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Correspondance de Lagrange avec d’Alembert/Lettre 103

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Texte établi par Ludovic LalanneGauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIIIp. 234-236).

103.

LAGRANGE À D’ALEMBERT.

À Berlin, ce 19 avril 1772.

Permettez, mon cher et illustre ami, qu’avant de répondre à votre Lettre du 25 de mars je vous fasse mes compliments sur la place de secrétaire de l’Académie française qu’on vient, dit-on, de vous donner ; je ne doute pas que, sachant jusqu’où je porte mon attachement et ma vénération pour vous, vous ne soyez bien convaincu de la sincérité de mes félicitations et de tout l’intérêt que je prends à ce qui vous regarde. Pour venir maintenant au sujet de votre Lettre, je vous avouerai que la nouvelle que vous m’y donnez du succès de ma pièce sur le problème des trois corps m’a fait un très-sensible plaisir, et ce qui augmente encore ma satisfaction, c’est la manière obligeante et pleine d’amitié dont vous m’annoncez ce succès, qui a véritablement surpassé mon attente ; aussi je suis fort porté à croire que votre cœur a beaucoup influé sur le jugement que vous avez porté de mon travail ; mais je n’en suis pas moins flatté, et ma reconnaissance n’en est que plus grande.

Je vous prie de vouloir bien remercier de ma part MM. Cassini, Lemonnier, de Condorcet et Bossut de ce qu’ils ont jugé ma pièce digne de leurs suffrages et de leur dire combien je suis sensible à l’honneur qu’ils m’ont fait de m’associer au triomphe de M. Euler. Sans vanité, je regarde cette circonstance beaucoup plus avantageuse pour moi que si j’avais remporté le prix tout seul, surtout étant le successeur de M. Euler, qui a laissé dans ce pays beaucoup d’admirateurs et peut-être même plus qu’il n’en avait lorsqu’il était ici. Quant à l’argent du prix, je vous suis très-obligé de ce que vous voulez bien vous employer pour me le faire parvenir sans frais ; mais ne faudrait-il pas que je vous en envoyasse un reçu d’avance, puisque je n’ai point de récépissé du secrétaire ? Au reste, comme je ne suis nullement pressé de toucher cet argent, je puis attendre qu’il se présente quelque commodité pour cela ; je pourrais même, si cela n’incommodait pas la caisse de l’Académie, l’y laisser pour quelque temps, car que sait-on ce qui peut arriver ?

J’attends avec beaucoup d’impatience le programme pour le prix de 1774, et, quel qu’en puisse être le sujet, je me promets d’avance d’y travailler, ne fût-ce que pour pouvoir renouveler mes hommages à l’Académie.

Je vois, par ce que vous me mandez touchant l’élection pour la place d’associé étranger, que quelques-uns de vos confrères sont déjà favorablement disposés pour moi ; si vous jugiez à propos de leur dire là-dessus un mot d’honnêteté de ma part, je vous en serais infiniment obligé. Le marquis Caraccioli me marque que vous vous employez avec beaucoup de chaleur pour faire réussir cette affaire ; je ne doute pas que votre recommandation n’ait tout son effet ; du moins je suis très-convaincu que, si l’Académie m’honore d’une distinction si flatteuse, ce sera uniquement à vous et à votre amitié que je la devrai, et c’est ce qui me la rendrait encore plus précieuse.

Je vous parlerai une autre fois de la théorie des ressorts et de quelques autres matières dont je me suis occupé depuis peu ; comme je veux enfermer cette Lettre dans celle que j’écris au marquis Caraccioli pour le remercier de ses félicitations, je n’ose pas lui donner une plus grande étendue. Notre Volume de 1770 n’a pas encore paru, mais il ne tardera pas. Je compte que je pourrai vous l’envoyer, avec l’exemplaire de mes Mémoires que je destine au marquis de Condorcet, dans un envoi que M. Bernoulli compte de faire bientôt à M. de la Lande. S’il paraît, en attendant, à la présente foire de Leipsick, quelque chose qui me paraisse mériter votre attention, je profiterai de la même commodité pour vous l’envoyer.

Je viens de voir, dans la Gazette de Hollande, qu’on a mis en vente à Paris, à l’hôtel de THou[1], rue des Poitevins, les quatre premiers Volumes in-4o d’une nouvelle édition de l’Histoire et des Mémoires de l’Académie des Sciences depuis 1666 jusqu’en 1769, en trente-trois Volumes in-4o au lieu de quatre-vingt-dix-huit Volumes. Je souhaiterais fort de savoir ce qui en est et combien coûte chaque Volume à part ou bien la collection entière, car j’aurais quelque envie de me la procurer. Adieu, mon cher et illustre ami et patron ; je vous embrasse de tout mon cœur. Fac valeas, meque mutuo diligas.

À Monsieur d’Alembert, de l’Académie française,
de l’Académie royale des Sciences, etc., à Paris
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  1. L’hôtel du président de Thou appartenait alors au libraire Panckoucke, dans la famille duquel il est encore aujourd’hui.