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Correspondance de Lagrange avec d’Alembert/Lettre 147

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Texte établi par Ludovic LalanneGauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIIIp. 327-329).

147.

LAGRANGE À D’ALEMBERT.

À Berlin, ce 15 juillet [1777].

Si je suis quelquefois longtemps sans vous écrire, mon cher et illustre ami, vous ne devez pas m’accuser de négligence et encore moins de refroidissement dans les sentiments que je vous dois ; l’unique raison, c’est que, n’ayant rien de particulier ni d’important à vous dire, je me fais scrupule de vous importuner et de vous constituer en frais de poste inutilement. D’ailleurs il y a plus de trois mois que ce paquet aurait dû partir, mais voici la première fois que je trouve une commodité pour vous l’envoyer. Je ne vous dirai rien d’avance sur les Mémoires qu’il contient ; c’est à vous à les apprécier, si vous les jugez dignes de quelque attention. Je vous prie de lire d’abord l’Addition au Mémoire sur les sphéroïdes[1] et de me dire jusqu’à quel point ma méthode s’accorde avec la vôtre. Les autres matières que j’ai traitées pourront vous intéresser moins ; aussi je ne vous demande point de les lire, à moins que vous n’ayez rien de mieux à faire ; mais comme elles peuvent intéresser MM. de Condorcet et de la Place, qui se sont beaucoup occupés de matières semblables, je vous prie de les leur communiquer, si vous le jugez à propos, en attendant que je trouve une autre occasion pour leur en faire parvenir à chacun un exemplaire. Je vous prie de dire à M. de la Place que j’ai reçu, il y a deux semaines, son beau Mémoire sur l’intégration des équations aux différences partielles, que j’en suis enchanté et que je lui écrirai incessamment pour lui témoigner toute la satisfaction que la lecture de ce Mémoire m’a donnée.

Avez-vous reçu notre Volume de 1775 ? Je crois que je l’avais inséré dans une balle de M. Bernoulli, adressée à M. de la Lande, avec deux autres paquets, l’un pour M. de la Place, l’autre pour le marquis de Condorcet. Je souhaiterais savoir ce que tout cela est devenu.

Le Volume pour 1776 est près de paraître, et l’on va mettre sous presse celui de 1777 le Mémoire que M. Messier nous a envoyé[2], il y a environ un an, sera infailliblement imprimé dans ce dernier Volume ; il aurait pu l’être dans celui de 1776 si la gravure de la Carte n’avait formé un obstacle je vous prie de le lui dire de ma part, en y ajoutant tous mes compliments.

Je viens maintenant à votre Lettre du 14 février, à laquelle je dois encore réponse. Il serait superflu de vous témoigner tous mes regrets de n’avoir pu vous embrasser comme je m’en étais flatté ; je crois que vous êtes assez convaincu de tous les sentiments par lesquels je vous suis attaché pour ne pas douter que je n’aie été très-sensible à ce contretemps il ne me reste maintenant d’autre espérance de vous revoir que chez vous, et je ne l’ai pas encore perdue. Je vous remercie de tout mon cœur de ce que vous me promettez de faire pour moi dans l’occasion c’est une marque de votre amitié qui m’est très-sensible, quoiqu’elle ne me soit pas nouvelle. L’élection de M. Margraff[3] fait honneur à notre Académie, et à ce titre, aussi bien qu’à celui de son ami et de son admirateur, je vous en dois des remercîments, comme à celui qui y a peut-être plus contribué que personne. Lorsque je lui en donnai la nouvelle, il me parut très-sensible à cette distinction il est à peu près dans l’état où l’on a dit que Newton était sur la fin de ses jours : il ne lui reste que la réminiscence de ce qu’il a été. Nous sommes aussi menacés de perdre M. Sulzer et M. Lambert. La perte de ce dernier surtout m’affligerait beaucoup, parce que c’est un homme d’un mérite supérieur et très-estimable par son caractère ; le Roi lui a donné, il y a un an, 400 écus d’augmentation, moyennant quoi il est maintenant assez bien.

Je suis très-flatté de ce que vous paraissez avoir goûté mon Mémoire sur les intégrales particulières. Je n’ai pas rapporté ce que vous aviez dit dans votre Mémoire de 1748 sur les équations de la forme parce que cela ne me paraissait pas avoir un rapport immédiat à la théorie des intégrales particulières du moins, il m’a semblé que vous n’aviez pas touché le point qui dépend de cette théorie, et qui consiste en ce que l’une des intégrales est réellement l’intégrale complète de la proposée, étant la même qu’on trouverait par les procédés ordinaires, en intégrant l’équation sous la forme tandis que l’autre intégrale n’est point et ne saurait être comprise dans celle-là ; d’ailleurs, j’avais remarqué que vous n’aviez point fait mention de ce passage de votre Mémoire de 1748 dans ce que vous aviez donné postérieurement sur les intégrales particulières et que j’ai cité au commencement de mon Ouvrage ; au reste, si vous trouvez que j’ai manqué à l’équité en ne vous citant pas sur ce sujet, je réparerai cette faute le mieux que je pourrai dans un autre Mémoire que je me propose de donner sur la même matière et pour lequel j’ai déjà quelques matériaux.

Adieu, mon cher et illustre ami ; portez-vous bien et aimez-moi. Si vous voyez le marquis Caraccioli, voudriez-vous bien l’assurer de mon respectueux attachement.


  1. Œuvres, t. V, p. 645.
  2. Ce Mémoire est le seul de Messier qui soit inséré dans le Recueil de l’Académie de Berlin (année 1776, p. 312-336). Il est relatif à des observations de Saturne et est accompagné d’une Carte de la route apparente de cette planète.
  3. Comme associé étranger de l’Académie des Sciences de Paris.