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Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4513

La bibliothèque libre.
Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 257-258).

4513. — À M. GEORGE KEATE, ESQ.[1],
nandos coffeehouse, london.
Au château de Ferney, pays de Gex, en Bourgogne,
par Genève, 4 avril 1761.

Monsieur, il est bien triste de ne pas vous faire de ma main les sincères et tendres remerciements que je vous dois, et il est difficile de les exprimer. Votre livre m’a paru excellent en son genre, sage, vrai, et écrit précisément du style dont il le fallait écrire, ce qui n’est pas une chose commune ; bien peu de gens savent proportionner leur esprit aux sujets qu’ils traitent. Jugez, monsieur, combien l’honneur que vous m’avez fait m’est précieux. J’ai écrit sur-le-champ au conseil de Genève pour le féliciter de la gloire qu’a la république d’avoir été si bien célébrée par vous, et si bien encouragée à mériter toujours ce que vous dites d’elle. Je n’ai point renoncé à mes petites Délices, qui sont dans le territoire de Genève, elles me seront toujours chères, puisque j’ai eu le bonheur de vous y posséder quelquefois ; mais je donne la préférence à un château que j’ai fait bâtir dans le pays de Gex, en Bourgogne. J’ose me flatter que milord Bourlington en aurait été content : mes jardins ne sont point à la française ; je les ai faits les plus irréguliers et les plus champêtres que j’ai pu. J’ose les croire tout à fait à l’anglaise, car j’aime la liberté, et je hais la symétrie. Je suis les leçons de M. Thull, en fait d’agriculture ; et je finis ma carrière comme Virgile avait commencé la sienne, en cultivant la terre ; il s’ennuya du lac de Mantoue, et je ne m’ennuie point de celui de Genève. Si je regrette quelque chose au monde, ce sont les bords de la Tamise. Si jamais quelque jeune Anglais qui vous ressemble vient à Genève, je vous supplie de me l’adresser, afin que j’aie souvent le plaisir de lui parler de vous. Adieu, monsieur, comptez que je serai pénétré toute ma vie de l’estime, de l’amitié et de la reconnaissance que je vous dois.


Voltaire.

  1. Communiquée à l’Illustrated Londun News, par M. Henderson.