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Correspondance de Lagrange avec d’Alembert/Lettre 169

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Texte établi par Ludovic LalanneGauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIIIp. 371-372).

169.

LAGRANGE À D’ALEMBERT.

À Berlin, ce 7 décembre 1781.

Mon cher et illustre ami, cette Lettre vous sera rendue par M. Viotti[1], mon compatriote et très-habile musicien, qui vient à Paris pour se faire entendre dans le concert spirituel et tâcher de mériter le suffrage d’une nation qui est devenue la dispensatrice des réputations dans tous les genres. Permettez-moi de vous demander vos bontés pour lui au cas que vous soyez à portée de lui être utile pour l’objet de son voyage ; je ne doute pas qu’il n’y réponde par sa reconnaissance et ses succès.

Je profite de cette occasion pour vous envoyer nos Mémoires de 1779, ainsi que le second Volume des Commentaires de Gœttingue. Le troisième ne paraît pas encore. On imprime actuellement mes recherches sur la libration ; aussitôt que je pourrai en avoir un exemplaire, j’aurai l’honneur de vous en faire hommage. Je voudrais pouvoir soumettre aussi à votre jugement un Mémoire que j’ai lu, il n’y a pas longtemps, sur le mouvement des fluides[2], et qui contient les remarques que je vous ai déjà communiquées, jointes à plusieurs autres. Mon but principal a été de faciliter l’application de la théorie générale au mouvement des fluides dans des vases et des canaux. Pour cela, j’ai supposé qu’une des dimensions du vase fût assez petite, ce qui m’a permis d’exprimer les inconnues par des fonctions en série, et j’ai obtenu, par la considération des premiers termes, les mêmes résultats que donne la méthode ordinaire fondée sur l’hypothèse du parallélisme des tranches. En même temps, mon analyse m’a fait voir que ces résultats sont exacts, aux quantités du second ordre près, en regardant la largeur du vase comme une quantité du premier ordre. J’y donne aussi des recherches sur le mouvement des ondes formées à la surface d’une eau stagnante et peu profonde, et je trouve que, lorsque l’élévation de l’eau au-dessus du niveau est très-petite, elles sont entièrement analogues aux ondes sonores formées par les condensations et dilatations successives de l’air, ce qui paraît confirmé par l’expérience.

M. Bitaubé m’a annoncé quelque chose de votre part je l’attends avec tout l’empressement que j’ai toujours pour ce qui vient de vous.

Recevez, mon cher et illustre ami, mes plus sincères protestations d’amitié et d’attachement inviolable, jointes aux vœux que je fais d’avance pour vous à l’occasion du renouvellement de l’année ; conservez-moi tous les sentiments dont vous avez eu la bonté de m’honorer jusqu’ici, et qui me sont précieux au delà de ce que je puis vous exprimer. Je vous embrasse très-tendrement.


  1. J.-B. Viotti, célèbre violoniste et compositeur, né le 23 mai 1753 à Fontanetto (Piémont), mort le 3 mars 1824 à Brighton. Voir la Lettre suivante de d’Alembert.
  2. Mémoire sur la théorie du mouvement des fluides, inséré dans le Volume de 1781, p. 151-198. (Voir Œuvres, t. IV p. 695).