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Au château des loups rouges (Rosny aîné)/épilogue

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La nouvelle revue critique (p. 223-226).
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ÉPILOGUE

Denise s’était avancée jusque sous les arbres du parc. Elle était pensive. L’âme des printemps vivait en elle, cette âme qui vit depuis les siècles des siècles dans les fils et les filles de l’homme, qui éveille ensemble nos propres souvenirs et les souvenirs des temps abolis… Une odeur de lilas et de violettes pénétrait doucement l’odeur des feuilles vertes…

La jeune fille se sentait heureuse et pourtant son bonheur n’avait pas cette plénitude qu’il avait au printemps de l’année précédente. Une force neuve était en elle, une force de souhait, qui parfois la faisait soupirer devant la beauté des choses… Comme elle rêvait, arrêtée sous des chênes, elle entendit un pas furtif et elle vit Guillaume à quelques pas d’elle. Il la regardait avec ravissement.

Alors, elle revécut, sans amertume, avec une sorte d’attendrissement, son aventure. Surtout, elle se souvint de toutes les phases du dévouement de Guillaume ; de cette nuit où une barque les emportait dans les ténèbres des rocs.

Son cœur fut plein d’une émotion très douce.

Lui, cependant, s’était avancé. Il tenait à la main des violettes cueillies dans le bois, et qu’il tendit à la jeune fille avec un frémissement… Elle les prit sans hésitation, elle murmura :

— Est-ce donc pour moi que vous les avez cueillies ?

— Pour qui aurais-je pu les cueillir ? dit-il avec une ardeur timide… Toute fleur me fait songer à vous… la fée des fleurs !

Elle tressaillit. Mieux encore que naguère, elle savait ce qu’elle était pour lui, parce que ce printemps révélait à elle-même le secret qui croît au cœur des créatures. Ses tempes rougirent comme des lys au crépuscule :

— La fée des fleurs ? dit-elle pensive… Je voudrais être du moins une fée capable d’abolir votre tristesse.

— Ah ! gémit-il… Il suffirait d’une parole… Il est vrai la plus forte des paroles… plus forte que tous les actes et que ma pauvre existence ne mérite point.

— Vous méritez tout ! dit-elle.

— Ne dites plus rien ! fit-il hâtivement… ne me laissez pas espérer l’impossible…

— Pourquoi serait-ce l’impossible ? dit-elle en baissant la tête.

Il se mit à trembler de tous ses membres, et défaillant, aussi pâle que les nuages :

— Vous ne me repoussez donc pas ?

Elle sourit, tendre et malicieuse, elle lui tendit la main… Il saisit cette petite main, avec un sanglot de bonheur, mit un genou en terre et murmura ce passage du Livre :

— Les Fleuves ne pourraient pas noyer cet amour.


FIN