Aller au contenu

Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 4988

La bibliothèque libre.
Correspondance : année 1762GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 192-193).

4988. — À M. DAMILAVILLE.
31 juillet.

Est-il vrai que nous pourrons posséder notre frère, au mois de septembre, dans le pays de parpaillots ? Il est juste que les initiés communient ensemble. Frère Diderot ne peut quitter l’Encyclopédie ; mais frère d’Alembert ne pourrait-il pas venir se moquer des sociniens honteux de Genève ?

On ne trouve plus ici aucun Contrat insocial de Jean-Jacques, et sa personne est cachée entre deux rochers de Neuchâtel. Ô comme nous aurions chéri ce fou, s’il n’avait pas été faux frère ! et qu’il a été un grand sot d’injurier les seuls hommes qui pouvaient lui pardonner !

Est-il possible qu’on n’imprime pas à Paris les Mémoires de Calas ? Eh bien ! en voilà d’autres[1] ; lisez et frémissez, mon frère. On a imprimé ces lettres à la Haye et à Lyon. Tous les étrangers parlent de cette aventure avec un attendrissement mêlé d’horreur. Il faut espérer que la cour sauvera l’honneur de la France, en cassant l’indigne arrêt qui révolte l’Europe. Mon Dieu, mes frères, que la vérité est forte ! Un parlement a beau employer les bras de ses bourreaux, a beau fermer son greffe, a beau ordonner le silence, la vérité s’élève de toutes paris contre lui, et le force à rougir de lui-même.

Espérez-vous la paix ? Tout le monde en parle ; mais j’ai bien peur qu’il n’en soit comme de la pluie que nous demandons, et que Dieu nous refuse. Tout est tari dans notre pays, excepté notre lac.

Ne vous livrez pas, mon frère, au dégoût et au dépit ; et tâchez de tirer parti du passe-droit que vous essuyez.

Thieriot et moi, nous embrassons notre frère.

  1. Pièces originales concernant la mort des sieurs Calas ; voyez tome XXIV, page 365.