ie marqueray ou inciseray le pied de l’hommeau à l’endroit où ie voudray faire la base de la colomne : semblablement à l’endroit de là où ie voudray faire le chapiteau, ie feray quelque incision, marque ou concussion, et lors, nature se trouuant greuee en ces deux parties, elle enuoyera secours et abondance de saueur, et humeur, pour renforcer et guerir lesdites playes : et de là aduiendra, qu’en ces parties blessees s’engendrera vne superfluité de bois, qui causera la forme du chapiteau et base de la colomne, et ainsi que les colomnes croistront, et augmenteront, la forme aussi du chapiteau et base augmentera. Voila comment les iambes des hommeaux auront tousiours vne chacune la forme d’vne colomne, et les branches qui auront leur naissance sur le bout dudit chapiteau, ie les ployeray de trauers, pour se rendre directement depuis la naissance, qui sera sur ledit chapiteau, iusques au dessous du chapiteau de l’autre prochaine colomne, et les branches, ou partie d’icelles, qui seront en la colomne circonuoisine, ie les feray directement coucher, pour se rendre sur le chapiteau de la premiere colomne : toutesfois ie laisseray tousiours une quantité de branches pour faire les autres membres despendans de la massonnerie et architecture dudit cabinet. Et par tel moyen, les premieres branches ainsi couchees d’vne colomne à autre, feront directement vne forme d’architraue, parce que ie leur donneray quelque auancement, en les couchant l’vne sur l’autre, pour former les mollures de l’architraue. Et quant est de la frise qui s’ensuit apres, ie ne l’occuperay d’aucunes branches trauersantes, mais ie prendray premierement certaines branches de celles que i’auray laissé debout, et les ayans couchees de la maniere des autres, i’en feray la forme de la corniche, en telle sorte que ie t’ay dit de l’architraue : car ie feray auancer les branches par degrez, mesurees par art de Geometrie et Architecture, à fin de faire trouuer et apparoistre les mollures de ladite corniche, de la mesure que lesdites mollures doiuent auoir. Et ainsi, l’architraue et la corniche estans formez à leur raison, la frise demeurera vuide, et pour l’ornement et excellence de ladite frise, ie plieray certaines gittes, qui procederont de l’architraue, et de la corniche : et en les pliant et arrangeant au dedans de ladite frise, ie feray tenir à vne chacune gitte, ou branche, vne forme de lettre antique bien proportionnee. Et à fin que l’ingratitude ne soit redarguee mesme par les choses insensibles et vegetatiues, il y aura en escrit en ladite frise vne authorité prinse au liure de Sapience, où il est escrit, Que lorsque les fols periront, ils appelleront la Sapience et elle se moquera d’eux, parce qu’ils n’ont tenu comte d’elle lorsqu’elle les appelloit par les carrefours, rues, lieux, assemblees, et sermons publics. Voila qui sera escrit en ladite frise, à fin que les hommes qui rejetteront Sapience, discipline, et doctrine soyent mesme condamnez par les tesmoignages des ames vegetatiues et insensibles : quoy fait, ie prendray le residu des branches, et en formeray vn frontispice en chacune face dudit cabinet, et seront les mollures dudit frontispice formees des branches qui resteront, qui sera la fin et total des branches, et de la maçonnerie. Et parce qu’en ce faisant, les tympanes se trouueront vides et percez à iour : ie mettrai à vn chacun desdits tympanes vne deuise de lettres antiques et romaines, lesquelles lettres seront formees de petites gittes, qui procederont des branches de la corniche, et du frontispice : et ainsi, lesdits tympanes seront enrichis de deuises aussi bien que la frise. Et quant est des deuises qui y seront, ie te les mettray par ordre cy apres. Pour conclusion, sçaches que le cabinet estant ainsi fait, les branches qui croistront au dessus des frontispices et sommité du bastiment, ie les feray coucher l’vne sur l’autre d’vne telle inuention, qu’il ne pleuura aucunement dedans ledit cabinet, non plus que s’il estoit couuert d’ardoise. Voila toute l’edification du premier des quatre cabinets verds.

Du second Cabinet verd.

Le second cabinet verd, qui sera du costé du vent de Est, sera erigé et construit d’hommeaux, en la propre forme que les susdits : mais le rocher du dedans, qui sera ioint auec la muraille de la cloison et fermure du iardin, sera d’vne autre inuention : car il sera massonné de certains cailloux blancs et diaphanes, lesquels i’ay amassez en plusieurs et diuers champs, rochers, et montagnes : et seront lesdits cailloux arrangez, et massonnez en ladite muraille d’vn si bel ordre, qu’il y aura plusieurs riches concauitez et retraittes, qui seruiront d’autant de sieges, pour reposer ceux qui iront audit cabinet : et d’iceluy rocher sortira vn nombre infini de pisseures d’eau, qui feront mouuoir certains moulinets, et les moulinets feront iouer certains soufflets, et les soufflets ietteront leur vent dedans certains flaiols[20], qui seront dedans vn ruisseau, qui sera au pied du rocher, en telle sorte que les soufflets contraindront les flaiols rendre leur voix, eux estans dedans l’eau : dont s’en ensuiuront plusieurs voix de flaiols gargouillantes, qui en leurs gargouillemens imiteront de bien pres les chants de diuers oiseaux, et singulierement, le chant du Rossignol : or ledit rocher sera tenu luisant et net, à cause des eaux qui iournellement distilleront dessus. Et quant est de la deuise, qui sera en la frise dudit cabinet, il y aura en escrit, Les enfans de Sapience, sont l’Eglise des Iustes. Eccles. 3.

Et à celle qui sera aux tympanes ; dedans le tympane de la premiere face, y aura en escrit, Les cogitations peruerses se separent de Dieu. Sapience 1.

Et au tympane de la seconde face, il y aura en escrit, En l’ame mal affectionnee, n’entrera point de Sapience. Sapience 1.

Et au tympane de la troisiesme, y aura en escrit, Celuy est malheureux, qui reiette Sapience. Sapience 3.

Dv troisiesme Cabinet verd.

Le troisiesme Cabinet sera erigé comme les deux premiers, et n’y aura rien à dire qu’ils ne se ressemblent, hors-mis le rocher du dedans et fons dudit cabinet : car parce que ce cabinet cy sera au bout de l’allee deuers le costé du vent d’Ouëst, au pied de la montagne, le rocher dudit cabinet sera taillé de la mesme piece de la montagne, et en le formant et taillant, les secrets des canaux et pisseures d’eau, seront encloses, fermees et massonnees au dedans dudit rocher, à fin qu’il semble que les eaux sortent naturellement de ce rocher : mais pour rendre ledit rocher plus admirable, ie feray enchasser dedans ledit rocher plusieurs couraux, tels qu’ils viennent de leur nature, sans estre polis, à fin qu’il semble qu’ils ayent creu audit rocher. Aussi dans iceluy rocher, ie feray enchasser plusieurs pierres rares, que ie feray apporter de diuers pays et contrees, comme sont Calcidoines, Iaspes, Porfires, Marbres, Cristals, et autres cailloux riches et plaisans à la veuë, et seront lesdites pierres enchassees en la roche, sans aucun polissement, et seront si bien iointes dedans l’incision qu’on fera en ladite roche, qu’il n’y aura aucune apparence d’artifice, ains semblera que lesdites choses soyent ainsi venues de sa propre nature, et d’iceluy rocher sortiront plusieurs pisseures d’eau, comme des trois susdits, et dedans ce cabinet cy, il y aura vne table de quelque pierre rare, laquelle sera assise sur vn rocher propre pour cest affaire, auquel rocher seront ainsi enchassees plusieurs et diuerses especes de pierres rares comme dessus, et en la frise dudit cabinet sera escrit, Le fruit des bons labeurs, est glorieux. Sapience 3.

Et au tympane de la premiere face, sera escrit, Desir de Sapience meine au Regne Eternel. Sapience 6.

Et au tympane de la seconde face, sera escrit, Dieu n’aime personne, que celuy qui habite auec Sapience. Sapience 7.

Et au troisiesme et dernier tympane, il y aura en escrit, Par Sapience l’homme aura immortalité. Sapience 8.

Et y aura audit cabinet à dextre et à senestre, plusieurs sieges entre les colomnes, lesquels seront faits de certaines gittes, que les racines des hommeaux et colomnes auront produites en bas, car c’est chose certaine, que les hommeaux ont en eux ce naturel, de produire plusieurs gittes de la racine.

Du dernier Cabinet verd.

Le dernier Cabinet, qui sera au bout de l’allee, deuers le vent de Sus, il sera de la semblable forme que les trois susdits, sçauoir est d’hommeaux : mais le rocher qui sera ioignant la muraille de la closture, sera fort estrange et plaisant : car ie feray cercher plusieurs pierres et diuers cailloux. Ils se trouvent souvent és ports et haures de ceste mer Oceane, plusieurs pierres diuerses, que les marchands d’estrange pays apportent au fonds de leurs nauires, pour garder qu’il ne soit trop leger : car autrement le nauire estant vuide verseroit soudain, par la violence des vents. Et quand ils sont arriuez, ils iettent lesdites pierres sur le bord de la mer. Il s’en trouue bien souuent, qui sont toutes semees de petites estincelles ressemblantes argent, et de plusieurs diuerses couleurs. Au pays de Poictou, s’en trouue de toutes grosseurs, qui sont si blanches, qu’estans rompues, elles ont couleur d’vn sel tres blanc, ou de sucre fin : et en ay veu d’aussi grosses que barriques. En ce pays de Xaintonge, és parties limitrofes de la mer, s’en trouue grande quantité, qui en quelque part ou endroit qu’on les puisse rompre, elles sont toutes pleines de coquilles, qui sont formees en la mesme pierre. Ayant dont amassé vn grand nombre de toutes ces diuerses pierres, ie massonneray mon rocher plus estrangement que les susdits. Ie les formeray en telle sorte, qu’il y aura par dessus plusieurs voutes, et en icelles y aura plusieurs grandes pierres pendantes : et pour donner grace audit rocher, il y aura plusieurs piliers, qui seront conduits par lignes obliques, et indirectes. Ce rocher sera trouué fort estrange, parce qu’auparauant le massonner, ie tailleray plusieurs serpents, aspics, et viperes, où par le derriere d’iceux, y aura vne languette, ou queuë de la mesme estoffe, sçauoir est, de terre : et ayant cuit et esmaillé lesdits animaux, ie les massonneray parmy les cailloux, pierres et rocher, en telle sorte, qu’il semblera proprement qu’ils soyent en vie, et qu’ils rampent au long dudit rocher. Aussi de mon art de terre, ie formeray certaines pierres, qui seront esmaillees de couleur de turquoise, lesquelles pierres, ayans une queuë par derriere, seront liees et massonnees auec ledit rocher : et en iceluy rocher ie formeray quelque maniere d’architraue, frise et corniche, toutesfois sans aucunement tailler les pierres, ains seront massonnees en la propre forme qu’on les trouuera : et à fin de mieux enrichir ledit rocher, ie feray que le champ de la frise sera d’vne mesme couleur de pierre, et en massonnant ladite frise, ie l’enrichiray de certaines lettres antiques, qui seront formees de petits cailloux, ou pierres, d’autre couleur que ladite frise : et en ce faisant, i’escriray une sentence prise en Esaie le Prophete, chap. 55, qui dit ainsi, Vous tous ayans soif, venez, et buuez pour neant de l’eau de la fontaine viue. Et ladite deuise sera conuenable en ce lieu, parce que dudit rocher sortira grand nombre de pisseures d’eau, qui tomberont dedans vn fossé, qui sera paué, orné, enrichi, et muraillé desdites pierres et cailloux estranges. Et sur le bord dudit fossé, il y aura vne certaine plate-forme, pour mettre les vases, couppes et verres, pour le seruice dudit cabinet. Et y aura audit cabinet vne table sur vn pilier, et rocher de semblable parure que ledit rocher. Et entre les colomnes et pieds desdits hommeaux, qui feront la cloison et couuerture dudit cabinet, y aura plusieurs sieges de semblable parure et estoffe que le rocher : et en la frise qui sera faite de branche d’hommeau, y aura plusieurs lettres, comme és autres susdites, et en cestuy-cy y aura en escrit, La fontaine de Sapience, est la parole de Dieu. Ecclesiast. 1.

Aussi semblablement y aura des lettres dedans les trois tympanes, faites par branches d’hommeaux. Au tympane de la premiere face, sera escrit, Dilection du Seigneur, est Sapience honorable. Ecclesiast. 1.

Au tympane de la seconde face, sera escrit, Le commencement de Sapience, est la crainte du Seigneur. Ecclesiast. 1.

Item, au tympane de la troisiesme face, sera escrit, La crainte du Seigneur, est la couronne de Sapience. Ecclesiast. 1.

Voila ce que ie te diray pour le present, des huit cabinets qui seront en mon iardin.

Du Rocher ou Montagne.

I’ay à present à te faire le discours d’vne commodité, qu’il y aura en mon iardin merueilleusement utile, belle, et plaisante. Et quand ie te l’auray contee, tu cognoistras que ce n’est pas sans cause, que i’ay cherché de faire mon iardin ioignant les rochers.

Les deux costez de mon iardin, sçauoir est, deuers le vent du Nord et du Ouëst, qui seront circuits, clos, et enuironnez des rochers et montagnes, me causeront de faire mon iardin merueilleusement delectable : car tout le long des deux costez de la montagne, ie feray croiser vn grand nombre de chambres dedans lesdits rochers, lesquelles chambres, les vnes seruiront à serrer les plantes et herbes, qui sont sujettes és gelees et nuitees d’hyuer, lesquelles plantes, les vnes seront portees dedans les vaisseaux de terre, les autres sur certains engins faits en forme de boyards ou brouëttes : aucunes sur certains vaisseaux de bois, dressees sur certaines roues : aucunes desdites chambres seruiront aussi pour retirer les graines qui sont encore en leurs plantes : aucunes autres seruiront pour serrer grande quantité de perches, pau-fourches, vismes (osiers), et toutes telles choses requises, pour le seruice du dit iardin : aucunes desdites chambres, seruiront pour retirer les iardiniers au temps des pluyes, et lors qu’il faudra aiguiser leurs pau-fourches, estaipes (pieus), et perches : aussi aucunes seruiront pour serrer les outils d’agriculture, autres pour serrer pour quelque temps les naueaux, aulx, oignons, noix, chastagnes, glans, et autres telles choses necessaires et requises à vn pere de famille.

Item, au dessus desdites chambres le rocher sera couppé, pour seruir d’vne grande allee en maniere d’vne plate-forme : mais il te faut noter, qu’à present ie le vay discourir vne chose fort vtile et plaisante, qui est, qu’au dessus desdites chambres, ie feray aussi croiser dedans ledit rocher vn nombre de chambres hautes tout le long de l’allee, qui sera ainsi faite sur lesdites chambres basses, et icelles chambres hautes estans ainsi formees dedans la montagne et rocher, elles seront fort vtiles et plaisantes : car l’vne sera toute taillee en façon de popitres, pour seruir de librairie et estude : l’autre sera toute taillee par autre maniere de popitres, pour tenir les eaux distillees, et diuers vinaigres, l’autre sera faite par petites armoires, pour tenir et garder la diuersité des graines. Il y en aura vne autre, qui sera toute faite en maniere de rayons de marchans, pour tenir diuersité de fruits meslez, comme pruneaux, cerises, guignes, et autres telles especes. Il y en aura aussi vne qui sera fort vtile, pour dresser certains fourneaux, à tirer les eaux et essences des herbes de bonne senteur : et y aura d’autres chambres qui seront fort vtiles, pour garder les fruits, et toutes especes de legumes, comme feues, pois, nentilles, et autres telles choses semblables. Toutes ces chambres seront à ce vtiles, parce qu’elles seront en vn lieu chaud moderement, et bien aëré, mais voici à present la cause pourquoy lesdites chambres et montagnes seront fort vtiles, plaisantes et belles.

En premier lieu, il te faut noter, qu’au deuant desdites chambres, il y aura vne grande et spatieuse allee, qui sera au dessus des chambres basses, qui seront erigees pour la commodité des iardiniers, comme ie t’ay dit cy-dessus, laquelle allee servira comme d’vne gallerie, au deuant desdites chambres hautes. Et pour mieux la faire ressembler à vne gallerie, ie feray vne muraille tout du long sur le deuant de l’allee, deuers les deux costez du iardin, qui sera à fleur du deuant, et entre les chambres basses, laquelle muraille sera plate par dessus, pour servir d’accotouër à ceux qui se pourmeneront au deuant desdites chambres hautes, sur ladite allee, plate-forme, et gallerie. Et à fin de rendre la chose plus plaisante et admirable, ie planteray au dessus des portes et fenestres des chambres hautes, tout le long du terrier vn grand nombre d’aubepins, et autres arbrisseaux, portans bons fruits, pour la nourriture des oiseaux, lesquels aubepins, et autres arbrisseaux, seruiront comme d’vn pauillon au dessus des portes et fenestres desdites chambres hautes, voire et couuriront tout du long de l’allee ladite plateforme ou gallerie : et par tel moyen, ceux qui seront esdites chambres hautes, et ceux qui se pourmeneront au deuant d’icelles, auront ordinairement le plaisir de diuerses chansonnettes, qui par les oiseaux seront dites sur lesdits arbrisseaux. Il y a deux causes, qui rendront les oiseaux amateurs de dire leurs chansonnettes en ce lieu. La premiere cause, est le Soleil, qui dés le matin iettera ses rayons sur lesdits arbrisseaux : la seconde raison est, parce que lesdits oisillons trouueront ordinairement quelque chose à se repaistre ausdits arbrisseaux : aussi pour mieux les accoustumer en ce lieu, ie ietteray en temps d’hyuer des graines de plusieurs semences sur l’allee, gallerie, et plate-forme susdite, à fin que les oiseaux trouuent quelque chose à manger en ce lieu, lors que l’hyuer aura rendu les arbres steriles. Voila comment en tout temps lesdites chambres hautes insculpees dedans les rochers, seront vtiles et de grande recreation. Et outre ces choses, les accotouërs qui seront erigez deuers le costé du iardin, seront grandement vtiles à faire meler les pruneaux, guignes, serises, et autres tels fruits qu’on a accoustumé faire meler au Soleil, parce que ce lieu sera orienté en telle sorte, que le Soleil y enuoyera ses rayons tout le long du iour : car le regard desdits rochers, chambres, et galleries seront vers le costé du vent d’Es et Sus. Et voila comment ceux qui auront affaire à estudier, distiller, ou autres labeurs esdites chambres hautes, quand ils voudront se recreer, ils sortiront sur ladite plate-forme et gallerie, et en se pourmenant, ils auront les arbrisseaux, et les oiselets au dessus de leurs testes. Et apres, voulans regarder toute la beauté du iardin, ils se viendront appuyer sur l’accotouër, qui sera fait exprés, et propre pour cest affaire, et estans la accotez, ils verront entierement toute la beauté du iardin, et ce qui s’y fera : Aussi ils auront la senteur de certains damas, violettes, marjolaines, basilics, et autres telles especes d’herbes, qui seront sur ledit accotouër, plantees dedans certains vases de terre, esmaillez de diuerses couleurs, lesquels vases, ainsi mis par ordre, et esgalles portions, decoreront et orneront grandement la beauté du iardin et gallerie susdite. Aussi au dessus desdits accotouërs, il y aura certaines figures feintes, insculpees de terre cuite, et seront esmaillees si pres de la nature, que ceux qui de nouueau seront venus au iardin, se descouuriront, faisans reuerence ausdites statues, qui sembleront, ou apparoistront certains personnages appuyez contre l’accotouër de ladite gallerie et plate-forme : or pour monter sur ladite plate-forme il y aura deux escaliers, l’vn deuers le costé du vent de Nord, et l’autre deuers le costé du vent de Sus, et seront lesdits escalliers taillez de la mesme roche, et sur le mesme lieu, qui sera vne beauté et commodité cent fois plus grande, que ie ne te sçaurois desduire. Si tu es un homme de bon iugement, tu pourras assez aisément entendre, combien la chose sera plaisante, estant erigee en la forme que ie t’ay dit : venons à present au cabinet, qui sera au milieu du iardin.

Du Cabinet du milieu.

Pour eriger le cabinet du milieu, à telle dexterité que le dessein de mon esprit l’a conceu, tu dois entendre, que la source de l’eau de laquelle ie me seruiray és fontaines de mes cabinets, ou rochers d’iceux, sera prise vn peu plus haut que le iardin, deuers le costé du Nord, et en prenant l’eau pour dilater à mes cabinets et fontaines, tout par un moyen ie feray du residu de la source, vn ruisseau, lequel passera tout à trauers dudit iardin, en tirant vers le costé du vent de Sus. Et quand il sera à l’endroit du milieu, ie separeray le cours dudit ruisseau en deux parties, l’une à dextre, et l’autre à senestre, en ensuiuant le traict d’vne rotondité que i’auray formee au compas : et apres qu’vne chacune des deux parties aura circuit la moitié de ladite rotondité, lors les deux parties du ruisseau, se viendront rassembler à vn mesme cours, comme dessus, et en telle sorte se trouuera au milieu du iardin une petite isle, à l’entour de laquelle ie planteray certains pibles ou populiers (peupliers), qui en peu de iours seront creus d’une bien grande hauteur, lesquels populiers ou pibles ie formeray, sçauoir est, les iambes en maniere de colomnes, par les moyens que ie t’ay dit cy-dessus, en te parlant des cabinets des hommeaux : aussi au dessus des testes desdites colomnes, il y aura architraue, frise et corniche, qui seront erigees des branches des mesmes arbres, comme ie t’ay conté des hommeaux : et en ceste sorte, lesdits populiers et pibles, feront la cloison d’vn cabinet rond, lequel cabinet sera fait en forme pyramidale. Et combien qu’il sera fait à peu de frais, toutesfois, il ne sera moins à estimer que les pyramides d’Egypte, combien qu’elles coustassent tant de millions d’or : et te diray à present, comment ie formeray mon cabinet en forme de pyramide. Depuis la racine des arbres iusques à la corniche, le tout sera à plomb, en ensuiuant les regles de nos anciens architectes : mais depuis la corniche tirant en haut, i’ameneray lesdits arbres pres l’vn de l’autre petit à petit, iusques à ce que tous ensemble se reduisent en vne pointe, au bout de laquelle pointe y aura vn engin attaché auec les pointes de tous les arbres, lequel engin aura vn entonnoir pour receuoir le vent, et au bout de l’entonnoir plusieurs flaiols, se rendant en vn mesme trou, en telle sorte, que le vent estant enfermé dans ledit entonnoir, fera sonner lesdits flaiols, qui seront de diuerses grosseurs, à fin de tenir et ensuiure la mesure de la musique, et en quelque part, ou endroit que le vent se vire, l’entonnoir aussi se virera : et ainsi les flaiols iouëront à tous vents. Il y aura aussi plusieurs lettres en la frise, qui seront formees des mesmes branches des arbres, comme ie t’ay dit des hommeaux, et y aura en escrit en la deuise de ladite frise, Malediction à ceux qui rejettent Sapience. Et ainsi, le dessous de ladite pyramide sera vn cabinet rond, merueilleusement frais et plaisant, à cause que le ruisseau sera tout à l’entour de la petite Isle dudit cabinet, et les pieds des colomnes ou arbres de ladite pyramide, seront plantez sur le bord du ruisseau, qui causera que ledit ruisseau en passant, grondera, et murmurera à l’entour de ladite petite Isle, en laquelle il faudra certaines planches pour y entrer, et y aura au milieu de la petite Isle vne table ronde, et à l’entre-deux des colomnes, qui seront lesdits pieds des pibles, il y aura certains vismes doux, qui seront tissus, entrelassez, et arrangez, en telle sorte, qu’ils seruiront de cloison, chaires, et doussiers entre lesdites colomnes, et le dessus de la voute desdites chaires et doussiers d’icelle, sera tissu en façon plate, sur laquelle plate-forme seront arrangez plusieurs vaisseaux et vases, pour le seruice dudit cabinet. Voila comment lesdits populiers formeront vne pyramide excellemment belle au milieu dudit iardin, laquelle pyramide seruira par le dessous d’vn cabinet rond merueilleusement vtile, auquel cabinet y aura quatre portes correspondantes aux quatre allees de la croisee du iardin, et par le dehors dudit cabinet, vn peu au delà du terrier et bord du fossé du dehors dudit cabinet, ou pyramide, seront plantez plusieurs aubiers, qui formeront vne autre rotondité, enuiron cinq pieds distante de la pyramide susdite, et si seront lesdits aubiers tous clissez d’vne chemise de fil d’archal : aussi depuis la sommité desdits aubiers, iusques aux colomnes de la pyramide, en cas pareil : pareillement, entre lesdites colomnes iusques à l’endroit susdit de la sommité des aubiers. Et sera ledit fil d’archal tissu par diuerses cloisons, parcelles et moyens, au dedans desquels moyens, il y aura vn grand nombre d’oiseaux, grands et petits, de diuerses especes, tant de ceux qui se plaisent en l’air, que de ceux qui se plaisent és arbres, et en la terre. Et par tel moyen, ceux qui banqueteront au dessous et dedans de ladite pyramide, ils auront le plaisir du chant des oiseaux, du coax des grenouilles, qui seront au ruisseau, le murmurement de l’eau, qui passera contre les pieds et iambes des colomnes qui soustiendront ladite pyramide, la frescheur du ruisseau, et des arbres qui seront à l’entour, la freschure du doux vent, qui sera engendré par le mouuement des feuilles desdits pibles ou populiers. On aura aussi le plaisir de la Musique, qui sera sur la sommité et pointe de ladite pyramide, laquelle Musique se iouëra au soufflement du vent, comme ie t’ay dit cy dessus : voila à present le dessein de tous les cabinets de mon iardin.

Quant est à present des tonnelles qui pourront estre à l’entour de la circonference du iardin, et autres membres semblables, ie ne t’en parleray point : mais ie veux à present que tu confesses, que sans les montagnes, terriers et rochers, il me seroit impossible d’eriger vn iardin, qui eust ses commoditez requises. Tu as veu ci dessus en combien de sortes lesdits rochers me seruent à cest affaire, et à present te faut noter, que tous mes arbres et plantes qui seront suiets aux gelees, seront plantez du long, et au pied du bas desdites montagnes. Et ce, pour cause que lesdites montagnes les garentiront des froidures du vent de Nord et Ouëst, qui sont les vents les plus fascheux qui regnent en ce pays de Xaintonge, ie dis de Xaintonge, parce qu’il y a aucuns Astrologues, qui disent, que les vents qui sont icy les pires, sont les meilleurs en aucunes autres contrees de pays. Les herbes, plantes, et arbres qui seront au pied, et ioignant lesdits rochers et montagnes, seront garentis desdits vents, parce que lesdites montagnes, terriers et rochers, leur seruiront de pauillon et defense contre lesdits vents. Item, ils se ressentiront la nuict de la chaleur qu’ils auront receu le iour, parce que lesdites montagnes auront leur regard deuers Es et Sus, en telle sorte, que lesdites montagnes auront tout le iour l’aspect des rayons du Soleil, tellement que les arbres et plantes qui seront au pied desdites montagnes, seront eschauffees par le Soleil, et aussi par la reuerberation d’iceluy mesme, qui frappera contre les terriers, et rochers. Item, la liqueur et l’humidité qui descendra desdits terriers et montagnes, sera plus salee que non pas celle des autres parties du iardin, qui causera, que les fruits des arbres qui seront au pied des montagnes, seront plus sauoureux, et de meilleure garde, que non pas les autres, comme tu peux auoir entendu dés le commencement de mon propos, quand ie t’ay parlé des fumiers : et ainsi, chacune espece d’arbre et plante sera plantee selon ce qu’on cognoistra estre requis, sçauoir est, celles qui demandent les lieux hauts, secs et montueux, aux lieux montueux, et celles qui demandent l’humidité, seront plantees le long du ruisseau, qui passera à trauers du iardin. Item, au iardin y aura plusieurs petites isles, qui seront enuironnees de petits ruisseaux, qui distilleront d’vn chacun des rochers des cabinets, et seront amenez les cours desdits ruisseaux droit au grand ruisseau, qui sera par le milieu du iardin. Et par tel moyen, ie feray que lesdits ruisseaux feront en eux en allant au grand ruisseau certaines circulations, qui causeront des petites isles fort plaisantes, et propres pour arrouser les herbes qui seront plantees esdites petites isles. Ie dresseray aussi vn autre petit moyen, pour arrouser les parties du iardin, d’aussi peu de frais qu’il est possible d’ouyr parler : Et ledit moyen est tel, que ie feray percer vn grand nombre de bois de Seu (Sureau), ou autre, que ie verray estre conuenable, et propre pour cest affaire, et apres en auoir percé plusieurs pieces, ie feray qu’elles entreront, et s’assembleront le bout de l’vne au dedans du bout de l’autre : et ainsi consequemment toutes les autres. Et quand ie voudray arrouser quelques plantes ou semences de mon iardin, ie presenteray vn bout desdits bois percez contre l’vne des pisseures des fontaines, et ladite eau de la pisseure entrera dedans le canal ou bois percé, et dedans le bout d’iceluy bois, i’emmancheray vne autre piece de chenelle ou autre bois percé, et selon la distance du lieu que ie voudray arrouser, i’en assembleray plusieurs ainsi, bout à bout l’vne de l’autre, et pour soustenir lesdites chenelles, i’auray certaines fourchettes que ie piqueray en terre, tout le long de la voye où ie voudray aller, lesquelles fourchettes et piquets soustiendront et conduiront mesdites chenelles iusques au lieu que ie voudray arrouser : mais à fin que la chose soit arrousee amiablement sans fouler la terre, le derrière de mes chenelles sera fermé au bout d’vn tapon, qui aura vn nombre infiny de petits trous, et par tel moyen, le canal distillera l’eau, comme une amiable rosee, sans faire aucun dommage ny aux plantes, ny à la terre. Et par tel moyen, ie tourneray mes chenelles et bois percez d’vn costé et d’autre, par toutes les parties de mon iardin, et lieux que ie voudray arrouser. Et quant est des engins qu’aucuns ont fait cy deuant, sçauoir est, certaines trapes, desquelles ils trompent les nouueaux venus au iardin, et les font tomber dedans l’eau, pour auoir leur passe-temps, ie ne voudrois estre leurs imitateurs en cest endroit : mais bien voudrois-ie faire certaines statues, qui auroient quelque vase en vne des mains, et en l’autre quelque escriteau, et ainsi que quelqu’vn voudroit venir pour lire ladite escriture, il y auroit vn engin, qui causeroit que ladite statue verseroit le vase d’eau sur la teste de celuy qui voudroit lire ledit Epitaphe. Item, ie voudrois aussi faire d’autres statues, qui auroient vne certaine boucle, ou anneau pendu en vne main, à fin que quand les Pages courroyent la lance contre ladite boucle, ainsi qu’ils frapperoyent ledit anneau, la statue leur viendroit bailler vn grand coup sur la teste d’vne esponge abruuee d’eau, en telle sorte, que ladite esponge rendra grande quantité d’eau, à cause de la compression, et du grand coup qu’elle frappera. Si ie voulois te desduire entierement le dessein de mon iardin, ie n’aurois iamais fait, parquoy, ne t’en diray plus rien : mais venons à present és confrontations d’iceluy.

Des Confrontations.

Les confrontations du iardin deuers le costé du vent de Sus, seront prairies, ainsi que ie t’ay dit cy dessus, et au milieu desdites prairies passeront les mesmes ruisseaux qui passent au iardin. À dextre et à senestre dudit ruisseau, seront plantez plusieurs belles aubarees, et tout à l’entour, et le long des deux extremitez de la prairie, seront plantez nombre d’aubepins, qui seruiront de closture et muraille, pour la defense de ladite pree, et au long de ladite haye, et bord de la pree, vn sentier et allee fort plaisante et de recreation, pour les causes que ie le diray cy apres, et la confrontation du iardin deuers le vent d’Es, seront certains champs, plantez par esgales parcelles, de diuerses especes d’arbres fructiers, qui seront de grand reuenu ; sçavoir est, vn champ de noyers, un autre de chastagners, et vn autre de nousillers (noisetiers), poiriers, pommiers, brief, de toutes especes de fruits : et du costé du vent de Nord, seront les mottes pour les cherues (chanvre), lins, et aubiers doux, et certains vimiers, pour seruir à la ligature du iardin, et deuers le costé du vent d’Ouëst, seront les bois, montagnes, et rochers que ie t’ay dit cy dessus. Voila à present l’ordonnance de mon iardin, avec ses confrontations.

Demande.

Veritablement tu m’en as bien conté, et de bien piteuses : et où cuiderois-tu trouuer vn lieu commode selon ton dessein ? Serois-tu bien si fol, de faire si grand despence, pour auoir vn beau iardin ?

Responce.

Ie t’ay dit cy dessus, qu’il se trouuera plus de quatre mille mestairies, ou maisons nobles en France, aupres desquelles on trouuera la commodité requise, pour eriger le iardin susdit, et de ce ne faut douter ; et quant est de la despence, que tu dis estre excessiue, il se trouuera plus de mille iardins en France, qui ont coûté plus que cestuy ne coutera : et puis, regardes-tu au coust pour auoir vne telle delectation et reuenu de grandes loüanges ?

Demande.

Voire, mais on auroit plus grand plaisir, et vaudroit mieux acheter de bons cheuaux, et de bonnes armures, pour paruenir à quelque degré et charge de l’art militaire, et lors en passant pays, plusieurs viendroyent au deuant te presenter logis, viures, et tapisseries : l’vn te donneroit un mulet, et l’autre vn cheual, qui ne te cousteroit qu’à souffler : et ainsi, tu receurois beaucoup plus de plaisir, que non pas à ton iardin. Aussi tu attraperois quelque benefice, que tu ferois tenir par quelque cuisinier de prestre, et tu prendrois le reuenu : car ie say plusieurs qui, par tels moyens, ayant acheté estat de seneschal de robe longue, sont paruenus à avoir estat de seneschal de robe courte, qui a été le moyen qu’ils ont esté prisez et honorez, crains et redoutez. Et par tels moyens ont rempli leurs bources de butin : et mesme en ces troubles passez, tu sais comme aucuns d’iceux ont reçu de grands presens pour favoriser aux huguenots, lesquels n’epargnoient rien pour sauuer leurs vies, lesquelles on cerchoit de bien près.

Responce.

Tu m’as allegué des raisons fort meschantes, et mal à propos : tu sçais bien que dés le commencement ie t’ay dit que je voulois eriger mon iardin pour m’en seruir, comme pour une cité de refuge, pour me retirer és iours perilleux et mauuais : et ce, à fin de fuyr les iniquitez et malices des hommes, pour seruir à Dieu, et à present tu me viens tenter d’une execrable auarice, et meschante inuention. Et cuides tu que si un homme a acheté un office de seneschal, soit de robe courte, ou de robe longue, et qu’il aie ce fait par avarice et ambition, qu’il soit homme de bien en ce faisant ? Ie say bien qu’aucuns ont acheté les grandeurs susdites pour se faire craindre et se venger, et pour emplir leurs bources de présens. Est-ce pourtant à dire que telles gens soient gens de bien ? Et tant il s’en faut. Tu sais bien que saint Paul dit qu’il n’y a rien de plus mechant que l’auaricieux. Item, il dit que l’auarice est la racine de tous maux : comment me prouueras tu que telles gens puissent viure en repos de conscience ? Item, on sait bien, qu’en plusieurs lieux des escritures sainctes, il est défendu aux Juges de prendre présens, parce que les présens corrompent le iugement : et ainsi, ie puis conclurre qu’il n’y a rien de bon au conseil que tu m’as donné. Item, tu m’as dit que si i’avois acheté quelque authorité, ou office de seneschal, ou autre, que ie pourrois crocheter quelque benefice que ie ferois tenir par un cuisinier de prestre : tu me conseilles donc d’estre meschant symoniaque et larron, et tu sais que le reuenu des benefices ne doit estre donné, sinon à ceux qui fidélement administreront la parole de Dieu : et quant est des autres qui iouiront du reuenu, ils sont maudits, damnés et perdus : et ie te le puis asseurement dire, puisqu’il est escrit au prophete Ezechiel. chap. 34 : Malediction sur vous, Pasteurs, qui mangez le laict et vestissez la laine, et laissez mes brebis esparses par les montagnes, ie les demanderai de vostre main. Ne voilà pas une sentence qui deust faire trembler ces symoniaques ? et à la verité, ils sont cause des troubles que nous auons aujourd’hui en la France : car s’ils ne craignoient de perdre leur reuenu ecclesiastique, ils accorderoient aisément tous les points de l’Escriture saincte : mais je puis aisement iuger par leurs manières de faire, qu’ils aiment mieux, et ont en plus grande reuerence leur propre ventre, que non pas la diuine Maiesté de Dieu, deuant lequel il faudra qu’ils rendent conte au iour de son aduenement, et lors desireront de mourir, et la mort s’enfuira d’eux, et diront lors aux montagnes, Montagnes, tombez sur nous, et nous cachez de la face de ce grand Dieu viuant, comme il est escrit en l’Apocalypse. Or, regarde maintenant, si tu m’as donné vn bon conseil, ouy bien pour me damner. Item, penses-tu que ces pauures miserables ayent quelque repos en leur conscience ? I’ose dire, qu’eux et leurs complices, quoy qu’il soit, ils ont tousiours quelque remords en leurs consciences, et qu’ils craignent plus de mourir, que non pas ceux qui n’ont point leurs consciences cauterisees : toutesfois, ils ne sont iamais rassassiez ne de biens, ne d’honneurs : mais si quelqu’vn les desobeyst, ils creueront, iusques à tant qu’ils en soyent vengez : et ainsi, les pauures miserables n’ont repos, ny en leurs esprits, ny en leurs corps, quelque grasse cuisine qu’ils puissent auoir. Pour lesquelles causes ie n’ay trouué rien meilleur, que de fuyr le voisinage, et accointance de telles gens, et me retirer au labeur de la terre, qui est chose iuste deuant Dieu, et de grande recreation à ceux qui admirablement veulent contempler les œuures merueilleuses de nature : mais ie n’ay trouué en ce monde vne plus grande delectation, que d’auoir vn beau iardin : aussi Dieu ayant creé la terre pour le seruice de l’homme, il le colloqua dans vn iardin, auquel y auoit plusieurs especes de fruits, qui fut cause, qu’en contemplant le sens du Pseaume cent quatriesme, comme ie t’ay dit cy dessus, il me prit deslors vne affection si grande d’edifier mondit iardin, que depuis ce temps-là ie n’ay fait que resuer apres l’edification d’iceluy : et bien souuent en dormant, il me sembloit que i’estois apres, tellement qu’il m’aduint la semaine passee, que comme i’estois en mon lict endormy, il me sembloit, que mon iardin estoit desia fait, en la mesme forme que ie t’ay dit cy dessus, et que ie commençois desia à manger des fruits, et me recreer en iceluy, et me sembloit qu’en passant au matin par ledit iardin, ie venois à considerer les merueilleuses actions que le Souuerain a commandé de faire à nature, et entre les autres choses, ie contemplois les rameaux des vignes, des pois, et des coyes (courges), lesquelles sembloyent qu’elles eussent quelque sentiment et cognoissance de leur debile nature car ne se pouuans soustenir d’elles-mesmes, elles iettoyent certains petits bras, comme filets en l’air, et trouuans quelque petite branche, ou rameau, se venoyent lier et attacher, sans plus partir de là, à fin de soustenir les parties de leur debile nature. Et quelque fois en passant par le iardin, ie voyois vn nombre desdits rameaux, qui n’auoyent rien à quoy s’appuyer, et iettoyent leurs petits bras en l’air, pensans empoigner quelque chose, pour soustenir la partie de leurdit corps, lors ie venois leur presenter certaines branches et rameaux, pour aider à leur debile nature : et ayant ce fait au matin ; ie trouuois au soir que les choses susdites auoyent jetté, et entortillé plusieurs de leurs bras à l’entour desdits rameaux : lors tout esmerueillé de la prouidence de Dieu, ie venois à contempler vne authorité, qui est en saint Matthieu, où le Seigneur dit, que les oiseaux mesmes ne tomberont point sans son vouloir, et ayant passé plus outre, i’apperceu certaines branches et gittes d’aubelon (houblon), lequel combien qu’il n’eust ny veuë, ny ouye, ny sentiment, ce neantmoins, Dieu luy a donné cognoissance de la debilité de sa nature, et le moyen de se soustenir, tellement que ie vis, que lesdites gittes dudit aubelon s’estoyent liees et entortillees plusieurs ensemble, et estans ainsi fortifiees et accompagnees l’vne de l’autre, elles se dilatoyent au long de certaines branches, pour se consolider encore toutes ensemble, et s’attacher auxdites branches : lorsque i’eu apperceu et contemplé vne telle chose, ie ne trouvay rien meilleur, que de s’employer en l’art d’agriculture, et de glorifier Dieu, et se recognoistre en ses merueilles : et ayans passé plus outre, i’apperceu certains arbres fruictiers, qu’il sembloit qu’ils eussent quelque cognoissance : car ils estoyent soigneux de garder leurs fruits, comme la femme son petit enfant, et entre les autres, i’apperceu la vigne, les concombres, et poupons (mélons, pepo), qui s’estoyent faits certaines fueilles, desquelles ils couuroyent leurs fruits, craignans que le chaud ne les endommageast, ie vis aussi les rosiers et gruseliers, qui à fin de defendre ceux qui voudroyent rauir leurs fruits, ils s’estoyent faits des armures et espines piquantes au deuant desdits fruits. I’apperceu aussi le froment, et autres bleds, ausquels le Souuerain auoit donné sapience de vestir leur fruit si excellemment, voire plus excellemment, que Salomon ne fut oncques si iustement vestu auec toute sa sapience. Ie consideray aussi, que le Souuerain auoit donné au chastagner de sçauoir armer et vestir son fruit d’vne industrie et merueilleuse robe : semblablement le noyer, allemandier, et plusieurs autres especes d’arbres fructiers, lesquelles choses me donnoyent occasion de tomber sur ma face, et adorer le viuant des vivans, qui a fait telles choses pour l’vtilité et seruice de l’homme : lors aussi cela me donnoit occasion de considerer nostre miserable ingratitude, et mauuaistié peruerse, et de tant plus i’entrois en contemplation en ces choses, d’autant plus i’estois affectionné de suiure l’art d’agriculture, et mespriser ces grandeurs et gains deshonnestes, lesquels à la fin, faut qu’ils soyent recompensez selon leurs merites ou demerites. Et estant en vn tel rauissement d’esprit, il me sembloit que i’estois proprement audit iardin, et que ie iouyssois de tous les plaisirs contenus en iceluy, et non seulement d’iceluy iardin, mais aussi des confrontations et lieux circonuoisins : car il me sembloit proprement, que ie sortois du iardin, pour m’aller pourmener à la pree, qui estoit du costé du Sus, et qu’y estant ie voyois iouër, gambader, et penader certains agneaux, moutons, brebis, cheures et cheureaux, en ruant et sautelant, en faisant plusieurs gestes et mines estranges, et mesmement me sembloit, que ie prenois grand plaisir à voir certaines brebis vieilles et morueuses, lesquelles sentens le temps nouueau, et ayans laissé leurs vieilles robbes, elles faisoyent mille sauts et gambades en ladite pree, qui estoit vne chose fort plaisante, et de grande recreation. Il me sembloit aussi, que ie voyois certains moutons, qui se reculoyent bien loin l’vn de l’autre, et puis courans d’vne vistesse et grande roideur, ils se venoyent frapper des cornes l’vn contre l’autre. Ie voyois aussi les cheures, qui se leuans des deux pieds de derriere, se frappoyent des cornes d’vne grande violence : aussi ie voyois les petits poulains, et les petits veaux, qui se iouoyent et penadoyent auprès de leurs meres. Toutes ces choses me donnoyent vn si grand plaisir, que ie disois en moy-mesme, que les hommes estoyent bien fols, d’ainsi mespriser les lieux champestres, et l’art d’agriculture, lequel nos peres anciens, gens de bien, et Prophetes ont bien voulu eux-mesmes exercer, et mesme garder les troupeaux. Il me sembloit aussi, que pour me recreer, ie me pourmenois le long des aubarees, et en me pourmenant sous la couuerture d’icelles, i’entendois vn peu murmurer les eaux du ruisseau, qui passoit au pied desdites aubarees, et d’autre part i’entendois la voix des oiselets, qui estoyent sur lesdits aubiers : et lors me venoit à souuenir du Pseaume cent quatriesme, sur lequel i’auois edifié mon iardin, auquel le Prophete dit, Que les ruisseaux passent et murmurent aux vallees et bas des montagnes : aussi dit-il, Que les oiselets font resonner leurs voix sur les arbrisseaux, plantez sur les bords des ruisseaux courans. Il me sembloit aussi, que quand ie fus las de pourmener en ladite prairie, ie me tournay deuers le costé du vent d’Ouëst, où sont les bois et montagnes, et lors me sembloit, que i’apperceu plusieurs choses, qui sont deduites et narrees au Pseaume susdit : car ie voyois les connils[21] iouans, sautans, et penadans le long de la montagne, pres de certaines fosses, trous et habitations, que le Souuerain Architecte leur auoit erigé, et soudain que les animaux apperceuoyent quelqu’vn de leurs ennemis, ils sçauoyent fort bien se retirer au lieu qui leur auoit esté ordonné pour leur demeurance. Ie voyois aussi le renard, qui se ralloit le long des buissons, le ventre contre terre, pour attrapper quelqu’vne de ces petites bestes, à fin de contenter le desir de son ventre. Brief, il me sembloit que i’auois les plaisirs de voir cheures, dains, bisches, et cheureaux le long desdites montagnes, en la mesme sorte, ou bien pres du deuis que le Prophete Dauid nous descrit en ce Pseaume cent quatrieme. Item, m’estoit auis, que i’entendois la voix de plusieurs vierges, qui gardoyent leurs troupeaux : pareillement me sembloit, que i’oyois certains bergers iouans melodieusement de leurs flaiols : et lors me sembloit, que ie disois en moy-mesme, ie m’esmerueille d’vn tas de fols laboureurs, que soudain qu’ils ont vn peu de bien, qu’ils auront gagné avec grand labeur en leur ieunesse, ils auront apres honte de faire leurs enfans de leur estat de labourage, ains les feront du premier iour plus grands qu’eux-mesmes, les faisans communement de la pratique, et ce que le pauure homme aura gagné à grande peine et labeur, il en despendra vne grand’ partie à faire son fils Monsieur, lequel Monsieur aura en fin honte de se trouuer en la compagnie de son pere, et sera desplaisant qu’on dira qu’il est fils d’vn laboureur. Et si de cas fortuit, le bon homme a certains autres enfans, ce sera ce Monsieur là, qui mangera les autres, et aura la meilleure part, sans auoir esgard qu’il a beaucoup cousté aux escholes pendant que ses autres freres cultiuoient la terre auec leur pere. Et en cependant, voila qui cause que la terre est le plus souvent auortee, et mal cultiuee, parce que le mal-heur est tel, qu’vn chacun ne demande que viure de son reuenu, et faire cultiuer la terre par les plus ignorans, chose malheureuse. À la mienne volonté, disois-je lors, que les hommes eussent aussi grand zele, et fussent aussi affectionnez au labeur de la terre, comme ils sont affectionnez pour acheter les offices, benefices, et grandeurs, et lors la terre seroit benite, et le labeur de celuy qui la cultiueroit, et lors elle produiroit ses fruits en sa saison. Ayant contemplé toutes ces choses, ie m’en allay pourmener deuers le costé du vent d’Est, et en me pourmenant pardessous les arbres fructiers, i’y receu vn grand contentement, et plusieurs ioyeux plaisirs : car ie voyois les Escurieux (écureuils) cueillans les fruits, et sautans de branche en branche, faisans plusieurs belles mines et gestes. Ie voyois d’autre part cueillir les noix aux groles (corneilles), qui se resiouyssoient, en prenant leur repas et disner sur lesdits Noyers. D’autre part, ie trouuois sous les Pommiers certains herissons, qui s’estoyent roulez en forme ronde, et auoyent fait piquer leurs poils, ou aiguillons sur lesdites pommes, et s’en alloyent ainsi chargez. Ie voyois aussi la sagesse du renard, lequel se trouuant persecuté des puces, prenoit un bouchon de mousse dedans sa bouche, et s’en alloit à vn ruisseau, et s’estant culé dedans ledit ruisseau, il entroit petit à petit pour faire fuyr toutes les puces du corps en sa teste : et quand elles s’en estoyent fuyes iusques à la teste, le renard se plongeoit encore tousiours, iusques à ce qu’elles fussent toutes sur le museau, et quand elles estoyent sur le museau il se plongeait jusqu’à ce qu’elles fussent sur la mousse, qu’il auoit mise en sa gueule, et quand elles estoyent sur la mousse, il se plongeait tout à vn coup, et s’en alloit sortir au dessus du courant de l’eau : et ainsi, il laissoit ses puces sur ladite mousse, laquelle mousse leur seruoit de bateau pour s’en aller d’vn autre costé. I’apperceu aussi vne finesse que le renard fit en ma présence la plus fine et subtile que i’ouys oncques parler : car iceluy se trouuant desnué de viures, et voyant que l’heure du disner s’approchoit, et qu’il n’auoit encore rien de prest, il s’en alla coucher en vn champ, pres et ioignant l’aile d’vn bois, et estant là couché, il dilata les iambes en sus, et ferma les yeux, et estant ainsi couché à la renuerse faisant du mort, et tirant son membre : dont aduint qu’vne grole n’ayant aussi rien à disner, pensant que le dit renard fust mort, se va poser sur son ventre, pensant de son membre que ce fust quelque chair desia commencee à detailler : mais la grole fut bien affinee, car dés le premier coup de bec qu’elle commença à donner sur ledit membre, le renard d’vne vistesse soudaine empongna la grole, laquelle ne seut tenir aucune contenance, sinon de faire coüa : et voila comment le fin renard print son disner aux despens de celle qui le vouloit manger.

Toutes ces choses m’ont rendu si amateur de l’agriculture, qu’il me semble, qu’il n’y a thresor au monde si precieux, ni qui deust estre en si grande estime, que les petites gittes des arbres et plantes, voire les plus mesprisees. Ie les ay en plus grande estime que non les minieres d’or et d’argent. Et quand ie considere la valeur des plus moindres gittes des arbres ou espines, ie suis tout esmerueillé de la grande ignorance des hommes, lesquels il semble qu’auiourd’huy ils ne s’estudient qu’à rompre, couper, et deschirer les belles forests que leurs predecesseurs auoyent si precieusement gardees. Ie ne trouueray pas mauuais qu’ils coupassent les forests, pourueu qu’ils en plantassent apres quelque partie : mais ils ne se soucient aucunement du temps à venir, ne considerans point le grand dommage qu’ils font à leurs enfans à l’aduenir.

Demande.

Et pourquoy trouues-tu si mauuais, qu’on coupe ainsi les forests ? il y a plusieurs Euesques, Cardinaux, Prieurs et Abbez, Moineries, et Chapitres, qui en coupant les forests, ils ont fait trois profits. Le premier, ils ont eu de l’argent des bois et en ont donné quelque partie aux femmes, filles et hommes aussi. Item, ils ont baillé la sole desdites forests à rente : dont ils ont eu beaucoup d’argent des entrees. Et apres les laboureurs ont semé du bled et sement tous les ans, duquel bled ils en ont encore vue bonne portion. Voila comment les terres valent plus de reuenu, qu’elles ne faisoyent auparauant. Parquoy ie ne puis penser, que cela doiue estre trouué mauuais.

Responce.

Ie ne puis assez detester vne telle chose, et ne la puis appeller faute : mais vne malediction, et vn mal-heur à toute la France, parce qu’apres que tous les bois seront coupez, il faut que tous les arts cessent, et que les artisans s’en aillent paistre l’herbe, comme fit Nabuchodonozor. Ie voulu quelquesfois mettre par estat les arts qui cesseroyent, lorsqu’il n’y auroit plus de bois : mais quand i’en eu escrit vn grand nombre, ie ne sceu jamais trouuer fin à mon escrit, et ayant tout consideré ie trouvay qu’il n’y en auoit pas vn seul, qui se peust exercer sans bois, et que quand il n’y auroit plus de bois, qu’il faudroit que toutes les nauigations et pescheries cessassent, et que mesme les oiseaux et plusieurs especes de bestes, lesquelles se nourrissent de fruits, s’en allassent en vn autre Roiaume, et que les bœufs, ni les vaches, ni autres bestes bouines ne seruiroyent de rien au pays où il n’y auroit point de bois. Ie me fusse estudié à te donner vn millier de raisons : mais c’est vne Philosophie, que quand les chambrieres y auront pensé, elles iugeront, que sans bois, il est impossible d’exercer aucun art, et mesme faudroit, s’il n’y auoit point de bois, que l’office des dents fust vaquant, et là où il n’y a point de bois, ils n’ont besoin d’aucun froment, ni d’autre semence à faire pain. Ie trouue vne chose fort estrange, que beaucoup de Seigneurs ne contraignent leurs suiets de semer quelque partie de leurs terres de glans, et autres parties de chastagners, et autres parties de noyers, qui seroit vn bien public, et vn reuenu qui viendroit en dormant. Cela seroit fort propre en beaucoup de pays, là où ils sont contraints d’amasser les excremens des bœufs et vaches pour se chauffer, et en autres contrees, ils sont contraints de se chauffer et faire bouillir leurs pots de paille : n’est-ce pas vne faute, et ignorance publique ? Quand ie serois Seigneur de telles terres ainsi steriles de bois, ie contraindrois mes tenanciers, pour le moins d’en semer quelque partie. Ils sont bien miserables, c’est un reuenu qui vient en dormant, et apres qu’ils auroient mangé les fruits de leurs arbres, ils se chaufferoyent des branches et troncs. Ie louë grandement vn Duc Italien, qui quelques iours apres que sa femme fut accouchee d’vne fille, il philosopha en soy-mesme, que le bois estoit vn reuenu qui venoit en dormant : parquoy, il commanda à ses seruiteurs de planter en ses terres le nombre de cent mille pieds d’arbres, disant ainsi, que lesdits arbres pourroyent valoir chacun vingt sols auparauant que sa fille fust bonne à marier : et ainsi, lesdits arbres vaudroyent cent mille liures, qui estoit le prix qu’il pretendoit donner à sa fille. Voila vne prudence grandement louable : à la mienne volonté, qu’il y en eust plusieurs en France, qui fissent le semblable. Il y en a plusieurs qui aiment le plaisir de la chasse, et la frequentation des bois : mais cependant ils prennent ce qu’ils trouuent, sans se soucier de l’aduenir. Plusieurs mangent leurs reuenus à la suite de la Cour en brauades, despences superflues, tant en accoustrement, qu’autres choses : il leur seroit beaucoup plus vtile de manger des oignons auec leurs tenanciers, et les instruire à bien viure, monstrer bon exemple, les accorder de leurs différens, les empescher de se ruyner en procès, planter, edifier, fossoyer, nourrir, entretenir, et en temps requis, et necessaire, se tenir prests à faire seruice à son Prince, pour defendre la patrie. Ie m’esmerueille de l’ignorance des hommes, en contemplant leurs outils d’agriculture, lesquels on deust auoir en plus grande recommandation, que non pas les precieuses armures : toutesfois, il semble à certains Iuuenceaux, que s’ils auoient manié vn outil d’agriculture, qu’ils en seroient deshonnorez, et vn Gentilhomme tant pauure qu’il soit et endetté iusques aux aureilles, s’il auoit vn peu manié vn ferrement d’agriculture, il luy sembleroit estre vilain. À la mienne volonté, que le Roy eust erigé certains offices, estats, et honneurs à tous ceux qui inuenteroient quelque bel engin, et subtil pour l’agriculture. Si ainsi estoit, tout le monde se ietteroit apres, à qui mieux mieux, pour paruenir. Iamais ingenieux ne furent plus empressez à l’assaut d’vne ville, qu’aucuns s’empresseroient : et tout ainsi que tu vois qu’ils mesprisent les anciennes façons d’habillemens, ils mespriseroient aussi les anciens outils de l’agriculture, et à la verité, ils en inuenteroient de meilleurs. Les armuriers changent souuent les façons des hallebardes, d’espees et autres arnois : mais l’ignorance de l’agriculture est si grande, qu’elle demeure tousiours à vne mode accoustumee : et si leurs ferremens estoient lourds au commencement qu’ils furent inuentez, ils les entretiennent tousiours en leur lourdeté : en vn pays, vne mode accoustumee sans changer, en vn autre pays vne autre aussi sans iamais changer. Il n’y a pas long-temps, que i’estois au pays de Béarn, et de Bigorre, mais en passant par les champs, ie ne pouuois regarder les laboureurs, sans me cholerer en moy-mesme, voyant la lourdeté de leurs ferremens : et pourquoy est-ce qu’il ne se trouue quelque enfant de bonne maison, qui s’estudie aussi bien à inuenter des ferremens vtiles pour le labourage, comme ils sçauent estudier à se faire decouper du drap en diuerses sortes estranges ? Ie ne puis me tenir de dire ces choses, considerant la folie et ignorance des hommes.

Demande.

Quels outils faudroit-il pour edifier un tel iardin, que tu m’as cy dessus designé ?

Responce.

Il faudroit de toutes les especes d’outils seruans à l’agriculture : et parce qu’il y a des colomnes, et autres membres d’architecture, il faudroit de toutes les especes d’outils propres à la Geometrie.

Demande.

Ie te prie me les nommer icy par rang l’vn apres l’autre.

Responce.

Nous auons le Compas,
La Reigle,
L’Escarre (equerre),
Le Plomb (l’à-plomb),
Le Niueau,
La Sauterelle (fausse équerre),
Et l’Astrolabe.

Voila les outils par lesquels on conduit la Geometrie et l’Architecture.

Puis que nous sommes sur le propos de Geometrie, il aduint la semaine passee, qu’estant en mon repos sur l’heure de minuict, il m’estoit auis, que mes outils de Geometrie s’estoient esleuez l’vn contre l’autre, et qu’ils se debatoient à qui appartenoit l’honneur d’aller le premier, et estant en ce debat, le compas disoit, Il m’appartient l’honneur : car c’est moy qui conduis et mesure toutes choses : aussi quand on veut reprouuer un homme de sa despence superflue, on l’admoneste de viure par compas. Voila comment l’honneur m’appartient d’aller le premier. La reigle disoit au compas, Tu ne sçais que tu dis, tu ne sçaurois rien faire qu’vn rond seulement ; mais moy, ie conduis toutes choses directement, et de long, et de trauers, et en quelque sorte que ce soit, ie fay tout marcher droit deuant moy : aussi quand un homme est mal-viuant, on dit qu’il vit desreiglement, qui est autant à dire, que sans moy, il ne peut viure droitement. Voila pourquoy l’honneur m’appartient d’aller deuant. Lors l’Escarre dist, C’est à moy à qui l’honneur appartient : car pour vn besoin, on trouuera deux reigles en moy : aussi c’est moy, qui conduis les pierres angulaires et principales du coin, sans lesquelles nul bastiment ne pourroit tenir. Lors le plomb se vinst à esleuer, disant, le dois estre honoré par dessus tous : car c’est moy qui ameine et conduis toute massonnerie directement en haut, et sans moy on ne sçauroit faire aucune muraille droite, qui seroit cause, que les bastimens tomberoyent soudain : aussi, bien souuent, ie fay l’office d’vne reigle : parquoy faut conclurre, que l’honneur m’appartient. Ce fait, le Niueau s’esleua, et dist : O ces belistres et coquins, c’est à moy que l’honneur appartient. Ne sçait-on pas, que tous les soumiers, poutres, et trauerses ne pourroyent estre assises à leur deuoir sans moy ? Ne sçait-on pas bien, que ie conduis toutes places et pauemens comme ie veux ? Ne sçait-on pas bien, que plusieurs ingenieux se sont seruis de moy, en faisant leurs mines, tranchees, et en braquant leurs furieux canons ? et que sans moy ils ne pourroyent paruenir à leur dessein ? Voila pourquoy faut arrester et conclurre que l’honneur me doit demeurer : et soudain que le niueau eut fini son propos, voicy la sauterelle, qui d’vne grande vistesse se va esleuer, en disant, Deuant, devant, vous ne sçauez que vous dites, c’est à moy à qui appartient l’honneur : car ie fay des actes que nul ne sçauroit faire, et ie vous demande, sçauriez-vous conduire un bastiment en vne place biaise ? Et on sçait bien que non, et vous ne seruez, ni ne sçauez rien faire sinon un mestier : mais moy, ie vay, ie viens, ie fay de la petite, ie fay de la grande, brief, ie fay des choses que nul de vous ne sçauroit faire. Parquoy il est aisé à iuger, que l’honneur m’appartient. Adonc l’Astrolabe vint à s’esleuer avec vne constance et grauité canonique, et dist ainsi, Me voulez-vous oster l’honneur qui m’appartient ? car c’est moy qui monte plus haut que tous tant que vous estes, et mon Regne et Empire s’estend iusques aux nues. N’est-ce pas moy, qui mesure les astres, et que par moy les temps et saisons sont cogneuës aux hommes, fertilité ou stérilité ? et qu’est ceci à dire ? Me sçauroit-on nier, que ce que ie dis ne soit vray ? Et ainsi que i’entendis le bruit de leurs disputes, ie m’esueillay, et soudain m’en allay voir que c’estoit : dont soudain qu’ils m’eurent apperceu, ils me vont eslire iuge, pour iuger de leur different : lors ie leur dis, Ne vous abusez point, il ne vous appartient ny honneur, ni aucune preeminence : l’honneur appartient à l’homme, qui vous a formez. Parquoy, il faut que vous luy seruiez et l’honoriez. Comment, dirent-ils, à l’homme, et faut-il que nous obeyssions et seruions à l’homme qui est si meschant et plein de folie ? lors ie voulus excuser l’homme, en disant, qu’il n’estoit pas ainsi : ils s’escrierent tous, en disant, Permettez nous mesurer la teste de l’homme, et vous seruez de nous en cest affaire, et vous cognoistrez, que l’homme n’a aucune ligne directe, ni mesure certaine en toutes ses parties, quelque chose que Victruue, et Sebastiane et autres Architectes ayent sçeu dire, et monstrer par leurs figures. Quoy voyant, il me print enuie de mesurer la teste d’vn homme, pour sçauoir directement ses mesures, et me sembla, que la sauterelle, la reigle, et le compas me seroient fort propres pour cest affaire : mais quoy qu’il en soit, ie n’y sceu iamais trouuer vne mesure asseuree, parce que les folies qui estoient en ladite teste luy faisoient changer ses mesures. Adonc ie fus confus, parce que ie trouuois ladite teste tantost d’une sorte, et tantost d’vne autre, et combien qu’aucunes fois il y eust quelque apparence de lignes directes, ainsi que i’apprestois mes outils pour les figurer, soudain, et en vn moment, ie trouuois que les lignes directes s’estoient rendus obliques, dont ie fus fort estonné, voyant qu’il n’y auoit aucune ligne directe en la teste de l’homme, à cause que sa folie les faisoit toutes fleschir, et les rendoit obliques. Lors ie voulus sçauoir, quelles especes de folies estoyent en l’homme, qui le rendoit ainsi difforme, et mal proportionné : mais ne le pouuant sçauoir ni cognoistre par l’art de Geometrie, ie m’auisay de l’examiner par vne Philosophie Alchimistale, qui fut le moyen, que ie vins soudain eriger plusieurs fourneaux propres à cest affaire : les vns pour putrefier, les autres pour calciner, aucuns autres pour examiner, et aucuns pour sublimer, et d’autres pour distiller. Quoy faict, ie prins la teste d’vn homme, et ayant tiré son essence par calcinations, et distillations, sublimations et autres examens faits par matrats, cornues, et bainmaries, et ayant separé toutes les parties terrestres de la matiere exhallatiue, ie trouuay, que veritablement, en l’homme il y auoit vn nombre infini de folies, que quand ie les eu apperceuës, ie tombay quasi en arriere comme pasmé, à cause du grand nombre des folies, que i’auois apperceu en ladite teste. Lors me print soudain vne curiosité et enuie, de sçauoir qui estoit la cause de ses grandes folies, et ayant examiné de bien pres mon affaire, ie trouuay que l’auarice et ambition auoit rendu presque tous les hommes fols, et leur auoit quasi pourri toute la ceruelle : lors que i’eu apperceu vne telle chose, ie fus plus desireux de veoir les malices des hommes, que ie n’estois au parauant, qui fut cause, que ie prins la teste d’vn Limosin, et l’ayant mise à l’examen, ie trouuay qu’il auoit sa teste pleine de folies, et grand mixtionneur et augmentateur de drogues, tellement qu’il se trouua, qu’il auoit acheté trente cinq sols la liure du bon poiure à la Rochelle, et puis le bailloit à dix sept sols à la foire de Niord, et gagnoit encore beaucoup, à cause de la tromperie qu’il auoit adioustee audit poiure. Lors ie luy demanday, pourquoy il estoit ainsi fol, et sans entendement, de tromper ainsi meschamment les marchands : mais sans aucune honte, ce meschant soustenoit, que la folie qu’il faisoit, estoit vne sagesse, et ie luy remonstray lors qu’il se damnoit, et qu’il valoit mieux estre pauure que non pas d’estre damné : mais cest insensé disoit, que les pauures n’estoyent en rien prisez, et qu’il ne vouloit estre pauure, quoy qu’il en deust aduenir : dont ie fus contraint de le laisser en sa folie. Apres i’empoignay la teste d’vn ieune homme, sans auoir esgard de quel estat il estoit, et ayant mis la teste à l’examen, ie trouuay, que la plus part d’icelle n’estoit que folie, et ayant vn peu contemplé le personnage, i’entray en dispute auec luy, en luy demandant, Frere, qui t’a meu ainsi de couper ce bon drap, que tu portes en tes chausses, et autres habillemens ? sçais-tu pas bien, que c’est vne folie ? mais c’est insensé me vouloit faire accroire, que les chausses ainsi coupees, dureroyent plus que les autres, ce que ne pouuois croire. Lors ie luy dis, Mon ami, asseure toy de cela, n’en doute point, que le premier qui fit decouper ses chausses, estoit naturellement fol : et quand au demeurant tu serois le plus sage du monde, si est-ce qu’en cest endroit, tu es imitateur, et suis l’exemple d’vn fol. Vray est qu’vne folie de longue main entretenue, est estimee sagesse : mais de ma part, ie ne puis accorder, que telle chose ne soit vne directe folie. Apres cestuy, ie vous empoignay la teste d’vne croteuse femme d’vn officier royal, sçauoir est de robe-longue, et l’ayant mise à l’examen, et auoir separé l’esprit d’auec le terrestre, ie trouuay la susdite grandement pleine de folie en sa teste, lors pensant faire deuoir de Chrestien, ie luy dis, Mamie, pourquoy est-ce que vous contrefaites ainsi vos habillemens ? Ne sçauez vous pas bien, que les robes ne sont faites en Esté, que pour couurir la dissolution de la chair ? et en Hyuer, pour cela mesme, et pour les froidures ? et vous sçauez que tant plus les habillemens sont proches de la chair, d’autant plus ils tiennent la chaleur, aussi de tant mieux ils couurent les parties honteuses : Mais au contraire, vous auez prins vne verdugale, pour dilater vos robes, en telle sorte que peu s’en faut, que vous ne monstriez vos honteuses parties : apres luy auoir fait vne telle remonstrance, en lieu de me remercier, la sotte m’appella Huguenot : quoy voyant, ie la laissay, et prins la teste de son mary, et l’ayant examinee comme les autres, ie trouuay de grandes folies et larrecins : lors ie luy dis, Pourquoy est-ce que tu es ainsi fol, de chicaner et piller les vns et les autres ? il me dist que cestoit pour entretenir ses estats, et qu’il ne pourroit auoir patience auec sa femme, s’il ne lui donnoit souuent des accoustremens nouueaux, et qu’il falloit desrober pour entretenir ses estats et honneurs. O fol, di-je, lors ta femme te fera elle mordre en la pomme, comme fit celle de nostre premier pere ? il te vaudroit mieux auoir espousé vne bergere : tu n’auras point d’excuse sur ta femme, quand il faudra comparoistre deuant le siege iudicial de Dieu. Apres cestuy, je prins la teste d’un Chanoine, et ayant fait examen de ses parties, comme dessus, ie trouvay qu’il y auoit plus de folies qu’en tous les autres. Ie luy demanday lors, Pourquoi est-ce que tu es si grand ennemi de ceux qui parlent des authoritez de l’Escriture saincte ? mais iceluy respondant, dist que ne seroit qu’on le vouloit contraindre d’aller prescher en ses benefices, qu’il tiendroit la partie des protestans : mais à cause qu’il n’auoit aprins à prescher, et qu’il auoit accoustumé auoir ses aises dés sa jeunesse, cela lui coutoit de soustenir l’Eglise Romaine : Et ie dis lors, tu es bien meschant, et tu fais de l’hypocrite deuant tes freres les autres Chanoines, qui pensent que tu soutiens, et que tu croyes directement les statuts de l’Eglise Romaine. Non, non, dit-il, il n’y en a pas un de mes compagnons qui ne confesse la verité, ne seroit la crainte de perdre leur reuenu : et qu’ainsi ne soit, il n’y a celui qui ne mange de la chair en caresme aussi bien comme moy, et quelque mine qu’ils facent, ils ne vont à la messe sinon pour conserver la cuisine, et de ce n’en faut douter : et quand n’eut esté que les bonnes gens nous vouloyent contraindre d’aller prescher, nous eussions aisément souffert les ministres, mais nostre reuenu est cause que nous faisons nos esforts pour les banir. Adonc ie pensay que ça seroit folie à moy de le vouloir admonester, attendu la response qu’il auoit faite. Lors pour sauoir si son dire contenoit vérité, i’empoignay la teste d’un Président de Chapitre, mais elle estoit terrible : car elle ne vouloit iamais endurer la coupelle, ni permettre qu’on feist aucun examen de ses affaires ; il regimboit, il batoit, il penadoit, il entroit dans une noire cholére vindicative. Quoy voyant, ie me despitay comme luy, et bon gré malgré qu’il en eust, je le mis à l’examen et vins à séparer ses parties, savoir est, la cholere noire et pernicieuse d’un costé, l’ambition et superbité de l’autre, ie mis d’autre costé le meurtre intestin qu’il portoit contre ses haineux : brief, ie separay ainsi toutes ses parties, comme un bon alchimiste separe les matieres des metaux, et lui demanday, Ne veux-tu point laisser tes folies ? Est-il pas temps de se conuertir ? Quoy, dit-il, folies, il n’y a homme en ceste paroisse plus sage que moy. Ie suis, disoit-il, de la nouuelle religion quand ie veux, et entens la verité aussi bien qu’un autre, mais ie suis sage, ie chemine selon le temps, et fais plaisir à ceux que i’aime, et me venge de ceux que ie hais : Voire, dis je, mais ce n’est pas une vie Chrestienne : car on sait bien que les prestres ne doiuent point estre paillards. Quoy, paillards, dit il, il est vray que i’ay une femme à laquelle i’ay fait plusieurs enfans, mais elle n’est point paillarde, elle est ma femme ; nous sommes tous deux espousez secretement. Et ie lui dis lors, Pourquoi est-ce donc que tu persecutes et taches à faire mourir les Chrestiens ? Quoy, mourir, dit-il, i’en ai sauué plusieurs : vray est que ceux que ie hayssois, ie n’ay espargné de les poursuiure. Quelque chose que ie peusse dire, ni faire, iamais ie ne seus faire accroire à ce Président, qu’il ne fust homme de bien, et sage, combien que ie voyois de merueilleuses manuaisetiez en ses parties, lesquelles i’auois mises à l’examen. Apres cestuy là, ie prins la teste d’un Iuge Présidial, qui se disoit estre bon seruiteur du Roy, lequel auoit grandement persecuté aucuns Chrestiens, et favorisé beaucoup de vicieux, et ayant mis sa teste à l’examen, et avoir separé ses parties, ie trouuay qu’il s’estoit une partie engraissé d’un morceau de benefice qu’il possedoit : lors ie cogneu directement que cela estoit la cause qu’il faisoit la guerre à l’Evangile, ou à ceux qui la vouloyent exposer en lumiére. Quoy voyant, ie le laissay là comme un fol, sachant bien que je n’eusse eu aucune raison de luy, puisque sa cuisine estoit engraissée d’un tel potage. Adonc ie vins à examiner la teste et tout le corps d’un Conseiller de Parlement, le plus fin gantier qu’on eut seu iamais voir, et ayant mis ses parties en la coupelle et fourneau d’examen, ie trouuay que dedans son ventre il y auoit plusieurs morceaux de benefice qui l’auoyent tellement engraissé que son ventre ne pouuoit plus tenir dedans ses chausses. Quand i’eus apperceu une telle chose, i’entray en dispute auec luy, en luy disant, Viens çà, es-tu pas fol ? Est-il pas ainsi, que le profit de tes bénéfices causoyent que tu faisois le procés des Chrestiens ? confesse par là que tu es un fol, ie dis plus fol que non pas Esaü, qui donna l’heritage de sa progeniture pour vne escuelle de legumes : il ne donna qu’un bien temporel, mais tu donnes un regne eternel, et prens peines eternelles pour le plaisir et délectation de ton ventre. Confesse donc que ta folie est sans comparaison plus grande que non pas celle d’Esaü. Esaü pleura son péché, ce neantmoins, il ne fut point exaucé : ie ne veux pas dire par là que si tu confesses ton iniquité, tu ne sois pardonné, mais i’ai grand peur que tu n’en feras rien, attendu que tu batailles directement contre la verité de Dieu, que tu cognois bien. Ie n’eus pas si tost fini mon propos, que ce fol et insensé ne se mist à ses esforts de me rendre honteux et vaincu es propos que ie luy auois tenus, et me dist à haute voix : Et en estes-vous encore là ? Si ainsi estoit que ie fusse fol pour tenir des benefices, le nombre des fols seroit bien grand. Lors ie luy dis tout doucement que tous ceux qui boiuent le laict et vestissent la laine des brebis, sans les repaistre, sont maudits : et lui alleguay le passage qui est escrit en Ieremie le Prophete, Chapitre 34. Adonc il s’esleua d’une bravade et furie merueilleusement superbe, en disant : Quoy ? selon ton dire, il y en auroit un bien grand nombre de damnez et maudits de Dieu : car ie say qu’en nostre Cour souveraine, et en toutes les Cours de la France, il y a bien peu de Conseillers et Présidens qui ne possédent quelque morceau de bénéfice qui aide à entretenir les dorures et accoustremens, banquets et menus plaisirs de la maison, voire pour acquester auec le temps quelque place noble, ou office de plus grand honneur et authorité. Appelles-tu cela folie ? C’est une grandissime sagesse, disoit-il : mais c’est une grand’ folie que de se faire pendre ou bruler, pour soustenir les authoritez de la Bible. Item, disoit-il, ie say qu’il y a plusieurs grands Seigneurs en France, qui prennent le reuenu des benefices, toutesfois, ils ne sont pas fols, mais grandement sages : car cela aide beaucoup à entretenir leurs estats, honneurs et grasses cuisines : et par tel moyen, ils ont de bons chevaux pour le seruice de la guerre. Quand i’eus entendu le propos de ce miserable symoniaque inveteré en sa malice, ie fus tout confus, et m’escriay en mon esprit, en esleuant les yeux en haut, et disant, O pauures Chrestiens, où en estes-vous ? vous pensiez abbatre l’idolatrie et avoir gagné la partie, ie cognois à présent que vous n’auiez garde de ce faire : car selon le dire de cestuy Conseiller, vous auez toutes les Cours de Parlement contre vous : et s’il est ainsi, qu’il m’a dit, vous auez aussi plusieurs grands seigneurs qui prennent profit du reuenu des benefices, et tandis qu’ils sont repus d’un tel bruuage, il faut que vous esperiez qu’ils seront touiours vos ennemis capitaux et mortels. Parquoy, je suis d’avis que vous retourniez à vostre premiere simplicité, vous asseurant que vous aurez des ennemis et serez persecuté tout le temps de vostre vie, si par lignes directes, vous voulez suiure et soustenir la querelle de Dieu : car telles sont les promesses originalement escrites au vieux et nouueau testament. Ayez donc vostre refuge à vostre chef, protecteur, et capitaine notre seigneur Jésus Christ, lequel en temps et lieu, saura tres bien venger l’iniure qui luy aura esté faite, et en cas pareil la vostre.

L’Histoire.

Apres que i’eu apperceu les folies et malices des hommes, et consideré les horribles esmotions et guerres, qui ont esté cette annee par tout le Royaume de France, ie pensay en moy-mesme de faire le dessein de quelque Ville ou Cité de refuge, pour se retirer és temps des guerres et troubles, à fin d’obuier à la malice de plusieurs horribles et insensez saccageurs, ausquels i’ay par cy deuant veu executer leurs rages furieuses, contre vne grande multitude de familles, sans auoir esgard à la cause iuste ou iniuste, et mesme sans aucune commission ne mandement.

Demande.

II semble à t’ouyr parler, que tu ne t’asseures pas de la paix qu’il a pleu à Dieu nous enuoyer, et que tu as encore quelque crainte d’vne esmotion populaire.

Responce.

Ie prie à Dieu, qu’il luy plaise nous donner sa paix, mais si lu auois veu les horribles desbordemens des hommes, que i’ay veu durant ces troubles, tu n’as cheueux en la teste, qui n’eussent tremblé, craignant de tomber à la mercy de la malice des hommes. Et celuy qui n’a veu ces choses, il ne sçauroit iamais penser, combien la guerre est grande et horrible. Ie ne m’esmerueille pas, si le Prophete Dauid aima mieux eslire la peste, que non pas la famine et la guerre, en disant, que s’il auoit la peste, il seroit à la mercy de Dieu, mais qu’en la guerre, il seroit à la mercy des hommes, qui fut la cause, que Dieu estendit ses verges seulement sur son peuple, et non pas sur luy, parce qu’il estoit submis sous sa misericorde, et auoit directement confessé sa faute. Voila pourquoy ie te puis asseurer, que c’est vne chose horriblement à craindre, que de tomber sous la mercy des hommes pernicieux et meschans.

Demande.

Ie te prie, me dire comment aduint ce divorce en ce pays de Xaintonge : car il me semble, qu’il seroit bon de le mettre par escrit, à fin qu’il en demeurast vne perpetuelle memoire, pour seruir à ceux qui viendront apres nous.

Responce.

Tu sais qu’il y aura plusieurs historiens, qui s’employeront à cest affaire, toutesfois pour mieux descrire la verité, ie trouuerois bon, qu’en chacune Ville, il y eust personnes deputees, pour escrire fidelement les actes qui ont esté faits durant ces troubles : et par tel moyen, la verité pourroit estre reduite en vn volume, et pour ceste cause, ie m’en vay commencer à t’en faire un bien petit narre, non pas du tout, mais d’vne partie du commencement de l’Eglise reformee.

Tu dois entendre, que tout ainsi que l’Eglise primitiue fut erigee d’vn bien petit commencement, et auec plusieurs perils dangers et grandes tribulations, aussi sur ces derniers iours, la difficulté et dangers, peines, trauaux et afflictions ont esté grandes en ce pays de Xaintonge. Ie dis de Xaintonge, parce que ie laisseray és habitans d’vn autre Diocese, d’en escrire ce qu’ils en sauent à la verité. Il aduint l’an 1546, qu’aucuns Moines ayans esté quelques iours és parties d’Allemagne, ou bien ayans leu quelques liures de leur doctrine, et se trouuans abusez, ils prindrent la hardiesse assez couuertement, de descouurir quelques abus, mais soudain que les Prestres et beneficiers entendirent qu’ils detractoyent de leurs coquilles, ils inciterent les iuges de leur courir sus : ce qu’ils faisoyent de bien bonne volonté, à cause qu’aucuns d’eux possedoyent quelque morceau de benefice, qui aidoit à faire bouillir le pot. Par ce moyen, aucuns desdits Moines estoyent contrains s’en fuyr, s’exiler, et se desfroquer, craignans qu’on les feist mourir de chaud. Les vns se faisoyent de mestier, les autres regentoyent en quelque village, et parce que les isles d’Olleron, de Marepnes, et d’Alleuert, sont loin des chemins publics, il se retira en ces isles là quelque nombre desdits moines, ayans trouué diuers moyens de viure, sans estre cogneus : et ainsi qu’ils frequentoyent les personnes, ils se hazardoyent de parler couuertement, iusques à ce qu’ils fussent bien asseurez qu’on n’en diroit rien. Et apres que par tel moyen ils eurent reduit quelque quantité de personnes, ils trouuerent moyen d’obtenir la chaire, parce qu’en ces iours là, il y auoit un grand Vicaire, qui les fauorisoit tacitement : dont s’en ensuiuit, que petit à petit en ces pays et isles de Xaintonge, plusieurs eurent les yeux ouuers, et cogneurent beaucoup d’abus qu’ils auoyent auparauant ignorez, qui fut cause, que plusieurs eurent en grande estime lesdits Predicateurs, combien que pour lors ils descouuroyent les abus assez maigrement. Il y eut en ces iours là vn nommé Collardeau, Procureur fiscal, homme peruers, et de mauuaise vie, qui trouua moyen d’aduertir l’Euesque de Xaintes, qui estoit pour lors à la Cour, luy faisant entendre que tout estoit plein de Lutheriens, et qu’il luy donnast charge et commission pour les extirper, et non seulement luy escrivit plusieurs fois, mais aussi se transporta iusques audit lieu. Il feit tant par ces moyens, qu’il obtint vne commission de l’Euesque, et du Parlement de Bourdeaux, auec vne bonne somme de deniers, qui lui furent taxez par ladite Cour. Cela faisoit-il pour le guain, et non pour le zele de la Religion. Quoy fait, il pratiqua certains iuges, tant en l’isle d’Olleron, que d’Alleuert, et pareillement à Gimosac, et ayant aposté ces iuges, il feit prendre le Prescheur de saint Denis, qui est au bout de l’isle d’Olleron, nommé frere Robin, et tout par vn moyen, le feit passer en l’isle d’Alleuert, où il en print vn autre nommé Nicole, et quelques iours apres, il print aussi celuy de Gimosac, qui tenoit eschole, et preschoit les Dimanches, estant fort aimé des habitans : et combien que ie pense qu’ils soyent escrits au liure des Martyrs, ce neantmoins, parce que ie say la verité de certains faicts insinuez, i’ay trouué bon les escrire, qui est, qu’eux ayans bien disputé, et soustenu leur Religion en la presence d’vn Nauieres, Theologien, Chanoine de Xaintes, qui autresfois auoit commencé à descouurir les abus, toutesfois, parce que le ventre l’auoit gagné, il soustenoit du contraire, comme tres-bien les pauures captifs luy sauoyent reprocher en son visage. Quoy qu’il en fut, ces pauures gens furent condamnez à estre desgraduez, et vestus d’accoustremens verds, à fin que le peuple les estimast fols ou insensez : et qui plus est, parce qu’ils soustenoyent virilement la querelle de Dieu, ils furent bridez comme cheuaux par ledit Collardeau, auparauant que d’estre menez sur l’eschafaut, esquelles brides y avoit en chacune vne pomme de fer, qui leur emplissoit tout le dedans de leurs bouches, chose fort hideuse à voir : et estans ainsi desgraduez, ils les retournerent en prison, pour les mener à Bourdeaux, à fin de les condamner à mourir : mais entre les deux, il aduint un cas admirable, sauoir est, que celuy à qui on vouloit le plus de mal, lequel on pensoit faire mourir le plus cruellement, ce fut celuy qui leur eschappa, et sortit des prisons par vn moyen admirable : car pour se donner garde de de luy, ils auoyent mis vn certain personnage sur les degrez d’vne auiz pres des prisons, pour escouter s’il se feroit quelque brisure : aussi on auoit eu des grans chiens des villages qu’vn grand Vicaire auoit amené, ausquels on auoit donné le large de la court de l’Euesché, à fin qu’ils abboyassent, si les prisonniers venoyent à sortir. Nonobstant toutes ces choses, frere Robin lima les fers qu’il auoit aux iambes, et les ayans limez, il bailla les limes à ses compagnons : et ce fait, il perça les murailles qui estoyent de bonne massonnerie, mais il aduint vn cas estrange, c’est que d’auenture il y auoit plusieurs barriques appilees l’vne sur l’autre, au deuant de ladite muraille, lesquelles barriques estans poussees à bas, menerent vn grand bruit, qui furent cause, que le portier se leua, et ayant long temps escouté, s’en retourna coucher : et ainsi, ledit frere Robin sortit en la court, à la merci des chiens, toutesfois Dieu l’auoit inspiré d’auoir prins du pain, et quand il fut en la court, il le ietta ausdits chiens, qui eurent la gueule close, comme les Lions de Daniel. Or il faut noter, que ledit Robin n’auoit iamais esté en ceste Ville cy de Xaintes : pour ceste cause, estant en la court de l’Euesché, il estoit encore enfermé, mais Dieu voulut qu’il trouua une porte ouuerte, qui se rendoit au iardin, auquel il entra, et se trouuant de rechef enfermé de certaines murailles bien hautes, il apperceut à la clarté de la lune vn certain Poirier, qui estoit assez pres de ladite muraille, et estant monté audit Poirier, il apperceut par le dehors de ladite muraille vn fumier, sur lequel il pouuait assez aisement sauter. Quoy voyant, il s’en retourna és prison, pour sauoir si quelqu’vn de ses compagnons auroit limé ses fers : mais voyant que non, il les consola, et exhorta à batailler virilement, et à prendre patiemment la mort, et en les embrassant, print congé d’eux, et s’en alla derechef monter sur le Poirier et de là sauta sur les fumiers de la rue, mais ce fut vne chose tres merueilleuse, procedante de la prouidence Diuine, comment ledit Robin peut eschapper le second danger : car parce qu’il n’auoit iamais esté en la Ville, il ne sauoit à qui se retirer : mais parce qu’il auoit esté malade d’vne pleurésie és prisons, et qu’on luy auoit donné vn Medecin, et vn Apoticaire, ledit Robin couroit par les rues, en s’enquerant dudit Medecin et Apoticaire, desquels il auoit retenu le nom : mais en ce faisant, il alla tabourner en plusieurs portes des plus grands de ses ennemis, et entre les autres, à la porte d’vn Conseiller, qui fit diligence le lendemain pour sauoir de ses nouuelles, et promettoit cinquante escus de la part du grand Vicaire nommé Selliere, à celuy qui donneroit moyen de prendre ledit Robin. Iceluy donc frappant par les portes à l’heure de minuict, auoit diuinement pourueu à son affaire : car il auoit troussé son habit sur ses espaules, et auoit attaché son enferge (sa chaine) en vne de ses iambes, et par tel moyen, ceux qui sortoyent aux fenestres, pensoyent que ce fust vn laquay. Il fit si bien, qu’il se sauua en quelque maison, et de là fut en mesme heure conduit hors la Ville, ce qui aduint au mois d’Aoust dudit an : mais ses deux compagnons furent bruslez, l’vn en ceste Ville de Xaintes, et l’autre à Libourne, à cause que le Parlement de Bourdeaux s’en estoit là fuy, pour raison de la peste, qui estoit lors en la ville de Bourdeaux, et moururent les susdits maistre Nicole et ses compagnons l’an 1546. au mois d’Aoust, endurans la mort fort constamment. L’Euesque, ou ses Conseillers, s’auisèrent en ce temps-là d’vne ruse et finesse grandement subtile : car ayans obtenu quelque mandement du Roy, pour couper vn grand nombre de forests, qui estoyent à l’entour de ceste Ville, toustefois, parce que plusieurs auoyent leur iouyssance des bois et pasturages esdites forets, ils ne vouloyent permettre qu’elles fussent abatues : mais ceux-cy, suiuans les ruses Mahometistes, s’auiserent de gagner le cœur du peuple par predications et presens faits au gens du Roy, et enuoyerent en ceste ville de Xaintes, et autres Villes du Diocese certains moines Sorbonistes, qui escumoyent, bauoyent, se tormentoyent et viroyent, faisans gestes et grimaces estranges, et tous leurs propos n’estoyent que crier contre ces Chrestiens nouueaux, et aucunesfois ils exaltoyent leur Euesque, en disant qu’il estoit descendu du precieux sang de Monseigneur sainct Louys[22], et par tel moyen, le pauure peuple souffroit patiemment que tous leurs bois fussent coupez : et les bois estans ainsi coupez, il n’y eut plus de Predicateurs : voila comment le peuple fut deceu en ses biens, et pareillement en ses esprits. Par là tu peux aisement iuger, quel pouuoit estre l’estat de l’Eglise reformee, laquelle n’auoit encore aucune apparence d’Eglise, sinon aucuns, qui tacitement, et auec crainte detractoyent de la Papauté. Il y eut quelque temps apres, l’an 1557. qu’vn nommé maistre Philebert Hamelin, qui auoit esté autresfois prisonnier en ceste Ville, et prins par le même Collardeau, se transporta derechef en ceste Ville de Xaintes, et parce qu’il auoit demeuré à Geneue vn bien long temps depuis son emprisonnement, et ayant augmenté audit Geneue de Foy et de doctrine, il auoit tousiours un remords de conscience, de ce qu’il auoit dissimulé en sa confession faite en ceste Ville, et voulant reparer sa faute, il s’efforçoit partout où il passoit d’inciter les hommes d’auoir des Ministres, et de dresser quelque forme d’Eglise, et s’en alloit ainsi par le pays de France, ayant quelques seruiteurs qui vendoyent des Bibles, et autres liures imprimez en son Imprimerie : car il s’estoit desprestré et fait Imprimeur. En ce faisant, il passoit quelque fois par ceste ville, et alloit aussi en Alleuert. Or il estoit si iuste, et d’vn si grand zele, que combien qu’il fust homme assez mal portatif, il ne voulut iamais prendre de cheuaux, encore que plusieurs l’en requeroyent d’vne bonne affection. Et combien qu’il eust bien de quoy moyennement, si est-ce qu’il n’auoit aucune espee à sa ceinture : ains seulement vn simple baston en la main, et s’en alloit ainsi tout seul, sans aucune crainte. Or aduint un iour, apres qu’il eut fait quelques prieres et petites exhortations en ceste ville, ayant au plus sept ou huit auditeurs, il print son chemin, pour aller en Alleuert, et deuant que partir, il pria le petit troupeau de l’assemblee, de se congreger, de prier et s’exhorter l’vn l’autre : et ainsi, s’en alla en Alleuert, tendant à fin de gagner le peuple à Dieu, et là estant recueilli benignement, par la plus grand’ partie du peuple, fit certains presches au son de la cloche, et baptisa vn enfant. Quoy voyant les Magistrats de ceste ville, contraindrent l’Euesque d’exhiber deniers, pour faire la suite (poursuivre) dudit Philebert, auec cheuaux, gens d’armes, cuisiniers et viuandiers. L’Euesque et certains Magistrats de ceste ville se transporterent au lieu d’Alleuert, là où ils firent rebaptiser l’enfant qui auoit esté baptisé par ledit Philebert, et ne le pouuans là attraper, ils le suiuirent à la trace, iusques à ce qu’ils l’eurent trouué en la maison d’vn Gentil-homme, et ainsi, l’amenerent en ceste ville comme mal-faicteur, és prisons criminelles, combien que ses œuures rendent certain tesmoignage, qu’il estoit enfant de Dieu, et directement esleu. Il estoit si parfait en ses œuures, que ses ennemis estoyent contraints de confesser qu’il estoit d’vne vie saincte, toutesfois sans approuuer sa doctrine. Ie suis tout esmerueillé, comment les hommes ont osé assoir iugement de mort sur luy, veu qu’ils sauoyent bien, et auoyent entendu sa saincte conuersation : car ie suis asseuré, et le puis dire à la verité, que deslors qu’il fut amené és prisons de Xaintes, ie prins la hardiesse (combien que les iours fussent perilleux en ce temps là) d’aller remonstrer à six des principaux Iuges et Magistrats de ceste ville de Xaintes, qu’ils auoyent emprisonné vn Prophete, ou Ange de Dieu, enuoyé pour annoncer sa Parole, et iugement de condamnation aux hommes sur le dernier temps, leur asseurant, qu’il y auoit onze ans, que ie cognoissois ledit Philebert Hamelin d’vne si saincte vie, qu’il me sembloit, que les autres hommes estoyent diables au regard de luy. Il est certain, que les Iuges vserent d’humanité en mon endroit, et m’escouterent benignement : aussi parlois-ie à vn chacun d’eux estant en sa maison. Finalement ils traitterent assez benignement ledit maistre Philebert, toutesfois ils ne se peuuent excuser qu’ils ne soyent coulpables de sa mort. Vray est qu’ils ne le tuerent pas non plus que Pilate et Iudas Iesus Christ, mais ils le liurerent entre les mains de ceux qu’ils sauoyent bien qu’ils le feroyent mourir. Et pour mieux paruenir à un laue-main, pour s’en descharger, ils s’auiserent qu’il auoit esté Prestre en l’Eglise Romaine, parquoy l’enuoyerent à Bourdeaux auec bonne et seure garde par vn Prevost des Mareschaux : veux-tu bien cognoistre comment ledit Philebert estoit de saincte vie ? on luy donnoit liberté d’estre en la chambre du Geolier, et de boire et manger à sa table, ce qu’il fit, pendant qu’il estoit en ceste Ville : mais apres que par plusieurs iours il eut travaillé, et prins peine de reprimer les ieux et blasphemes qui se commettoyent en la chambre du Geolier, il fut si desplaisant, voyant qu’ils ne se vouloyent corriger, que pour obuier à entendre un tel mal, soudain qu’il auoit disné, il se faisoit mener en vne chambre criminelle, et estoit là tout le long du iour tout seul, pour obuier les compagnies mauuaises. Item, veux-tu encore mieux sauoir, combien il cheminoit droitement ? Luy estant en prison suruint un Aduocat du pays de France, de quelque lieu où il auoit erigé vne petite Eglise, lequel Aduocat apporta trois cents liures, qu’il presenta au Geolier, pourueu qu’il voulust de nuict mettre ledit Philebert hors des prisons. Quoy voyant le Geolier, fut presque incité à ce faire, toutesfois il demanda conseil audit maistre Philebert, lequel respondant, luy dist, qu’il valoit mieux qu’il mourust par la main de l’executeur, que de le mettre en peine pour luy. Quoy sachant ledit Aduocat, rapporta son argent : ie te demande, Qui est celuy de nous, qui voudroit faire le semblable, estant à la merci des hommes ennemis, comme il estoit ? Les Iuges de ceste Ville sauoient bien qu’il estoit de saincte vie, toutesfois ils l’ont fait pour crainte de perdre leurs offices, ainsi le faut-il entendre. Ie fus bien aduerti, que cependant que ledit Philebert estoit és prisons de ceste Ville, qu’il y eut vn personnage, qui parlant dudit Philebert, dist à vn Conseiller de Bourdeaux : On vous amenera vn de ces iours vn prisonnier de Xaintes, qui parlera bien à vous, Messieurs : mais le Conseiller en blasphemant le nom de Dieu, iura qu’il ne parleroit pas à luy, et qu’il se donneroit bien garde d’assister à son iugement. Ie te demande, ce Conseiller se disoit estre Chrestien, il ne vouloit pas condamner le Iuste ; toutesfois, puisqu’il estoit constitué Iuge, il n’aura point d’excuse : car puis qu’il sauoit que l’autre estoit homme de bien, il deuoit de son pouuoir s’opposer au iugement de ceux qui par ignorance, ou par malice le condamnerent, liurerent, et firent pendre comme vn larron, le 18. d’Auril de l’an susdit. Quelque temps auparauant la prise dudit Philebert, il y eut en ceste Ville vn certain artisan, pauure et indigent à merueilles, lequel auoit vn si grand desir de l’auancement de l’Euangile, qu’il le demonstra quelque iour à vn autre artisan aussi pauure que luy, et d’aussi peu de sauoir, car tous deux n’en sauoyent guere : toutesfois le premier remonstra à l’autre, que s’il vouloit s’employer à faire quelque forme d’exhortation, ce seroit la cause d’vn grand fruit : et combien que le second se sentoit totalement desnué de sauoir, cela luy donna courage : et quelques iours apres, il assembla vn Dimanche au matin neuf ou dix personnes, et parce qu’il estoit mal instruit és lettres, il auoit tiré quelques passages du vieux et nouueau Testament, les ayans mis par escrit. Et quand ils furent assemblez, il leur lisoit les passages ou authoritez, en disant, Qu’vn chacun selon ce qu’il a receu de dons, qu’il faut qu’il les distribue aux autres, vt que tout arbre qui ne fera point de fruit, sera coupé et ietté au feu : aussi il lisoit vne autre authorité prise au Deuteronome, là où il est dit, Vous annoncerez ma Loy en allant, en venant, en buuant, en mangeant, en vous couchant, en vous leuant, et estant assis en la voye : il leur proposoit aussi la similitude des talens, et vn grand nombre de telles authoritez, et ce faisoit-il tendant à deux bonnes fins, la premiere estoit, pour monstrer qu’il appartient à toutes gens de parler des statuts et ordonnances de Dieu, et à fin qu’on ne mesprisast sa doctrine, à cause de son abiection : la seconde fin, estoit à fin d’inciter certains auditeurs, de faire le semblable : car en ceste mesme heure, ils conuindrent ensemble, que six d’entr’eux exhorteroyent par hebdomade, sauoir est, vn chacun de six en six semaines, les Dimanches seulement. Et parce qu’ils entreprenoyent vn affaire, auquel ils n’auoyent jamais été instruits, il fut dit, qu’ils mettroyent leurs exhortations par escrit, et les liroyent deuant l’assemblee : or toutes ces choses furent faites par le bon exemple, conseil et doctrine de maistre Philebert Hamelin. Voila le commencement de l’Eglise reformee de la ville de Xaintes. Ie m’asseure, qu’il y a eu au commencement telle assemblee, que le nombre n’estoit que de cinq seulement, et pendant que l’Eglise estoit ainsi petite, et que ledit maistre Philebert estoit en prison, il arriua en ceste Ville vn Ministre nommé de la Place, lequel auoit esté enuoyé, pour aller prescher en Alleuert : mais ce mesme iour, le Procureur dudit Alleuert se trouua en ceste Ville, qui certifia, qu’il y seroit fort mal venu, à cause de ce Baptesme, que maistre Philebert auoit fait, parce qu’on auoit condamné plusieurs assistans à fort grandes amendes, qui fut le moyen, que nous priasmes ledit de la Place, de nous administrer la Parole de Dieu, et fut receu pour nostre Ministre, et demeura iusques à ce que nous eusmes Monsieur de la Boissiere, qui est celuy que nous auons encore à present : mais c’estoit vne chose pitoyable, car nous auions bon vouloir, mais le pouuoir d’entretenir les Ministres n’y estoit pas, veu que de la Place pendant le temps que nous l’eusmes, il fut entretenu vne partie aux despens des Gentilshommes, qui l’appeloyent souuent, mais craignans que cela ne fust le moyen de corrompre nos ministres, on conseilla à Monsieur de la Boissiere de ne partir de la Ville sans congé, pour seruir à la noblesse, veu qu’aussi il y eut vrgent affaire. Par tel moyen, le pauure homme estoit reclos comme vu prisonnier, et bien souuent mangeoit des pommes, et buuoit de l’eau à son disner, et par faute de nape, il mettoit bien souuent son disner sur vne chemi e, parce qu’il y auoit bien peu de riches qui fussent de nostre assemblee, et si n’auions pas de quoy luy payer ses gages. Voila comment nostre Eglise a esté erigee au commencement par gens mesprisez : et alors que les ennemis d’icelle la vindrent saccager et persecuter, elle auoit si bien profité en peu d’annees, que desia les ieux, danses, ballades, banquets et superfluitez de coiffures et dorures, auoyent presque toutes cessé : il n’y auoit plus guere de paroles scandaleuses, ni de meurtres. Les proces commençoyent grandement à diminuer : car soudain que deux hommes de la Religion estoyent en proces, on trouuoit moyen de les accorder : et mesme bien souuent, deuant que commencer aucun proces, vn homme n’y eust point mis vn autre, que premierement il ne l’eust fait exhorter à ceux de la Religion. Quand le temps s’approchoit de faire ses Pasques, plusieurs haines, dissensions et querelles estoyent accordees : il n’estoit question que de Pseaumes, Prieres, Cantiques et Chansons spirituelles, et n’estoit plus question de Chansons dissolues ni lubriques. L’Eglise auoit si bien profité, que mesme les Magistrats auoyent policé plusieurs choses mauuaises, qui dependoyent de leurs authoritez. Il estoit defendu aux Hosteliers de ne tenir ieux, ni de donner à boire et à manger à gens domiciliez, à fin que les hommes desbauchez se retirassent en leurs familles. Vous eussiez veu en ces iours là és Dimanches, les compagnons de mestier se pourmener par les prairies, boscages, ou autres lieux plaisans, chantans par troupes Pseaumes, Cantiques et Chansons spirituelles, lisans et s’instruisans les vns les autres. Vous eussiez aussi veu les filles et vierges assises par troupes és iardins et autres lieux, qui en cas pareil se delectoyent à chanter toutes choses sainctes : d’autre part, vous eussiez veu les pedagogues, qui auoyent si bien instruit la ieunesse, que les enfans estoyent tellement enseignez, que mesme il n’y auoit plus de geste puerile, ains une constance virile. Ces choses auoyent si bien profité, que les personnes auoyent changé leurs manieres de faire, mesme iusques à leurs contenances. L’Eglise fut erigee au commencement auec grande difficulté et eminens perils : nous estions blasmez et vituperez de calomnies peruerses et meschantes. Les vns disoyent, si leur doctrine estoit bonne, ils prescheroyent publiquement : les autres disoyent, que nous nous assemblions pour paillarder, et qu’en nos assemblees, les femmes estoyent communes : les autres disoyent, que nous allions baiser le cul au diable, auec de la chandelle de rosine. Nonobstant toutes ces choses, Dieu fauorisa si bien nostre affaire, que combien que nos assemblees fussent le plus souuent à plein minuit, et que nos ennemis nous entendoyent souuent passer par la ruë, si es’-ce que Dieu leur tenoit la bride serree en telle sorte, que nous fusmes conservez sous sa protection, et lors que Dieu voulut que son Eglise fut manifestee publiquement, et en plein iour, il fit en nostre ville vn œuure admirable, car il fut enuoyé à Tolose deux des principaux chefs, lesquels n’eussent voulu permettre nos assemblees estre publiques, qui fut la cause, que nous eusmes la hardiesse de prendre la halle. Ce que nous n’eussions seu faire, sans grands scandales, si lesdits chefs eussent esté en la ville. Et qu’ainsi ne soit, tu ne peus nier, que depuis ces troubles, ils ne se soyent totalement appliquez à rabaisser, ruyner, et anichiler, enfoncer et abysmer la petite nasselle de l’Eglise reformee. Par là, ie puis aisement iuger, que Dieu les a tenus l’espace de deux annees, ou enuiron à Tolose, à fin qu’ils ne nuisissent à son Eglise, durant le temps qu’il la vouloit manifester publiquement : combien que l’Eglise eut de grans ennemis, toutesfois elle fleurit en telle sorte en peu d’annees, que mesme les ennemis d’icelle, à leur tres-grand regret estoyent contraints de dire bien de nos ministres, et singulierement de Monsieur de la Boissiere, parce que sa vie les redarguoit, et rendoit bon tesmoignage de sa doctrine. Or aucuns Prestres commençoyent d’assister aux assemblees, à estudier, et prendre conseil de l’Eglise : mais quand quelqu’vn de l’Eglise faisoit quelque faute, ou tort à quelqu’vn des aduersaires, ils sauoyent tres bien dire, Vostre ministre ne vous a pas conseillé de faire ce mal : et ainsi, les ennemis de l’Euangile auoyent la bouche close, et combien qu’ils eussent en haine les ministres, ils n’osoyent mesdire d’eux, à cause de leur bonne vie. En ces iours là, les prestres et moines furent blasmez du commun : sauoir est, des ennemis de la Religion, et disoyent ainsi, les Ministres font des prieres, que nous ne pouuons nier qu’elles ne soyent bonnes : pourquoy est-ce que vous ne faites le semblable ? Quoy voyant Monsieur le Theologien du Chapitre se print à faire les prieres, comme les Ministres : aussi firent les moines qu’ils auoyent à gages pour leur Predication : car s’il y auoit vn fin frere, mauuais garçon, et subtil argumentateur de moine en tout le pays, il faloit l’auoir en l’Eglise Cathedrale. Voila comment en ces iours là, il y auoit prieres en la ville de Xaintes tous les iours d’vne part et d’autre. Veux-tu bien cognoistre, comment les Ecclesiastiques Romains faisoyent lesdites prieres par hypocrisie et malice ? Regarde vn peu, ils n’en font plus à present, ni n’en faisoyent au parauant la venue des Ministres : Est-il pas aisé à iuger, que ce qu’ils en faisoyent, estoit seulement pour dire, ie say faire cela aussi bien comme les autres ? Quoy qu’il en soit, l’Eglise profita si bien alors, que les fruits d’icelle demeureront à iamais : et ceux qui ont esperance de voir l’Eglise abbatue et anichilee, seront confus, car puis que Dieu l’a garentie lors qu’ils n’estoyent que trois ou quatre pauures gens mesprisez, combien plus auiourd’huy aura-t-il soin d’vn grand nombre ? Ie ne doute pas qu’elle ne soit tormentee : cela nous doit estre tout résolu, puis qu’il est escrit : mais ce ne sera pas selon la mesure et desir de ses ennemis. Plusieurs gens des villages en ces iours là demandoyent des Ministres à leurs Curez ou fermiers, ou autrement, ils disoyent qu’ils n’auroyent point de dismes : cela faschoit plus les prestres, que nulle autre chose, et leur estoit fort estrange. En ce temps là furent faits des actes assez dignes de faire rire et pleurer tout à vn coup : car aucuns fermiers ennemis de la Religion, voyans telles nouuelles, s’en alloyent aux Ministres, pour les prier de venir exhorter le peuple, d’où ils estoyent fermiers : et ce, à fin d’estre payez des dismes. Quand ils ne pouuoyent finir de Ministres, ils demandoyent des anciens. Ie ne ris iamais de si bon courage, toutesfois en pleurand, quant i’ouy dire, que le Procureur qui estoit Greffier criminel, lors qu’on faisoit les proces de ceux de la Religion, auoit luy-mesme fait les prieres vn peu au parauant le saccagement de l’Eglise en la Parroisse d’où il estoit fermier : à sauoir si lors qu’il faisoit luy-mesme les prieres, il estoit meilleur Chrestien, que quand il escriuoit les proces contre ceux de la Religion : certes autant bon Chrestien estoit-il, lorsqu’il escriuoit les proces, comme quand il faisoit les prieres, attendu qu’il ne les faisoit, que pour auoir les gerbes et fruits des laboureurs. Le fruit de nostre petite Eglise auoit si bien profité, qu’ils auoyent contraint les meschans d’estre gens de bien : toutesfois leur hypocrisie a esté depuis amplement manifestee et cogneuë : car lors qu’ils ont eu liberté de mal faire, ils ont monstré exterieurement ce qu’ils tenoyent caché dedans leurs miserables poitrines : ils ont fait des actes si miserables, que i’ay horreur seulement de m’en souuenir, au temps qu’ils s’esleuerent pour dissiper, abysmer, perdre et destruire ceux de l’Eglise reformee. Pour obuier à leurs tyrannies horribles et execrables, ie me retiray secrettement en ma maison, pour ne voir les meurtres, reniemens, et destroussemens qui se faisoyent és lieux champestres : et estant retiré en ma maison l’espace de deux mois, il m’estoit auis, que l’enfer auoit esté desfonsé, et que tous les esprits diaboliques estoyent entrez en la ville de Xaintes : car au lieu que i’entendois vn peu au parauant Pseaumes, Cantiques, et toutes paroles honnestes d’edification et bon exemple, ie n’entendois que blasphemes, bateries, menaces, tumultes, toutes paroles miserables, dissolution, chansons lubriques et detestables, en telle sorte, qu’il me sembloit que toute la vertu et saincteté de la terre estoit estouffee et esteinte : car il sortit certains diabletons du Chasteau de Taillebourg, qui faisoyent plus de mal, que non pas ceux qui estoyent diables d’ancieneté. Eux entrans en la ville, accompagnez de certains prestres, ayans l’espee nue au poing, crioyent, Où sont-ils ? il faut couper gorge tout à main, et faisoyent ainsi des mouuans, sachans bien, qu’il n’y auoit aucune résistance : car ceux de l’Eglise reformee s’estoyent tous absentez : toutesfois pour faire des mauuais, ils trouuerent vn Parisien en la rue, qui auoit bruit d’auoir de l’argent : ils le tuerent, sans auoir aucune resistance, et en vsant de leur mestier accoustumé, le mirent en chemise deuant qu’il fust acheué de mourir. Apres cela, ils s’en allerent de maison en maison, prendre, piller, saccager, gourmander, rire, moquer et gaudir auec toutes dissolutions, et paroles de blasphemes contre Dieu et les hommes : et ne se contentoyent pas seulement de se moquer des hommes, mais aussi se moquoyent de Dieu : car ils disoyent, que Agimus auoit gagné Pere eternel. En ce iour là, il y auoit certains personnages és prisons, que quand les pages des Chanoines passoyent par deuant lesdites prisons, ils disoyent en se moquant, Le Seigneur vous assistera, et luy disoyent encore, or dites à présent, Reuenge moy, pren la querelle : et plusieurs autres en frapant d’vn baston, disoyent, Le Seigneur vous bénie. Ie fus grandement espouuanté l’espace de deux mois, voyant que les portefaix, et belistreaux estoyent deuenus seigneurs aux despens de ceux de l’Eglise reformee : ie n’auois tous les iours autre chose que rapports des cas espouuantables qui de iour en iour s’y commettoyent, et de tout ce que ie fus le plus desplaisant en moy-mesme, ce fut de certains petis enfans de la Ville, qui se venoyent iournellement assembler en vne place pres du lieu où i’estois caché (m’exerçant toutesfois à faire quelqu’œuure de mon art), qui se diuisans en deux bandes, et iettans des pierres les vns contre les autres, iuroyent et blasphemoyent le plus execrablement, que iamais homme ouyt parler : car ils disoyent, par le sang, mort, teste, double teste, triple teste, et des blasphemes si horribles, que i’ay quasi horreur de les escrire : or cela dura assez long temps, sans que les peres ni meres, y missent aucune police. Il me prenoit souuent enuie de hazarder ma vie, pour en faire la punition ; mais ie disois en mon cœur le pseaume 79, qui se commence, Les gens entrez sont en ton heritage. Ie say que plusieurs Historiens descriront les choses plus au long, toutesfois, i’ay bien voulu dire ceci en passant, parce que durant ces iours mauuais, il y auoit bien peu de gens de l’Eglise reformee en ceste Ville.

  1. Plantations d’aubiers (alburnum).
  2. Ce trait, rapporté par Pline (Hist. nat., l. xvii), est attribué à l’affranchi C. F. Ctesinus, lequel in invidia magna erat, ceu fruges alienas pelliceret veneficiis. Il se présenta à l’édile Post. Albinus, avec sa famille et ses instruments d’agriculture, et dit : Veneficia mea, Quirites, hæc sunt, nec vobis possum ostendere, aut in forum adducere lucubrationes meas, vigiliasque et sudores.
  3. Anders, dartres laiteuses des veaux.
  4. Il s’agit sans doute ici de quelques matières terreuses mises en fusion par une extrême chaleur et vitrifiées à l’aide de la potasse contenue dans la paille brûlée.
  5. Fayard, hêtre (fagus).
  6. Voilà une théorie singulièrement avancée pour le siècle où elle était émise, et qui dénote dans l’auteur un admirable esprit d’observation, « Trois cents ans nous séparent bientôt de B. Palissy, et l’expérience de nos jours a parfaitement confirmé ces idées. Il est évident que ce sont les sels, et notamment les sels ammoniacaux (sulfate, carbonate et chlorhydrate), qui jouent le rôle le plus important dans l’action des engrais. » (Hoëfer, Hist. de la Chimie, t. ii, p. 91.)
  7. Sorte de bane, ou bassin de bois.
  8. Cette pratique excellente a été préconisée récemment comme une invention toute nouvelle, et a fait un certain honneur à l’agronome qui l’a propagée. Il est vraiment inconcevable qu’énoncée en termes si clairs et si formels par B. Palissy, elle soit restée ignorée pendant trois siècles, ou du moins qu’elle n’ait pas été adoptée plus tôt par tous les agriculteurs intelligents.
  9. Pluriel du mot pal (palus), pieu, échalas.
  10. C’est une ancienne erreur, fort accreditée du temps de Palissy.
  11. Cette première opinion de Palissy sur l’origine des coquilles pétrifiées est celle qu’adopta Voltaire, mais Palissy ne pouvait rester long-temps dans une pareille erreur ; aussi, en observateur habile, ne tarda-t-il point à en revenir et à reconnaître la véritable théorie de cette formation, comme on le verra plus loin au Traité des pierres.
  12. C’est ce que l’on connaît aujourd’hui sous le nom d’ammonites, ou cornes d’Ammon.
  13. Ce sont des oursins (echinus).
  14. Ou plutôt sins, sinus.
  15. Terres incultes auprès des marais salants.
  16. Ce sont des géodes.
  17. Bruyères, terres incultes.
  18. Cette explication est la véritable. Le verre est un silicate qui, dans certaines conditions, est susceptible de s’altérer au contact de la chaleur et de l’humidité.
  19. Mine de cobalt arsenifère oxydée par le grillage.
  20. Flutes, flageolets.
  21. Lapins, Cuniculus.
  22. Cet évêque était, en effet, Charles, cardinal de Bourbon, frère d’Antoine, Roi de Navarre, que les Ligueurs reconnurent un moment Roi de France, sous le nom de Charles X.