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Allumez vos lampes, s’il vous plaît !!!/09

La bibliothèque libre.
Texte établi par Association de La Salle, Éditeurs Dussault & Proulx (p. 27-30).

LETTRE DE J.-HECTOR HAMEL, 14 octobre 1920

Opinions des provinciaux des congrégations enseignantes et des professeurs laïques de Montréal. — L’exemple de la Belgique.

Le Soleil, 14 octobre 1920.


L’idée de diminuer parmi nous l’enseignement de la langue anglaise telle que suggérée à maintes reprises par la presse nationaliste émeut profondément l’opinion publique, maintenant qu’un personnage ecclésiastique a fait sienne cette idée, et qu’il s’en fait même le héraut. N’eût été en effet, la sagesse des membres du Comité de l’Instruction publique qui ont renvoyé à la prochaine séance l’étude du programme proposé par Mgr Ross, cette question très importante menaçait de passer inaperçue.

Pourquoi, nous suggère-t-on, avoir attendu à la dernière heure pour produire ce que le correspondant de Rimouski appelle la justification de son attitude ? Craignait-on une mise au point ? Nous ne savons, et nous nous garderons bien de prêter une intention malveillante au très distingué principal. Cependant, nous constatons le fait ; les six articles ne sont parus qu’à la dernière heure, ne laissant à personne la faculté de mettre les intéressés au courant de l’opinion publique et des saines méthodes de la pédagogie.

Puisque le retard apporté dans la discussion du projet de refonte nous favorise, nous nous rendrons au désir exprimé par des amis de l’éducation, et nous nous autoriserons des quatorze années que nous avons passées à l’enseignement dans différents collèges commerciaux pour compléter ce que nous avons dit et pour corroborer les témoignages de ceux qui pensent que tout ce qu’avance le distingué parrain du nouveau programme n’est pas toujours marqué au coin de la pondération, de la réalité des faits, ni même de la science pédagogique.

L’idée première qui a présidé à la refonte du programme est qu’il faut « alléger, » et sous l’empire de cette conviction, Mgr propose que l’on n’aborde l’étude de l’anglais qu’au cours moyen. Et c’est sur ce point que se concentre principalement le débat.

De très forts témoignages sont venus de toutes les régions pour dire bien haut que nous devons enseigner l’anglais à l’école primaire même dans les premières années, mais peut-être voudra-t-on récuser ces témoignages au point de vue de la science pédagogique ? D’éminents citoyens, en effet, qui se sont prononcés en faveur de l’anglais, ont déclaré n’être pas compétents en pédagogie, — et cette modestie les différencie d’avec certains zélés qui demandent la suppression de l’anglais à l’école élémentaire, — mais voici deux opinions qu’on ne peut raisonnablement éliminer : celle des provinciaux des congrégations enseignantes, citée par Mgr Ross lui-même, et celle des professeurs laïcs de Montréal.

Quand on considère l’usage qui a été fait de l’opinion écrite des provinciaux, sur ce point particulier de l’enseignement de l’anglais à l’école primaire, on se prend à regretter que pour fonder ici son argumentation, Mgr le principal ne se soit pas contenté des ouï-dire, comme il a fait sur plusieurs autres points.

Étudions un peu l’extrait du mémoire des provinciaux, cité par Mgr Ross, et voyons s’il comporte toutes les calamités que certains pessimistes y ont vues.

« Les Frères demandent une place plus considérable à l’anglais dans l’école primaire. »

Cette demande est-elle raisonnable ? Nous le croyons. Nous sommes Canadiens français, il est vrai ; mais n’oublions pas que nous vivons dans un pays aux trois quarts de langue anglaise, et que demander pour la langue seconde une place plus large n’implique nullement l’idée que la langue maternelle doive être supplantée ni déchoir du premier rang. « Or, » comme dit M. Conrad Pelletier, C. R., bâtonnier du barreau de Montréal, « dans les carrières professionnelles, dans le commerce, dans l’industrie, si l’on veut, atteindre à un plus grand succès, il est indispensable de savoir parler l’anglais », et contrairement à ce que semble affirmer l’Action Catholique du 8 octobre, aucune maison anglaise ne se souciera des services d’un Canadien français s’il ne parle que sa seule langue maternelle : c’est un fait d’expérience, et nous aussi, nous demandons « qu’une place plus considérable soit faite à la langue anglaise dans l’école primaire. »

Mgr Ross propose l’exemple de la Belgique, « pays qu’on n’accusera pas d’être arriéré et sans expérience » dit-il. Nous acceptons ce critérium et nous allons citer le témoignage de trois prêtres belges, le chanoine A. Auger président du Séminaire de Bonne-Espérance, l’abbé L. Haustrate, inspecteur diocésain et l’abbé A. Labeau, principal du collège Saint-Vincent à Soignies. Ces trois personnages ecclésiastiques sont les auteurs du « Cours complet de Pédagogie à l’usage des écoles normales ». Nous lisons dans ce remarquable ouvrage, à la page 370 : « Au point de vue formel, l’enseignement d’une seconde langue peut être un excellent exercice. Il développe la mémoire, qui s’attache à retenir les mots et constructions propres à cette langue. Il met en jeu le jugement et le raisonnement par le choix des mots précis, par l’association des mots de même famille, par l’induction des règles, etc. »

« Mais à l’école primaire, c’est, surtout, au point de vue réel et utilitaire que cette étude présente des avantages. Sans aller jusqu’à dire, avec un roi de Prusse, qu’un homme parlant facilement deux langues vaut deux hommes dans la vie, il faut reconnaître que la connaissance d’une seconde langue est importante pour tout homme, qui veut avoir des relations d’affaires assez étendues. Et quel homme, quel Belge surtout ne se trouve pas dans le cas de traiter avec des étrangers, avec des compatriotes parlant une autre langue que la sienne ? La connaissance des langues parlées en Belgique est une condition nécessaire souvent, utile toujours, pour l’entrée dans les diverses carrières auxquelles peuvent se préparer les élèves sortant de nos écoles primaires. Et, si nous voulons considérer les choses de plus haut, la diffusion des langues parlées en Belgique est un puissant moyen d’éducation nationale, un facteur important de la prospérité publique. »

Dans toute cette citation, il n’y a qu’à remplacer Belgique et Belge par Canada et Canadien français.

Mais, diront ceux qui ne voient pas les conséquences de la suppression de l’anglais au cours élémentaire, Mgr Ross est en faveur de l’anglais ; Il donne à cette langue une large part dans les cours moyen et supérieur ; et à l’école complémentaire « On fera tout l’anglais qu’on voudra », dit-il.

Nous verrons demain si l’on peut à la fois être en faveur de l’anglais et demander, par ailleurs, qu’on en supprime l’enseignement à la première et à la deuxième années du cours.

J.-Hector Hamel,
ancien instituteur.