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Association de Demi-Vierges Vol.I/VII

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VII


Balbyne rayonnait de beauté durant cette soirée.

Ne refusant aucune danse, elle s’échappait parfois du salon avec son oncle, qui lui servait de Mentor complaisant, et ils s’élançaient dans la conversation interrompue et toujours intéressante du priekage.

Ah, elle en faisait des progrès, et entraînait le général plus qu’il ne la guidait.

Pouvait-on remarquer cet accaparement de la nièce par l’oncle, à tous les moments libres ? S’ils disparaissaient un court instant des salons, ne jouissaient-ils pas de 7 leur droit de parenté, pour aller respirer un peu d’air pur et reconquérir des forces pour de nouvelles danses ! Car le général, parfois valsait encore et tenait merveilleusement tête aux plus vaillants des jeunes officiers.

Ces absences enfiévraient Balbyne, déjà échauffés par l’atmosphère du bal, par la galante cour de ses danseurs, dont elle faisait fi pourtant, et elle les guettait avec une impatience qui la rendait maussade aux compliments exaltant sa radieuse jeunesse.

Dans l’une d’elles, elle avait, cachés derrière l’embrasure d’une fenêtre, glissé la main dans la culotte du général et manifesté le désir de lui baiser la queue.

— Tu t’affoles, petite, tu t’affoles, dit-il, la prudence nous est recommandée plus qu’aux autres.

— Allons donc, vous êtes un poltron.

— Un poltron, moi, le général.

— Eh oui, vous le général ! La main, la bouche d’une petite fille vous font trembler. Vous tremblez dans votre culotte, mon oncle.

— Morveuse.

— Bon, la musique qui reprend et je suis engagée. À notre prochaine réunion, vous savez, vous vous devez à ma fantaisie, je suis une priekeuse.

— Postulante encore, fillette.

Il fallait les espacer, ces rencontres ; et cela ne laissait pas que d’ennuyer la priekeuse postulante : aussi ses danseurs en étaient-ils pour leurs frais d’amabilité.

Elle s’absorbait tellement dans son aventure avec le général, qu’elle en oubliait sa curiosité de reconnaître les priekeurs et les priekeuses qui se trouvaient dans les salons.

Un monsieur cependant l’étudiait avec une attention toute particulière qui, en d’autres circonstances, l’eussent, choquée.

Un homme, d’une quarantaine d’années, le visage blafard avec de petits favoris, d’une correction absolue de manières, avec une grande froideur d’allures, ne cessait de se placer sur son chemin et d’épier ses sorties avec le général. Cet homme était un juge au tribunal de la Seine, du nom de Basile Issitus, et un priekeur, par l’insigne qu’il portait sous la cravate.

Savait-il quelque chose, se doutait-il de quelque manigance, ses lèvres se crispaient dans un sourire ennuyé, lorsque l’oncle et la nièce s’éclipsaient et, s’il l’avait osé, il les aurait suivis dans la partie réservée des appartements où ils se réfugiaient.

Il saisissait des bribes de leurs conversations au passage et il formait sa conviction.

La hâte, avec laquelle elle suivit son oncle, pour lui montrer qu’elle connaissait ses privilèges de priekeuse, acheva de l’éclairer.

Il se trouva sur le seuil de la porte, par où ils devaient sortir, et porta un doigt à son insigne. Il vit la jeune fille l’examiner rapidement des pieds à la tête, tandis que le général répondait par une légère inclinaison de tête, signe d’aveu.

— Tiens, dit Balbyne, lorsqu’ils furent en sûreté derrière leur fenêtre, il en est le juge !

— Oui.

— Un drôle de type ! il ne m’a jamais beaucoup plu.

— Et cependant tu ne pourras te refuser, s’il te demande et il te demandera.

— Et je ne le refuserai pas ! Ce sera bien plus amusant de se tripoter, en pensant que jamais on ne s’aimera d’amour et, qu’à part la cochonnerie, on serait tout disposé à se détester. C’est un hypocrite, eh !

— Lui, et nombre d’autres. Ces gens-là, gens de robe, gens d’église ou du palais, recherchent la pourriture dans la volupté et flétrissent la belle union des sexes, qui resplendirait dans le libre consentement des plaisirs, ne fêtant plus que les douces ivresses sensuelles.

— Vous appartenez à leur association, mon oncle, car ce sont eux qui l’ont créée.

— Hélas, on est obligé de s’entendre avec les hypocrites et les parasites, pour ne pas perdre sa part du festin. Ah, ma belle priekeuse, tu marches trop bien, toi.

— Ici, je ne suis plus une postulante, eh ! Je suis une agissante. Enfin, je puis vous l’embrasser. Préférez-vous que je m’instruise avec ce juge.

— Ah, comme je lui briserais les reins à celui-là, s’il n’en était pas.

— Et il en est ! Il a deviné que j’entrais dans l’association ?

— Il a dû nous espionner toute la soirée ! Mais, coquine, que me fais-tu là ? La poudre du diable éclate, je crois que tu me suces !

— On appelle ça sucer ! C’est très agréable ! Quel dommage de retourner au bal, je vous le croquerais !

— En voilà des dispositions ! Pas de bêtises, Balbyne, Tartufe est derrière la porte et compte les minutes.

— Tartufe ! Eh mon oncle, répondit-elle en riant et en reboutonnant la culotte qu’elle avait elle-même défaite, vous en voulez à Bazile Issitus et vous avez tort. Je suis certaine qu’il m’amusera beaucoup.

Le général ne se trompait pas. Bazile guettait leur retour. Il salua avec un demi-sourire Balbyne, et lui demanda s’il ne pourrait la mener à son bras faire un tour des salons.

— Mais certainement, Monsieur, répliqua-t-elle, et tout de suite, puisqu’on prélude à un quadrille, pour lequel je suis justement libre de tout engagement.

L’oncle céda sa nièce sans grimace apparente, mais avec une colère intérieure d’autant plus vive, qu’il était lié par le pacte de priekage et qu’il avait fait maintes parties avec le juge dans les divers groupes.

Issitus parlait du bout des lèvres ; ses paroles parvenaient néanmoins distinctes aux oreilles de Balbyne, et elle y répondait sans se troubler, étouffant le son de sa voix pour que nul n’en perçût l’écho.

Le plaisir régnait trop parmi les jeunes hommes et les jeunes filles et même parmi les parents, pour qu’on songeât à la surveiller, sans y avoir un intérêt quelconque : les salons de monsieur Primetard avaient la réputation d’être de ceux où l’on ne s’ennuie jamais, chose rare dans le monde sélect, comme nul ne l’ignore. Balbyne était maîtresse de ses actes.

— Vous n’avez pas votre insigne de reconnaissance, Mademoiselle, et je vous ai devinée.

— Votre flair de magistrat ! Puis, le général ayant retiré le sien, me dénonçait sans le vouloir.

— Un parent maladroit.

— Je l’aime énormément.

— Oh, moi aussi. Nous sommes de vieux amis et nous nous apprécions en conséquence. Nous faisons en vous une recrue de choix.

— Si je m’en rapporte aux légendes, les associés de notre monde sont légion.

— Sans doute, sans doute, mais toutes ne possèdent pas votre grâce, votre gentillesse, votre beauté.

— Oh, monsieur Issitus, vous n’êtes pas à marier, j’aperçois madame Issitus plus en santé que jamais.

— Santé florissante en effet, santé trop florissante : mes goûts vont à ces fleurs exquises, pourvues de toutes les richesses, sans trop d’abondance dans l’ensemble. Puis-je espérer que votre bleuet sourira à ma… lettre d’appel.

— Ne le dois-je pas ? Je suis dans les postulantes et ne connais pas encore les règles définitives. Je ne me déroberai à aucune sollicitation.

— Vraiment, vous n’êtes pas encore admise.

— Non.

— Vous appartenez à la catégorie d’initiation. À quel groupe êtes-vous attachée ?

— Au groupe de mademoiselle de la Garinière, rue Pierre-Charron, où j’irai demain dans l’après-midi.

— Eh mais, c’est on ne peut plus heureux, mademoiselle de la Garinière est ma cousine, je m’y trouverai et je vous serai un bon parrain, croyez-moi.

— J’en suis certaine, Monsieur, mais mon oncle revendiquera cette qualité.

— Votre parenté est bien proche pour cela. Ah, Mademoiselle, respectez les lois de ce monde et évitez les contacts avec des parents. Nous sommes assez nombreux dans l’association pour que vous ne chômiez pas de zélés compagnons.

— Nous nous trouverons demain chez mademoiselle de la Garinière. Puis-je en parler à mon oncle ?

— Rien ne s’y oppose, mais à votre place je m’abstiendrais pour ne pas paraître rechercher sa tutelle.

— Oui, en effet, je serai muette.