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Anecdotes pour servir à l’histoire secrète des Ebugors. Statuts des sodomites au XVIIe siècle./I

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Texte établi par Jean HervezBibliothèque des curieux (éditions Briffaut) (p. v-xxix).

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INTRODUCTION

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E n dépit de toutes les prescriptions, de toutes les menaces, de tous les châtiments, en dépit même des injonctions que la tradition met dans la bouche du Créateur, le baiser exista dès que la chair des deux sexes fut en contact ; et tout de suite, sans initiation nécessaire, il alla jusqu’au raffinement, à la perversion, à la luxure, avec une superbe impassibilité, affirmant inconsciemment, mais inéluctablement, le normal développement de toutes les fonctions morales et physiques de l’être humain.

Ainsi l’étude des antiques civilisations nous apprend que Moïse et les livres saints légiféraient en vain avec une inflexible sévérité contre le baiser sodomique :

« Si quelqu’un a recherché les baisers d’un homme comme si c’était une femme (dormierit cum masculo coitu femineo), qu’il soit puai de mort, ainsi que son complice de luxure[1]. »

Le législateur songeait, en lançant son anathème, à la corruption de Sodome et de Gomorrhe, que lui-même avait narrée à son peuple pour l’en dégoûter. Peine inutile : le vice était né avec l’homme. On le retrouve inévitablement chez tous les peuples.

De pudiques commentateurs, comme le professeur Welcker, ont émis l’étrange opinion que « la pédérastie fortifiait, chez les Grecs, les liens de l’amitié, et même que ce vice n’était pas le résultat de la sensualité mal entendue, mais d’un principe élevé de la théorie du beau[2] ». Mais ce n’est là que l’expression d’un désir personnel, à moins que ce ne soit simplement une querelle de mots.

En réalité, comme l’écrivait le savant Karl Forberg, « les Grecs et les Romains furent d’aussi enragés pédicons que des cinèdes accomplis ; car dans les œuvres des écrivains des deux nations, à la grande indignation des éducateurs, le baiser mâle s’étale à chaque page[3] ».

Et le bibliothécaire de Cobourg appuie son affirmation d’un passage remarquable de la Satyre sotadique de Nicolas Chorier :

« Tous brûlaient de la même ardeur, et le peuple, et les grands, et les rois. Cette passion causa la mort de Philippe, roi de Macédoine, lequel périt de la main de Pausanias qu’il avait souillé. Elle mit aux pieds du roi Nicomède Jules César, qui se transformait en femme pour tous les hommes, comme il était homme pour toutes les femmes. Auguste n’a pas échappé à la contagion, Tibère et Néron s’en faisaient gloire. Néron épousa Tigellin, Sporus épousa Néron. Trajan, le meilleur des empereurs, parcourant l’Orient en triomphateur, se faisait accompagner d’un pœdagogium. On appelait ainsi une troupe de jeunes garçons des plus jolis qu’il provoquait jour et nuit à recevoir ses embrassements. Antinoüs, rival de Plautine, et rival heureux, servit de maîtresse à Hadrien. L’empereur porta le deuil de sa mort et plaça au rang des dieux, en lui consacrant des autels et des temples, celui qui avait cessé de compter parmi les vivants. Antoine Héliogabale, neveu de Sévère, avait coutume de recevoir le baiser dans toutes les cavités du corps, au dire d’un écrivain de l’antiquité, et ses contemporains le tinrent pour un monstre. Les philosophes même, à l’austère gravité, sacrifièrent à cette Vénus et se mêlèrent au chœur des pédérastes. Alcibiade et Phédon couchaient avec Socrate chaque fois qu’ils voulaient procurer quelque jouissance à leur maître. Et les amours de cet homme si vénéré ont donné naissance au dicton appliqué au baiser : aimer à la façon de Socrate. Tous les faits et gestes, toutes les paroles de Socrate revêtent en quelque sorte un caractère sacré pour les philosophes de toutes les sectes qui lui ont consacré des temples, élevé des autels. Ses actes avaient force de lois, ses paroles tenaient lieu d’oracles. Les philosophes se gardèrent bien de s’écarter de l’exemple de leur héros, véritable dieu national, car Socrate prit rang parmi les héros. Lycurgue, qui légiféra à Sparte quelques siècles avant Socrate, affirmait qu’un citoyen ne pouvait être vraiment honnête et utile à la République s’il n’avait pas un ami avec qui il couchât. Il ordonnait que les jeunes filles parussent toutes nues sur le théâtre pour y exécuter des danses, afin que l’aspect de leurs charmes, ouvertement exposés, émoussât l’amour que les jeunes gens concevaient naturellement pour elles et rendit plus ardent celui qu’ils portaient à leurs amis et compagnons. Car on n’est plus aussi touché des objets que l’on voit souvent.

« Que dire des poètes ? Anacréon aime Bathylle. Les plaisanteries de Plaute roulent presque toutes sur cette matière ; ainsi : « Je ferai comme les jeunes garçons, je me courberai vers les petits trous. » Et encore : « L’épieu du soldat s’adaptait-il bien à ton fourreau ? » Mieux encore, Virgile, le maître poète, qui reçut le surnom de « Virginal » à cause de sa pureté naturelle, aimait Alexandre, dont Pollion lui avait fait présent, et le couvrait de compliments dans ses écrits sous le nom d’Alexis. Ovide ressentit la même passion ; toutefois il préféra les filles aux garçons, disant que la jouissance devait être commune aux deux partenaires, et non le privilège d’un seul.

« Les jeunes filles se voyant négligées de leurs amoureux, et les épouses de leur maris, si elles se bornaient à fournir le service du baiser féminin, se laissèrent aller à jouer le rôle de mignons. Les passions en arrivèrent à un tel point de démence que les nouvelles mariées, après les épouses, durent se plier à cette complaisance : alors on quittait un jeune garçon pour entreprendre une jeune fille : les deux sexes se trouvaient confondus en un seul et même corps. Dans les jeux poétiques des anciens, Priape menace tout voleur de légumes qui s’approchera de son pieu de lui prendre de force « ce que, la première nuit de ses noces, la vierge accorde à l’ardeur de son époux, alors que la petite sotte redoute d’être blessée en l’autre fente. » (Priapée II.)

« Comme ce fut de tout temps le privilège des poètes et des peintres d’avoir toutes les audaces, ne voyons-nous pas Valère Martial (Epigr. xi, 43) imaginer que son épouse lui adresse des reproches, attestant qu’elle aussi a des fesses, et cherchant à le détourner de son amour insensé des garçons ? Elle dit que Junon sut plaire de ce côté à Jupiter ; mais le mari ne se laisse pas convaincre, prétendant que le mignon a son rôle, la femme le sien. Son épouse doit se contenter du sien.

« Dans les lupanars, sous l’écriteau et sous la lampe, se tenaient assis des garçons et des filles, les premiers parés sous la robe de vêtements féminins, celles-ci portant peu d’ajustements sous la tunique de garçon, et le visage arrangé pour ressembler à des mignons. Sous un sexe, on retrouvait l’autre.

« L’Asie a été le premier siège du mal. Cependant l’Afrique n’en a pas été garantie, et c’est de chez elle que la contagion gagna la Grèce et les contrées voisines en Europe. Orphée mit le premier ce fétide plaisir en usage dans la Thrace, et les femmes ciconiennes, se voyant méprisées, « déchirèrent son corps pendant les mystères de Bacchus et ses nocturnes orgies, et en dispersèrent à travers champs tous les morceaux ». (Virgile, Géorgiques, IV, 521.)

« On dit qu’autrefois les Celtes se moquaient de ceux qui n’étaient pas atteints de cette folie ; Ils leur refusaient même toute participation aux charges et aux honneurs. Ceux qui parvenaient à conserver des mœurs pures étaient marqués d’impureté et isolés. Tant il est vrai qu’il n’est pas bon, dans la démence publique de toute une ville, d’être seul sage ; et cela n’est pas plus convenable que ce n’est bon[4]. »

Dans les temps modernes, Forberg constate que le baiser mâle fut goûté à peu près par toutes les nations : il excepte cependant les Anglais, « qui considèrent cette passion comme chose abominable et criminelle ». Mais il met hors de pair, à ce titre, les Espagnols et surtout les Italiens, pour des raisons physiologiques que la Satyre de Chorier développe avec quelque crudité dans le même dialogue. Il est certain que nul poète n’a osé chanter les voluptés du baiser mâle, comme le fit le patricien de Venise Giorgio Baffo. Pierre Arétin lui-même y mit plus de réserve, bien qu’il ait déclaré : « Car il n’est pas homme celui qui n’est pas bougre. » Sonnet II[5].

C’est d’ailleurs à l’influence des Italiens que la France dut, au seizième siècle, la recrudescence de la passion sodomique. « Aujourd’hui, dit Henri Estienne, la sodomie devient de plus en plus commune, parce qu’on fréquente les pays qui en font métier et marchandise. Au reste, si on regarde quels sont les Français qui s’adonnent à tels vices, on trouvera que quasi tous ont été en Italie ou en Turquie, ou, sans bouger de France, ont fréquenté avec ceux de ces pays-là, ou pour le moins ont conversé avec ceux qui avaient été à leur école. Les mots dont nous usons pour exprimer cette infamie sont empruntés au langage italien. Quelle est la ville d’Italie qui exporte chez nous ces coutumes ? En Italie même, un proverbe dit que Sienne se vante, entre autres choses, des bardaches et des putains. Mais, au dire des connaisseurs, Rome doit aller devant Sienne comme sodomie[6]. »

Le seizième siècle, c’est l’époque des mignons de Henri III, ces insolents et turbulents, frisés et pomponnés Hermaphrodites, « garces du cabinet », qui savaient « branler à propos la crête d’un panache, garnir et bas et haut de roses et de nœuds des cheveux poudrés, soigner leur dents aux pastilles de musc, farder leur teint de blanc d’Espagne, de rouge, faire les bègues, les las, avoir une voix molle et claire, une paupière languissante et pesante ». Le mignon de cour, le frontispice d’un pamphlet mordant nous en a transmis le portrait en costume Henri III, tête de femme, corsage et col Henri III, culotte et courte épée, avec cette inscription :

Je ne suis mâle ni femelle,
Et si je suis bien en cervelle
Lequel des deux je dois choisir.
Mais qu’importe à qui on ressemble,
Il vaut mieux les avoir ensemble,
On en reçoit double plaisir[7].

Le vice avait aussi pénétré dans les familles et souillé jusqu’au lit conjugal ; Brantôme conte qu’une dame éperdument éprise d’un gentilhomme qui manifestait quelques craintes du mari, lui dit : « N’ayez pas peur ; car il n’oserait rien faire, craignant que je l’accuse de m’avoir voulu user de l’arrière-Vénus. »

Le chroniqueur a d’ailleurs ouï dire que plusieurs maris étaient atteints de sodomie et s’accommodaient de leurs femmes plus par le derrière que par le devant. Aussi beaucoup de femmes, si elles étaient visitées par les sages-femmes, ne se trouveraient non plus pucelles par le derrière que par le devant. Peut-être y prennent-elles quelque plaisir ; ou bien elles n’osent le découvrir de peur de scandale, ou encore elles se taisent pour tenir leurs maris en sujétion et pouvoir de leur côté prendre des amants.

Le sire de Bourdeille a poussé ses révélations plus loin encore ; les contes gras ne l’effrayaient pas.

« Un mari de qualité, dit-il, était vilainement épris d’un jeune homme qui aimait fort sa femme et en était aimé. Un jour qu’il les surprit couchés et accouplés ensemble, menaçant le jeune homme de le tuer s’il ne satisfaisait à sa passion, il l’investit tout couché, et joint et collé sur sa femme, et en jouit ; dont sortit le problème, comme trois amants furent jouissants et contents tous ensemble[8]. »

Henri IV, le « chevalier banal de la France », essaya vainement d’enrayer le mal et de détourner la passion des plaisirs ultramontains vers le baiser naturel. « À la cour, dit Lestoile, dans son Journal d’Henri IV, on ne parle que de duels, puteries et maquerellages ; le jeu et le blasphème y sont en crédit ; la sodomie y règne tellement qu’il y a presse à mettre la main aux braguettes : les instruments desquelles ils appellent entre eux, par un vilain jargon, les épées de chevet. »

Les sodomites sont tellement en faveur que, comme au temps de Martial, les rimeurs savaient aller au-devant du succès en présentant à leurs lecteurs le portrait du « mignon » idéal :

Je veux qu’en plusieurs lieux mon ami soit ombré
D’un beau poil crépelu, poil que je tiens sacré,
Comme m’advant-courant le doux fruit que je cueille,
Et principalement je veux que son menton
Aye un petit duvet d’un blondoyant coton.

L’arbre est bien mal plaisant quand il n’a point de feuille.

Oserai-je oublier ce que je veux surtout,
Le fregon de mon four, bâton qui n’a qu’un bout,
Mon mignon boute-feu de ma flamme amiable,
L’ithyphalle gaillard qu’il me faut amorcer,
Qui sans caresse peut un monde caresser,
De grandeur naturelle et de grosseur semblable.
Toujours prompt, vif, ardent, ayant un sang altier,
Et deux braves témoins pour me certifier
Qu’il est prêt, bien en point, gonflé d’ardeur féconde,
Encore que sa forme enseigne sa valeur,
Son chef, son front, son nez, n’est-ce pas un beau cœur,
Qui sans cesse combat la plus grand’part du monde[9] ?

Après la mort de Henri IV, la veulerie de Louis XIII qui le conduisit, semble-t-il, jusqu’à des pratiques sodomites, laissa se développer ces passions autour de lui.

Mlle de Gournay elle-même, la fille adoptive de Montaigne, à qui l’on demandait si la pédérastie n’était pas un crime : « À Dieu ne plaise, répondit-elle, que je condamne ce que Socrate a pratiqué. »

Et plus tard, au dire de la duchesse d’Orléans, tous les héros du vice italien se proposent pour modèles Hercule, Thésée, Alexandre, César, qui tous avaient leurs favoris. Ceux qui s’adonnent à ce vice et qui croient dans la sainte Écriture s’imaginent que c’était seulement un péché lorsqu’il y avait peu de gens dans le monde, et qu’on était ainsi coupable en empêchant qu’il ne se peuplât ; mais depuis que la terre est toute peuplée, ils ne regardent plus cela que comme un divertissement ; on évite cependant, autant que possible, d’être accusé de ces vices parmi le peuple, mais, entre gens de qualité, on en parle publiquement ; on regarde comme une gentillesse de dire que depuis Sodome et Gomorrhe, le Seigneur n’a puni personne pour ces méfaits.

Les exemples ne manquaient point pour confirmer ces assertions. M. de Schomberg, accusé d’aimer « les ragoûts de delà les monts », s’étant attaché à Mme Le Page, Bautru disait : « Je ne m’étonne pas qu’il l’aime, son nom même a des charmes pour lui : elle s’appelle Mme Le Page. »

Mme de Saint-Germain Beaupré découvrit à son père, M. le président Le Bailleul, que Saint-Germain la voulait forcer à lui accorder ce qu’on appelle ogni piacer en Italie, et qu’il était si adonné à ce vice que, pour résoudre un page à satisfaire sa brutalité, il avait voulu contraindre sa femme à s’abandonner au page.

Des Barreaux, ayant perdu trop tôt son père, se mit à fréquenter Théophile et d’autres débauchés, qui lui gâtèrent l’esprit et lui firent faire mille saletés. C’est à lui que Théophile écrit ses lettres latines avec la suscription : Theophilus Vallaeo suo. On ne manqua pas de dire en ce temps-là que Théophile en était amoureux, et le reste.

Quant à l’abbé de Boisrobert,

Cet admirable Patelin,
Aimant le genre masculin,

il fut surnommé le « bourgmestre de Sodome ». Ninon de Lenclos, qu’il appelait sa divine, le plaisantait souvent à ce sujet, mais sans grande méchanceté. Alors que Ninon était enfermée dans un couvent, à Lagny, Boisrobert y fut pour voir sa divine. Il avait un petit laquais, et quand il fut parti, une servante de l’hôtel de l’Épée royale dit à quelqu’un qui occupait la même chambre : « Monsieur, ne fera-t-on qu’un lit pour vous et pour votre laquais, comme à M. l’abbé de Boisrobert ? » Ninon lui en fit la guerre et lui dit : « Au moins, je ne voudrais point des laquais. — Vous ne vous y entendez pas, lui dit-il, la livrée, c’est le ragoût. »

Pour montrer combien peu il se fâchait de ses petites complexions, il disait que Ninon lui écrivait, parlant du bon traitement que lui faisaient les Madelonnettes, où les dévots la firent mettre : « Je pense qu’à votre imitation, je commencerai à aimer mon sexe[10]. »

Sous Louis XIV, les pédérastes sont moins à leur aise ; le grand Alexandre aurait bien voulu abolir ce vice. Au moins prend-il contre les pratiquants des mesures rigoureuses, surtout contre les petits. Il fait enfermer et mettre au secret un nommé Antoine Fenelle, « surpris dans le crime de sodomie » ; il fait mettre à la Bastille des gens de livrée sodomites, Langlois, La Boie, Alexandre ; et informé que les cours du Louvre servent aux usages les plus infâmes de prostitution et de débauche, il fait fermer le passage au public[11].

Les grands, eux, se sentant menacés, ou peut-être recherchant un piment nouveau dans le mystère, jugèrent à propos de rassembler en une association fermée aux profanes les plus marquants, les mieux appréciés parmi les partenaires de la pédérastie. L’histoire de cette société, le formulaire de ses statuts nous ont été transmis par Bussy-Rabutin en quelques pages que nous publions plus loin.

La malignité publique n’en avait pas moins chansonné, parfois même avec quelque brutalité, certains partisans notoires du baiser masculin.

Sur les Sodomites. (1680.)

Les jeunes gens de votre cour
De leur corps font folie,
Et se régalent tour à tour
Des plaisirs d’Italie.
Autrefois pareille action
Eût mérité la braise.
Mais ils ont un trop bon patron
Dans le père La Chaise.



Sur Achille de Harlay, premier président du parlement de Paris, accusé de sodomie, et qui a puni très sévèrement son fils parce qu’il entretenait une fille assez jolie, appelée Mademoiselle Vallereau. (1690.)

Le goût du premier Président
Est d’enfiler le parlement ;
Il débauche les fils aux pères,
    Lère la lère lan lère,
    Lère la lère lan la.

Il a bien puni son enfant
D’avoir commencé par devant,
Il voulait qu’il fit par derrière
    Lère la lère lan lère,
    Lère la lère lan la.



Sur le duc de Vendôme. (1695.)

Vendôme, animé par son père,
Par Chemeraut, par Barbezière,
Devient d’un commerce fâcheux ;
Sans raison il s’emporte, il gronde ;

Mais quand il n’agit plus par eux,
C’est le meilleur bougre du monde.

Cette dernière chanson est accompagnée, dans le manuscrit, de la note suivante :

« Ce dernier vers indique que le duc de Vendôme était sodomite. Mais il eût été à souhaiter qu’au lieu de bougre l’auteur eût pu mettre bardache, car le grand plaisir de ce duc était de se faire enculer ; il se servait pour cela de valets et de paysans, faute de plus gentils ouvriers. On dit même que les paysans des environs de sa belle maison d’Anet se tenaient avec soin sur son chemin lorsqu’il y allait à la chasse, parce qu’il les écartait souvent dans les bois pour se faire f..... et leur donnait à chacun une pistole pour le prix de leur travail. »




Vers pour mettre sous le portrait du duc de Vendôme. (1702.)

Ce héros, que tu vois ici représenté,
Favori de Vénus, favori de Bellone,
    Prit la vérole et Barcelone,
    Toutes deux du mauvais côté.




Sur la mort de Monsieur, duc d’Orléans, frère unique du Roi, le 9 juin 1701.

        Philippe est mort la bouteille à la main ;
                Le proverbe est fort incertain

Qui dit que l’homme meurt comme il vit d’ordinaire ;
                Il nous montre bien le contraire,
        Car s’il fût mort comme il avait vécu,
                il serait mort le v.. au cu[12].

Le Régent Philippe d’Orléans, le fils de celui qu’on chansonnait si vertement, avait lui-même trop d’écarts licencieux à se faire pardonner, était trop occupé par ailleurs pour songer à réfréner quelque passion que ce fût. Aussi les chroniqueurs contemporains ont-ils constaté comme une recrudescence de la pédérastie.

La duchesse d’Orléans écrit en 1717 que le premier dauphin était soupçonné « d’un goût qui commençait à se répandre » ; mais il n’aimait que les femmes. Au contraire, le chevalier de Lorraine et le comte de Marsan courent après les hommes. « Le vice d’aimer les jeunes garçons est aussi la plus grande passion du duc de Villars ; et le joli prince d’Eisenach voulut une fois lui faire donner des coups de bâton, parce qu’il lui avait fait une déclaration d’amour[13]. »

Le duc de Richelieu raconte que, se rendant un soir secrètement dans l’appartement de la duchesse de Charolais, sa maîtresse, il fut suivi avec empressement par un homme qui, dit-il, appartenait à une secte à laquelle Louis XIV avait vainement fait une guerre acharnée. Il ajoute qu’un groupe de dix-sept courtisans se livra, dans le jardin de Versailles, au clair de la lune et presque sous les fenêtres du jeune roi, aux excès les plus dégoûtants de la luxure.

Le jeune duc de Boufflers, le marquis de Rambure et le marquis d’Alincourt étant allés dans un bosquet, le duc de Boufflers voulut violer Rambure et n’en put venir à bout. D’Alincourt dit qu’il voulait prendre la revanche de son beau-frère Boufflers. Rambure ne s’en défendit point et en passa doucement par là.

À la suite de ces débauches, des lettres de cachet ont été données, et le maréchal de Villeroy les a demandées contre sa propre famille. M. d’Alincourt, son petit-fils, fut exilé à Joigny, et sa femme dut aller l’y trouver. La duchesse de Retz est renvoyée de la cour. Le duc de Boufflers est exilé en Picardie, sa femme s’y retire avec lui, et on lui donne un gouverneur comme à un enfant. Le marquis de Rambure, patient de toutes manières, a été mis à la Bastille.

Quand le roi a demandé pourquoi tous ces exils contre ces jeunes seigneurs, on lui a dit qu’ils avaient arraché des palissades dans les jardins, et à présent on ne donne d’autre nom à ces jeunes seigneurs qu’arracheurs de palissades.

La jeunesse de la cour voulait donner au Roi un goût pour les hommes. Sur quoi la duchesse de La Ferté avait dit qu’on remarquait dans l’histoire que la galanterie des rois roulait, l’un après l’autre, sur les hommes et sur les femmes : qu’Henri II et Charles IX aimaient les femmes, Louis XIII les hommes, Louis XIV les femmes, et qu’à présent le tour des mignons était revenu.

Il paraît certain que Louis XV, malgré toutes ces tentatives, ne fut pas gagné aux pratiques sodomites : l’amant des cinq sœurs de Nesle, de Mme de Pompadour, de la comtesse du Barry, le sultan du Parc-aux-Cerfs a donné de trop indiscutables preuves de son goût personnel pour le sexe féminin. Mais autour de lui, dans le relâchement des mœurs, les « bougres » retrouvaient toutes facilités pour exercer leur passion unisexuelle. Ils comptent d’ailleurs des adeptes de choix. Ainsi, le duc de Villars, le fils de l’illustre maréchal et qui lui succède dans la plupart de ses dignités, avait ces goûts invétérés, qui lui valurent, comme au comte de Mirabeau père, le surnom ironique de l’Ami des hommes.

Les rapports du policier Marais signalent, en 1769, l’ambassadeur de Venise comme affilié à la secte des sodomites. Le vice, d’ailleurs, n’est-il pas dit italien ?

« On assure, écrit-il, que l’ambassadeur de Venise vient de faire huit mille livres de rentes au petit Fleury, comédien de la troupe de Montansier, et malgré cela il lui donne trente louis par mois. » Et encore : « L’ambassadeur de Venise vient de donner au petit Fleury un cabriolet avec un cheval pour venir plus souvent à Paris. Il l’entretient comme une jolie femme. »

Le duc d’Elbeuf lui-même, au dire de Casanova, s’était entouré de mignons qui, à tour de rôle, étaient admis dans sa couche[14].

Nous pourrions à plaisir allonger la liste ; mais nous en avons assez dit pour expliquer la publication des Anecdotes secrètes pour servir à l’histoire, secrète des Ebugors. Sans doute la Société des sodomites, contre laquelle Louis XIV avait engagé la guerre, n’avait pas encore été dissoute, ou bien, si elfe avait disparu quelque temps, s’était-elle reconstituée clandestinement. Ce sont, en effet, ses membres que l’auteur anonyme des Anecdotes appelle, par un anagramme facile, des Ebugors (bougres). C’est leurs luttes contre les Cythéréennes, contre les amoureuses, qu’il conte sous une forme imagée, avec des allusions translucides aux événements et ans personnages du temps.

La valeur de ce pamphlet a pu être discutée ; toutefois, il n’est pas superflu de constater que l’indignation de vertueux moralistes a surtout contribué à faire classer cette pièce curieuse parmi les productions ignobles du xviiie siècle. C’est beaucoup, c’est trop dire. En réalité, elle est pour nous, avant tout, une pièce fort rare et des plus intéressantes à connaître pour l’étude des mœurs du siècle galant. N’est-ce pas là un fort suffisant mérite ?

L’auteur de ce pamphlet est tout à fait inconnu. Drujon, constatant que le procédé employé pour déguiser les noms ressemble singulièrement à celui dont a fait usage le chevalier de Mouhy, dans le recueil de récits obscènes intitulé Les Mille et une faveurs, en vient à penser que ce chevalier pourrait bien être l’auteur des Anecdotes. De Mouhy, neveu du baron de Longepierre, fécond romancier, a laissé nombre d’ouvrages qui, au dire de Palissot lui-même, sont les plus riches modèles du style plat et du genre niais. Or il est telle page des Anecdotes qui dénote, chez l’auteur, un maniement aisé, délicat de l’allusion à fleur de peau. Quant aux Mille et une faveurs, « contes de cour, tirés de l’ancien gaulois par la reine de Navarre, et publiés par le chevalier de Mouhy », ils appartiennent, en effet, au genre allégorique et ennuyeux, et les anagrammes des noms propres y sont tellement compliqués que leur obscénité apparaît à grand’peine. Nous laissons à la sagacité des lecteurs le soin de deviner quelles grossièretés se dissimulent sous des noms comme oturfe, lodeobarty, cernogla.

La première édition de notre pamphlet porte le titre suivant :

Anecdotes pour servir à l’Histoire secrète des Ebugors, à Medoso (anagramme de Sodome), L’an de l’ère des Ebugors MMMCCCXXXIII (1733). In-12 de 106 pages, dont 4 paires pour la clef. À la fin se trouve l’indication de l’imprimeur : Amsterdam, chez J. P. du Valis.

Le seul exemplaire que possède la Bibliothèque nationale (Enfer, 113) porte sur le titre la signature autographe A. Horn, et sur le plat de la reliure, en lettres capitales dorées : ADAM HORN.

Nous ne connaissons pas d’autre réimpression que celle qu’en a faite Kistemaekers en 1813, à Bruxelles, petit in-8, tirage à 200 exemplaires.

Cependant M. de Paulmy, dit-on, en possédait une édition (n° 6070 de son catal. ms), sans lieu ni date, avec figures au nombre de vingt[15].

J. H.

Vignette de fin de chapitre
Vignette de fin de chapitre

  1. Le Lévitique, xx, 13.
  2. Voir Un point curieux des mœurs privées de la Grèce, par O. D***. Athènes, 1871.
  3. F.-K. Forberg, De figuris Véneris, chap. II.
  4. Aloysiae Sygeae Satyra sotadica, dial. VI. (Voir l’Œuvre libertine de Nicolas Chorier. Bibliothèque des Curieux, 1910.)
  5. Voir l’Œuvre de Giorgio Baffo ; — l’Œuvre du divin Arétin, 2 volumes (Bibliothèque des Curieux, 1909 et 1910).
  6. Henri Etienne, Apologie pour Hérodote, t. I, p. 115.
  7. Description de l’Isle des Hermaphrodites nouvellement
    découverte
    . Cologne, 1724.
  8. Brantôme, Discours I, 158 pp. et suiv.
  9. Les premières œuvres poétiques du capitaine Lasphrise. Paris, 1587 : Stances de la délice d’amour, p. 271. — Voir Mignons et courtisanes au XVIe siècle, par Jean Hervez (Biblioth. des Curieux, 1908).
  10. Tallemant des Réaux, Historiettes. Edon 1854-1860, II, 345, 405 ; IV, 46 ; V, 399 ; VI, 11, 173. — Correspondance de Madame, duchesse d’Orléans, 13 décembre 1701.
  11. Correspondance administrative sous le règne de Louis XIV, publiée par Depping, Paris, 1851, passim.
  12. Chansonnier Maurepas, VI, 437 ; VIII, 229 ; XXVIII, 107, 285. — Chansonnier Clairambault, III, 257 (Bibl. Nat. Mss franç.)
  13. Correspondance de Madame, duchesse d’Orléans, 22 septembre 1717.
  14. Voir les Chroniques du XVIIIe siècle, par Jean Hervez. La Régence galante, La Galanterie parisienne sous Louis XV (Bibliothèque des Curieux 1909-1910).
  15. Voir Fernand Drujon, Les livres à clef, Paris, 1888, col. 51 ; — Analectes du Bibliophile (dirr M. Jules Gay). Bruxelles, 2e livraison. Été 1876, P. 15 ; — Comte d’I***. Bibliographie des ouvrages relatifs à l’amour.