Correspondance de Lagrange avec d’Alembert/Lettre 055

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Texte établi par Ludovic LalanneGauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIIIp. 110-112).

55.

D’ALEMBERT À LAGRANGE.

À Paris, ce 29 avril 1768.

Mon cher et illustre ami, le quatrième Volume de mes Opuscules vient enfin de paraître, et j’ai remis à M. Métra un paquet adressé à l’Académie des Sciences, qui renferme un exemplaire de cet Ouvrage pour vous et un pour l’Académie. Outre cela, il y a encore dans ce même paquet un exemplaire du second Ouvrage de M. de Condorcet, qui vous est destiné, un exemplaire de mon second Mémoire sur les lunettes achromatiques et un exemplaire de la Destruction des Jésuites, nouvelle édition avec les Suppléments. Ayez soin de vous faire remettre ces Livres par M. Formey. Il y a d’ailleurs dans le paquet un petit mémoire de la destination de chaque exemplaire ou Volume. Je vous recommande, si vous prenez la peine de relire la Destruction des Jésuites, de faire auparavant, les corrections indiquées dans l’Errata, car l’Ouvrage est plein de fautes grossières.

Vous ne trouverez guère dans mon quatrième Volume que des choses que vous connaissiez déjà pour la plupart. Daniel Bernoulli y est assez malmené[1] ; nous verrons ce qu’il dira. Vous y verrez, sur le Calcul des probabilités, des réflexions qui pourront mériter votre attention je suis convaincu que tout ce Calcul a des fondements bien peu solides. J’ai parlé de vous dans ma Préface comme je le dois à tous égards, à l’occasion de notre controverse sur les vibrations des cordes[2].

Le cinquième Volume s’imprime actuellement et sera fini dans cinq ou six mois au plus tard. Je n’ai point encore reçu le Volume de 1765[3] ; je ne sais même s’il est parti. Je vous serai très-obligé de m’envoyer les Volumes à mesure qu’ils paraîtront ; pourvu que les frais de port ne soient pas excessifs, je les payerai volontiers, plutôt que d’attendre si longtemps ce qui vient de vous. M. Michelet vous procurera sûrement avec plaisir plusieurs moyens de me les faire parvenir, ou par quelque occasion, ou par les voitures publiques, à des frais modiques.

Le prix de la théorie de la Lune a été remis, et je compte que nous aurons sur ce sujet quelque chose de vous. Voilà un petit papier que M. Bailly me donna hier à l’Académie et sur lequel il vous prie de lui faire un mot de réponse.

On m’écrit qu’on désirerait fort de me voir à Berlin cette année, mais ma santé est trop chancelante et m’oblige à un trop grand régime pour entreprendre un voyage. Je ne désespère pourtant pas de le pouvoir faire encore une fois, mais il faut pour cela que je ne craigne pas de rester en chemin au pied de quelque arbre. Un de mes plus grands plaisirs sera sûrement de vous embrasser et de vous dire combien je vous aime et vous estime. Vale et me ama.

À Monsieur de la Grange,
de l’Académie royale des Sciences de Prusse, à Berlin
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  1. En voici quelques exemples tirés du premier Supplément au Mémoire Sur les vibrations des cordes sonores (Opuscules mathématiques,t. IV) : « Un célèbre géomètre, qui n’est ni M. de la Grange ni M. Euler, prétend prouver par un singulier raisonnement … » (p. 156). « Il ne s’agit pas de conjecturer, mais de démontrer, et il serait dangereux (quoiqu’à la vérité ce malheur soit peu à craindre) qu’un genre de démonstration si singulier s’introduisît en Géométrie. Ce qui pourra seulement paraître surprenant, c’est que de pareils raisonnements soient employés comme démonstratifs par un mathématicien célèbre. » (p. 157). Voir encore p. 176 et 177.
  2. D’Alembert, en effet, commence ainsi le Mémoire cité dans la note précédente : « Dans le premier Volume de mes Opuscules, j’ai fait sur cette matière différentes réflexions, dont une partie avait pour objet la savante solution du problème des cordes vibrantes donnée par M. de la Grange dans le premier Volume des Mémoires de l’Académie des Sciences de Turin, solution par laquelle ce grand géomètre prétendait prouver contre moi que ce problème pouvait toujours se résoudre, quelle que fût la figure initiale de la corde. Ce célèbre mathématicien a fait une savante réponse à mes réflexions dans le second Volume des mêmes Mémoires ; c’est cette réponse que je me propose de discuter encore, non pour prolonger cette controverse avec un savant pour lequel je suis rempli de la plus grande estime et qui d’ailleurs paraît aujourd’hui s’être presque entièrement rapproché de mon avis, mais parce que cette discussion épineuse et délicate en recevra de nouveaux éclaircissements qui pourront être utiles dans d’autres occasions. » (Opuscules, t. IV, p. 128.)
  3. Des Mémoires clc l’Académie de Berlin.