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Correspondance de Lagrange avec d’Alembert/Lettre 139

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Texte établi par Ludovic LalanneGauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIIIp. 309-311).

139.

LAGRANGE À D’ALEMBERT.

À Berlin, ce 14 octobre (1775).

Mon cher et illustre ami, comme je prenais la plume pour répondre à votre Lettre du 15 septembre ; j’ai reçu celle du 3 octobre je vais donc répondre à toutes les deux à la fois.

Je commence par vous remercier de l’indulgence avec laquelle vous avez bien voulu lire et juger mes deux Mémoires ; je vous prie de croire que ce n’est pas par une affectation de modestie que je vous ai dit que je n’en faisais pas grand cas ; c’est qu’effectivement je n’en étais pas fort content ; mais, à présent que vous paraissez l’être, je l’en suis aussi. J’ai lu à l’Académie votre petit Mémoire et je le ferai insérer dans le Volume qu’on va mettre sous presse. J’ai été curieux de chercher aussi de mon côté si on pourrait démontrer le théorème de Maclaurin[1] par mes formules, et j’y suis parvenu plus heureusement que je ne l’espérais cela a donné lieu à une petite addition que je me propose de lire à l’Académie au premier jour et de publier dans le même Volume. Vous avez raison sur le c’est une pure faute d’impression, comme il est aisé de le voir par les substitutions de la page 138 ; je l’avais remarquée pendant l’impression, mais j’ai oublié de la mettre dans l’errata.

Je suis charmé que vous ayez bien voulu vous intéresser pour M. Beguelin, quoique cela soit inutile à présent, le Roi ayant déjà donné la place à M. Sulzer, membre de la même Classe[2] et connu surtout par des Ouvrages allemands fort estimés. Cependant, comme Sulzer est depuis deux ans attaqué de la poitrine, en sorte qu’on a déjà plus d’une fois désespéré de sa vie, il ne serait pas impossible que-votre recommandation pût encore servir à M. Beguelin. Je ne vous en fais pas ses remercîments, ne lui en ayant rien dit, et, comme l’affaire est maintenant échouée, je ne crois pas devoir lui en parler. Au reste, je vous en ai de mon côté la plus vive obligation. M. Margraff a fait de nouveau quelques apparitions à l’Académie, mais il est comme perclus d’une partie de ses membres. La démarche que vous avez bien voulu faire auprès de Sa Majesté pour nous procurer un successeur digne de lui ne peut que produire un bon effet ; comme nous n’avons point actuellement d’autre chimiste proprement dit dans l’Académie, il serait à souhaiter que le Roi voulût nous associer d’abord celui que vous avez trouvé ; vous en jugerez par la réponse que Sa Majesté vous fera. Je ne crois pas, au reste, qu’elle ait aucune prévention contre les demandes que vous pouvez lui faire pour les académiciens qui sont ici du moins il est sûr que la place de M. Heinius a été donnée avant que votre Lettre lui fût parvenue. Je vous prie toujours de laisser ignorer que c’est moi qui vous ai engagé à chercher un successeur à M. Margraff ; autrement je serais exposé à la haine de ceux qui peuvent avoir des prétentions à cette place ; peut-être M. Margraff lui même, que j’aime et que j’honore infiniment, m’en voudrait-il du mal.

Le Mémoire de M. de la Place sur les intégrales particulières m’a paru très bon et a été l’occasion des recherches que j’ai, faites sur la même matière, quoiqu’elles n’aient presque rien de commun avec celles de M. de la Place que le sujet qui en est l’objet. Ces recherches sont assez étendues et contiennent, si je ne me trompe, une théorie nouvelle et complète sur la matière en question ; je les ferai imprimer dans le Volume qui paraîtra à (Pâques). Je chercherai votre Lettre sur les courbes élastiques et je vous dirai mon avis sur les objections qu’elle contient ; j’ai cependant quelque idée' de vous avoir déjà répondu là-dessus, mais c’est une matière que j’ai totalement perdue de vue, et il faudra que je l’étudie de nouveau pour pouvoir en parler ; au reste, vous êtes meilleur juge que moi sur cela comme sur tout le reste, et je ne suis nullement prévenu pour mes Ouvrages.

Je vous prie d’assurer le marquis Caraccioli de mes respects ; je suis au désespoir qu’il n’ait pas pu passer par Berlin je m’en faisais d’avance une-si grande fête ! Je lui écrirai incessamment pour le féliciter sur son heureux retour en France. Adieu, mon cher et illustre ami ; je vous embrasse de tout mon cœur, et je me recommande toujours à votre amitié et à votre souvenir.

À Monsieur d’Alembert, secrétaire de l’Académie française,
membre de celles des Sciences de Paris, de Berlin, etc., rue Saint-Dominique,
vis-à-vis Belle-Chasse, à Paris
.

  1. Colin Mac-Laurin, géomètre, né en 1698 à Kilmoddam (Écosse), mort à York le 14 juin 1746.
  2. Johann-Georg Sulzer, philosophe, né à Winterthur (canton de Zurich) le 16 octobre 1720, mort le 25 février 1779 à Berlin, où il était directeur de la Classe de Philosophie spéculative à l’Académie.