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La bibliothèque libre.
Texte établi par Association de La Salle, Éditeurs Dussault & Proulx (p. 30-32).

LETTRE DE J.-HECTOR HAMEL, 15 octobre 1920.


L’enseignement de la langue seconde en Belgique, par la méthode directe et dès le jardin d’enfants.

Le Soleil le 15 octobre 1920.


II


En demandant « qu’une place plus considérable soit faite à l’anglais à l’école primaire », les Frères Provinciaux spécifient ce qu’ils entendent par là, pour les centres urbains. Ils veulent que cet enseignement commence dès le cours élémentaire par la méthode directe. Disons un mot de la méthode préconisée. Nous citerons encore le Cours complet de Pédagogie, en mettant « anglais » au lieu de « wallon. »

« Cette méthode consiste, disent nos trois distingués pédagogues, à susciter, dans l’esprit des enfants l’impression ou l’idée, directement avec le mot anglais qui l’exprime, sans se servir de l’intermédiaire du mot français : elle « tend » à faire penser en anglais. En conséquence :

« 1. Il faut proscrire résolument des leçons de seconde langue, l’emploi de la langue maternelle. Le maître parlera et fera parler par l’élève la langue étudiée.

« 2. Pour enseigner le vocabulaire, le maître doit se servir du procédé intuitif. Pour faire connaître les mots exprimant des idées sensibles (personnes, animaux, choses, qualités, actions) il montre les objets, exécute ou fait exécuter les actes ; en même temps il « prononce » le terme anglais qui les désigne et cela, le plus nettement possible, en marquant bien l’accent tonique… Puisqu’il s’agit avant tout d’apprendre à parler la langue, l’élève doit entendre prononcer et s’exercer à prononcer lui-même le mot anglais avant de le lire ou de l’écrire. Au cours inférieur, on propose toujours aux enfants des idées concrètes, on leur apprend les mots et les formes les plus usuelles du langage, adéquats à ces idées. Le cours se réduit donc à des exercices de langage, leçons de choses et causeries sur images. »

On le voit, la méthode directe d’enseigner l’anglais aux jeunes enfants se borne surtout au vocabulaire et à la prononciation. Ce travail est très élémentaire, très facile et ne présente aucun inconvénient pour la langue maternelle. On l’a constaté pour nombre d’enfants élevés dans des centres essentiellement bilingues. Ils apprennent l’anglais et le français sans qu’on ait constaté que cela nuise à leur santé physique, morale, intellectuelle ou « patriotique ». Parce qu’en classe l’enfant dit table et chaise, en français et en anglais, il ne s’en suit pas qu’il pensera moins en français. Et que sont les courts instants consacrés à la langue seconde, noyés dans le reste de la journée où tout est français ? Cependant, ils sont nécessaires ces instants pour la pureté de l’accent, la mémoire du vocabulaire et surtout pour enlever à l’enfant la gêne qu’il éprouve toujours de parler anglais quand il ne s’y est pas exercé dès ses jeunes années. Que de fois n’a-t-on pas vu dans les classes, des élèves à qui il était impossible de faire prononcer deux mots anglais de suite, étouffés qu’ils étaient par la gêne de savoir leur prononciation défectueuse. Plus l’étude de cette langue commencera de bonne heure, moins cette gêne exercera sur les élèves sa tyrannie néfaste. Nous avons vu des cas où, avec certains élèves n’ayant pas étudié d’anglais avant la troisième année, il fut impossible de les décider à parler cette langue. La lecture en classe même leur était un supplice, et généralement ces enfante quittaient l’école sans avoir pu vaincre leur timidité.

Le même inconvénient a été constaté en Belgique où, au dire de M. de Trooz, ministre de l’Instruction Publique, « les élèves des écoles primaires communales wallonnes ne peuvent passer directement à la section moyenne, parce qu’ils ignorent souvent même les premiers éléments de la langue flamande, alors que les élèves sortant de la section préparatoire ont étudié celle-ci pendant six ans déjà. »

Nous le redisons donc, le premier travail sur la langue seconde, s’il est fait intelligemment, n’attaque en rien la manière française de penser et ne nuit en rien à la formation de l’enfant. Citons encore nos trois prêtres pédagogues belges. « Cours complet de Pédagogie », page 372. « Des expériences récentes, dans les écoles gardiennes d’une de nos grandes villes ont même démontré d’une façon irréfutable que l’on peut commencer avec succès l’étude d’une seconde langue au jardin d’enfants. Au point de vue psychologique pur, il est évident qu’il serait préférable de commencer cet enseignement plus tard, mais l’importance du but à atteindre et malheureusement le peu de temps que les enfants passent à l’école primaire nous font exprimer l’espoir de voir donner cet enseignement le plus tôt possible ; on peut donc commencer au degré inférieur.[1] »

Voyons de plus près les conséquences qu’entraînerait nécessairement l’adoption du principe de Mgr Ross.

Supprimer l’étude de la langue seconde au cours élémentaire, c’est renvoyer à la troisième année ce travail préliminaire, le programme du cours moyen sera lui-même transporté au cours supérieur, puis celui du cours supérieur à l’école complémentaire. Or, si l’on veut atteindre un aussi bon résultat final pour l’anglais, il faudra, dans quelqu’un des autres cours doubler le temps qui est actuellement attribué à cette langue, ce qui ne saurait avoir lieu qu’au préjudice du français.

Contrairement à ce que propose Mgr Ross, les provinciaux des Frères enseignants et les professeurs laïcs de Montréal ont donc raison de demander l’anglais dès le cours élémentaire, quand ce ne serait que pour éviter de délaisser la mesure convenable, dans les autres cours. Notons bien, cependant, que c’est ce qui arriverait fatalement si on veut quelques succès, si modestes soient-ils, dans la langue anglaise. Donnons donc à notre langue seconde une place raisonnable à tous les cours et gardons au français la première, même à l’école complémentaire.

Il serait, croyons-nous, moins désastreux de supprimer l’arithmétique dans les deux premières années d’études, plutôt que l’anglais, qui demande un plus long entraînement et moins de maturité.

Vouloir supprimer l’anglais au cours élémentaire, c’est pratiquement n’en vouloir pas du tout, pour la majorité de nos compatriotes. En effet, 93% de nos enfants quittent l’école primaire avant, l’âge de 14 ans. Quelles notions appréciables d’anglais pourront-ils en rapporter s’ils n’en ont commencé l’étude dès le début ? Et qu’arrivera-t-il alors ? « Les enfants », comme dit M. J.-Ed. Mignault, « quitteront les Frères enseignants et iront, — pas toujours pour leur bien moral, — chercher ailleurs, dans les écoles mixtes, anglaises et protestantes, ce dont ils ont besoin. »

Gardons nos enfants sous la douce égide de nos religieux et de nos professeurs catholiques : eux les garderont à l’Église et à la nationalité.

J.-Hector Hamel,
ancien instituteur.



  1. Voilà, croyons-nous, qui répond suffisamment aux deux articles savamment élaborés par M. J.-E. Prince dans l’Action Catholique, pour prouver qu’il ne faut pas commencer l’enseignement de l’anglais avant l’heure marquée par Mgr Ross.