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Aventures mexicaines (Duplessis)/Les chercheurs d'or

La bibliothèque libre.
Alexandre Cadot (p. 227-324).


LES CHERCHEURS D’OR.














I

1848

Je débarquai, venant de Véra-Cruz, le 22 du mois de mai dernier au matin, à la Nouvelle-Orléans, où j’étais appelé par des affaires commerciales. Je m’informai tout aussitôt du Boarding-house le plus rapproché du port, et je m’y fis conduire. Le Boarding-house, on le sait, est un établissement qui tient le milieu entre l’hôtel garni et la maison bourgeoise ; ou y trouve souvent, presque toujours, — sans parler d’un confort égal à celui des admirables hôtels américains, — un agréable intérieur de famille.

Une fois mes bagages tant bien que mal arrangés dans ma chambre, je descendis au parloir : le déjeuner était servi, et l’on allait se mettre à table.

Trois personnes, — parmi ces convives que je ne connaissais pas encore, — attirèrent spécialement mon attention.

La première, jeune fille de dix-huit à vingt ans, appartenait, sans contredit, à cette belle et forte race américaine que les excès de la civilisation n’ont pas encore eu le temps d’abâtardir. Les traits réguliers de son frais visage, ses grands yeux bleus, sa magnifique chevelure châtaine, son teint resplendissant d’éclat, — quoique un peu hâlé par le grand air, — formaient un ensemble sinon poétique et distingué, du moins très-agréable. J’appris, par la suite, qu’elle était l’enfant de la maîtresse du Boarding-house, et qu’elle se nommait miss Annette B***.

La seconde personne était un colossal Américain, probablement un Kentukien. Je me trouvais assis à côté de lui. Son habit et son pantalon noirs, aussi propres que râpés, sa cravate blanche, ses favoris coupés au niveau de l’extrémité inférieure de son oreille, sa figure fraîchement rasée, son air froid, qu’il désirait évidemment rendre imposant, le faisaient assez ressembler à un médecin de village appelé en consultation au château voisin. Son costume, trop sévère pour le matin, contrastait aussi d’une façon curieuse avec les formes athlétiques et les membres énormes qu’il recouvrait. À peine assis, — et il le fut avant tout le monde, — mon voisin commença par faire main-basse, avec une prodigieuse célérité, sur les plats placés devant lui. Tranches de veau froid et de roastbeef, poissons bouillis, œufs cuits avec du jambon, légumes, fruits et confitures, s’élevèrent bientôt en forme de pyramide sur sa seule et même assiette.

Enfin, la troisième personne qui, avec le grand Kentukien et la jolie miss Annette, avait le privilége d’attirer, comme je l’ai dit, mon attention, était placée à l’autre extrémité de la table presque en face de moi. C’était un homme auquel une figure bronzée par le soleil, maigre, osseuse et dénuée de barbe, permettait difficilement d’assigner un âge précis entre vingt et trente-cinq ans. Ses bras grêles, ses épaules étroites et voûtées, son buste élancé ne dénotaient certes pas une force corporelle égale à celle de mon voisin le Kentukien ; cependant, je crus deviner en lui une de ces organisations sèches et nerveuses que nous autres Espagnols qualifions de aguante (de résistance), et qui, semblables au roseau, supportent facilement la tempête, pendant que le chêne tombe brisé et vaincu. Cet homme, à en juger par sa toilette brillante et de mauvais goût, ne devait appartenir que depuis peu à ce que l’on est vulgairement convenu d’appeler le monde. Sa cravate, couleur gorge-pigeon, était maintenue sur une chemise de batiste brodée par deux grosses émeraudes lourdement enchâssées dans une riche monture en or, monture parsemée elle-même de petits rubis et de topazes. Une énorme chaîne, également en or massif, entourait son cou et descendait en serpentant jusqu’à la poche de son gilet de brocart : cette chaîne servait à soutenir une montre assez grosse et passée de mode, dont la boîte était émaillée de petits diamants et de pierreries précieuses. Les doigts de ses mains effilées et admirables de formes, disparaissaient à moitié sous une couche de bagues de toutes espèces.

Aussi indifférent au déjeuner servi devant lui que le Kentukien semblait l’apprécier, ce singulier personnage se tournait de temps en temps vers le domestique placé derrière lui, prononçait, avec son accent étranger, le nom plus ou moins estropié de quelque vin coûteux d’Europe, effleurait ensuite dédaigneusement, du bout des lèvres, le verre qu’on lui offrait, et faisait servir le reste de la bouteille aux personnes de la table. Pendant tout le temps du repas, il ne prit qu’un œuf et une orange.

En dehors de sa toilette extravagante et de son aspect bizarre, cet homme eût encore éveillé l’attention d’un observateur par la curieuse expression de son regard. Ses yeux, quoique naturellement brillants, étaient fixes et semblaient déceler, au premier abord, une intelligence moins qu’ordinaire ; quelques éclairs contenus qu’ils jetaient en se tournant vers la belle miss Annette, éclairs imperceptibles pour une personne qui n’eût pas connu, comme moi, les sauvages Peaux-Rouges de la Prairie, m’apprirent que l’air d’indifférence presque idiote de mon vis-à-vis de table était tout bonnement un masque trompeur que sa force de volonté mettait sur son visage. Je crus pouvoir, dès ce moment, lui assigner une nation. Pendant qu’on nous apportait le thé, le Kentukien, dont l’assiette, après avoir servi de base à la belle pyramide déjà décrite, ne présentait plus depuis longtemps déjà qu’une surface plane et éclatante de blancheur, le Kentukien, dis-je, après s’être nettoyé avec soin les ongles, s’occupait à lire le journal américain The Daily News.

Deux oh ! oh ! fortement accentués, et marquant un profond étonnement, qui sortirent de sa vaste poitrine, firent lever la tête aux convives.

— Une importante nouvelle, sir ? lui demanda un autre Américain.

— Oui, fort importante.

— Pourriez-vous nous l’apprendre ?

No, répondit le Kentukien après un moment de réflexion. Cette nouvelle est une bonne affaire, et moins une bonne affaire est connue, mieux cela vaut.

— Alors vous avez eu tort de marquer votre surprise… Je vais lire avec soin le Daily-News.

Le Kentukien réfléchit de nouveau pendant quelques instants avant de répondre.

— Oui, j’ai eu tort de crier oh ! oh ! — dit-il enfin. — Après tout, peut-être bien ne la retrouverez-vous plus dans le journal, cette découverte.

— Il s’agit donc d’une découverte ?

Le géant américain s’aperçut probablement qu’un de ses ongles n’était pas, malgré une première toilette, d’une complète propreté, car il se mit à le gratter avec son couteau de table au lieu de répondre.

Le déjeuner terminé, les habitués du Boarding-house sortirent du parloir, à l’exception toutefois du Kentukien, de l’Américain, qui l’avait interrogé avec si peu de succès, et de l’homme à la figure bronzée et aux mains surchargées de bagues.

Ce dernier alluma cavalièrement, — et contre l’usage qui défend, aux États-Unis, de fumer devant les femmes, — une mince cigarette eu papier blanc. L’Américain questionneur prit le journal the Daily News, pour y chercher, ainsi qu’il l’avait annoncé, la découverte lue par le Kentukien, tandis que celui-ci, tirant une vieille montre d’argent de son gousset, disait à la fille de la maison, miss Annette B*** :

« J’ai cinq minutes dont je ne sais que faire… Laissez-moi les employer, miss, à vous peindre l’amour honnête et l’estime que vous m’inspirez. »

À ce compliment si galamment tourné, miss Annette rougit de plaisir, tandis que sa mère sourit d’un air de satisfaction évident. Quant au Kentukien, il resta, pendant les cinq minutes, planté droit devant la jeune fille, l’examinant avec autant d’attention que de sang-froid ; puis le terme consacré à ses amours expiré, il prit son chapeau, le mit sur sa tête et sortit en disant à sa fiancée :

— Miss Annette, comptez toujours sur moi… je vous aime encore… À propos, les cotons ont baissé d’un dixième et demi pour cent… Au revoir.

À peine le galant Kentukien venait-il de fermer la porte du parloir, que l’Américain, qui lisait, toujours le Daily-News, poussa un cri de surprise en s’écriant :

— Ah ! by God ! si la nouvelle est vraie… c’est une bien belle chose !…

Comme mistriss B*** m’avait présenté, lors de mon arrivée, à ses pensionnaires, je pus, sans crainte de passer pour inconvenant, adresser la parole à l’Américain.

— Il paraît que vous avez trouvé ce que vous cherchiez ? — lui dis-je.

— Oh ! c’est merveilleux, — me répondit-il, — merveilleux !… tellement extraordinaire même, que je suis tenté de croire que c’est un puff…

— Alors, voyons le puff.

— On écrit de Californie au rédacteur du Daily-News, qu’on vient de découvrir, aux bords de la rivière du Sacramento, une telle quantité de poudre d’or, qu’un homme peut en ramasser facilement une livre par jour… Incroyable… n’est-ce pas ? Cependant cet article abonde en détails, et porte un cachet de vérité qui me confondent… Lisez… Ce Sacramento, mille fois béni, enrichirait plus à lui seul les États-Unis, si le Daily-News dit vrai, que ne le ferait la possession de toutes les mines d’argent du Nouveau-Monde !…

J’allais prendre le journal que me présentait l’Américain, lorsque l’homme au teint bronzé s’élançant, semblable à un tigre, du coin de la cheminée où il était assis, vint tomber d’un bond en face de moi.

— Que dit-on du Sacremento ? — me demanda-t-il d’une voix sourde et en espagnol.

Son action m’avait tellement, surpris, que je restai un moment sans lui répondre.

— Mais parlez donc !… répondez-moi donc ! — reprit-il avec rage, — que dit-on du Sacremento ?

— On dit que l’on vient d’y découvrir de riches mines d’or !…

— Un placer ou des mines d’or[1] ?

— Un placer, pour nous autres Espagnols, des mines, selon la langue anglaise.

Ma réponse produisit un effet terrible sur mon interlocuteur ; sa pâleur, malgré son teint bronzé, devint livide, ses dents se serrèrent avec force, ses yeux s’illuminèrent de lueurs sinistres ; je crus qu’il allait se trouver mal.

— Quel intérêt s’attache donc pour vous à cette découverte, caballero ? lui demandai-je.

— Quel intérêt ! — répéta-t-il avec un étonnement mêlé de fureur, — l’intérêt que le possesseur porte à sa propriété… Ce placer m’appartenait…

Je le regardai avec compassion, en pensant que j’avais affaire à un fou.

— Oh ! je comprends le langage de vos yeux, — reprit-il tristement ; — vous vous figurez parler à un insensé. Mon nom va vous rassurer, je l’espère, tout en vous expliquant ma colère : je me nomme Rafael Quirino.

— Ah ! c’est vous qui êtes Rafael Quirino ? — répétai-je machinalement.

Le fait est que ce nom de Rafael Quirino m’était parfaitement inconnu.

— Vous êtes Mexicain, sans doute ? — repris-je peu après, afin de ne pas laisser tomber cette conversation qui commençait à m’intéresser.

Le propriétaire des mines d’or du Sacramentel parut fort surpris de ma question.

— Que voulez-vous donc que je sois, sinon Mexicain ? — me dit-il ; — tout le monde sait que Rafael Quirino, le roi des chercheurs d’or, est né en Californie, près du port de San-Francisco.

Cette réponse, en m’expliquant la certaine emphase qu’avait mise Quirino à me décliner son nom, me rappela aussi ce nom enseveli parmi mes nombreux souvenirs de voyage. En effet, je l’avais souvent entendu prononcer en l’année 1845, lors de mon dernier séjour à Monterey.

L’homme que j’avais devant moi, n’était donc pas un fou, c’était au contraire un type rare et curieux de ces hardis Gambusinos[2] qui parcourent, insoucieux, les vastes solitudes du Nouveau-Mexique, bravant le scalpel de l’Indien, les angoisses de la soif, les dents des tigres et des jaguars.

Le désespoir qu’il venait de montrer, en apprenant la découverte du placer du Sacramento, me convainquit également que l’existence de ce placer était un fait réel, certain, et me donna le plus vif désir d’entrer plus avant dans cette affaire. Je lui proposai de venir fumer un cigare dans ma chambre ; il accepta sans se faire prier. La rencontre d’un homme parlant la même langue que lui me parut lui avoir causé un vrai plaisir.

— Pardonnez-moi, señor Quirino, la question que je vais vous adresser, lui dis-je, lorsque nous fûmes installés dans ma chambre ; croyez que c’est l’intérêt et non la curiosité qui la dicte : Comment se fait-il que vous vous trouviez à la Nouvelle-Orléans ?

— Ma présence ici est tout une histoire, — me répondit le Gambusino, qui, grâce à sa force de volonté, avait recouvré son sang-froid. — Désirez-vous que je vous la raconte ?

— Vous me feriez vraiment plaisir.

— Elle est fort simple, la voici en peu de mots : Il y a six mois aujourd’hui que je rencontrai en Californie, mêlées à une caravane d’Américains, la señorita Annette et sa mère. Je devins tout aussitôt éperdument amoureux de la fille de notre hôtesse actuelle. J’étais à cette époque tellement ivre de joie, car je venais justement de découvrir le placer du Sacramento, que j’offris, sans hésiter, à la belle Américaine, 500 onces d’or[3], c’est-à-dire tout ce que je possédais, pour un rendez-vous… elle refusa. Exaspéré par ce refus, auquel j’étais loin de m’attendre, mon amour s’accrut de toute la violence du désespoir que me causa ce contre-temps, et se changea bientôt en une de ces passions terribles, irrésistibles que nous seuls Gambusinos savons éprouver, lorsque nous rentrons pour un instant dans la vie commune. Je me jetai à ses genoux ; je la suppliai de rester en Californie, lui jurant sur le Christ de l’épouser avant six mois, et de lui apporter en cadeau de noce pour un demi-million de poudre d’or… Cette fois elle ne jugea même plus à propos de me refuser… elle me prit pour un fou. Que vous dirai-je de plus ? Le lendemain de cette scène, la caravane partit, et je la suivis. Deux mois plus tard, je me trouvais, sans m’en douter, à la Nouvelle-Orléans.

— Et depuis lors qu’avez-vous fait ?

— J’ai aimé et j’ai souffert, car je me suis aperçu que si la señorita Annette n’éprouvait aucun tendre sentiment pour moi, son indifférence provenait d’une autre affection qui remplissait son cœur… J’ai honte de vous l’avouer… elle chérit cet affreux Américain auprès duquel vous étiez assis tout à l’heure à table… Ce Kentukien, nommé John Bell, doit l’épouser sous peu… et cependant que n’ai-je pas tenté pour lui plaire, à cette Annette ? J’ai dépensé follement, sans plaisir, en quatre mois, la presque totalité de mes 500 onces d’or… je voulais lui montrer qu’elle avait affaire à un caballero ! J’ai répudié mon costume de Gambusino pour m’affubler des plus belles toilettes du monde, pour revêtir la livrée des batteurs du pavé des villes… Elle ne m’a tenu compte de rien… et penser que c’est à sa sotte préférence pour ce John Bell que je dois la perte du placer du Sacramento ! Après tout, qui sait ? Peut-être le sort de ce John Bell sera-t-il si malheureux, qu’au lieu de le haïr, je serai forcé de le plaindre…

L’amertume railleuse avec laquelle le Gambusino prononça ces derniers mots me fit réfléchir. Je connaissais trop bien les habitudes et le caractère de ces hôtes indomptables du désert pour ne pas savoir que chez eux l’action touche à la pensée. Seulement les réflexions qui me vinrent à l’esprit étaient de telle nature, qu’il me fut impossible d’en faire part au señor Quirino. — Je repris la conversation.

— Mais il me semble, don Rafael, dis-je au Gambusino, — que vous possédiez un excellent moyen pour obtenir la main de miss Annette… Vous n’aviez tout bonnement qu’à lui révéler l’existence du placer du Sacremento. De nombreux et célèbres exemples de découvertes, — entre autres celle de la bonanza de Nabogame, — eussent donné, sans parler de votre réputation, un grand poids à vos paroles. Je m’étonne que cette idée ne vous soit pas venue.

— Révéler la découverte d’un placer ! — répéta Quirino avec étonnement. — Mais vous ne savez donc pas ce que c’est qu’un Gambusino ? Le véritable Gambusino n’est pas un homme ordinaire. Pour lui l’intérêt n’existe pas, la cupidité est inconnue. Cet or qu’il gagne par des travaux tellement dangereux, que le récit dépasserait les bornes du croyable, il le prodigue follement, sans arrière-pensée et sans remords pour satisfaire son moindre caprice. Offrez à un Gambusino, dans la détresse, un million de revenu, à la condition qu’il renoncera à sa profession… et il vous refusera sans hésiter.

— Alors, vous travaillez pour la gloire ?

— La gloire ! Que nous importe, à nous ce mot vide de sens ? Pourquoi l’oiseau Uaco combat-il le serpent ? Pourquoi la plupart des animaux éprouvent-ils de certains dégoûts, de certaines sympathies non motivées ? Nul ne le sait ! Il en est de même pour le Gambusino. Quelle est cette force invincible qui le pousse sans cesse au milieu des déserts ? D’où lui vient cette soif ardente de l’or qui le dévore, et que la possession de richesses immenses ne pourrait éteindre ! Personne ne peut le dire ! Nous obéissons à une destinée inexorable, à un instinct plus fort que notre volonté ! Vous me citiez tout à l’heure le placer de Nabogame, — continua Quirino, s’animant de plus en plus en parlant. — Eh bien ! c’est encore moi qui l’ai découvert… Vous ne pouvez avoir oublié, quoique près de douze ans vous séparent de ce souvenir, l’incroyable retentissement produit par cette nouvelle merveilleuse que les sables du département de Sonora-y-Cinaloa renfermaient un océan d’or !…

Par quel moyen fut divulgué mon secret, je l’ignore… Cela a toujours lieu ainsi… Du reste, ce placer de Nabogame contenait de bien plus grandes richesses que n’en offrira jamais le Sacramento à la rapacité des Américains ! En moins de trois mois, plus de vingt mille personnes, accourues avides et pleines d’espoir, rendaient le désert témoin de leurs folles joies, de leurs passions furieuses. Les unes, enrichies en une seule journée et par une seule trouvaille, tombaient sous le couteau d’un assassin mystérieux et inconnu ; d’autres, misérables et dénuées de ressources, faute d’un peu d’eau pour humecter leur gorge enflammée et fendue, faute d’un peu de maïs pour soutenir leur faiblesse, mouraient à quelques pas d’un gros morceau d’or dont la découverte les eût enrichies à jamais.

Quant, à moi, spectateur impassible en apparence de toutes ces joies et de toutes ces douleurs, je souffrais… oh ! comme il n’est pas donné à l’homme de souffrir ! Un amant passionné, qui verrait sa maîtresse adorée livrée à des mains brutales et infâmes, tandis que lui, chargé de fers, ne pourrait courir à son secours, serait seul à même de comprendre la douleur sans nom que j’éprouvai !

Rafael Quirino, vivement ému, s’arrêta un instant.

— Ô Nabogame ! — reprit-il peu après, en faisant un effort sur lui-même, — à quels affreux tableaux n’as-tu pas servi de théâtre ! Combien de fois ton sable recouvert des ossements des mules mortes de soif n’a-t-il pas été arrosé de sang par l’envie et par la vengeance !

— Je comprends que la cupidité ait pu armer, à Nabogame, le bras de quelques misérables, señor Quirino, mais non pas la vengeance.

Un étrange sourire passa sur la figure du Gambusino.

— Je n’explique pas, — me répondit-il, — je raconte. Toujours est-il certain que les plus favorisés chercheurs de Nabogame succombèrent presque tous sous un fer mystérieux et fatal.

— Vraiment ?

Je regardai Quirino fixement, son visage était redevenu impassible, et ses yeux avaient repris leur expression habituelle d’indifférence, presque d’inintelligence.

— Est-ce que les Gambusinos ont l’habitude de s’entr’égorger ? lui demandai-je, en achevant ainsi à haute voix une pensée qui venait de se présenter à mon esprit.

— Les Gambusinos, — me répondit-il, — sont des êtres maudits, que Dieu semble avoir chargés, dans sa colère, du soin de perpétuer de sanglantes traditions ; mais ils n’assassinent pas par intérêt, par cupidité… Quant à ces misérables sans aveu, qui, semblables à des zopilotes[4], s’abattent par milliers sur les placeres nouvellement découverts, ce sont des rascadores (gratteurs) et non des Gambusinos.

— Dites-moi, don Rafael, croyez-vous qu’il soit vrai, comme on le prétend, que la haute Californie, le Nouveau-Mexique, et le département de Sonora-y-Cinaloa, renferment encore des richesses fabuleuses et inconnues, de merveilleux tas d’or ?

— C’est vrai ! — me répondit Quirino d’un air contraint et réservé.

— Allons, voyons, un peu de confiance… je ne suis pas un rival, moi… vous pouvez me parler à cœur ouvert.

— Que voulez-vous ?

— Que vous me racontiez un épisode de votre vie du désert… Il est impossible que vous, Quirino, vous, le roi des Gambusinos, n’ayez pas été le héros de quelque prodigieuse aventure.

— Vous ne vous trompez pas… J’ai vu et j’ai touché des richesses que nul œil chrétien ni nulle main humaine n’ont dû voir et toucher avant moi… Mes confrères le savent bien, et si je suis encore vivant, c’est que la jalousie est combattue chez eux par l’espérance… ils n’ont pas encore renoncé à surprendre mon secret.

— Mais moi… je ne suis pas un rival…

— Non ; mais vous pourriez devenir un écho… et je vous avouerai que votre figure et vos manières me revenant assez, je serais vraiment contrarié de me trouver contraint, un jour, à vous planter mon couteau dans le cœur… Croyez-moi, brisons là-dessus.

Il m’en coûtait pourtant d’en rester là des confidences de mon nouvel ami le Gambusino ; j’essayai donc de tourner la difficulté.

— Laissons donc de côté, lui dis-je, ce sujet de conversation qui attire les coups de couteau… et parlons plutôt du Sacramento… Cela ne vous contrariera pas ?

— Nullement : je suis résigné. Interrogez, je répondrai.

— À quelle somme estimez-vous l’or qui s’y trouve ?

— Vous débutez par une question difficile… L’or du Sacramento, — je ne parle que de l’endroit du Sacramento qui est connu, — doit s’élever, à en juger par la couleur et le gisement des terrains, à une cinquantaine de millions…

— Cinquante millions ! Heureux les premiers qui arriveront sur les lieux !

— Oui, vous avez raison… les premiers… mais rien que les premiers…

— Cependant, cinquante millions constituent bien des fortunes partielles.

— Permettez : j’ai dit que le placer du Sacramento peut contenir une cinquantaine de millions… mais non pas qu’il rendra cette même somme… Une fois la poudre d’or, qui se trouve à fleur de terre, ramassée, l’extraction de l’or enfoui et disséminé dans le sol demanderait des dépenses égales, pour le moins, à sa valeur… Il y a plus de bénéfice à labourer un champ de maïs qu’à travailler un placer.

— Ainsi votre opinion est que la découverte de cette bonanza n’influera en rien sur la puissance des États-Unis ?

— Oui, en rien.

— Et pensez-vous qu’il existe réellement des océans d’or, — pour me servir de l’expression que vous avez employée en parlant de Nabogame, — dont la découverte changerait, le sort d’une nation entière ?

— Certes, ils existent, — me répondit Quirino ; — mais à quoi bon cette question ?

— C’est juste… encore une question à coups de couteau… n’est-ce pas ? Eh bien ! retournons au Sacramento. Vous doutez-vous du hasard qui aura révélé l’existence de ce placer à d’autres personnes qu’à vous ?

— Hélas ! je ne le devine que trop. J’avais déjà pressenti ce malheur, et j’étais prêt à agir lorsque ma stupide passion pour la señorita Annette est venue me faire perdre un temps précieux. C’est la roue maudite d’une scierie nouvellement établie par un Américain de ma connaissance, nommé Marshall, qui aura été, sans doute, la cause innocente de cette catastrophe. Plusieurs fois déjà j’avais été obligé de recouvrir avec de la terre fraîche un morceau de sable lavé que cette roue formait par son mouvement de rotation, et sur lequel brillaient de nombreux grains d’or…

— Et à présent, que comptez-vous faire ?

— Pouvez-vous m’adresser sérieusement cette question ! — s’écria Quirino. — Je comparais tout à l’heure mon sort à celui d’un amant qui verrait outrager impunément sa maîtresse… Or, je suis persuadé que si jamais un fait pareil s’est présenté, l’amant trouvait un cruel et navrant plaisir à assister à cet outrage… qu’il préférait en être le témoin, à l’apprendre par un récit ; car l’homme, arrivé au point extrême de la douleur, finit par trouver une sauvage et âpre volupté à creuser lui-même son malheur, à l’envisager sous toutes ses faces. Aussi, mon intention bien arrêtée est-elle de retourner le plus tôt possible en Californie, sur les bords du Sacramento.

Ces paroles du Gambusino ne m’étonnèrent nullement. Depuis longtemps j’étais habitué à rencontrer chez la plupart des Mexicains, même parmi ceux appartenant aux dernières classes de la société, une grande vigueur poétique et une rare élégance de langage.

— Soit. Je comprends jusqu’à un certain point vos raisons, — lui dis-je ; — mais, une fois que vous aurez été témoin du pillage de votre placer, que ferez-vous ?

À cette question, la figure habituellement si insignifiante et si effacée du Gambusino prit une teinte de mélancolie profonde, une expression grave et recueillie, presque solennelle.

— Je remettrai alors ma vie entre les mains de Dieu ! me répondit-il d’une voix émue.

— Un suicide !

— Oh ! ce n’est pas cela… vous ne m’avez pas compris… Je voulais dire que j’essaierai alors d’accomplir un grand acte que je poursuis depuis des années ! Je partirai de nouveau pour le désert, je reverrai cet or, que nul œil humain, je vous le répète, n’a dû voir avant moi, cet or, sur lequel je me suis traîné déjà, mourant de soif, et tellement affaibli par la faim, que c’était à peine si je pouvais me défendre contre les attaques des oiseaux de proie qui s’abattaient sur moi, me prenant déjà pour un cadavre… Mais, je le sens, je ne réussirai pas !

— Eh bien ! alors ?

— Mon nom ira grossir cette longue liste funèbre de Gambusinos disparus mystérieusement dans le désert… dans vingt ans d’ici je ne serai plus qu’une tradition enveloppée de ténèbres.

Puisque vous éprouvez ce pressentiment fatal, pourquoi n’abandonnez-vous pas votre projet ?

— Je le voudrais, mais je ne le puis… Cette force invincible, cet instinct inexplicable dont je vous parlais, me poussent malgré moi à ma perte… je sais que je vais à la mort et je vais… que voulez-vous ? on est soumis à sa destinée, on obéit à sa nature !

Ce Quirino, que je voyais pour la première fois, présentait un si singulier mélange de tristesse profonde et de courageuse résignation, que je me sentis malgré moi entraîné vers lui. Sans songer aux points sombres et sanglants qui tachaient peut-être son passé, je lui tendis sincèrement la main.

Don Rafael, lui dis-je, permettez-moi, en ma qualité d’Espagnol, de vous considérer comme un compatriote, et de vous offrir mon amitié… peut-être bien cette amitié ne vous sera-t-elle pas inutile… car je ne désespère pas encore, je vous l’avoue, de vous faire changer d’idée sur vos futurs projets.

Le Gambusino serra cordialement ma main dans les siennes, et ne me répondit que par un sourire d’incrédulité accompagné d’un lent mouvement négatif de tête.

Je pris alors congé de lui pour aller vaquer à mes affaires. Nous convînmes de nous retrouver au dîner. Le reste de ma journée s’acheva dans une série de déboires. Les déplorables événements qui venaient de s’accomplir en France, le triste état dans lequel se trouvait le commerce au Mexique, et le peu de confiance qu’inspirait ce pays livré à l’anarchie, me firent essuyer des refus formels dans toutes les maisons où je me présentai pour obtenir à crédit des marchandises que je voulais rapporter avec moi à la Vera-Cruz. J’étais donc d’une humeur abominable en revenant au Boarding-house. Je trouvai tout le monde à table : le dîner commençait.

Après avoir été serrer la main de ma nouvelle connaissance, le Gambusino, je fus reprendre ma place du matin, auprès du grand Kentukien, John Bell. Le Goliath américain, fidèle à ses habitudes, avait déjà élevé sur son assiette une formidable pyramide composée de tous les mets divers et mêlés qui encombraient la table ; mais, chose inouïe ! le sommet de sa gastronomique construction était encore intact.

John Bell, l’air réfléchi, absorbé, oubliait de manger ; peut-être même n’avait-il pas faim ! Je ne pus, malgré mes préoccupations m’empêcher de remarquer ce fait.

— Est-ce que vous vous sentez indisposé aujourd’hui ? lui demandai-je.

— Non — me répondit-il après un moment de réflexion, — c’est mon esprit qui est malade.

— Votre esprit ? Pas possible.

— Oh yes ! mon esprit. Je pense depuis ce matin à l’article que j’ai lu dans le Daily-News.

— À la découverte des mines du Sacramento ?

— Sacramento ! Sacramento ! Oh ! oh ! vous avez deviné… C’est extraordinaire que vous ayez deviné… c’est extraordinaire en vérité !

— Et bien ! en quoi vous concerne-t-elle, cette découverte ?

— Comment ? Plaît-il ? s’écria le Kentukien. — Mais si cette nouvelle est vraie, je pars tout de suite moi. Dans trois mois, j’aurai gagné quarante mille dollars (deux cent mille francs).

— Alors, partez… La nouvelle est vraie.

Je crus que le colossal John Bell allait être frappé d’une attaque d’apoplexie foudroyante, tant son visage devint cramoisi. Il fut quelques minutes à se remettre de son émotion.

— Je suppose que vous parlez sérieusement, demanda-t-il enfin.

— Vous supposez juste. Je parle d’autant plus sérieusement, que je connais la personne qui a découvert les mines du Sacramento.

— En vérité ! en vérité ! — s’écria le Kentukien, en repoussant loin de lui, par un geste sublime, son assiette toujours garnie de la pyramide. — Et puis-je vous demander quelle est cette personne ? Le puis-je ?

— Cette personne n’est autre que le señor Rafael Quirino, ici présent.

— Le señor Rafael ! — s’écria miss Annette B… en rougissant d’une façon charmante.

— Lui-même, miss, — et il est entré à ce sujet, avec moi, dans des détails qui ne me permettent pas de mettre ses paroles en doute un seul instant…

Que dicen, que disent-ils ? — me demanda le Gambusino, qui ne comprenait pas fort bien l’anglais, — ils parlent de moi, n’est-ce pas ?

— C’est monsieur, se hâta de répondre miss Annette en espagnol, et en me désignant, — qui affirme d’une façon positive que vous avez découvert les mines d’or du Sacramento.

— Le señor dit vrai, — répondit froidement Quirino.

— Mais en ce cas, — reprit miss Annette avec une certaine agitation dans la voix et en hésitant, — ce demi-million dont vous me parliez jadis n’était donc pas un conte fait à plaisir ?

— Je ne vous avais parlé d’un demi-million, que pour ne pas passer pour un fou à vos yeux… mais c’étaient deux millions que j’aurais dû mentionner…

— Que ne l’avez-vous fait ! — s’écria John Bell avec l’accent du désespoir ; — vous auriez épousé miss Annette, et nous nous serions associés, vous et moi, pour l’exploitation des mines du Sacramento… Nous étions ainsi tous heureux !

— Oui, tous heureux ! — répéta doucement la jeune et belle Américaine.

Rafael Quirino, pour toute réponse, se mit à siffler entre ses dents un air de fandango mexicain.

Au sortir de table, le Gambusino me prit par le bras, et me proposa d’aller faire un tour de promenade : j’acceptai.

— Que pensez-vous des Américaines ? — me demanda-t-il dès que nous fûmes dans la rue.

— Je pense qu’elles sont filles et sœurs de négociants.

— Votre réponse me plaît, elle est juste. Ne me parlez plus jamais de ma faiblesse, j’en suis honteux.

— Bah ! vous avez obéi à un instinct, voilà tout.

— Et vous ! — me demanda Rafael en souriant, — êtes-vous content de l’emploi de votre journée ?

— Nullement. Je crains beaucoup d’avoir perdu mon temps et mon argent en venant aux États-Unis ; l’affaire que j’espérais y conclure ne se réalisera probablement pas.

— Tant mieux !

— Comment, tant mieux !

— Écoutez, — me dit Quirino en prenant un air sérieux, — parlons raison. Je dois me joindre, dans deux ou trois jours, à une caravane qui se rend à Monterey. Voulez-vous m’accompagner ?

— Une drôle d’idée que vous avez là, de me faire traverser la Prairie et aller en Californie !

— C’est tout bonnement une fortune que je vous offre. — Réfléchissez donc mûrement avant de me refuser.

— Je vous remercie de tout mon cœur… mais vous comprenez qu’il me serait difficile de me décider à l’instant.

— Aussi, vous ai-je dit de réfléchir.

— Je n’y manquerai pas. Puis-je vous demander à présent, señor Quirino, d’où vous vient ce grand intérêt que vous voulez bien me témoigner, à moi que vous connaissez à peine, à moi qui suis un étranger pour vous ?

Un triste sourire glissa sur la figure du Gambusino. — Je vous porte intérêt, me répondit-il, — justement parce que, sans me connaître, vous m’avez offert votre amitié et tendu votre main… parce que j’ai vu briller dans vos yeux un éclair de sympathie véritable… l’unique amitié, la première sympathie qu’un être humain ait éprouvée pour moi.

— Vous exagérez, señor Quirino.

— Hélas ! non, je n’exagère pas… Nous autres Gambusinos, qui vivons en butte à l’envie de tous, nous savons lire dans le regard des hommes aussi sûrement que dans les sables du désert… Armés d’une perpétuelle défiance, nous devinons aisément, sous les semblants de la bienveillance, le piége de la trahison… Or, vous êtes le premier, je vous le répète, dont le regard sympathique ait pénétré jusqu’à mon cœur… Vous n’avez donc pas à vous étonner que je veuille vous récompenser par le don d’une fortune, — qui, du reste, ne me coûtera rien, — de m’avoir fait ressentir le plus vif plaisir qui ait égayé ma vie.. Croyez-moi… ne me refusez pas…

— Merci, j’accepte, — m’écriai-je, presque malgré moi, entraîné par l’air d’inexprimable bonne foi et de profonde conviction qui régnait dans la réponse du Gambusino.

— Ainsi c’est une affaire conclue, — me dit-il, — nous partirons dans trois jours.

— Trois jours ! c’est bien peu de temps pour conclure mes achats !

— Quels achats ?

— Mais la pacotille que je compte emporter avec moi, pour vendre aux chercheurs d’or.

— C’est inutile, achetez un flacon de quinine, une pioche et un poignard… cela vous suffira.

— Une jolie et riche pacotille que vous m’imposez là.

— Et mon amitié qui vous suivra… ne la comptez-vous donc pour rien ? — me demanda Quirino avec un tendre accent de reproche.

— J’ai tort ! — m’écriai-je, — allons acheter tout de suite la quinine, la pioche et le poignard… Je ne vous adresserai plus de questions.

Trois jours plus tard nous partions de la Nouvelle-Orléans pour Monterey. La première personne que nous rencontrâmes en arrivant à l’endroit fixé pour la réunion de la caravane fut le Kentukien John Bell. Son chariot regorgeait de caisses soigneusement fermées : quant à celui que j’avais loué pour mon ami Rafael et pour moi, il contenait tout bonnement, en outre de nos provisions et d’une petite tente de voyage, le flacon de quinine et la pioche recommandée par le Gambusino.

Je portais le poignard attaché à ma ceinture de cuir.

II

Je n’entrerai dans aucun détail sur les fatigues et les travaux que nous eûmes à supporter avant d’atteindre Monterey, où nous arrivâmes après soixante-neuf jours de route. La distance que nous venions de parcourir était de plus de six cents lieues.

Le port de Monterey, compris entre la mer Pacifique et les lacs de Tola, situé par latitude nord 37°, longitude ouest 125°, était alors, par suite de l’émigration de ses habitants au Sacramento, tellement dépeuplé, qu’il nous fut impossible, à Rafael Quirino et à moi, de nous y procurer des mules et des serviteurs.

John Bell, à qui la cupidité avait donné de l’imagination, trouva cependant moyen de louer une petite goëlette-cabotière pour nous conduire à San-Francisco[5]. Une fois rendus là, Rafael Quirino se faisait fort de nous procurer les hommes et les montures dont nous pourrions avoir besoin.

Grâce à l’activité de l’Américain, nous repartîmes donc de Monterey, le soir même de notre arrivée, pour le port de San-Francisco, où nous jetâmes l’ancre, le surlendemain, au lever du soleil. La distance qui sépare ces deux ports est, en ligne directe, c’est-à-dire à vol d’oiseau, de vingt-cinq lieues.

Jamais je n’oublierai, dussé-je vivre cent ans, le sublime et admirable tableau qui frappa ma vue, lorsque le soleil, semblant sortir tout à coup de la mer, jeta dans l’espace sa vive et resplendissante lumière. Je poussai un cri de ravissement et de surprise. Jamais je n’avais rêvé un si splendide panorama !

— Oui, je vous comprends… Vous trouvez que c’est un beau pays que le mien ! — me dit Rafael, qui se tenait près de moi sur le pont. — N’est-ce pas qu’on y pourrait vivre heureux ?

Le Gambusino étouffa un soupir, puis reprit presque aussitôt d’une voix calme et qui ne trahissait aucune émotion :

— Le port de San Francisco, est, dit-on, le plus beau, le plus vaste du monde… Bien souvent j’ai vu des gens de mer, habitués aux merveilles, rester, comme vous, en extase devant ce magnifique coup d’œil… Voulez-vous me permettre de vous faire les honneurs de ma terre natale ?… Le port est encaissé, comme vous pouvez le remarquer, entre deux baies : celle-ci, là, à votre droite, située au nord, se nomme San Rafael… Cette autre, au sud, est connue sous le nom de Yerba Buena[6], à cause des riches pâturages qui l’avoisinent, et qui nous présentent, aperçus d’ici, toutes les nuances diverses et réunies de la végétation… Ces trois lignes de miroir que vous apercevez au loin et sur la surface desquelles se reflètent de grandes plantes aquatiques, sont trois rivières… Toutes les trois se jettent, après des détours capricieux, dans la baie de San Rafael. La première de ces rivières, la plus rapprochée de nous, s’appelle San Joaquin ; la deuxième Jesus Maria ; enfin la troisième est celle du Sacramento

— Comment ! ce petit filet d’eau est le Sacramento ! s’écria John Bell avec surprise et en ouvrant de grands yeux, — je n’y vois pourtant pas d’or !…

Nous acquîmes la triste conviction, en descendant à terre, que Quirino s’était beaucoup avancé en s’engageant à nous procurer des montures et des serviteurs. La ville de San Francisco, jadis si remarquablement gaie et si animée, présentait l’aspect d’un abandon complet ; c’était à peine si, de temps à autre, la présence d’une vieille femme, d’un tout jeune enfant ou d’un vieillard courbé par l’âge, animait la solitude des rues. Du reste, je remarquai que femme, enfant ou vieillard, tous se découvraient respectueusement dès qu’ils apercevaient le Gambusino. Don Rafael recevait ces hommages avec l’indifférence d’un homme qui y est habitué.

Nous étions à délibérer sur un parti à prendre, quand un secours, auquel nous ne songions guère, nous arriva fort à propos pour nous tirer d’embarras. C’était l’équipage de la goëlette, — cinq hommes en tout, — qui désertait et venait nous offrir ses services. Ces braves matelots, — qui s’inquiétaient fort peu de leur capitaine, resté solitaire à bord, — voulaient aller tenter la fortune au Sacramento. Nous nous empressâmes d’accepter leur concours.

Rafael Quirino se procura presque aussitôt, à assez bon compte, d’excellentes mules, de vieilles selles et des bâts de rebut, et nous nous mîmes en route sans plus tarder.

La haute Californie, il y a peu de temps[7] le plus vaste département du Mexique, en était aussi sans contredit le plus riche et le plus fertile. Il fournissait à lui seul de blé, de cuirs, de farine et de tasajo, ou viande séchée au soleil, non-seulement une grande étendue de la côte Pacifique, mais encore tout l’intérieur des terres du département de Senora y Cinalo. Cependant, au moment où nous le traversâmes, les haciendas (fermes) délaissées, les troupeaux errants, le silence de mort qui régnait, le faisaient ressembler à une terre maudite et dont les habitants auraient fui, chassés par quelque terrible fléau, par une de ces catastrophes immenses, comme en renferment les annales de la nature. Les villages de Bodega et Sonoma nous offrirent une hospitalité sans hôte.

Le sixième jour après notre départ de Monterey, nous atteignîmes, à la nuit tombante, un petit fort occupé par des troupes américaines.

Quelques bâtiments de peu d’importance, adossés contre le fort, me parurent fort convenables pour nous offrir un abri ; je m’empressai donc d’entrer dans une mauvaise petite boutique, assez mal assortie, et j’y demandai l’hospitalité pour la nuit.

— En payant, volontiers, — me répondit le marchand.

— Eh bien ! Je paierai volontiers… Voilà une affaire conclue…

— Non pas, mais entamée… Combien paierez-vous ?

— Pardieu ! le prix ordinaire.

— Vous savez, sans doute, que le prix ordinaire, pour une nuit, est de douze piastres par personne (soixante et quelques francs).

— Bien obligé… l’affaire n’est pas conclue du tout. Sans vous dire : au revoir.

Le Kentukien John Bell, à qui j’allai rendre compte du marché qu’on me proposait, en montra une joie extrême. La solitude et l’abandon du pays que nous venions de franchir lui avaient également fait ressentir de véritables transports d’allégresse : cet abandon et cette cherté étant à ses yeux une preuve certaine que le placer du Sacramento contenait encore plus d’or que ne l’avait écrit le correspondant du Daily-News.

John Bell, soit dit en passant, depuis que les hommages rendus à Quirino par les habitants de Monterey et de San Francisco avaient confirmé d’une façon incontestable la réputation dont il jouissait comme Gambusino, se montrait vis-à-vis de lui d’une amabilité d’autant plus surprenante, qu’elle était tout à fait en dehors de ses façons habituelles d’agir.

Le chercheur d’or accueillait ces avances avec cette exquise et obséquieuse politesse mexicaine à laquelle un étranger se laisse toujours prendre. Un singulier sourire, que je devinais plutôt que je ne le voyais sur ses lèvres, éveillait parfois en moi de bizarres suppositions, et me laissait quelques inquiétudes au sujet du Kentukien. Au fait, n’était-ce pas à la préférence accordée par mis Annette à ce dernier, que Quirino devait la perte de son placer ? Et les Gambusinos oublient si peu !

L’échantillon peu séduisant que nous avions eu la veille au soir de l’hospitalité des habitants du fort nous fit mettre en route le lendemain matin, avant le lever du soleil. Rafael Quirino nous assura que nous arriverions le jour même au placer du Sacramento. Il était temps. Le Kentukien Bell, malgré son athlétique constitution, n’avançait plus qu’avec la plus grande peine, et moi je me sentais à bout de forces. Les incroyables privations que nous venions de supporter, les dangereuses et brusques transitions d’atmosphère, par lesquelles nous avions passé, ces journées brûlantes et sèches, ces nuits glaciales et remplies d’une rosée abondante, continuelle, froide comme une pluie d’hiver, nous tenaient continuellement sur le seuil d’une grave maladie. — Quant à Rafael Quirino, ce long voyage avait été pour lui une promenade d’agrément, Je n’avais pas vu une fois ses jambes fléchir de fatigue, son front s’humecter de sueur.

Il était près de deux heures lorsque nous arrivâmes au placer du Sacramento.

Jamais voyageur n’éprouva une plus complète désillusion en trouvant un site longtemps rêvé, tout différent de l’image qu’il avait pu s’en faire, que ne me causa l’aspect du fameux placer d’or. — D’abord, rien de triste comme la vallée du Sacramento : une végétation assez riche, il est vrai, mais bourgeoise, mesquine et interrompue par de vastes langues d’un gris noir, végétation qu’on apercevait dans tous ses détails du premier coup d’œil, couvrait, jusqu’à l’horizon, d’une nappe couleur vert sombre, un terrain uni et dénué d’accidents. Quelques bouquets d’arbres, disséminés dans la vallée, rompaient seuls, avec une colline située à notre gauche, la monotonie de cette perspective droite et plane. Enfin le Sacramento, ce nouveau Pactole si vanté, roulait ses eaux tranquilles et limpides entre deux rives tellement rapprochées, qu’elles lui donnaient l’apparence d’un simple ruisseau.

— Est-il possible que l’on trouve ici de l’or ? s’écria John Bell, presque désappointé.

— Voyez-vous d’ici ces points de toutes couleurs qui se détachent en relief le long de la colline et aux bords de la rivière ? — Ce sont des chercheurs d’or, — lui dit Quirino.

Ces points pouvaient être au nombre de trois à quatre cents.

Le Kentukien donna à sa mule un coup d’éperon à la renverser par terre : la pauvre bête prit le galop, nous la suivîmes.

À mille pas plus loin environ, nous trouvâmes une trentaine d’Indiens et de métis qui cherchaient de l’or ; leur manière de procéder était des plus simples : armés de chiquihuites, ou paniers très-finement tressés, de vieux chapeaux en feutre, de couvertures de laine retenues par leurs quatre extrémités à des pieux enfoncés en terre, couvertures formant à leur centre un dôme renversé, ils remplissaient chiquihuites, chapeaux ou couvertures de sable, jetaient de l’eau par-dessus et agitaient le contenu à l’aide d’une palette ou d’un bâton. Le sable, entraîné par ces ablutions répétées, finissait par laisser un résidu composé de petits granits, de piètres, de poudre et de grains d’or. Quelques-uns de ces derniers, étendus à sécher au soleil, étaient de la grosseur de fortes noix, de formes diverses et indécises, et contenaient encore quelques veines et fragments de quartz dans leurs flancs.

Leur vue produisit un tel effet sur notre brave Kentukien, qu’il fut obligé de se soutenir au pommeau de la selle pour ne pas tomber ; il avait le vertige.

— Eh bien ! amigos, — demanda Quirino en s’adressant aux Indiens, qui, soit dit en passant, étaient tous recouverts de chemises en batiste brodée et de magnifiques calzoneras à couleurs éclatantes, — eh bien ! amigos, êtes-vous heureux dans vos recherches ?

Les Indiens, que notre arrivée semblait médiocrement réjouir, ne répondirent pas.

— Savez-vous qui vous fait l’honneur de vous interroger, chiens ? reprit Quirino en fronçant les sourcils.

— Vous avez dit chiens ! s’écria un métis en jetant par terre la charge de sable qu’il portait sur le dos et en s’avançant vers nous, le couteau à la main.

— Oui, je le répète, chiens !… Mais, prends garde !… je me nomme Rafael Quirino !

— Le célèbre Gambusino… le terrible couteau ! — demanda le métis, devenu tout à coup humble et tremblant.

— Lui-même… À présent, réponds. Depuis combien de temps travaillez-vous cette langue de sable ?

— Depuis quinze jours, seigneurie.

— Pour votre compte ?

— Non, pour celui d’un négociant américain, seigneurie.

— Qu’en avez-vous retiré ?

— Environ 1,500 onces[8] d’or ; sur ces 1,500 il nous en a donné 500, sans compter les belles chemises et les magnifiques calzoneras que vous nous voyez… de plus il nous nourrit… Au total, nous n’avons pas à nous en louer…

— Pas à vous en louer ! — s’écria John Bell. — Comment ! nourris, habillés, et 500 onces d’or… en quinze jours… et vous n’êtes pas contents !… L’or se remue donc ici à la pelle ? bon Dieu !…

L’Américain, enthousiasmé, se mit à embrasser sa mule avec tous les transports d’une folle tendresse. Il était à moitié fou.

— Certainement que nous ne sommes pas satisfaits, — reprit le métis en jetant un regard malveillant à l’Américain. — Savez-vous, señor, qui embrassez votre mule, que beaucoup de nos amis, qui travaillent pour leur compte, gagnent, sans se gêner, jusqu’à 50 piastres par jour. Et ces 500 onces d’or… savez-vous bien aussi qu’elles auraient été partagées entre quarante personnes, si dix d’entre nous n’étaient pas heureusement morts de la fièvre pendant ces quinze derniers jours ? Du reste, notre traité avec votre compatriote finit dans cinq jours… nous ne le renouvellerons pas.

— Ah ! God ! on meurt donc beaucoup ? — demanda John Bell, moins joyeux.

— Si l’on y meurt ! Par centaines !

— Bah ! je ne mourrai pas, moi ! s’écria le Kentukien. — Je veux devenir et rester riche.

— Qui sait ! cher señor, — lui dit Quirino, en accompagnant ces paroles d’un de ces sourires fugitifs dont j’ai déjà parlé, et qui me mettaient si mal à l’aise. Après tout, que, vous importe ?… si vous mourez ici, vous serez enterré dans l’or…

— Si vous m’en croyez, señores, — nous dit Quirino après que nous eûmes quitté les Indiens, — nous allons nous installer au pied de cette colline et faire tranquillement notre sieste : la chaleur est accablante. Quelques heures de sommeil vous délasseront suffisamment pour vous permettre de repartir cette nuit même…

— Comment ! repartir ? demanda John Bell avec inquiétude. Et pour où donc ?

— Pour le véritable placer du Sacramento, dont nous sommes encore éloignés de près de huit lieues…

— Que m’apprenez-vous là ?… Est-il possible qu’un placer où de misérables Indiens gagnent jusqu’à cinquante piastres par jour ne soit pas un placer complet ?… Que verrons-nous donc huit lieues plus loin ?… de l’or au lieu de sable sans doute…

— Pas précisément ; mais un sol encore plus riche que celui-ci… non pas peut-être sous le rapport de la poudre, mais sous celui des grains qu’on y trouve… J’ai vu de ces grains peser jusqu’à dix livres et plus.

— Partons tout de suite, s’écria John Bell, ne songeant plus à la fatigue.

Malgré l’enthousiasme et les supplications de notre avide compagnon de route, nous ne nous installâmes pas moins au pied de la colline. Cette colline, peu escarpée, portait attachées à ses flancs une infinité de petites cabanes construites, les unes en feuillage, les autres en gros coutil.

— Voulez-vous me prêter votre carabine ? me demanda Quirino à travers le rideau qui servait de porte à ma tente. Je vais aller tuer un chevreuil pour notre dîner.

— Vous n’êtes donc pas fatigué !

— Et de quoi !… à moins toutefois que ce ne soit d’inaction… À tantôt… merci.

Quand Quirino revint, il était dix heures ; j’en avais dormi quatre sans interruption.

— Tenez ! voici une belle bête, nous dit-il en jetant, un magnifique chevreuil à mes pieds. On m’en a déjà offert, sur ma route, deux onces d’or…

— Il fallait le donner, — s’écria John Bell. — Nous aurions partagé les deux onces entre nous trois. Le déjeuner de demain ne nous en eût semblé que meilleur…

Une heure plus tard, le chevreuil, cuit à point et tout d’une pièce, par les soins de Quirino, nous offrait un splendide repas. John Bell absorba à lui seul autant de nourriture que Rafael Quirino, les matelots et moi réunis. Toutefois, après chaque bouchée, il reprochait amèrement au Gambusino de n’avoir point accepté les deux onces.

Après tout, qui sait, peut-être l’excellent Américain mangeait-il ainsi de désespoir ?

À une heure du matin, nous nous remîmes en route. À dix heures, nous étions arrivés. Cette fois, le paysage qui nous entourait ne ressemblait en rien à celui que nous venions de quitter. L’atmosphère avait également changé d’une sensible façon, ce qui me fit songer que, toute la nuit, nous avions voyagé en gravissant des hauteurs. L’aspect du véritable placer était loin d’être gai et riant. Des montagnes rocheuses et fendues, soit par suite d’accidents de terrain, soit qu’elles eussent été secouées par d’anciens tremblements de terre, offraient, de toutes parts, aux regards des précipices et des ravins.

De noirs et sombres pins accrochés et suspendus le long de ces rochers rembrunissaient encore le tableau, en y ajoutant une teinte de tristesse profonde. Des cabanes bâties avec des branches de pin qui conservaient encore leur feuillage dentelé et pointu, cabanes connues au Mexique sous le nom de enramadas, s’élevaient capricieusement éparses de tous côtés, à quelques pieds au-dessus du sol, et servaient d’habitations aux chercheurs d’or.

Le nombre de ces derniers, quoique le paysage accidenté et raboteux les dérobât, en grande partie, à ma vue, me parut être de beaucoup plus considérable que celui de ceux que nous avions rencontrés la veille. Enfin, deux chaumières en planches, ouvertes sur leur façade, et remplies de marchandises, chaumières près desquelles cinq à six misérables cahuttes, simulant des cafés, s’étaient groupées dans l’intention de profiter du passage des acheteurs, prouvaient seules que la civilisation, c’est-à-dire l’esprit de commerce et de lucre, avait déjà pénétré dans ce pays lointain et perdu.

Les matelots qui nous accompagnaient depuis San-Francisco, après avoir déjeuné avec nous des restes soigneusement conservés de notre chevreuil de la veille, dressèrent à la hâte ma tente de voyage au pied d’un rocher, et s’en allèrent tout aussitôt après à la recherche de l’or.

— Voulez-vous venir faire un tour avec moi ? — me demanda Quirino, pendant que le Kentukien John Bell, armé d’une hachette, s’occupait à ouvrir les caisses dont le contenu nous était encore inconnu..

— Je suis un peu fatigué. Si cela vous était égal, je préférerais remettre cette promenade à plus tard.

— Allons, un peu de courage… et pardonnez-moi si j’insiste… mais c’est dans votre intérêt… Dans un placer, — croyez-en mon expérience, — les morts subites et étranges sont extrêmement communes… Je ne me trouverai, quant à moi, tranquille d’esprit, qu’après vous avoir récompensé de la confiance quel vous m’avez montrée… et des fatigues qui en ont été la suite…

— Vous me semblez, don Rafael, craindre bien gratuitement les maladies… vous qui bravez avec une parfaite insouciance et une complète impunité les excès de la chaleur et ceux du froid… Votre corps de fer, habitué aux privations et aux dangers du désert, me paraît inaccessible à la maladie.

— À la maladie… oui… mais non à la balle, au couteau et au poison…

— Diable ! on tue donc beaucoup dans les placeres ?

— El comment voulez-vous qu’il en soit autrement ? Le vertige que produit la vue de l’or, l’impunité presque assurée que promettent les déserts qui nous entourent… la facilité avec laquelle le crime peut s’introduire sous une tente de toile ou sous des enramadas ouvertes à tous les vents, sont des motifs plus que suffisants pour donner à la cupidité ses coudées franches… Allons, caramba, secouez votre paresse, et venez…

— Vous l’exigez… me voici ; mais, dites-moi, don Rafael, — demandai-je au Gambusino en marchant près de lui, — comment se fait-il, si tant d’assassinats ensanglantent les placeres, que les journaux n’en parlent pas ? Le Daily-News, par exemple, dont la lecture m’a d’abord conduit à faire votre connaissance, puis ensuite en Californie, le Daily-News ne parlait nullement, dans son article sur les mines du Sacramento, des meurtres, qui, dites-vous, s’y commettent toute la journée.

— Votre question est naïve, — me répondit le Gambusino. — Est-ce que les placeres sont organisés comme les villes, encombrés d’oisifs, de gens de police, de curieux ? Au placer chacun vit pour soi, en dehors de toute relation et de toute amitié, — car toute amitié peut cacher un piége et offrir un danger. — Dans un placer, les chercheurs d’or, logés, ou pour mieux dire, campés, selon la position du gîte qu’ils exploitent, se trouvent éloignés les uns des autres sur mille emplacements divers. Découvre-t-on, par hasard, un corps humain méconnaissable et décomposé, quel est celui qui s’inquiétera du motif qui a rendu ce corps cadavre ? Le chercheur d’or isolé est exposé à tant d’accidents, sans compter les fièvres, les chutes et la faim ! On se contente de passer outre, après avoir regardé si, près de lui, ne se trouve pas quelque sac d’or… Mais on ne trouve jamais d’or près des cadavres ! Bien des fois, j’ai vu moi-même, dans des placeres déjà connus et envahis, des nuées d’oiseaux de proie s’abattre en tournoyant au fond d’un ravin ou d’un précipice… Un crime a été commis… pensais-je, en continuant insoucieux mon chemin !…, Mais jamais l’idée ne m’est venue ni d’écrire à un journal, ni de raconter à quelqu’un que des zopilotes étaient occupés à faire leur repas.

— Si les questions que je vous adresse sont naïves, don Rafael, vos réponses sont, en compensation, terribles… Pourquoi donc ne m’avez-vous pas énuméré à la Nouvelle-Orléans tous les déboires que me promettait un placer ? Je ne serais pas parti…

— Je ne voulais pas vous priver de la fortune que vous accordait mon amitié… — me dit le Gambusino en souriant. — Du reste, soyez sans crainte… tant que je vivrai, et je ne compte pas mourir, votre vie et vos richesses ne courront aucun danger. Après tout, ce placer du Sacramento, à peine effleuré encore par la rapacité des hommes, offre de moins mauvaises chances que s’il était exploité depuis longtemps : on peut le comparer, jusqu’à un certain point, à ces mers qui regorgent de poissons et où les requins, rassasiés de proies sans cesse à leur portée, ne songent pas à attaquer les baigneurs. Laissez le sol du Sacramento s’appauvrir, l’or y devenir plus rare, les difficultés pour se le procurer grandir, et l’assassinat y remplacera bientôt le travail… Malheur à ces Européens avides que je vois accourir ! Leurs ossements, déchiquetés par le bec des oiseaux de proie, blanchiront sur cette terre qu’ils avaient vue dans leurs songes émaillée d’or, et qui leur servira de tombeau. Ma foi ! ils auront bien mérité leur sort.

Il y avait une telle amertume, mêlée d’une fureur contenue, dans les paroles du Gambusino, que je me hâtai de rompre la conversation.

— Vous êtes bien aimable de me promettre toute sécurité pour mes richesses, — lui dis-je en plaisantant. — Seulement je voudrais bien savoir où se trouvent ces richesses.

— Venez, — me répondit-il gravement, — vous allez les voir.

Quirino hâta le pas et je le suivis en silence. Pendant plus d’une heure, nous escaladâmes des rochers et nous franchîmes des ravins.

Nous pouvions avoir fait près de quatre à cinq milles, quand il s’arrêta près d’un endroit où une quinzaine d’Indiens étaient occupés à laver de l’or.

— Vous vous livrez là à une triste besogne, enfants, — leur dit-il, — cette place est mal choisie.

— Seigneurie, — lui répondit l’un d’entre eux, qui probablement le connaissait, car il le salua humblement, — Seigneurie, vous êtes bien bon de vous occuper du sort de pauvres Indiens, mais cette place est encore la meilleure de celles que les Américains nous ont abandonnées… Nous ne demandons même qu’une seule chose, c’est qu’ils nous y laissent tranquilles.

— Est-ce que dans un placer le sol n’appartient pas au premier occupant ? dit Quirino.

— Hélas ! Seigneurie, cela était dans le temps et devrait être encore ainsi… mais les Américains, depuis que des traîtres leur ont livré la Californie, agissent et parlent en maîtres… et ne voient en nous que des serviteurs et des bêtes de somme, au lieu d’hommes indépendants… Tenez, en voici justement un qui s’avance vers nous, son chiquihuite à la main… Je parie dix onces d’or qu’il va se mettre, sans rien dire et comme si cela était son droit, à exploiter notre sillon.

En effet, un Américain, éloigné d’un millier de pas de l’endroit où nous nous trouvions, disparaissait et apparaissait selon l’inégalité du terrain, en se dirigeant de notre côté.

— Je serais curieux de savoir si l’Indien ne s’est pas trompé, — dis-je à Quirino, — restons ici. En attendant le Yankee[9] je vais aller me désaltérer à cette belle source d’eau claire qui brille à vingt pas de nous, semblable à une couche de cristal de roche.

Quirino me retint vivement par le bras.

— Conseillez-vous au señor de boire de cette eau ? demanda-t-il à l’Indien, en accompagnant sa question d’un inexplicable sourire.

— Dam ! Seigneurie, — répondit l’Indien, assez embarrassé, — l’eau fraîche, à vrai dire, est une mauvaise chose pour la santé ;… elle donne souvent des frios[10]… Si j’étais Sa Seigneurie, je ne toucherais pas à cette source.

— Vous entendez le conseil que vous donne ce brave garçon ? me demanda Quirino, en me retenant toujours fortement par le bras.

— Oui, je l’entends et je l’en remercie ;… mais, comme je ne suis nullement en transpiration, je crois pouvoir me dispenser de le suivre.

— Alors, rendez-vous à ma prière… ne buvez point…

— Vous êtes mon guide et je dois vous obéir, — répondis-je à Quirino, assez surpris de son insistance.

— Très bien, — me dit-il, — puis s’adressant aux Indiens qui pendant ce débat, si insignifiant pourtant, avaient suspendu leurs travaux, il reprit :

— Enfants, l’Américain approche… parlons peu et parlons bien. Combien gagnez-vous ici par jour ?… dix-huit à vingt piastres chacun, n’est-ce pas ?

— Oui, Seigneurie, vingt piastres !

— Voulez-vous travailler pour le compte de sa Seigneurie ?… il vous payera quarante piastres par jour.

— Certes, Seigneurie !

— Marché conclu ! Ramassez vos pelles et vos chiquihuites et suivez-nous sans plus tarder.

— Ah çà ! señor don Rafael, — dis-je à demi-voix au Gambusino, pendant que les Indiens obéissaient à son ordre, — vous venez de me mettre dans une singulière position en concluant ce traité…

— Pourquoi donc ?

— Mais parce qu’il m’impose tout simplement à 600 piastres par jour.

— Comment cela ?

— Certes… Quinze ouvriers à 40 piastres par tête font bien, si la multiplication n’est pas une fantaisie, 600 piastres.

— Que vous importe de payer 600 piastres, s’il vous en reste encore 500 de bénéfices ?…

— Oh ! s’il en est ainsi… je n’y comprends plus rien… et je me tais.

Je finissais à peine de prononcer cette phrase, quand l’Américain que nous apercevions déjà depuis longtemps arriva. Son front ruisselant de sueur, ses vêtements couverts de poussière, sa respiration oppressée, montraient qu’il venait de faire une course longue et rapide. Son premier regard fut pour la source d’eau vive, dont j’ai déjà parlé, sa première action d’y plonger son chiquihuite, de l’en retirer plein et de boire avec avidité.

— Voilà un homme moins prudent et plus heureux que moi, — dis-je à Quirino.

Quien sabe[11] ? Qui sait ? — me répondit-il en hochant la tête.

Les Indiens ayant ramassé leurs pelles et leurs chiquihuites, nous nous mîmes en route. Quirino marchait en avant de nous et nous guidait.

J’aperçus toutefois, avant de partir, l’Américain qui piochait avec autant d’ardeur que de sans-façon la place naguère occupée par les Indiens que le Gambusino venait d’embaucher si légèrement pour mon compte.

Quirino marcha pendant une heure environ, en se dirigeant toujours vers le nord, sans retourner une fois la tête de notre côté, sans prononcer une parole. Les Indiens le suivaient d’un air respectueux. Je conjecturai que celui d’entre eux qui semblait l’avoir reconnu leur avait appris le nom célèbre et la qualité vénérée du Gambusino.

— Enfants, — dit enfin Quirino, en se retournant vers nous, — nous sommes arrivés. Avant tout, échangeons quelques paroles : les bons comptes font les bons amis. Votre temps est précieux, je serai bref. Je vais vous découvrir un endroit encore inconnu et facile à exploiter, un homme peut aisément y ramasser dans sa journée pour 80 à 100 piastres d’or. Vous allez travailler pour le compte de monsieur (Quirino me désigna). Voici ses conditions : chacun de vous prélèvera sur le produit de sa journée une somme de 40 piastres et lui remettra ensuite fidèlement l’excédant… toutefois lorsque cet excédant dépassera 40 piastres, ce qui aura toujours lieu, pour peu que vous soyez actifs, cet excédant sera encore partagé entre vous et lui par moitié… Le señor s’en rapporte entièrement à votre bonne foi… cependant il a bien voulu m’autoriser à me servir de gaîne, pour mon couteau, de la poitrine de celui d’entre vous que je surprendrai abusant de sa confiance… On me nomme Rafael Quirino… Il est fort difficile de me tromper, et je tiens toujours à ma parole… À présent répondez… mes conditions, ou, pour mieux dire, celles du señor, vous conviennent-elles, oui ou non ?

Que viva el señor Quirino ! — s’écrièrent les Indiens en agitant leurs chapeaux. — Oui… oui… vos conditions nous conviennent.

— En ce cas, suivez-moi, — dit le Gambusino.

Don Rafael se glissa aussitôt entre deux roches tellement, rapprochées l’une de l’autre, qu’un homme d’une forte corpulence n’eût pu y passer.

— Voici ! — s’écria-t-il cinq minutes plus tard ; en montrant du doigt le lit d’un ruisseau torrentiel desséché, lit qui se trouvait encaissé dans une ceinture de roches. Un mince ruisseau, suffisant au lavage de l’or, — serpentait au milieu.

À peine les Indiens eurent-ils examiné quelques poignées de sable, que des hurras d’une joie frénétique, — les premiers sans doute qu’eussent répétés jusqu’à ce jour les échos du désert, — s’élevèrent vers les cieux. Le sable, à la simple vue, renfermait près d’un dixième d’or.

— Je ne croyais pas que cet endroit fût si riche, — me dit Quirino, en examinant avec soin une pincée de sable dans le creux de sa main ; — recevez-en mes compliments les plus sincères. Chaque homme pourra récolter ici, sans peine, au moins 200 piastres de poudre d’or par jour…

— Mais, Quirino, vous me comblez… ma reconnaissance…

— Ah ! bah ! pas de ces grands mots-là. Cette découverte n’en vaut pas la peine… dans trois semaines notre placer sera épuisé, mais il se fait tard, venez.

— Ah ! j’y songe, — me demanda le Gambusino après avoir expliqué à plusieurs reprises, aux Indiens, l’endroit précis ou se trouvait ma tente, vous devez encore avoir soif ?

— Certes…

— Eh bien ! désaltérez-vous à ce ruisseau avant de vous remettre en route.

— Vous ne craignez donc plus pour moi les fièvres ?…

— Buvez… buvez sans crainte… je réponds de vous.

Lorsque nous arrivâmes, le Gambusino et moi, à l’emplacement où nous avions rencontré les Indiens, actuellement engagés pour mon compte, nous crûmes entendre quelques soupirs. Peu après nous aperçûmes l’Américain qui y était resté, gisant par terre et en proie à d’affreuses convulsions, je me précipitais pour lui porter secours. Quirino me retint.

— Inutile de vous déranger, — me dit-il froidement, — cet homme sera mort dans cinq minutes… Tenez, le voici qui se roidit… Il est mort…

C’était vrai ; je restai frappé de stupeur.

— Vous voyez, cher ami, — reprit le Gambusino avec le même sang-froid, — qu’on meurt parfois d’une étrange façon dans les placeres… Cet homme, qui est jeune et vigoureux, se portait ce matin à ravir… le voici cadavre !

— Et quelle peut être la cause d’une catastrophe si terrible et si subite, don Rafael ?

— Qui sait ? probablement une imprudence… Ah ! je me rappelle. L’Américain moins bien conseillé que vous, n’a-t-il pas été boire à la source voisine ? Oui c’est cela… le froid l’aura saisi.

— Mais, don Rafael, un verre d’eau froide ne tue pas comme une balle.

— Dam ! c’est selon. Si cette eau a été empoisonnée, par exemple, par la chute fortuite de quelque plante vénéneuse.

— Que m’apprenez-vous là ? — m’écriai-je avec horreur, — vous croyez que les Indiens avaient empoisonné la source ?

— Qui sait ? Les Indiens sont vindicatifs quand on les froisse dans leurs intérêts, et ils manient bien habilement le poison. Je n’ai jamais bu, pour mon compte, dans aucun placer, de l’eau d’une source près de laquelle se voyaient des empreintes humaines. Après tout, chacun a ses habitudes et ses manies. Remettons-nous en route.

Dès ce moment, il devint évident pour moi que le Gambusino, en m’empêchant, grâce à sa prodigieuse sagacité, de me désaltérer la première fois que j’en avais manifesté le désir, m’avait sauvé la vie. Je dois avouer que ma reconnaissance pour lui, en songeant qu’il avait laissé mourir si misérablement le pauvre Américain, ne fut pas ce qu’elle aurait dû être. Soit que cet événement tragique m’eût causé une impression trop vive, soit que les fatigues de la journée eussent été au-dessus de mes forces, toujours est-il que je revis avec bonheur le toit aigu de ma tente pointer à l’horizon ; je me sentais faiblir, et je n’avançais plus qu’avec une difficulté extrême.

À peine arrivé, je me laissai tomber, plutôt que je ne me jetai, sur la peau de bison étendue par terre dans ma tente, en guise de tapis et de lit. Le Gambusino me considéra pendant quelques secondes très-attentivement, puis, retirant son zarape, ou couverture de laine, de dessus ses épaules, il m’en enveloppa soigneusement,

— Cher ami, — me dit-il, vous avez un commencement de fièvre froide, — ne vous épouvantez pas, et tâchez de dormir en attendant mon retour.

Une heure plus tard, le Gambusino revenait avec un poignée de plantes qui m’étaient inconnues, allumait le feu, faisait infuser ces plantes, puis s’asseyant par terre près de moi, et me soutenant la tête, me faisait boire cette infusion à petites gorgées, avec un soin et une prévenance dignes d’une Sœur de charité.

Je tombai peu après dans un assoupissement profond.

Il faisait nuit sombre quand je me réveillai ; l’obscurité, à demi vaincue par une espèce de lampion placé dans un coin de la tente, me permit d’apercevoir Quirino assis à deux pas de moi, et veillant sur mon sommeil.

— Allons, cher ami, — me dit-il doucement, — bon courage ; une fièvre prise à temps est un avertissement plutôt qu’une maladie… avalez le contenu de cette cuillère et demain il ne sera plus question de rien.

— Oh ! quelle affreuse amertume ! m’écriai-je après avoir bu, — que m’avez-vous donc donné, Rafael ?

— Quelques grains de la quinine que je vous ai fait emporter de la Nouvelle-Orléans. Vous voyez que l’événement a justifié ma précaution… Allons, dormez sans inquiétude… La pioche servira à son tour…

Le Gambusino, après cette recommandation, alla se coucher au dehors en travers de la porte de ma tente, où il resta jusqu’au lendemain, insensible au serein froid et glacial de la nuit.

III

Rafael Quirino avait eu raison de me dire « qu’une fièvre prise à temps est plutôt un avertissement qu’une maladie, » car je me trouvai le lendemain tout à fait rétabli.

Je lui fis des reproches sur son imprudence d’avoir passé la nuit à la belle étoile.

— Si vous connaissiez mieux les Gambusinos, vous ne me parleriez pas ainsi, — me répondit-il. — Le Gambusino a besoin de voir et d’entendre ce qui se dit et se fait autour de lui, et pendant son sommeil, il dort les yeux ouverts. L’idée de me trouver enfermé dans une tente, qui dérobe le danger à ma vue et ne m’en garantit pas, m’épouvante bien autrement que la possibilité d’une rencontre de Yakis ou d’Apaches[12]… Mais venez donc faire un tour de promenade… Je vous ménage une surprise…

— Quelle surprise ?

— Plaisante question. Auriez-vous encore la fièvre ?

— Tenez, voyez, — s’écria Quirino, dès que j’eus mis les pieds en dehors de la tente, — voici une auberge et un magasin qui ont poussé cette nuit dans le sable du placer.

Deux grands tentes en coutil, solides, bien assises, coquettement parées de drapeaux aux couleurs américaines, s’élevaient à quelques pas de nous. Un large écriteau, attaché au-dessus de la porte la plus vaste, portait, écrits en grosses lettres, trois mots : l’un espagnol, les deux autres anglais. Le mot espagnol était ; Fonda[13]. Les mots anglais : Washington, Inn !

— C’est la civilisation qui prend possession du désert, — me dit don Rafael en riant. — Devinez-vous quel est le conquérant ?

— Ma foi non.

— C’est mon rival, le séduisant John Bell… Allons lui rendre visite.

Nous trouvâmes l’ingénieux Kentukien assis à cheval sur une longue planche, — son comptoir, — planché encombrée de balances, d’espèces de gobelets transparents, faits en corne mince, et de magnifiques tamis. — Une quarantaine de chercheurs d’or lui adressaient la parole à la fois.

— Combien le tamis ? combien la balance ? criaient-ils en espagnol et en anglais.

Le Kentukien, les bras croisés, l’air digne et froid, semblait enfoncé dans de profondes méditations, et ne répondait pas. En nous voyant entrer, il nous fit, en guise de salut, un signe amical du pied.

Quirino s’inclina jusqu’à terre.

— Combien cette balance ? — demanda de nouveau un chercheur d’or impatienté, en secouant rudement le géant par le collet de son habit noir.

— Ces balances ne sont pas à vendre.

L’acheteur parut un peu déconcerté.

— Et ce tamis ? — reprit-il, — combien ?

— Ce tamis n’est pas à vendre, — répéta le Kentukien.

— Bah ! propos de marchand avide ! j’en offre deux onces, du tamis !

— Et moi quatre ! — et moi six ! — et moi dix ! — et moi quinze ! — s’écrièrent coup sur coup plusieurs chercheurs d’or, que la vue de cet ustensile si commode et si utile pour simplifier leurs travaux et augmenter leurs gains tentait étrangement.

La figure du Kentukien devint écarlate. John Bell, on le sait, avait les passions fort vives quand il s’agissait d’intérêts pécuniaires.

— Messieurs, dit-il enfin, — je ne vends pas ces tamis… je les loue…

— Combien ?

— Deux piastres par heure… et contre un dépôt de cent onces d’or par tamis… Toute heure commencée, ne le fût-elle que d’une minute, comptera pour une heure entière… j’aime beaucoup la régularité.

Des cris furieux accueillirent la déclaration du Kentukien ; un quart d’heure plus tard tous ses tamis étaient loués.

— Voilà un habile homme, — me dit Quirino, — qui saura exploiter fort convenablement le placer qu’il m’a fait perdre. Ce cher John Bell, il épousera la señorita Annette à son retour, à moins toutefois qu’un accident ne l’empêche de revoir sa patrie… ce qui serait, du reste, vraiment dommage ! Un garçon si intelligent ! Espérons qu’il n’en sera rien.

Au sortir de la boutique du Kentukien, nous nous rendîmes à l’un des deux magasins dont j’ai déjà parlé, afin d’acheter notre déjeuner. Une livre de tasajo, quelques poignées de farine de maïs et une demi-bouteille d’eau-de-vie que nous y prîmes, nous coûtèrent la modique somme de sept piastres. Quirino me soutint que c’était pour rien, et que ces mêmes objets à Nabogame se seraient vendus au moins quarante piastres.

Notre déjeuner terminé, le Gambusino me proposa d’aller chasser le chevreuil ; j’acceptai.

Le nombre des chercheurs d’or que nous rencontrâmes, pendant la journée, pouvait bien s’élever à 2 ou 3,000. Je remarquai que les crevasses des rochers et les ravins étaient les endroits les plus abondants en or. Quelques phrases échangées entre le Gambusino et les rascadores nous apprirent que de magnifiques trouvailles se faisaient à chaque instant. La moyenne du gain des chercheurs s’élevait à environ vingt piastres (cent et quelques francs) par personne ; du reste, les réponses que nous obtînmes d’eux, courtes, brèves, à peine polies, montraient à quel point leur esprit était absorbé par des pensées cupides. Plusieurs de ces rascadores, tellement affaiblis par les fièvres, que leurs jambes tremblantes pouvaient à peine les soutenir, n’en travaillaient pas moins, avec ardeur, au lavage de l’or. Un d’eux nous montra un grain d’or, puisque c’est le terme convenu, de la grosseur d’une orange. Il l’avait trouvé en jetant sa pelle par terre, au moment où il allait se livrer à la sieste, et il ne paraissait que médiocrement satisfait. Des fragments de quartz, emprisonnés dans ce grain dont ils diminuaient le poids, troublaient sa joie : cependant il pouvait bien valoir de 12 à 14, 000 francs. La cupidité est certes, de tous les sentiments humains, le plus difficile à contenter.

Rafael Quirino, que j’observais sournoisement sans qu’il s’en doutât, ou, pour mieux dire peut-être, sans qu’il fît semblant de s’en douter, montrait une parfaite indifférence à la vue de toutes ces trouvailles. Était-il résigné à son malheur ? Je n’osais l’espérer.

Ma montre que je consultai, en me sentant fatigué, m’apprit qu’il était deux heures.

— Donnez-moi votre carabine, — me dit Quirino, — et reposez-vous en m’attendant au pied de ce rocher. Si vous avez envie de dormir, dormez. Cette place me paraît parfaitement sûre ; je ne vois autour de nous ni empreintes humaines ni traces de serpents. Je vous rappellerai dans deux heures un jeune et gras chevreuil.

— J’accepte volontiers votre offre… je vais faire ma sieste.

Deux heures plus tard, le Gambusino, fidèle à sa promesse, était de retour : un fort beau chevreuil, dont il tenait les quatre pattes dans ses deux mains, pendait inerte autour de son dos.

— Voulez-vous m’aider à porter ce gibier jusqu’à votre tente ? me demanda-t-il, sans entrer dans aucun détail sur sa chasse.

— Avec le plus grand plaisir.

— Ah ! ah ! — me dit le Gambusino, quand nous fûmes arrivés, — voilà le soleil qui marque six heures.

— Eh bien ?

— Eh bien ! j’attends ! — me répondit-il en jetant par terre la gaîne de cuir qui enveloppait son poignard et en laissant le fer nu à sa ceinture.

— Vous m’intriguez, don Rafael, qu’attendez-vous ?

— Cet Indien qui se dirige vers nous, cher ami.

— Et quel est-il, cet Indien ?

— Cet Indien est celui que j’ai nommé hier directeur en chef des travaux que vous faites exécuter.

À peine le Gambusino achevait-il cette réponse, que mon directeur en chef arriva ; il nous salua humblement. Je remarquai qu’il portait à la main un petit sac de toile.

— Mon garçon, — lui dit Quirino en prenant le premier la parole, — j’ai perdu tout à l’heure la gaîne de mon poignard… Ah ! à propos ! tu apportes au señor le produit de la journée, n’est-ce pas ? Allons, donne.

L’Indien, au lieu d’obéir, retourna précipitamment sur ses pas.

— Voilà un honnête voleur qui éprouve des remords, et tient absolument à laisser rouiller mon poignard, — me dit don Rafael.

— En attendant, il emporte prudemment la récolte du jour avec lui.

— Oh ! soyez sans inquiétude… il sait trop bien que les distances n’existent pas pour moi, pour songer à s’enfuir… Tenez, le voici qui revient.

En effet, l’Indien ne tarda pas à se représenter devant nous ; il portait toujours son petit sac de toile ; seulement il me parut que le sac avait augmenté de volume.

Quirino le lui prit des mains et le fit sauter deux ou trois fois en l’air.

— Cela pèse de quatre-vingt-seize à quatre-vingt-dix-huit onces, dit-il. — C’est donc, à raison de seize Indiens, six onces et quelques grains par tête… C’est bien travaillé… Toutefois, mon garçon, vous pouvez faire mieux encore.

— Mais, Seigneurie, nous ne sommes plus seize hommes !… Il y a eu, depuis hier au soir, deux morts parmi nous…

— À coups de couteau ?

— Oui, Seigneurie.

— Je conçois très bien, mon garçon, qu’une fois le travail fini, on se divertisse… car personne n’est plus indulgent que moi… cependant comme, cette fois-ci, vous êtes engagés au service d’autrui, et que vous ne vous appartenez momentanément plus… je défends l’usage du couteau… tu entends bien. Toute personne qui en tuera une autre sera tenue de mesurer son poignard avec le mien… Répète cela à tes compagnons… Toutefois, si vous voulez me promettre d’être prudents, je consens à permettre de jouer à un pouce

— Seulement un pouce, Seigneurie ? — dit l’Indien métis d’un air attristé.

— Impossible de vous accorder davantage.

— Vous serez obéi, Seigneurie ; je vous baise les mains.

— À revoir, mon garçon, reviens demain à pareille heure, et ne t’avise plus surtout de jouer la comédie avec moi… Je suis rarement indulgent deux fois de suite.

L’Indien parti, j’examinai l’or qu’il venait de m’apporter ; il était de la plus belle espèce. Mon premier séjour en Californie m’avait assez appris à le connaître pour que je pusse juger, sans crainte d’une grossière erreur, qu’il était à 1,000/960e ou 1,000/980e de titre. C’est ce qu’on appelle vulgairement de l’or vierge, l’or à 1,000/1,000e n’existant réellement pas.

J’avais tellement accepté le rôle de protecteur que Quirino s’était arrogé vis-à-vis de ma personne, que je ne songeai pas un instant, non-seulement à lui offrir de partager avec moi, mais même à le remercier. Il parut me savoir bon gré de mon égoïsme.

Pendant les vingt jours suivants, les Indiens qui travaillaient pour mon compte m’apportèrent chaque soir de six livres à six livres et quelques onces d’or. Ces vingt jours passés, ils me déclarèrent, — ainsi que m’en avait, du reste, prévenu Quirino, — que le lit du ruisseau était épuisé, et qu’ils se retiraient.

Le résultat obtenu pendant ces vingt jours était pour moi de plus de cent vingt livres d’or, c’est-à-dire, en monnaie d’Europe, cent cinquante et quelque mille francs. Je dois me rendre cette justice, que ce rapide commencement de fortune ne m’éblouit nullement et ne m’inspira aucune idée d’ambition. Je n’avais plus qu’une seule pensée, celle de retourner en Europe.

Quoique mon ami Quirino me montrât, toutefois, la même affection, je ne trouvais plus chez lui ces moments d’épanchements et de gaité auxquels il m’avait habitué pendant notre voyage de la Nouvelle-Orléans au placer du Sacramento. Froid, morose, taciturne, Quirino restait souvent plusieurs jours sans m’adresser une seule parole ; ses absences devenaient aussi de plus en plus fréquentes et prolongées.

Le vingtième jour de mon arrivée, Quirino entra dans ma tente. Son air était plus sombre encore que de coutume.

— Cher ami, me dit-il, il peut se faire que, d’un moment à l’autre, je quitte le placer, et je veux, avant mon départ, compléter votre fortune. Vous sentez-vous assez fort et assez déterminé pour entreprendre, avec moi, une expédition de longue haleine ?

— Oui, don Rafael ; mais permettez-moi, avant de discuter l’opportunité de cette expédition, de vous faire entendre quelques paroles de reproche et d’amitié… Je sens instinctivement, don Rafael, que vous méditez l’accomplissement de ce projet insensé dont vous m’avez parlé à la Nouvelle-Orléans… vous êtes au moment de partir pour votre fameux val d’or. Pourquoi, je vous le demande, jouer à chances inégales la vie contre la mort, pour acquérir des richesses ? Si la passion de l’or, passion à laquelle je ne puis croire, en présence du rare désintéressement que vous avez montré à mon égard ; si la passion de l’or vous domine, mon Dieu ! ne foulez-vous pas, en ce moment, le sol du Sacramento !… En vingt jours, vous m’avez fait presque riche, et vous ne vous êtes occupé de moi qu’un seul jour ; en un mois, si vous le voulez sérieusement, vous posséderez un million… que vous faut-il de plus ? Vous ne connaissez pas l’Europe, allons-y ensemble… avec un million, vous y mènerez, pendant deux ans, une vie d’enchantements et de délices.

Rafael Quirino m’écouta gravement, sans m’interrompre.

— Ami, me dit-il, quand je cessai de parler, j’apprécie le bon sentiment qui vous inspire, mais je ne puis suivre vos conseils… Oui, si je le voulais, il me serait facile de gagner, non pas un million, mais trois à quatre millions au Sacramento…

— Et vous ne le voulez pas ?

— Non, je ne le veux pas ! Le cœur du Gambusino possède une fierté inconnue au restant des hommes, qui l’empêche de s’enrichir en exploitant un placer déjà livré à la cupidité des chercheurs d’or… Je pourrais, poussé par le besoin ou par un caprice, ramasser dans le sol du Sacramento quelques poignées d’or, mais voilà tout. Vous n’épouseriez pas une belle courtisane souillée par de vénales amours, n’est-ce pas ? Eh bien ! de même, je ne m’enrichirai jamais, moi, par l’exploitation d’un placer souillé par les rascadores… Un dernier mot, pour en finir : les bienveillants reproches que vous m’adressez me font mal, et ne peuvent en rien changer ma résolution… faites m’en grâce, je vous en supplie…

— C’est bien, don Rafael… je me tairai.

— Merci. — À présent, dites-moi, vous trouverai-je, dans une heure d’ici, prêt à me suivre ?

— Oui, Rafael.

— Très-bien. Mettez vos grandes guêtres de cuir, remplissez votre gourde d’eau-de-vie, votre corne de buffle de poudre, et nettoyez soigneusement votre bonne carabine. À revoir. — Ah ! j’oubliais… faites un trou dans le sol de votre tente et cachez-y votre or…

Rafael Quirino était l’exactitude en personne.

L’heure allait expirer quand il revint.

J’avais ponctuellement suivi ses recommandations, et il me trouva prêt à le suivre. Le costume du Gambusino ne différait en rien du mien, si ce n’est toutefois qu’il portait une espèce de petite valise en cuir et un large tromblon au canon de cuivre.

— Partons-nous ? lui demandai-je.

Il inspecta, par un rapide coup d’œil, mon accoutrement.

— Et votre pioche ? me demanda-t-il.

— Vous ne m’en aviez point parlé. — Faut-il la prendre ?

— Certes…, il faut la prendre !

Le Gambusino s’entretint, pendant quelques secondes, avec trois Indiens armés de machettes (ou sabres droits) qui semblaient l’attendre à la porte de ma tente ; puis, se tournant ensuite vers moi, qui me tenais à l’écart :

— Que Dieu nous protége, me dit-il, nous pouvons à présent commencer notre voyage…

Nous prîmes la même direction que nous avions parcourue vingt jours auparavant, quand don Rafael m’avait fait trouver mon petit placer.

La vue d’un squelette, scrupuleusement disséqué par les oiseaux de proie, et déjà blanchi par le soleil, squelette que nous rencontrâmes près de la source d’eau empoisonnée, m’affecta péniblement.

Soit que le cadavre du pauvre Américain n’eût été aperçu par personne, soit que pas un seul chercheur d’or n’eût voulu distraire en sa faveur quelques minutes d’un temps si fructueusement employé à dépouiller la terre, toujours est-il qu’il restait privé de sépulture et livré aux outrages des animaux.

— L’homme se plaint sans cesse de la mort, — me dit Quirino. — Cependant il est bien rare qu’il succombe à la mort naturelle qu’il redoute, Ce sont les passions qui, presque toujours, nous tuent… Qui sait si, dans un mois, mon corps, si vivace aujourd’hui, ne sera pas, comme ce squelette, un débris hideux ballotté par l’orage dans les solitudes du désert ?

Le Gambusino, après avoir prononcé ces lugubres paroles d’un air calme et assuré, doubla la vitesse de sa marche, afin d’échapper sans doute aux remontrances qu’il redoutait de ma part.

Le reste de la journée n’amena aucun incident nouveau.

Quelques chercheurs d’or que nous apercûmes blottis dans les ravins, furent les seules distractions que je trouvai à la fatigue. À six heures, Quirino s’arrêta.

— Voici notre première étape finie, — me dit-il ; — nous ne nous remettrons plus en route que demain au lever du soleil.

Nous allumâmes un grand feu, et Quirino accommoda notre dîner, qui consistait en une livre environ de tasajo. Depuis un mois, je n’avais pas goûté un seul morceau de pain. À peine notre modeste repas achevé, nous nous trouvâmes enveloppés de ténèbres ; la nuit, on le sait, succède au jour, dans ces latitudes, sans aucune transition. Le crépuscule y est inconnu.

— Ravivons le feu avant de nous endormir — me dit Quirino. — Sa clarté nous protégera contre les attaques des jaguars et des serpents… quoiqu’à parler sans passion, on soit forcé d’avouer que ces animaux ont été indignement calomniés, et ne présentent nullement le caractère de férocité qu’on leur prête Voilà qui est fait… bonsoir… À présent, couchez-vous sur le côté, afin d’éviter que le serein de la nuit ne vous tombe sur les yeux… ce qui pourrait vous rendre aveugle… À demain.

Je m’étendis par terre, après m’être enveloppé, tant bien que mal, dans ma couverture de laine. Je n’étais pas sans inquiétude ; mais la fatigue finit bientôt par l’emporter sur mes préoccupations, et je m’emdormis d’un profond sommeil.

Le lendemain, le Gambusino me réveilla, ainsi qu’il me l’avait promis, dès que le soleil se montra à l’horizon.

Quelques tisons de notre feu de la veille qui brûlaient encore nous permirent de faire rôtir une nouvelle lanière de tasajo, avant de nous mettre en route.

Cette seconde journée me parut plus fatigante encore que la première. Le terrain, de plus en plus raboteux et accidenté, retardait notre marche et la rendait pénible.

Ce fut à peine si, pendant cette seconde étape, nous aperçûmes trois à quatre rascadores. À six heures précises, don Rafael s’arrêta, ainsi que la veille ; il était temps, mes jambes se refusaient à supporter le poids de mon corps. Je me laissai tomber à terre sans songer à aider mon compagnon à allumer le feu.

— Un peu de courage, ami, — me dit-il en m’apportant mon inévitable morceau de tasajo, — nous avons déjà accompli les deux tiers de notre tâche.

En effet, le lendemain au soir, Rafael m’apprit que nous étions arrivés. Une heure de plus, je serais mort à la peine : je m’endormis sans pouvoir manger.

Le jour suivant, ma première action fut de regarder les objets qui m’environnaient, et que mon accablement de la veille ne m’avait pas permis d’examiner.

Le paysage était loin d’être gai. Devant moi, s’étendaient des plaines recouvertes de hautes herbes et parsemées de quelques bouquets d’arbres, plaines séparées les unes des autres par des collines assez peu élevées ; derrière moi, une ceinture de roches grisâtres se déroulait à perte de vue.

— Vous ne vous plaindrez pas d’avoir mal dormi, cher ami, — me dit le Gambusino que j’aperçus fort occupé à une dizaine de pas de moi à dépouiller un chevreuil ; — car j’ai pris votre carabine à vos côtés et tiré à quelques vares[14] de vous sur ce gibier, sans que vous vous en soyez douté…

Cette fois je me dédommageai de mon abstinence de la veille en faisant grandement honneur au repas improvisé par le Gambusino. L’idée que j’étais enfin arrivé ne contribuait pas peu non plus à me rendre courage.

— Voici le moment solennel venu, — me dit don Rafael en souriant pour la première fois depuis vingt jours, — prenez votre pioche et suivez-moi.

— Vous voyez cette roche à travers les fissures de laquelle suinte cet imperceptible filet d’eau, — continua-t-il, — eh bien ! cette roche nous sépare seule de la réussite, et c’est cette roche qu’il faut attaquer.

J’étais tellement rentré dans l’esprit de mon rôle passif, et le Gambusino m’inspirait une si grande confiance, que je ne songeai pas même à lui demander une explication.

— Me voilà prêt, — lui dis-je seulement, — ordonnez, que faire ?

— Agrandissez ces fissures à coup de pioche, jusqu’à ce qu’elles forment une ouverture d’environ un pied carré, — me répondit-il.

Je me mis aussitôt à l’ouvrage : la roche me parut moins dure que je ne l’avais cru d’abord.

De nombreux éclats de pierre qui jonchaient le sol prouvaient, au bout d’une heure, avec quel zèle j’avais exécuté les ordres du Gambusino ; seulement, j’étais exténué.

— Reposez-vous, — me dit Rafael, — en me prenant la pioche des mains.

Mon compagnon, quoiqu’il fut beaucoup plus frêle d’apparence que moi, frappa la roche pendant plus de trois heures sans s’arrêter ; le filet d’eau, qui augmentait de plus en plus de volume, rendait cependant sa tâche bien plus difficile.

Enfin, à un dernier et furieux coup de pioche qu’il donna, l’eau s’élança avec une telle violence, qu’il fut obligé de se retirer en arrière pour n’être pas renversé.

— Allons, voici une affaire terminée, — me dit-il. — À présent, le plus difficile est fait ; il ne nous reste plus qu’à attendre l’entier écoulement de cette eau.

IV

Cet écoulement des eaux dura près de cinq heures, et nous laissa inactifs jusqu’à plus de la moitié de la journée. Vers les trois heures, Quirino se leva de dessus la terre où il était resté couché pendant tout le temps.

— À présent, cher ami, — nous allons gravir ces roches. Seulement, je dois vous prévenir qu’elles sont infestées de serpents à sonnettes…

— Ah diable ! m’écriai-je en pâlissant.

— Vous craignez beaucoup ces malheureux reptiles, à ce que je vois ?

— Énormément… j’éprouve même une telle antipathie physique pour eux, que le contact d’un serpent, fût-il mort, me ferait trouver mal.

— Je conçois !… un mystère d’instinct. À cela je n’ai rien à répondre, et il ne me reste qu’à agir.

Le Gambusino se mit aussitôt à cueillir, après un léger examen, certaines plantes desséchées qui m’étaient inconnues ; puis, lorsque ces plantes formèrent, réunies ensemble, une assez grosse gerbe, il les attacha avec une corde sur son dos et commença à escalader la muraille de roches qui se trouvait derrière nous.

Je le perdis presque tout de suite de vue.

Cinq à six minutes s’étaient à peine écoulées, qu’une épaisse fumée et une odeur âcre et aromatique tout à la fois, venant toutes deux de la direction dans laquelle avait disparu le Gambusino, éveillèrent mon attention.

Quelques ombres grisâtres glissèrent précipitamment sur la roche et tombèrent sur le sol sans produire d’autre son qu’un frôlement bizarre, frôlement semblable au bruit que fait une compagnie de perdrix en s’envolant.

Je n’eus même pas la force de pousser un cri, tant fut grande ma frayeur, en me voyant, littéralement parlant, entouré de serpents qui fuyaient de tous les côtés. Plusieurs de ces reptiles passèrent à un demi-pied à peine de la place où la peur me tenait cloué immobile.

La voix du Gambusino me rappela enfin à moi-même.

— Vous pouvez venir à présent, cher ami, — me criait-il, — les cascabeles[15] sont partis.

Je ne me fis pas répéter cette invitation, et je m’empressai de gravir les roches dont la hauteur pouvait être d’environ vingt à vingt-cinq pieds.

— J’espère qu’ils étaient nombreux ! — me dit Quirino, dès que je l’eus rejoint. — Au moins quatre-vingts ; vraiment, on croirait qu’un génie bienfaisant les avait commis à la garde de cet or que nous allons ravir à la solitude, et dont la circulation dans la société donnera lieu sans doute, plus tard, à bien des bassesses, peut-être aussi à bien des crimes.

— Et où se trouve cet or, don Rafael ?

— Ici ! — me répondit le Gambusino, en me montrant du doigt une excavation en forme d’entonnoir, excavation large d’à peu près cent pas à son orifice, et profonde de vingt à vingt-cinq pieds. — Peu de mots me suffiront, — continua-t-il, — pour dissiper votre étonnement. Les pluies torrentielles qui descendent chaque année des montagnes, entraînant, avec elles, les parcelles d’or, dont seul je connais la source, ont dû nécessairement accumuler dans cette excavation, depuis des centaines d’années, des provisions de poudre et de grains d’or.

— Mais, don Rafael, le fond de cette excavation est encore recouvert par au moins un pied d’eau, et nous n’avons aucun instrument…

— Bah ! nous avons l’intelligence… Vous allez voir.

Le Gambusino descendit alors dans l’excavation, puis, une fois rendu en bas :

— Jetez-moi des pierres, — me cria-t-il, — et prenez garde de me blesser.

Le Gambusino, avec les matériaux que je lui fournissais, se mit à construire une espèce de digue formant le demi-cercle, et s’appuyant par ses deux extrémités contre les parois de la roche.

Cette digue, haute d’à peu près quinze pouces, pouvait avoir une vingtaine de pieds de circonférence.

En deux heures de temps elle fut tout à fait terminée, et Quirino remonta.

— Il doit être près de cinq heures, — me dit-il, — occupons-nous donc du dîner. Je ne serai point fâché non plus de me réchauffer un peu devant un bon feu.

Je n’adressai au Gambusino, selon la règle de conduite que je m’étais tracée, aucune question pendant notre repas. De son côté, il ne me fit nullement part de la façon dont il avait réglé l’emploi de notre journée du lendemain.

— Bonsoir, — me dit-il seulement en s’étendant par terre, — demain, nous récolterons déjà de l’or.

Je dormis paisiblement jusqu’à quatre heures du matin, heure à laquelle le Gambusino me réveilla. Il faisait à peine jour.

— Allons ! paresseux, au travail ! — s’écria-t-il en me secouant amicalement par la manche de ma veste, — il se fait tard, et nous avons encore bien de la besogne devant nous… Prenez votre pioche.

Le Gambusino retira alors de sa petite valise un seau de cuir aplati et une longue corde finement tressée en fil d’aloès, redonna sa forme ordinaire au seau, attacha la corde à l’anse, et se dirigea vers l’excavation.

— Descendez à votre tour, — me dit-il. — Vous remplirez ce seau d’eau, et moi je le tirerai en haut, jusqu’à ce que nous ayons desséché le petit espace de terrain renfermé entre ma digue et le roc.

Trois heures d’un travail acharné et continu nous firent obtenir le résultat que le Gambusino désirait.

— À présent, il s’agit de creuser aussi profondément que possible l’espace que nous venons de dessécher, — me dit-il. — Piochez, cher ami… piochez.

Au premier coup de pioche que je donnai, je poussai un cri de surprise. La terre remuée était mêlée, presque par partie égale, à de la poudre d’or. — Je ne suis point cupide, cependant cette vue me fit battre violemment le cœur et me donna le vertige. Je fus obligé de m’asseoir sur la digue.

— Tenez, me cria d’en haut le Gambusino. — Voici une pierre plate et large, qui peut remplacer une pelle, elle vous servira à mettre dans mon seau la terre enlevée par votre pioche. — Allons, du courage…

Cette recommandation était inutile : j’éprouvais en ce moment une fièvre d’activité incroyable ; je sentais en moi la force et la puissance de dix hommes vigoureux : rien ne me semblait impossible.

Quand je remontai, deux heures plus tard, près du Gambusino, le terrain était creusé de près de trois pieds.

— Qu’allons-nous faire à présent, Rafael ? — lui demandai-je en l’interrogeant pour la première fois depuis que nous étions partis du placer del Sacramento.

— Ah ! ah ! me répondit-il en souriant. — Voilà donc votre belle indifférence qui disparaît ! Eh bien ! cher ami, quand nous aurons profondément creusé l’espace de vingt pieds compris entre le roc et ma digue, nous renverserons la digue, afin que l’eau se retire dans ce trou, et laisse le reste du terrain à sec… Alors, nous nous ferons tout naïvement rascadores… Approuvez-vous mon plan ?

— Je crois bien, don Rafael !

Je ne décrirai pas ici, ce qui serait sans nul doute fastidieux, les travaux que nous accomplîmes et la façon dont nous vécûmes pendant les huit jours qui suivirent ; il me suffira de dire que, ces huit jours écoulés, je me trouvais possesseur d’une masse d’or, que Quirino jugeait pouvoir peser de 55 à 60 livres.

— Mon excellent ami, — me dit le Gambusino, le matin du neuvième jour, — ma détermination va peut-être vous surprendre et vous affliger… nous repartons aujourd’hui pour le placer du Sacramento.

— Déjà, don Rafael ! — m’écriai-je douloureusement.

— Oui, cher ami… dans une heure.

— Et pourquoi cela ?

— Pour mille raisons… La première, c’est que si nous continuions à exploiter notre placer, vous deviendriez bientôt avare et cupide… Oh ! ne vous récriez pas… la cupidité est une maladie que produit le seul contact de l’or… La seconde, c’est que l’époque approche où les Indiens Yakis vont envahir les parages où nous nous trouvons. La troisième enfin, pour ne pas vous énumérer toutes les autres, c’est que je ne puis plus disposer de mon temps… pour vous.

— Pardonnez-moi, don Rafael… j’ai eu tort d’insister !… Oui, je crois que vous avez raison ; le contact de l’or produit, chez l’homme, une maladie véritable, une fièvre qui tient de la folie… car, voyez, je ne vous ai pas témoigné une seule fois, pendant ces huit jours, l’expression de ma reconnaissance… Partons.

— Oh ! quant à la reconnaissance, cher ami… je vous en dispense entièrement… vous ne m’en devez aucune… Mon instinct m’a poussé à vous être agréable, et j’ai obéi à mon instinct… voilà tout. Je n’exige de vous qu’une seule chose, et j’espère que vous ne me la refuserez pas…

— Dites, don Rafael… c’est accordé d’avance… Voulez-vous la moitié de mon or ?

— Oh ! non ! mais j’exige que vous vous engagiez, par un serment vis-à-vis de moi, à ne jamais révéler à personne la position du placer que nous venons d’exploiter, à ne jamais y retourner vous-même…

— Je vous en fais le serment, don Rafael ! m’écriai-je avec chaleur.

— Merci, cher ami, — me dit le Gambusino de sa voix la plus calme ; — votre noblesse de caractère me retire un poids pesant de dessus le cœur… Si vous m’eussiez refusé ce serment, mon intention était de vous poignarder sur-le-champ… Pas un mot de plus à ce sujet… Partons.

Le Gambusino remplit de pierres son seau de cuir et le jeta dans l’excavation aurifère ; puis, descendant les roches, il boucha très-soigneusement, avec des fragments de granit mêlés à de la terre grasse et délayée dans du sang de chevreuil, l’ouverture que nous avions pratiquée huit jours auparavant pour faciliter l’écoulement des eaux qui noyaient le placer que nous venions d’exploiter.

Ces travaux terminés, le Gambusino renferma soigneusement dans sa valise, devenue vide par l’abandon du seau de cuir, l’or que nous avions recueilli, et nous reprîmes le chemin du Sacramento, où nous arrivâmes huit jours plus tard, une heure avant la fin du jour.

Je trouvai, devant ma tente, deux Indiens qui semblaient monter la garde et que je reconnus pour être les mêmes avec lesquels Quirino s’était entretenu pendant quelques instants le jour de notre départ pour notre expédition. Ils nous saluèrent profondément.

— Où est votre troisième compagnon ? — leur demanda le Gambusino.

— À cinquante pas d’ici… Seigneurie… il se repose de sa faction.

— Entrez dans votre tente, — me dit Quirino, — et vérifiez si l’or que vous y avez enfoui s’y trouve toujours.

Je m’empressai d’obéir : je retrouvai mon or intact.

— Alors vous devez à ces Indiens 2,100 piastres, — me dit le Gambusino. — Je les avais loués à raison de 50 piastres par homme et par jour, pour garder votre tente pendant le temps que durerait notre absence. Ai-je mal fait ?

— C’est-à-dire, don Rafael, que je ne sais comment vous remercier.

Les Indiens partis, le Gambusino me proposa d’aller peser notre or chez John Bell.

— Tiens, vous voici, vous autres ! — s’écria d’un air assez dédaigneux le géant Kentukien en nous apercevant, — je suppose que vous venez de gratter la terre ?

— Vous devinez juste.

— Un métier de dupes !… Après tout, à chacun selon son intelligence… Je suis riche à présent, moi ;

— Ah ! bah, vraiment, vous êtes riche, vous ? — dit le Gambusino. — Et comment l’êtes-vous donc devenu ?

— D’une façon bien simple et peu fatigante… tenez, voici mon registre, lisez : la location de dix tamis à raison de 20 piastres, l’un dans l’autre, par jour, me donne 200 piastres ; mon hôtel, qui contient douze couchers, à 2 piastres par tête, me rapporte 24 piastres ; ajoutez à cela un prélèvement d’une piastre que j’opère sur toute quantité d’or que l’on vient me faire peser, prélèvement qui s’élève chaque soir à 20 piastres, et vous verrez qu’en trente-cinq jours j’ai gagné 8,540 piastres… sans compter la vente de cent petites mesures, — de mon invention, — mesures en corne transparente… graduées par once, dont je me suis défait à 10 piastres chaque… ce qui met ma fortune aujourd’hui à 10,540 piastres… Quant à ma nourriture, elle ne m’a occasionné aucune dépense… je l’ai toujours gagnée en me chargeant de la cuisine de mes pratiques… Si j’entre avec vous dans tous ces détails, c’est que je ne crains pas que vous me fassiez concurrence… Que pensez-vous de mon esprit ?

— Tenez, voici une piastre, — dit le Gambusino sans répondre à la question de l’Américain, — pesez-nous ce peu d’or que nous avons ramassé en grattant la terre, selon notre degré d’intelligence.

Rafael Quirino, en parlant ainsi, déposa sur le comptoir sa valise qu’il portait sous son bras et que cachait le zarape[16] jeté sur son épaule.

By god ! god bless me ! s’écria John Bell, — 61 livres ! mettez seulement l’once de poudre à 14 piastres, et cela fera encore 13,454 piastres que vous aurez gagnées.

— Bah ! c’est pour commencer, — dit tranquillement Quirino.

Le Kentukien prit les deux petites mains du Gambusino dans une des siennes et les serra à les briser.

— Brave et noble caballero, lui dit-il, en essayant d’adoucir sa voix, vous savez que j’ai toujours été votre ami, moi, n’est-ce pas ? je vous en conjure, faites-moi trouver aussi 60 livres d’or !…

— Que me donnerez-vous ?

— Ce que je vous donnerai ! mais tout ce que vous voudrez… tout !… le vingtième de la somme, par exemple…

— Ce n’est pas assez.

— Pas assez ! plus de trois livres d’or… c’est-à-dire 760 et quelques piastres !… Eh bien ! écoutez… oui… c’est cela… on se doit à ses amis… je me sacrifie… Trouvez-moi 60 livres d’or et je vous abandonne miss Annette B…

— Marché conclu, dit le Gambusino.

Ces deux mots agirent d’une si puissante façon sur l’Américain, qu’il eut toutes les peines du monde à balbutier d’une façon intelligible, — à quand ?

— À demain, cinq heures du matin, — répondit Quirino.

— Vous ne me trompez pas… vous viendrez bien demain ?

— Oh ! ne craignez rien… je serai exact au rendez-vous, — dit le Gambusino, en accompagnant sa réponse d’un de ces sourires douteux que je n’aimais pas à lui voir.

J’avais le corps tellement endolori, par suite des incroyables fatigues que je venais de supporter, que je m’empressai d’aller me jeter sur ma peau de bison, dans ma tente.

Les trois Indiens qui vinrent le lendemain me réclamer les 2,100 piastres que je leur devais me tirèrent, seulement pour un moment, de mon sommeil : je les priai de m’apporter un peu d’eau et de nourriture ; puis je me rendormis, après avoir bu et mangé.

À huit heures du soir, le Gambusino entra dans ma tente, au moment où je me décidais enfin à me lever.

— Cher ami, je viens vous faire mes adieux… Je pars à l’instant même pour mon grand voyage, me dit-il tout aussitôt, selon son habitude d’aller droit au but.

— Vous partez, Quirino ?

— Oui, cher ami, je vous le répète… je pars… J’ajouterai aussi que je vous serais particulièrement obligé si vous étiez assez bon pour ne m’adresser aucune remontrance à ce sujet… Voyez, la lune éclaire magnifiquement la campagne… Voulez-vous m’accompagner pendant une ou deux heures ?…

— Oh ! bien volontiers, Rafael ! — m’écriai-je.

— J’ai à vous parler sérieusement, cher ami, — me dit-il, après une heure et demie de marche, — écoutez-moi donc avec attention. Vous voilà à présent riche, car je vous crois doué d’un caractère heureux et facile à contenter… ne gâtez point, par une cupidité insensée, l’avenir tranquille qui vous attend… Après-demain, doit repartir pour Monterey un convoi arrivé ces jours-ci avec des vivres au Sacramento… Joignez-vous à ce convoi… Votre quinine et votre pioche vous ont été utiles, tâchez de retourner en Europe sans avoir besoin de vous servir de votre couteau… Ce placer du Sacramento, déjà si dangereux aujourd’hui à habiter, présentera bientôt, envahi par la cupidité européenne, un spectacle à rendre le diable heureux dans son Enfer, comme s’il était en Paradis… Le fer, la faim et le poison, trois terribles divinités, qui se sont souvent disputé ma pauvre existence, décimeront impitoyablement les rangs de cette foule insensée que je vois accourir, et couvriront de ses ossements les sables du désert… Croyez en mon expérience. Vous ne pouvez, vous, ni vous imaginer ni savoir ce que c’est qu’un placer livré à la concurrence du pillage… C’est affreux ! me promettez-vous de partir ?

— Oui, Rafael, sur l’honneur, je vous le promets !

— Voilà de bonnes paroles. À présent, adieu ! Pensez quelquefois à moi… dans vos prières !

Le Gambusino me serra cordialement la main et se remit rapidement en marche. Pendant longtemps, je le suivis, à la clarté de la lune, d’un œil humide et attendri. Où allait cet homme, qui venait de peser d’un si grand poids dans ma destinée ?… à la mort ou à la gloire ?

Je repris tristement le chemin de ma tente. Je passai ma nuit en proie à des réflexions tristes et mélancoliques, sans pouvoir me livrer de nouveau au sommeil.

Le lendemain, on trouva dans un ravin le cadavre de John Bell accroché sur la pointe d’un rocher. Un coup de poignard lui avait traversé le cœur. On attribua sa mort à une chute, à un accident, et les rascadores pillèrent son or.

Le soir suivant, fidèle à ma promesse, je partis avec le convoi pour Monterey.

J’ai vendu en Angleterre, la semaine dernière, la poudre d’or que j’ai rapportée du Sacramento, pour le somme de 232,000 francs.

Souvent, je pense à Quirino ; je m’attends chaque jour à apprendre la nouvelle qu’un pauvre chercheur d’or vient de découvrir un placer bien autrement merveilleux que celui du Sacramento ; un placer dont l’exploitation doit influer puissamment sur le sort de l’Europe… Parfois aussi, je doute, en me rappelant que, lorsque don Rafael m’adressa ses adieux, il éprouvait un invincible pressentiment de sa mort prochaine !


Le récit des événements que l’on vient de lire m’a été fait, en juin dernier, par un Espagnol, M. Carlos Urriaga, qui arrive du Sacramento.

M. Urriaga est un jeune homme plein de franchise et de loyauté. Doué de beaucoup de bon sens et de peu d’imagination, je le crois incapable d’avoir, non pas inventé, mais même dénaturé aucun des faits qui se rapportent à sa connaissance avec le Gambusino Quirino, et à son séjour au placer du Sacramento. J’ai écrit ce récit, pour ainsi dire, sous sa dictée.

Décembre 1848.
FIN.
  1. Les endroits d’où l’on extrait, sans travail, à l’état de métal et non en minerai, l’or qui se trouve à fleur de terre, se nomment au Mexique placeres ou bonanzas, et ne ressemblent en rien aux mines. Des placeres, tout aussi riches que celui du Sacramento, ont déjà été découverts dans ce riche pays.
  2. Gambusino, sobriquet par lequel on désigne, en Californie et en Sonora, le chercheur d’or.
  3. Environ 40,000 francs.
  4. Le zopilote est un hideux oiseau de proie dont le corps est couvert de vermine. Il se nourrit de charognes, et est très-commun au Mexique.
  5. La ville de San Francisco, fondée par les jésuites, est située par lat. N. 38°. long. O. 124°.
  6. Bonne herbe.
  7. Cédée depuis la dernière guerre aux États-Unis, par le Mexique.
  8. Près de 120,000 francs.
  9. Sobriquet par lequel on désigne les Américains.
  10. Frios, — froids. On désigne ainsi des fièvres intermittentes toujours fort dangereuses, mortelles souvent.
  11. Locution favorite des Mexicains. Ils l’emploient aussi fréquemment que l’Anglais se sert du mot indeed (en vérité).
  12. Indiens sauvages et cruels de la Californie. La tribu des Apaches est la plus nombreuse.
  13. Auberge.
  14. La vare, mesure mexicaine, a 2 pieds et demi.
  15. Nom du serpent à sonnettes en espagnol ; il vient du mot cascabel, grelot.
  16. Zarape. Couverture de laine, bariolée de dessins, que le Mexicain ne quitte jamais. À la ville, elle lui sert de manteau ; en voyage, de lit et de tente.