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Œuvres littéraires de Napoléon Bonaparte/Lettres de Famille/03

La bibliothèque libre.
Texte établi par Tancrède MartelAlbert Savine (Tome 1p. 219-222).

III

À SON PÈRE

Brienne, 12 septembre 1784[1].
Mon cher père,

Votre lettre, comme vous pensez bien, ne m’a pas fait beaucoup de plaisir[2] ; mais la raison et les intérêts de votre santé et de la famille, qui me sont fort chers, m’ont fait louer votre prompt retour en Corse et m’ont consolé tout à fait. D’ailleurs étant assuré de la continuation de vos bontés et de votre attachement et empressement à me faire sortir et seconder en ce qui peut me faire plaisir, comment ne serais-je pas bien aise et content ? Au reste je m’empresse de vous demander des nouvelles des effets que les eaux ont faits sur votre santé et de vous assurer de mon respectueux attachement et de mon éternelle reconnaissance.

Je suis charmé que Joseph soit venu en Corse avec nous, pourvu qu’il soit ici le 1er novembre… Joseph peut venir ici parce que le père Patrault, mon maître de mathématiques que vous connaissez, ne partira point. En conséquence, monsieur le principal m’a chargé de vous assurer qu’il sera très bien reçu ici et qu’en toute sûreté, il peut venir. Le père Patrault est un excellent maître de mathématiques et il m’a assuré particulièrement qu’il s’en chargerait avec plaisir ; et si mon frère veut travailler, nous pourrons aller ensemble à l’examen d’artillerie. Vous n’aurez aucune démarche à faire pour moi, puisque je suis élève simplement. Il faudrait en faire pour Joseph, mais puisque vous avez une lettre pour lui, tout est dit. Ainsi, mon cher père, j’espère que vous préférerez le placer à Brienne, plutôt qu’à Metz, pour plusieurs raisons :

1o Parce que cela sera une consolation pour Joseph, Lucien et moi ;

2o Parce que vous serez obligé d’écrire au principal de Metz ce qui retardera encore, puisqu’il vous faudra attendre sa réponse ;

3o Il n’est pas ordinaire à Metz d’apprendre ce qu’il faut que Joseph sache pour l’examen, en six mois ; en conséquence, comme mon frère ne sait rien en mathématiques, on le mettrait avec des enfants, ce qui le dégoûterait. Ces raisons et beaucoup d’autres doivent vous engager à l’envoyer ici ; d’autant plus qu’il sera mieux. Ainsi, j’espère qu’avant la fin d’octobre j’embrasserai Joseph. Du reste, il peut fort bien ne partir de Corse que le 26 ou le 27 octobre, pour être ici le 12 ou 13 novembre prochain.

Je vous prie de me faire passer Boswel (Histoire de Corse) avec d’autres histoires ou mémoires touchant ce mémoire. Vous n’avez rien à craindre ; j’en aurai soin et les rapporterai en Corse avec moi, quand j’y viendrai, fût-ce dans six ans.

Adieu, mon cher père : Chevalier vous embrasse de tout son cœur. Il travaille fort bien ; il a fort bien su à l’exercice public. Monsieur l’inspecteur[3] sera ici le 15 ou le 16 au plus tard de ce mois, c’est-à-dire dans trois jours. Aussitôt qu’il sera parti, je vous manderai ce qu’il m’a dit. Présentez mes respects à minana Saveria, zia Geltrude, zio Nicolino, zia Torita, etc. Mes compliments à minana Francesca, Santo, Giovanna, Orezio ; je vous prie d’avoir soin d’eux. Donnez-moi de leurs nouvelles et dites-moi s’ils sont à leur aise. Je finis en vous souhaitant une aussi bonne santé que la mienne.

Votre très humble et très obéissant, T. C. et fils,

De Buonaparte, l’arrière-cadet.
.

  1. Archives de la guerre. Reproduite par M. Iung.
  2. Voyez la lettre du 5 avril 1781, où Napoléon, en proie aux plaisanteries des écoliers de Brienne, supplie son père de le reprendre.
  3. M. Regnauld de Mons, brigadier de dragons, sous-inspecteur des écoles royales, qui avait succédé en 1783 à M. le chevalier de Kéralio. L’inspecteur était le marquis de Timbrune.