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Association de Demi-Vierges Vol.I/VIII

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VIII


Le reste de la soirée, le général ronchonna ; la conversation entre sa nièce et le juge avait irrité ses nerfs. D’autant plus que Balbyne, rappelée à son rôle de priekeuse, s’inquiéta de découvrir ceux et celles qui pouvaient se trouver dans les salons. Elle n’aperçut aucun insigne : Basile Issitus lui-même avait retiré le sien.

Le bal prit fin et elle quitta son oncle, après l’avoir prié de l’accompagner dans une promenade à cheval, au bois, le surlendemain matin.

La journée en somme était bien remplie et elle avait tout lieu d’en être satisfaite. Elle dormit très bien, réparant ses forces, en préparant de nouvelles pour les destinées qu’elle rêvait.

L’idée du mariage, qu’on projetait à son sujet, et dont on lui souffla quelques mots, en lui désignant le prétendant, un jeune officier de cavalerie, portant un très beau nom et jouissant d’une très jolie fortune, elle l’accueillit avec un sourire et répondit aux ouvertures de sa mère :

— Ce soldat est trop beau et trop coquet, passons à un autre.

— Es-tu folle, un parti magnifique, s’écria la mère ! un parti inespéré !

— Pourquoi inespéré ? Ne suis-je pas jeune, suis-je désagréable de ma personne et n’ai-je pas une dot ?

— Cela ne suffit pas ; il faut écouter la raison et savoir se marier à temps.

— À temps ! Ne dirait-on pas que je suis une vieille fille !

— Oh, l’âge vient vite.

— Laissez-le venir, nous l’arrêterons au bon moment.

— Tu réfléchiras.

— Pour vous faire plaisir, mais à une condition, c’est que vous dispenserez le militaire de m’ennuyer.

— Balbyne !

— Ma mère !

— Tu as le caractère trop indépendant, et, cette indépendance, je soupçonne Miss Blettown de te la cultiver.

— Miss, aoh yes, elle est bien trop occupée de me fourrer son anglais dans la cervelle.

— Quelle expression, mon enfant ! À propos de ton anglais, tu le prononces encore trop à la française.

— N’est-ce pas la meilleure façon de le faire accepter.

La question de mariage se trouva ainsi vidée.

L’après-midi du jour suivant, Balbyne se rendit avec sa gouvernante rue Pierre-Charron, sous le prétexte d’une exposition de peinture féminine chez mademoiselle de la Garinière et pour laquelle elle avait des cartes.

Le prétexte ! Elle n’en avait nullement besoin. Mademoiselle Balbyne était absolument libre d’aller et de venir avec sa gouvernante.

— Ma chérie, dit miss Blettown, le grand moment approche.

— Le grand moment est passé depuis hier.

— Yes, mais vous n’êtes pas encore du temple et vous vous apprêtez à en franchir les portes.

— Qu’avez-vous fait pendant le bal ?

— Je me suis couchée pour dormir et être toute… vaillante pour cette après-midi.

— Moi, j’ai prieké.

— Vous dites, ma Balbyne !

— J’ai prieké, avec mon oncle, le général. Saviez-vous qu’il en était ?

— Aoh yes, il me tripote toujours le cul dans les petits coins. Aoh, un gros cochon, le général, je vous le recommande.

— Jamais je ne l’aurais supposé.

— On cache si bien son jeu.

— Et vous en connaissez d’autres qui fréquentent la maison !

— Je ne puis tous les connaître, on est si nombreux.

— Vraiment !

— Ah, Balbyne, tout le monde voudrait en être, seulement, vous comprenez, on choisit ses gens.

— Pourquoi ne vous ai-je jamais vu votre insigne ?

— Aurait-il été convenable que je m’affiche avec quelques-uns de vos amis, et n’aurais-je pas attiré l’attention par un bijou pareil à celui de quelques dames et demoiselles. Dans ma position, on ne le porte qu’en voyage, ou dans les réunions. Votre oncle a dû être joliment content de pouvoir vous patouiller.

— Je le crois, mais je crains qu’il ne devienne jaloux.

— Jaloux ! Il n’en a pas le droit. Il peut prieker avec plus de mille jolies demoiselles, sans compter les gouvernantes et les filles indépendantes comme mademoiselle de la Garinière, et il serait jaloux ! On est jaloux, ma Balbyne, lorsqu’on considère l’amant ou la maîtresse comme un objet vous appartenant. En amour, on n’appartient qu’à ses désirs ; il faut être fou pour devenir jaloux. En amour, ou dans la volupté, c’est la même chose.

— Mademoiselle de la Garinière, quelle femme est-ce ?

— Une jolie fille de vingt-six ans, qui a juré de ne jamais se marier, qui peint de très beaux tableaux, où elle dessine toutes les fleurs de la création, et qui est très dévote, l’une des mieux notées dans l’association. Entre nous, on prétend que l’abbé Tisse l’a connue dans le passé et qu’elle serait sa bonne amie ?

— Sa bonne amie ?

— Ce sont des cancans et, dans tous les cas, cela ne nous regarde pas ; mais elle est arrivée du pays où il était curé et il paraîtrait qu’elle aurait eu un enfant de lui là-bas.

— Un roman ?

— Qui n’a rien à voir avec la visite qui nous mène chez elle.

— Si vous me donniez quelques indications sur cette visite.

— J’en enlèverai l’agrément qui vous attend.