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Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des minéraux/Alun

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ALUN

L’acide aérien s’étant d’abord combiné avec les poudres du quartz et des autres verres primitifs, a produit l’acide vitriolique par son union avec cette terre vitrifiée, laquelle s’étant ensuite convertie et réduite en argile par cette action même de l’acide et de l’eau, cet acide vitriolique s’y est conservé et s’y manifeste sous la forme d’alun[NdÉ 1], et l’on ne peut douter que ce sel ne soit composé d’acide vitriolique et de terre argileuse ; mais cette terre de l’alun est-elle de l’argile pure comme M. Bergman, et, d’après lui, la plupart des chimistes récents le prétendent ? Il me semble qu’il y a plusieurs raisons d’en douter, et qu’on peut croire avec fondement que cette argile qui sert de base à l’alun n’est pas pure, mais mélangée d’une certaine quantité de terre limoneuse et calcaire, qui toutes deux contiennent de l’alcali.

1o Deux de nos plus savants chimistes, MM. Macquer et Baumé, ont reconnu des indices de substances alcalines dans cette terre : « Quoique essentiellement argileuse, dit M. Macquer, la terre de l’alun paraît cependant exiger un certain degré de calcination, et même le concours des sels alcalis pour former facilement et abondamment de l’alun avec de l’acide vitriolique ; et M. Baumé est parvenu à réduire l’alun en une espèce de sélénite, en combinant avec ce sel la plus grande quantité possible de sa propre terre[1]. » Cela me paraît indiquer assez clairement que cette terre qui sert de base à l’alun n’est pas une argile pure, mais une terre vitreuse mélangée de substances alcalines et calcaires.

2o M. Fougeroux de Bondaroy, l’un de nos savants académiciens, qui a fait une très bonne description[2] de la carrière dont on tire l’alun de Rome, dit expressément ; « Je regarde cette pierre d’alun comme calcaire, puisqu’elle se calcine au feu… La chaux que l’on fait de cette pierre a la propriété de se durcir sans aucun mélange de sable ou d’autres terres, lorsque après avoir été humectée on la laisse sécher. » Cette observation de M. de Bondaroy semble démontrer que les pierres de cette carrière de la Tolfa[NdÉ 2] dont on tire l’alun de Rome, seraient de la même nature que nos pierres à plâtre, si la matière calcaire n’y était pas mêlée d’une plus grande quantité d’argile ; ce sont, à mon avis, des marnes plus argileuses que calcaires, qui ont été pénétrées de l’acide vitriolique, et qui par conséquent peuvent fournir également de l’alun et de la sélénite.

3o L’alun ne se tire pas de l’argile blanche et pure qui est de première formation, mais des glaises ou argiles impures qui sont de seconde formation, et qui toutes contiennent des corps marins, et sont par conséquent mélangées de substance calcaire, et souvent aussi de terre limoneuse.

4o Comme l’alun se tire aussi des pyrites, et même en grande quantité, et que les pyrites contiennent de la terre ferrugineuse et limoneuse, il me semble qu’on peut en inférer que la terre qui sert de base à l’alun est aussi mélangée de terre limoneuse, et je ne sais si le grand boursouflement que ce sel prend au feu ne doit être attribué qu’à la raréfaction de son eau de cristallisation, et si cet effet ne provient pas, du moins en partie, de la nature de la terre limoneuse qui, comme je l’ai dit, se boursoufle au feu, tandis que l’argile pure y prend de la retraite.

5o Et ce qui me paraît encore plus décisif, c’est que l’acide vitriolique, même le plus concentré, n’a aucune action sur la terre vitrifiable pure, et qu’il ne l’attaque qu’autant qu’elle est mélangée de parties alcalines ; il n’a donc pu former l’alun avec la terre vitrifiable simple ou avec l’argile pure, puisqu’il n’aurait pu les saisir pour en faire la base de ce sel, et qu’en effet il n’a saisi l’argile qu’à cause des substances calcaires ou limoneuses dont cette terre vitrifiable s’est trouvée mélangée.

Quoi qu’il en soit, il est certain que toutes les matières dont on tire l’alun ne sont ni purement vitreuses ni purement calcaires ou limoneuses, et que les pyrites, les pierres d’alun et les terres alumineuses, contiennent non seulement de la terre vitrifiable ou de l’argile en grande quantité, mais aussi de la terre calcaire ou limoneuse en petite quantité ; ce n’est que quand cette terre de l’alun a été travaillée par des opérations qui en ont séparé les terres calcaires et limoneuses qu’elle a pu devenir une argile pure sous la main de nos chimistes. Cependant M. le baron de Dietrich prétend[3] « que la terre qui fournit l’alun, et que l’on tire à la Tolfa, est une véritable argile qui ne contient point, ou très peu de parties calcaires ; que la petite quantité de sélénite qui se forme pendant la manipulation ne prouve pas qu’il y ait de la terre calcaire dans la terre d’alun… et que la chaux qui produit la sélénite peut très bien provenir des eaux avec lesquelles on arrose la pierre après l’avoir calcinée. » Mais, quelque confiance que puissent mériter les observations de cet habile minéralogiste, nous ne pouvons nous empêcher de croire que la terre dont on retire l’alun ne soit composée d’une grande quantité d’argile, et d’une certaine portion de terre limoneuse et de terre calcaire ; nous ne croyons pas qu’il soit nécessaire d’insister sur les raisons que nous venons d’exposer, et qui me semblent décisives ; l’impuissance de l’acide vitriolique sur les matières vitrifiables suffit seule pour démontrer qu’il n’a pu former l’alun avec l’argile pure : ainsi l’argile vitriolique a existé longtemps avant l’alun, qui n’a pu être produit qu’après la naissance des coquillages et des végétaux, puisque leurs détriments sont entrés dans sa composition.

La nature ne nous offre que très rarement et en bien petite quantité de l’alun tout formé ; on a donné à cet alun natif le nom d’alun de plume, parce qu’il est cristallisé en filets qui sont arrangés comme les barbes d’une plume[4] ; ce sel se présente plus souvent en efflorescence de formes différentes sur la surface de quelques minéraux pyriteux ; sa saveur est acerbe et styptique, et son action très astringente : ces effets, qui proviennent de l’acide vitriolique, démontrent qu’il est plus libre et moins saturé dans l’alun que dans la sélénite, qui n’a point de saveur sensible, et en général le plus ou moins d’action de toute matière saline dépend de cette différence ; si l’acide est pleinement saturé par la matière qu’il a saisie, comme dans l’argile et le gypse, il n’a plus de saveur, et moins il est saturé, comme dans l’alun et les vitriols métalliques, plus il est corrosif ; cependant la qualité de la base dans chaque sel influe aussi sur sa saveur et son action ; car plus la matière de ces bases est dense et pesante, plus elle acquiert de masse et de puissance par son union avec l’acide, et plus la saveur qui en résulte a de force.

Il n’y a point de mines d’alun proprement dites, puisqu’on ne trouve nulle part ce sel en grandes masses comme le sel marin, ni même en petites masses comme le vitriol ; mais on le tire aisément des argiles qui portent le nom de terres alumineuses, parce qu’elles sont plus chargées d’acide, et peut-être plus mélangées de terre limoneuse ou calcaire que les autres argiles : il en est de même de ces pierres d’alun dont nous venons de parler, et qui sont argilo-calcaires ; on le retire aussi des pyrites dans lesquelles l’acide vitriolique se trouve combiné avec la terre ferrugineuse et limoneuse : la simple lessive à l’eau chaude suffit pour extraire ce sel des terres alumineuses ; mais il faut laisser effleurir les pyrites à l’air, ainsi que ces pierres d’alun, ou les calciner au feu et les réduire en poudre avant de les lessiver pour en obtenir l’alun.

L’eau bouillante dissout ce sel plus promptement et en bien plus grande quantité que l’eau froide ; il se cristallise par l’évaporation et le refroidissement ; la figure de ses cristaux varie comme celle de tous les autres sels. M. Bergman assure néanmoins que, quand la cristallisation de l’alun n’est pas troublée, il forme des octaèdres parfaits[5], transparents et sans couleur comme l’eau. Cet habile et laborieux chimiste prétend aussi s’être assuré que ces cristaux contiennent trente-neuf parties d’acide vitriolique, seize parties et demie d’argile pure, et quarante-cinq parties et demie d’eau[6] ; mais je soupçonne que dans son eau, et peut-être même dans son acide vitriolique, il est resté de la terre calcaire ou limoneuse, car il est certain que la base de l’alun en contient : l’acide, quoiqu’en si grande quantité, relativement à celle de la terre qui lui sert de base, est néanmoins si fortement uni avec cette terre qu’on ne peut l’en séparer que par le feu le plus violent ; il n’y a d’autre moyen de les désunir qu’en offrant à cet acide des alcalis, ou quelque matière inflammable avec lesquelles il ait encore plus d’affinité qu’avec sa terre ; on retire par ce moyen l’acide vitriolique de l’alun calciné, on en forme du soufre artificiel, et du pyrophore qui a la propriété de s’enflammer par le seul contact de l’air[7].

L’alun qui se tire des matières pyriteuses s’appelle dans le commerce alun de glace ou alun de roche ; il est rarement pur, parce qu’il retient presque toujours quelques parties métalliques, et qu’il est mêlé de vitriol de fer. L’alun connu sous le nom d’alun de Rome[8] est plus épuré et sans mélange sensible de vitriol de fer, quoiqu’il soit un peu rouge ; on le tire, en Italie, des pierres alumineuses de la carrière de la Tolfa : il y a de semblables carrières de pierres d’alun en Angleterre[9], particulièrement à Whithy, dans le comté d’York, ainsi qu’en Saxe, en Suède, en Norvège[10], et dans les pays de Hesse et de Liège, de même que dans quelques provinces d’Espagne[11]. On extrait l’alun, dans ces différentes mines, à peu près par les mêmes procédés qui consistent à faire effleurir à l’air, pendant un temps suffisant, la terre ou pierre alumineuse, à la lessiver ensuite, et à faire cristalliser l’alun par l’évaporation de l’eau[12] ; l’alun de Rome est celui qui est le plus estimé et qu’on assure être le plus pur : tous les aluns sont, comme l’on voit, des productions de notre art, et le seul sel de cette espèce, que la nature nous offre tout formé, est l’alun de plume, qui ne se trouve que dans les cavités[13] où suintent et s’évaporent les eaux chargées de ce sel en dissolution. Cet alun est très pur, mais nulle part il n’est en assez grande quantité pour faire un objet de commerce, et encore moins pour fournir à la consommation que l’on fait de l’alun dans plusieurs arts et métiers.

Ce sel a en effet des propriétés utiles, tant pour la médecine que pour les arts, et surtout pour la teinture et la peinture : la plupart des pastels ne sont que des terres d’alun teintes de différentes couleurs ; il sert à la teinture en ce qu’il a la propriété d’ouvrir les pores et d’entamer la surface des laines et des soies qu’on veut teindre, et de fixer les couleurs jusque dans leur substance ; il sert aussi à la préparation des cuirs, à lisser le papier, à argenter le cuivre, à blanchir l’argent, etc. Mis en suffisante quantité sur la poudre à canon, il la préserve de l’humidité et même de l’inflammation ; il s’oppose aussi à l’action du feu sur le bois et sur les autres matières combustibles, et les empêche de brûler si elles en sont fortement imprégnées ; on le mêle avec le suif pour rendre les chandelles plus fermes ; on frotte d’alun calciné les formes qui servent à imprimer les toiles et papiers pour y faire adhérer les couleurs ; on en frotte de même les balles d’imprimerie pour leur faire prendre l’encre, etc.

Les Asiatiques ont, avant les Européens, fait usage de l’alun ; les plus anciennes fabriques de ce sel étaient en Syrie et aux environs de Constantinople et de Smyrne, dans le temps des califes, et ce n’est que vers le milieu du xve siècle que les Italiens transportèrent l’art de fabriquer l’alun dans leur pays, et que l’on découvrit les mines alumineuses d’Ischia, de Viterbe, etc. Les Espagnols établirent ensuite, dans le xvie siècle, une manufacture d’alun près de Carthagène, à Almazaran, et cet établissement subsiste encore. Depuis ce temps, on a fabriqué de l’alun en Angleterre, en Bohême et dans d’autres provinces de l’Allemagne, et aujourd’hui on en connaît sept manufactures en Suède, dont la plus considérable est celle de Garphyttau dans la Noricie[14].

Il y a en France assez de mines pyriteuses, et même assez de terres alumineuses pour qu’on pût y faire tout l’alun dont on a besoin sans l’acheter de l’étranger, et néanmoins je n’en connais qu’une seule petite manufacture en Roussillon, près des Pyrénées ; cependant on en pourrait fabriquer de même en Franche-Comté, où il y a une grande quantité de terres alumineuses à quelque distance de Norteau[15]. M. de Gensane, qui a reconnu ces terres, en a aussi trouvé en Vivarais, près de la Gorce : « Plusieurs veines de cette terre alumineuse, sont, dit-il, parsemées de charbon jayet, et l’on y trouve par intervalles de l’alun natif[16]. » Il y a aussi, près de Soyon, des mines de couperose et d’alun[17] ; on voit encore beaucoup de terres alumineuses aux environs de Roquefort et de Cascastel[18] ; d’autres près de Cornillon[19], dans le diocèse d’Uzès, dans lesquelles l’alun se forme naturellement ; mais combien n’avons-nous pas d’autres richesses que nous foulons aux pieds, non par dédain ni par défaut d’industrie, mais par les obstacles qu’on met, ou le peu d’encouragement que l’on donne à toute entreprise nouvelle !


Notes de Buffon
  1. Dictionnaire de Chimie, t. IV, p. 9 et suiv.
  2. Mémoires de l’Académie des sciences, année 1766, p. 1 et suiv.
  3. Lettres sur la Minéralogie, par M. Ferber. Note de M. le baron de Dietrich, p. 315 et 316.
  4. Les rochers qui entourent l’île de Melo sont d’une nature de pierre légère, spongieuse, qui semble porter l’empreinte de la destruction. La pierre des anciennes carrières que je visitai offre les mêmes caractères ; toutes les parois de ces galeries souterraines sont couvertes d’alun qui s’y forme continuellement ; on y trouve le superbe et véritable alun de plume, qu’il ne faut pas confondre avec l’amiante, quoique à la première inspection il soit souvent facile de s’y tromper. L’alun de Melo était fort estimé des anciens ; Pline en parle, et paraît même désigner cet alun de plume dans le passage suivant : « Concreti aluminis unum genus schiston appellent Græci, in capillamenta quædam canescentia dehiscens ; unde quidam trichitin potiùs appellavere. » Lib. xxxv, cap. xv. Voyage pittoresque de la Grèce, par M. le comte de Choiseul-Gouffier, in-folio, p. 12.
  5. M. Demeste dit avec plus de fondement, ce me semble, que « ce sel se cristallise en effet en octaèdres rectangles lorsqu’il est avec excès d’acide, mais que la forme de ces octaèdres varie beaucoup ; que leurs côtés et leurs angles sont souvent tronqués, et que d’ailleurs il a vu des cristaux d’alun parfaitement cubiques, et d’autres rectangles. » Lettres, t. II, p. 220.
  6. Opuscules chimiques, t. Ier, p. 309 et 310.
  7. Dictionnaire de Chimie, par M. Macquer, article Alun.
  8. La carrière de la Tolfa, qui fournit l’alun de Rome… forme, dit M. de Bondaroy, une montagne haute de cent cinquante ou cent soixante pieds… ; les pierres dont elle est formée ne sont point arrangées par lits, comme la plupart des pierres calcaires,… mais par masses et par blocs…

    La pierre d’alun tient un peu à la langue… et, selon les ouvriers, elle se décompose lorsqu’on la laisse longtemps exposée à l’air… Pour faire calciner cette pierre, on l’arrange sur la voûte de plusieurs fourneaux qui sont construits sous terre, de manière que chaque pierre laisse entre elle un petit intervalle pour laisser parvenir le feu jusqu’au haut du fourneau… et on ne retire ces pierres qu’après qu’elles ont subi l’action du feu pendant douze ou quatorze heures… Lorsqu’elles sont bien calcinées, elles se rompent aisément, s’attachent fortement sur la langue, et y laissent le goût styptique de l’alun… Mais une calcination trop vive gâterait ces pierres, et il vaut mieux qu’elles soient moins calcinées, parce qu’il est aisé de remédier à ce dernier inconvénient en les remettant au feu…

    Ces pierres calcinées sont ensuite arrangées en forme de muraille disposée en talus, pour recevoir l’eau dont on les arrose de temps à autre pendant l’espace de quarante jours ; mais, s’il survient des pluies continuelles, elles sont entièrement perdues, parce que l’eau, en les décomposant plus qu’il ne faudrait, se charge des sels et les entraîne avec elle… Lorsque les pierres sont parvenues à un juste degré de décomposition, c’est-à-dire lorsque leurs parties sont entièrement désunies, on peut en former une pâte blanche pétrifiable… On les porte alors dans les chaudières que l’on a remplies d’eau, et dont le fond est de plomb… tandis que cette eau des chaudières est en ébullition, on remue la matière avec une pelle, on la débarrasse des écumes qui nagent sur sa surface, et ensuite on fait évaporer l’eau qui a dissous les sels d’alun ;… et lorsqu’on juge qu’elle est assez chargée de sel on la fait passer dans un cuvier, ensuite dans des cuves de bois de chêne, dont la forme est carrée ; et c’est dans ces dernières cuves qu’on la laisse cristalliser… Au bout d’environ quinze jours, on voit l’alun se cristalliser, le long de l’intérieur des cuves, en cristaux fort irréguliers ; mais quelquefois, à l’ouverture de la décharge des cuves, l’alun se forme en beaux cristaux et d’une forme très régulière…

    Les pierres ne donnent peut-être pas en sel d’alun la cinquantième partie de leur poids… elles sont très peu attaquables par les acides… n’étincellent que faiblement avec le briquet, et les ouvriers prétendent que les meilleures n’étincellent point du tout… Elles ont le grain fin, et sont aisées à casser… La terre qui reste après la calcination et la cristallisation du sel tient beaucoup de la nature d’une argile lavée.

    Je regarde cette pierre comme calcaire, puisqu’elle se calcine au feu ;… cependant les expériences faites par d’habiles chimistes ont démontré que la terre qui fait la base de l’alun est vitrifiable… La chaux que l’on fait de cette pierre a la propriété de se durcir sans aucun mélange de sable ou d’autres terres, lorsque, après avoir été humectée, on la laisse sécher. Dans toute chaux il se trouve de la craie ; dans celle-ci, il semble qu’on trouve du sable ou une vraie terre glaise : la pierre d’alun non calcinée et broyée en poudre fine prend une consistance approchante de celle d’une terre grasse lorsqu’on l’a humectée d’eau… La meilleure est jaunâtre, un peu grise. Mémoires de l’Académie des sciences, année 1766, p. 1 et suiv.M. l’abbé Guénée prétend néanmoins que la meilleure terre d’alun est blanche comme de la craie, et le sentiment des ouvriers s’accorde en cela avec le sien : ils rejettent les pierres grumeleuses, qui s’égrènent facilement entre les doigts, et celles qui sont rougeâtres. Lettres de M. Ferber, note, p. 316.

    Les montagnes alumineuses de la Tolfa, disposées en rochers blancs, comme de la craie, sont, dit M. Ferber, séparées par un vallon qui a plusieurs petites issues sur les côtes, et qui ne doit son origine qu’à l’immensité de pierres alumineuses qu’on en a tirées… Les mineurs, soutenus par des cordes sur les bords escarpés des rochers auxquels ils sont adossés, font, dans cette situation, des trous qu’ils chargent de poudre… ensuite on y met le feu après quoi on détache les pierres que la poudre a fait éclater… L’argile alumineuse est d’un gris blanc ou blanche comme de la craie ; elle est compacte et assez dure ; en la raclant avec un couteau, on en obtient une poudre argileuse qui ne fait point effervescence avec les acides ; elle est déjà pénétrée de l’acide vitriolique, et sa base est une terre argileuse… Il y a dans la même carrière une argile molle, blanche comme de la craie, et une autre d’un gris bleuâtre, que l’acide a commencé à tacher de blanc… La pierre d’alun de la Tolfa est donc une argile durcie, pénétrée et blanchie par l’acide vitriolique ; cette pierre renferme quelques petites parties calcaires qui se forment en sélénite pendant la fabrication de l’alun ; elles s’attachent aux vaisseaux : cette argile ou pierre d’alun compacte, sans être schisteuse, est disposée en masses et non par couches.

    Les masses d’argile blanche de la Tolfa sont traversées de haut en bas par diverses petites veines de quartz gris blanc, presque perpendiculaires, de trois à quatre pouces d’épaisseur. Il y a de la pierre d’alun blanche à taches rougeâtres, qui ressemble à un savon marbré rouge et blanc. Lettres sur la Minéralogie, p. 315 et suiv.

  9. Il y a, dit Daniel Colwal (Transactions philosophiques, année 1678), des mines de pierres qui fournissent de l’alun dans la plupart des montagnes situées entre Scarboroug et la rivière de Tées, dans le comté d’York, et encore près de Preston, dans le Lancashire ; cette pierre est d’une couleur bleuâtre et a quelque ressemblance avec l’ardoise.

    Les meilleures mines sont celles qui se trouvent les plus profondes en terre, et qui sont arrosées de quelques sources ; les mines sèches ne valent rien ; mais aussi, lorsque l’humidité est trop grande, elle gâte les pierres et les rend nitreuses.

    Il se rencontre dans ces mines des veines d’une autre pierre de même couleur, mais qui n’est pas si bonne : ces mines sont quelquefois à soixante pieds de profondeur. La pierre, exposée à l’air avant d’être calcinée, se brise d’elle-même et se met en fragments, qui, macérés dans l’eau, donnent du vitriol ou de la couperose, au lieu qu’elle donne de l’alun lorsqu’elle a été calcinée auparavant ; cette pierre calcinée conserve sa dureté tant qu’elle reste dans la terre ou sous l’eau : quelquefois il sort de l’endroit d’où l’on tire la mine un ruisseau dont les eaux, étant évaporées par la chaleur du soleil, donnent de l’alun natif ; on calcine cette mine avec le fraisil ou charbon à demi consumé de Newcastle, avec du bois et du genêt. Cette calcination se fait sur plusieurs bûchers, que l’on charge jusqu’à environ huit à dix verges d’épaisseur, et à mesure que le feu gagne le dessus, on recharge de nouvelle mine quelquefois à la hauteur de soixante pieds successivement, et cette hauteur n’empêche pas que le feu ne gagne toujours le dessus, c’est-à-dire le sommet, sans qu’on lui fournisse de nouvel aliment : il est même plus ardent sur la fin, et dure tant qu’il reste des matières sulfureuses unies à la pierre. Collection académique, partie étrangère, t. VI, p. 193.

  10. M. Jars nous donne une notice de ces différentes mines d’alun : « Au sud et au nord de la ville de Whithy, dit-il, le long des côtes de la mer, le terrain a été tellement lavé par les eaux, que le rocher d’alun y est entièrement à découvert sur une étendue de plus de douze milles, où il est exploité sur une hauteur perpendiculaire de cent pieds au-dessus de son niveau : ce rocher s’étend aussi fort avant dans les terres… Il se délite par lames comme le schiste ; il est de couleur d’ardoise, mais beaucoup plus friable qu’elle, se décompose aisément à l’air, et y perd de même entièrement sa qualité alumineuse s’il est lavé par les pluies. On trouve très souvent entre ses lames ou feuillets de petits grains de pyrites, des bélemnites, mais surtout une grande quantité de cornes d’Ammon, enveloppées d’un rocher plus dur et de forme arrondie. On prétend que les lits de ce rocher vont jusqu’à une profondeur que l’on ne peut déterminer au-dessous du niveau de la mer, mais qu’il y est de moindre qualité ; d’ailleurs on a pour plusieurs siècles à exploiter de celui qui est à découvert…

    » La mine d’alun de Schwemsal, en Saxe, est située au bord de la rivière de la Molda, dans une plaine dont le terrain est très sablonneux : le minerai y est par couches, dont on en distingue deux qui s’étendent sur une lieue d’arrondissement, et très faciles à exploiter, puisqu’elles se trouvent près de la surface de la terre, et qu’elles sont presque horizontales… Le minerai n’est point en roc, comme celui de Whithy ; il consiste en une terre durcie, mais très friable, dont les morceaux se détachent en surfaces carrées, comme la plupart des charbons de terre : ces surfaces sont très noires ; mais, si l’on brise ces morceaux, on voit que l’intérieur est composé de petites couches très minces d’une terre brune schisteuse ; le minerai d’ailleurs contient beaucoup de bitume, peu de soufre, et tombe facilement en efflorescence : c’est pourquoi on ne le fait pas griller ; il n’est besoin que de l’exposer à l’air pour en développer l’alun… Le minerai reste exposé à l’air pendant deux ans avant que d’être lessivé ; alors il est en majeure partie décomposé et tombe presque en poussière.

    » Il arrive très souvent que le minerai éprouve une fermentation si considérable qu’il s’enflamme ; et, comme il serait dangereux de perdre beaucoup d’alun, on y remédie, aussitôt que l’on s’en aperçoit, en ouvrant le tas dans l’endroit où se forme l’embrasement : le seul contact de l’air suffit pour l’arrêter ou l’éteindre, sans qu’il soit besoin d’y jeter de l’eau ; lorsque le minerai a été deux ans en efflorescence, il prend dans son intérieur une couleur jaunâtre, qui est due sans doute à une terre martiale : on y voit entre ses couches de l’alun tout formé, et sur toute la longueur de la surface extérieure du tas des lignes d’une matière blanche, qui n’est autre chose que ce sel tout pur.

    » À Christineoff, en Suède, le rocher alumineux est une espèce d’ardoise noire qui se délite aisément, et qui contient très souvent entre ses lits des rognons de pyrite martiale de différentes grosseurs, mais dont la forme est presque toujours celle d’une sphère aplatie : on y trouve encore des couches d’un rocher noir, à grandes et petites facettes d’un pied d’épaisseur, qui, par la mauvaise odeur qu’il donne en le frottant, peut-être mis dans la classe des pierres de porc : on y voit aussi des petites veines perpendiculaires d’un gypse très blanc.

    » Ces couches de minerai ont une très grande étendue ; on prétend même avoir reconnu qu’elles avaient une continuité à plus d’une lieue ; mais ce qu’il y a de certain, c’est qu’on ignore encore leur profondeur.

    » Sur le penchant d’une petite montagne opposée de la ville de Christiania en Norvège, et presque au niveau de la mer, on exploite une mine d’alun qui a donné lieu à un établissement assez considérable… L’espèce de minerai que l’on a à traiter est proprement une ardoise, qui contient entre ses lits quantité de rognons de pyrites martiales ; on l’exploite de la même manière qu’en Suède, à tranchée ouverte et à peu de frais.

    » Sur la route de Grossalmrode à Cassel, on trouve plusieurs mines d’alun qui sont exploitées par des particuliers… Le minerai d’alun forme une couche d’une très grande étendue, sur huit à neuf toises d’épaisseur, et dont la couleur et la texture le rapprochent beaucoup de l’espèce de celui de Schwensal que l’on exploite en Saxe, mais surtout dans la partie inférieure de la couche : il est de même tendre et friable, et tombe facilement en efflorescence ; mais souvent il est mêlé de bois fossile très bitumineux, et quelquefois aussi de ce bois pétrifié. » Voyages minéralogiques, t. III, p. 288, 293, 297, 303 et 305.

  11. « Les Espagnols prétendent que l’alun d’Aragon est encore meilleur que celui de Rome. Ce sel, dit M. Bowles, se trouve formé dans la terre comme le salpêtre et le sel commun ; il ne faut, pour le raffiner, qu’une simple lessive, qui le filtre et lui ôte toute l’impureté de la terre… Après cette lessive, on le fait évaporer au feu, ensuite on verse la liqueur dans d’autres vaisseaux, où on laisse l’alun se cristalliser au fond. » Histoire naturelle d’Espagne, p. 390 et suiv.
  12. Dans quelques-unes de ces exploitations, on fait griller le minerai ; mais, comme le remarque très bien M. Jars, cette opération n’est bonne que pour celles de ces mines qui sont très pyriteuses, et serait pernicieuse dans les autres, où la combustion détruirait une portion de l’alun, et qu’il suffit de laisser effleurir à l’air, où elles s’échauffent d’elles-mêmes.
  13. Dans l’une des mines du territoire de Latera, on trouve contre les parois de la voûte le plus bel alun de plume cristallisé en petites aiguilles, blanc argenté, tantôt très pur, tantôt combiné avec du soufre ; on y trouve aussi une pierre argileuse bleuâtre, crevassée, au milieu de laquelle l’alun s’est fait jour pour se cristalliser en efflorescence : cette mine est située dans un tuf volcanique où l’on trouve du soufre en masses errantes et disséminées… Il se trouve au fond de ces mines une eau vitriolique qui découle de la voûte ; cette eau, en filtrant à travers les couches qui surmontent la voûte, y forme une croûte, et dépose cet alun natif que l’on trouve aussi cristallisé de même dans plusieurs pierres… Il y a aussi de l’alun cristallisé et en efflorescence sur les parois des voûtes à Puzzola, comme à Mulino près de Latera… Il y a deux sources auprès des mines del Mulino, dont l’eau est chargée d’une terre alumineuse, blanchâtre, qui lui donne un goût très styptique… Le limon que l’eau abandonne, ainsi que les petites branches et herbes qui y surnagent ou qui restent à sec, se revêtissent d’une croûte alumineuse qui s’en détache aisément, et qui est sans mélange de terre : les grenouilles que l’on met dans cette eau ne peuvent y vivre, et cependant on y voit une très grande quantité de petits vermisseaux qui y multiplient : mais il n’y croît point de végétaux, et ces deux sources exhalent une odeur de foie de soufre très désagréable. M. Cassini fils, Mémoires de l’Académie des sciences, année 1777, p. 580 et suiv.
  14. Opuscules chimiques de M. Bergman, t. Ier, p. 304 et suiv.
  15. M. de Gensane, Mémoires des savants étrangers, t. IV.
  16. Histoire naturelle du Languedoc, t. III, p. 177.
  17. Histoire naturelle du Languedoc, t. III, p. 201.
  18. Idem, ibidem, p. 177.
  19. Les couches de terre alumineuses y sont séparées par d’autres couches d’une terre à foulon très précieuse : cette terre est de la plus grande finesse et d’une blancheur éclatante ; elle est de la nature des kaolins et très propre à la fabrique des porcelaines, parce que le feu n’altère point sa blancheur et qu’elle est très liante : on en fait des pipes à tabac d’une beauté surprenante. Au-dessous de toutes ces couches, on trouve un autre banc d’une terre également fine, et qui ne diffère de la précédente que par la couleur qui est d’un jaune de citron, assez semblable à la terre que nous appelons jaune de Naples, mais plus fine : sa couleur est permanente et résiste à l’action du feu ; elle est par conséquent propre à colorer la faïence en la mêlant avec le feldspath. Idem, t. Ier, p. 158 et 159.
Notes de l’éditeur
  1. Les aluns sont des silicates doubles hydrates d’alumine et d’un protoxyde (potasse, soude, magnésie, protoxyde de fer, protoxyde de manganèse). La façon dont Buffon explique leur formation est tout à fait erronée ; il fait combiner l’acide carbonique (acide aérien) avec le quartz pour donner de l’acide sulfurique, ce qui est absolument impossible.
  2. Les pierres de la carrière de Tolfa sont formées d’alunite ou mine d’alun, qui est une combinaison d’alun avec de l’alumine hydratée ou du sous-sulfate d’alumine et du sulfate de potasse. Sous l’influence d’une calcination modérée, l’alunite se décompose en dégageant une odeur sulfureuse. En traitant le résidu de la calcination par l’eau, on obtient l’alun, qui se dissout dans l’eau et qu’on fait ensuite cristalliser.