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Cours d’agriculture (Rozier)/HUILE

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Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 521-583).


HUILE. Substance grasse, onctueuse, inflammable, tirée de différens végétaux. Il ne sera pas question dans cet article, des huiles appelées animales ; elles n’ont aucun rapport direct avec l’agriculture.


Plan du travail sur le mot Huile.


CHAPITRE PREMIER. Notions préliminaires & de théorie,
pag. 522
Section Première. Des principes constituans de l’Huile,
ibid.
Sect. II. De l’analogie des Huiles de graines avec l’Huile d’olive, & leurs différences,
526
Sect. III. Analyse des Huiles de graines, celles de colza & de navette, prises pour exemple,
517
CHAP. II. Observations pratiques sur la fabrication des Huiles,
531

Section Première. De la récolte des graines à huile,
ibid.
Sect. II. De la récolte des noyaux & fruits à Huile,
532
§. I. De celle des noyaux,
ibid.
§. II. De celle des fruits à Huile,
533
Sect. III. De la préparation de toute espèce d’ustensiles destinés à la fabrication des Huiles,
542
Sect. IV. Procédés ordinaires pour faire l’Huile,
§. I. Des Huiles de graines,
ibid.
§. II. Des Huiles de noyaux,
550
§. III. De l’Huile d’olive,
ibid.
Sect. V. Procédé de M. Sieuve, pour extraire l’Huile d’olive, & description de sa machine pour séparer la chair des olives du noyau,
556
Sect. VI. Description du moulin de recense,
562
CHAP. III. De la conservation des Huiles,
568
Section Première. De la conservation & rectification des Huiles de graines,
569
Sect. II. De la conservation, des Huiles d’olive,
571
Sect. III. Des causes de la rancidité des huiles,
575
Sect. IV. Des moyens de prévenir la rancidité,
578
Sect. V. Existe-t-il des moyens de corriger la rancidité,
579
CHAP. IV. Des propriétés économiques & médicinales de l’Huile,
581
Section Première. Des propriétés économiques,
ibid.
Sect. II. Des propriétés médicinales,
582


CHAPITRE PREMIER.

Notions préliminaires ou de théorie sur les différentes espèces d’Huile.


Section Première.

Des principes constituans de l’Huile.


De quoi est composée l’huile ? On répond de phlogistique, ou principe feu, d’acide, d’eau & de terre, puisqu’on retire de l’huile ces principes secondaires par l’analyse. Mais ne les retire-t-on pas également de presque tous les végétaux ? Convenons de bonne foi que nous connoissons peu la manière d’être, & les combinaisons des principes, puisque cette définition peut s’appliquer à une infinité de substances, sans cesser d’être exacte : mais trop générale, si l’un de ces principes domine sur les autres, il lui assigne un caractère qui le distingue. Par exemple, dans l’huile en général, il est clair que le phlogistique, ou principe inflammable, ou peut-être le seul air inflammable, est l’être dominant ; il est encore plus que probable, que les acides contiennent plus de principes feu, que les sels alcalis & les sels neutres. Il n’est donc pas étonnant que l’huile s’enflamme à l’approche d’un corps en ignition, parce que tous les fluides tendent à se mettre en équilibre, & les principes ignées étant les plus abondans dans l’huile, ils doivent s’échapper dès que l’occasion s’en présente ; alors toute agrégation est rompue, les substances les plus volatiles se consument, & les plus grossières, qui n’ont pu être volatilisées, demeurent. Il faut connoître les principes constituans des huiles pour en faire de bonne, & pour la conserver longtemps sans qu’elle se détériore. Entrons en matière. Il y a deux espèces d’huile.

L’huile grasse qu’on retire par expression, & l’huile essentielle ou éthérée, qu’on obtient communément par la distillation, & rarement par l’expression. Voici les caractères de l’une & de l’autre.

Le règne végétal seul fournit les huiles grasses, & l’on peut dire que toutes les graines ou semences en contiennent plus ou moins. Cette assertion, malgré sa généralité, est vraie, quoiqu’elle souffre des exceptions. On convient cependant que le travail & la dépense nécessaires pour extraire l’huile de toutes les espèces de semences, excéderoient de beaucoup le produit. Si on veut facilement reconnoître les graines susceptibles de donner un bénéfice, il suffit de jetter dans un mortier une certaine quantité de ces semences, d’y ajouter de l’eau, & de broyer le tout : l’eau devient alors laiteuse, & forme ce qu’on appelle une émulsion. Tous les noyaux des fruits, les pépins, les semences des courges, des melons, des concombres ; toutes les semences des plantes à siliques, dont la fleur est en croix, comme du chou, de la rave, de la moutarde, &c., en fournissent la preuve. En un mot, toutes les graines, dont l’intérieur est rempli par une amande, donnent de l’huile grasse par expression. L’olive est peut être le seul fruit dont la pulpe contienne de l’huile grasse. Son noyau & son amande en contiennent également, mais dans un état de combinaison différent de la première, comme on le verra par la suite. L’émulsion est la pierre de touche pour reconnoître les semences huileuses.

L’huile grasse existe toute formée dans la graine ou dans la pulpe de l’olive. C’est un mixte qui leur est essentiel, & sans lequel elles ne sauroient exister. L’art ne l’y crée point, les manœuvres de l’ouvrier n’y forment aucunes combinaisons nouvelles, & l’huile grasse extraite est la même que celle qui existoit pareillement libre dans le végétal. Au contraire, les huiles éthérées ou essentielles, sont indifféremment placées dans les enveloppes de ces semences, dans les calices, les pétales, les feuilles, les bois, les racines, ou seulement dans quelques-unes de ces parties. Elles y sont très-souvent combinées dans un état résineux ; (voy, le mot Résine, ou Résino-gommeux, & le mot Gomme) ; c’est pourquoi on a plutôt recours à la distillation qu’à l’expression pour les en extraire.

L’existence de ces deux huiles dans la même graine, mais placée différemment, produit des effets singuliers lors de l’expression ; j’en parlerai dans la suite.

L’huile grasse récente, & bien faite, est douce, sans odeur, & elle ne se volatilise pas au degré de l’eau bouillante. L’huile essentielle est toujours âcre, toujours combinée avec l’esprit recteur ; par conséquent, odorante, & elle se volatilise à une chaleur moindre que celle qui fait bouillir l’eau.

L’esprit recteur, ou principe odorant de tous les corps, est subtil & volatil à l’excès ; c’est lui qui, avec une seule fleur d’héliotrope embaume l’air pendant le jour, & avec le geranium triste pendant la nuit. C’est la présence de cet esprit recteur qui donne aux huiles des graines à siliques, & sur-tout à leurs savons, l’odeur de choux, de raves, &c. ; enfin l’odeur de la graine dont l’huile a été exprimée.

Ces distinctions sont essentielles à saisir, mais il en est encore une de grande importance à laquelle tient, selon moi, la conservation de la qualité douce & suave des huiles grasses, c’est-à-dire, celle qui empêche la trop prompte séparation du mucilage, la réaction de l’huile essentielle sur l’huile grasse ; enfin, d’où dépend l’harmonie & la conservation des principes constituans ; c’est l’air, cet air fixe, (voyez ce mot), ou fixé dans tous les corps ; il sert de lien à leurs principes, & il est leur conservateur par excellence. Plus une huile reste coagulée, toutes circonstances égales, moins elle se décompose ; l’huile de ben ou been, l’huile d’olive en sont la preuve ; ce fait est dans l’ordre naturel, puisque, d’après les expériences de M. Hales, un pouce cubique d’huile d’olive donne 88 pouces cubiques d’air fixe. On a beau agiter l’huile d’olive nouvelle & bonne, on ne voit jamais, s’élever sur sa surface, aucune bulle d’air, tandis que, si on agite de la même manière l’huile de pavot, dite d’œillette, la surface est couverte de bulles, d’air. Cette dernière perd donc avec facilité son air de combinaison, aussi il ne fige qu’au plus grand degré de froid. L’huile d’olive tennue bien bouchée, & dans de bonnes caves, (voyez ce mot), se conserve figée pendant plusieurs années de suite. Supposons qu’elle, se soit défigée au degré 10 de chaleur, & qu’elle se soit figée de nouveau lorsque la chaleur aura baissé à quatre degrés, au retour du printemps elle se défigera encore ; mais à l’entrée de l’hiver suivant, il faudra presque le degré de la glace pour la figer de nouveau. Je suppose qu’elle aura été tenue à l’abri des grandes chaleurs de l’été, autrement elle ne se figera qu’au second ou quatrième degré au dessous de la glace. D’où vient cette différence ? De la perte de l’air de combinaison, d’où résulte nécessairement la précipitation du mucilage contenu dans l’huile. Ce mucilage atténué, interposé entre les molécules de l’huile, les mettoit moins à nu ; l’huile étoit plus, douce, & donnoit plus de fumée en brûlant : au contraire, plus une huile vieillit, plus elle devient forte en se dépouillant de son mucilage ; plus elle se clarifie, & moins elle fume en brûlant. Il n’en est pas ainsi de l’huile de faine, (voy. le mot Hêtre), qui acquiert de la qualité, de la douceur, & perd son goût désagréable en vieillissant ; c’est qu’en perdant une partie de son air de combinaison ou air fixe, elle laisse précipiter une partie de son mucilage dans lequel résident ses qualités, désagréables & amères.

J’appelle mucilage tout débris du parenchyme des fruits dont la base diffère peu des gommes ; en un mot, une substance filante, tenace, collante, miscible à l’eau dans toutes ses parties, & indissoluble dans l’huile. Le mucilage est aux huiles ce que les parties constituantes de la lie sont au vin ; c’est-à-dire, qu’il n’est point dissous dans l’huile, mais interposé entre ses molécules, & mnaintenu dans l’état d’atténuation par l’air fixe, & c’est ce mucilage qui se précipite, dès que cet air se sépare des corps.

L’huile essentielle est très-miscible à l’huile grasse, elle y porte avec elle l’esprit recteur ou principe odorant. Il n’existe point d’huile, admise dans le commerce, où il n’y ait une quantité plus ou moins grande de cette huile essentielle qui réside dans la coque, dans l’enveloppe de l’amande, & même dans l’olive, dans le bois de son noyau, dans son amande ; jusqu’au bois de l’olivier, est pénétré de cette huile essentielle, où elle est infiniment plus abondante que dans le fruit.

J’ai dit plus haut que l’huile grasse existoit toute formée dans le fruit ; mais pour qu’elle y soit sensible, & pour qu’on puisse la retirer, il faut que le fruit ait acquis une certaine maturité, une maturité capable de faire évaporer une partie de l’eau surabondante de végétation, & capable de séparer les portions huileuses des aqueuses ; comme il n’existe point de principes vineux développés avant La maturité du raisin.

Pline, Caton, Columelle, & les anciens écrivains, parlent d’une huile d’été. qu’on retiroit des olives vertes. J’ai voulu vérifier le fait, ou du moins l’expliquer. À la fin de juin, dans le courant de juillet & à la fin d’août, j’ai pris une quantité donnée d’olives pressées à nu, après en avoir enlevé le noyau ; le fluide pâteux, obtenu par la presse, & de nouveau broyé dans l’eau, n’a pas présenté le moindre vestige d’huile. Les olives bouillies au point de les réduire en pâte, n’offrent point d’huile. Les. olives, crues, ou bouillies, toutes, deux prises séparément, & triturées avec du sucre pour faire un oleo-saccharum, n’ont laissé appercevoir aucun vestige d’huile ; & de toutes, je n’ai pu obtenir une émulsion. Si j’ai bien vu, si je ne me suis pas trompé, je dois conclure que les principes constituant l’huile sont dans le fruit, mais qu’ils n’y sont pas développés au point d’être sensibles à la vue, au goût ni à l’odorat ; enfin, que c’est la maturité qui les développe. L’huile d’été des anciens ne pouvoit donc être extraite des olives que lorsqu’elles commençoient à mûrir. Au reste, si l’huile existe toute formée dans l’olive même avant sa maturité, ce qui importe fort peu aux cultivateurs, elle est tellement confondue avec le mucilage, qu’il n’est pas possible de l’en séparer par l’expression. C’est un fait dont chacun peut avoir la preuve. Il en est ainsi pour les graines à huile.

Tant que les semences sont dans un état laiteux, comme les amandes, les noisettes, les faines, les noix fraîches, &c ; les graines de colza, de navette, de caméline, de chanvre, de lin, &c. ; les pépins de raisins de pommes, de poires ; les semences des courges, de concombres, de melons, & les noyaux d’abricoter de prunes, de cerises, &c ; leur substance est, à proprement parler, un mucilage, & on auroit beau les tourmenter par le pressoir le plus expressif, elles ne donneront pas un atome d’huile. Si ces amandes, ont été tenues après leur maturité dans un lieu humide, elles moisiront & l’huile sera forte. Si ces amandes sont gardées trop long-temps, l’huile sera déjà un peu rance en sortant du moulin. Si l’écorce des semences, a été brisée, & l’amande mise à nu, en tout ou en partie, l’amande rancira, & l’huile sera très-rance. Si ces semences sont amoncelées, & ont éprouvé un certain degré de chaleur, la fermentation s’établira, & plus la chaleur augmentera, & plus l’huile sera rance. C’est ce que nous examinerons par la suite.

On distingue deux espèces d’huile, la vierge & l’échaudée. La première est celle que l’on retire par la simple expression, & c’est la meilleure & la plus douce ; on emploie des plaques chaudes ou l’eau bouillante, pour arracher, des tourteaux de la première, l’huile qu’on n’a pu en retirer par l’expression. On appelle tourteau le marc qu’on sort de la presse ; bons tourteaux, quand ils contiennent encore un peu d’huile, & tourteaux secs, lorsqu’on ne peut plus en retirer par le pressoir.

L’huile d’olive est la plus parfaite que l’on connoisse. Je vais la prendre pour point de comparaison avec les autres, & montrer en quoi les huiles diffèrent ou se ressemblent.


Section II.

De l’analogie des Huiles de graines avec l’Huile d’olive, & de leurs différences.


I. De la Ressemblance. Les graines, dont on retire les huiles du commerce, en général, sont celles du chou nommé çolsat ou colza, (voy. ce mot), de la rave ou navette, de la moutarde, de la caméline, du lin du chanvre & du pavot. Cette dernière huile est, dans son espèce, aussi parfaite que l’huile d’olive l’est respectivement aux autres tirées des fruits des noix, des noisettes, des amandes & des olives.

Toutes ces huiles sont fluides, transparentes, à moins qu’elles ne soient coagulées par le froid. Elles ont une couleur jaune, dorée, plus ou moins foncée, suivant l’année, le climat & le sol qui a produit les fruits ; elles ont une saveur douce, mucilagineuse & grasse. Elles sont immiscibles à l’eau, à l’esprit de vin, & sont inflammables. Elles sont miscibles aux autres huiles, aux baumes, aux graisses, beurres, cires, camphres, résines, soufres, au sucre, au sel alcali, & à quelques substances métalliques. Elles sont plus légères que l’eau, la surnagent, & ne s’élèvent en vapeurs qu’à un degré supérieur à celui de l’eau bouillante.

Lorsqu’elles éprouvent pendant quelque tems un degré de chaleur égal à celui du soleil en été, c’est-à-dire, de 22 à 25 degrés, elles deviennent rances, âcres & fortes. Elles ont un goût d’onguent, vulgairement nommé d’huile cuite. La rancidité, le goût & l’odeur, appelés fort, sont aussi communiqués par la vétusté.

Lorsqu’on les distille, elles deviennent des huiles empyreumatiques, (c’est-à-dire, qui ont une odeur & une saveur de brûlé, de calciné) que des distillations réitérées peuvent changer en huiles essentielles éthérées & volatiles, comme l’éther des chimistes, qui semble être le principe huileux par excellence, ou l’huile principe primitif, dont toutes autres sont formées, mais dans la mixtion desquelles il entre d’autres substances plus grossières, qui ne sont pas essentielles à l’existence de l’huile, & ne servent qu’à ses caractères secondaires de composition.

II. Des différences. L’huile d’olive servant de point de comparaison, nems trouvons à toutes les huiles de graines de la famille des plantes à fleurs en croix & à fruits en siliques, un goût âcre & caustique, (l’huile de pavot[1] ne l’a point, & elle est seule de son genre). Ce goût se décèle un peu à l’odorat, mais sur-tout, dans ce qu’on nomme l’arrière goût, lorsqu’on les savoure dans les alimens, ou qu’on les garde dans la bouche.

Les huiles de graines, marchandes & même récentes, celle de pavot exceptée, sont déjà un peu rances ; l’huile d’olive n’a ce défaut que lorsqu’elle est mal faite.

Ces huiles déposent plus promptement & plus abondamment, au fond des vases qui les contiennent, un marc mucilagineux, qui n’est plus miscible à l’huile. Elles rancissent plutôt en vieillissant, elles exigent un degré de froid beaucoup supérieur à la congélation de l’eau pour se figer ; elles sont moins visqueuses, & écument beaucoup plus, échauffées au même degré de chaleur.

Elles rouillent le fer & le cuivre plus promptement, forment plus facilement des savons avec les alcalis ; & par cette raison, on les préfère à la bonne huile d’olive pour apprêter les laines & les étoffes de laine, quand même leur prix seroit égal.


Section III.

Analyse des Huiles de graines, celles de colza & de navette prises pour exemple.


Nous avons dit & nous répétons qu’il entre dans la combinaison des huiles un mixte que nous avons appelé huile primitive, huile universelle ; car ce principe huileux paroît être commun à toutes les huiles, sans exister dans la nature jamais pur, & d’une façon isolée & à nu : peut-être même pour le découvrir, il faudroit remonter jusqu’au soufre qui s’élabore & s’atténue dans l’économie animale, au point d’être comme dans les graisses & dans les huiles, combiné aux principes aqueux dont ces substances abondent. Quoi qu’il en soit de cette théorie, il nous suffit de savoir que le principe huileux des huiles de graines, peut, par des distillations réitérées, être séparé dé tout autre substance, & être, dans cet état, de l’huile essentielle éthérée ; ce qui permet au moins de présumer que cette huile existe dans l’huile grasse, mais combinée avec d’autres corps qui, dans cet état, masquent ses propriétés.

Le résidu de la déflagration, ou le produit fixe de la distillation des huiles grasses, est un noir de fumée, ou un charbon dont la cendre est vitrescible.

Le charbon fixe des huiles essentielles, ou le volatil, qu’on appelle noir de fumée, est en si petite quantité comparé à celui des huiles grasses, & il est si réfractaire, qu’on voit qu’il manque à leur mixtion, des principes qui existent dans celle des huiles de graines.

L’abondance du charbon dans l’huile grasse incendiée ou distillée, la vitrescibilité de ses cendres ne sont pas les seuls indices d’un mucilage dans ces huiles, comme l’huile éthérée, que l’on en retire par des distillations rectifiées, n’est pas l’unique preuve que je donnerai de la présence de cette huile dans les huiles grasses.

Ces huiles déposent par la vétusté ce mucilage, & il y devient alors plus apparent que par leur ustion ; ce qui le démontre encore par la fermentation que subissent les émissions. Séparez les huiles grasses, faites évaporer l’eau ; & vous obtiendrez un mucilage réel.

On peut juger, d’après ce que je viens de dire, que plus ce mucilage est précipité ou extrait, & plus les huiles qui le contenoient précédemment d’une manière mixtive & non simplement agrégative, ont acquis de la rancidité & de l’âcreté ; l’air fixe seul y tenoit le mucilage en dissolution. Ces huiles sont moins consistantes, moins tenaces, épaisses, filantes, & donnent moins de fumée quand on les brûle : en un mot, ces huiles se rapprochent davantage de la qualité des huiles essentielles dont on connoît les goûts âcres & même caustiques, à mesure qu’elles perdent le mucilage qui les adouciroit : c’est l’abondance du mucilage dans l’huile de pavot qui la rend si douce & si détestable pour brûler dans les lampes.

Les semences de colza, de navette, de moutarde, &c., mêlées & appliquées sur la peau d’un homme vivant, sont de vrais épipastiques, (voyez ce mot) ; & même deviennent vésicatoires lorsqu’on réitère & qu’on entretient leur application.

J’ai soumis à la distillation, aux plus légers degrés de chaleur, les graines fraîches de colza, de navette, & de plusieurs autres plantes à siliques. Elles ont donné pour premier produit mobile, des esprits recteurs, ayant l’odeur propre de ces semences. Ce principe est très-âcre au goût, il irrite les yeux & le nez, & c’est celui que l’on remarque dans les cuisines, lorsqu’on fait des apprêts à l’huile échauffée.

Ce principe âcre & volatil des plantes à fleurs en croix, de nature sulphureuse, existe dans le parenchyme de leurs graines, comme le principe amer existe dans l’amande amère, dans la coloquinte, dans la pulpe de l’olive, qui est très-amère. Ces substances fournissent néanmoins des huiles douces.

Les huiles des plantes à siliques ne sont pas épipastiques, comme le marc de leur substance, dans lequel le principe recteur réside particulièrement ; mais elles en retiennent une portion, parce que, dans ces circonstances, les huiles exprimées suivent les affinités & les rapports conséquens à leurs principes, en s’unissant avec cet être volatil que je viens de nommer sulphureux & inflammable. C’est ce principe qui caractérise l’odeur propre & particulière de l’huile de chaque espèce de graine, leur âcreté & leur légère causticité facile à distinguer dans une huile récente & qu’il ne faut pas confondre avec la rancidité.

Dans les distillations que j’ai faites des huiles récentes de colza, navette, &c., avec beaucoup d’eau, je n’ai point cherché à mettre à nu & d’une façon isolée & à part ce principe volatil : les huiles retiennent trop fortement leur esprit recteur. J’ai distillé d’ailleurs au degré de chaleur de l’eau bouillante, & mon objet étoit de connoître si dans ces huiles les plus récentes que je venois d’extraire, le principe huileux primitif étoit uni dans les plus justes proportions avec le mucilage ; & si l’agrégation mixtive de ces deux substances si peu faites pour être combinées, ne seroit pas détruite par l’ébullition de cette huile grasse avec l’eau.

Le produit mobile a été un peu d’eau laiteuse, sur laquelle nageoit une petite portion d’huile éthérée, âcre & d’une causticité pareille à l’impression que fait la moutarde ; je n’ai observé d’autre différence entre l’huile éthérée de colza & celle de navette, sinon que la première en fournit un peu plus.

J’ai appelé ces huiles éthérées, d’autant qu’elles se vaporisaient avec l’eau bouillante, qu’elles se dissolvoient dans l’esprit de vin rectifié ; & qu’à la manière des huiles essentielles, cette dissolution blanchissoit l’eau lorsqu’on l’y mêloit ; & l’esprit de vin s’unissant à l’eau, abandonnoit l’huile dissoute qui surnageoit.

Chaque fois que j’ai distillé l’huile grasse & cuite restante dans l’alambic avec addition d’eau, chaque fois l’ébullition a ranci une portion du mucilage à l’eau bouillante, & il s’élevoit de l’huile éthérée suivant les mêmes proportions de la décomposition.

Cette huile mêlée à petite dose dans l’huile de choux & de navette, l’a rendu âcre, rance, & très-désagréable. J’avois déjà éprouvé, avec le même succès, le mélange d’autres huiles éthérées à des huiles grasses & douces : on les rancit presqu’aussi-bien dans le moment, que la vétusté pourroit le faire ; mais on ne leur donne pas le goût propre de l’huile, ce qui ne s’opère parfaitement que par l’huile éthérée de la même substance.

J’ai tiré de ces expériences l’axiome suivant : plus l’huile grasse de colza, de navette, &c. perd de son mucilage, plus elle devient forte & rance ; ce qui est la même chose, que plus on ajoute d’huile éthérée de ces graines à ces huiles grasses & récentes, plus on les rend rances & fortes : ce qui constitue, à priori & à posteriori, un genre de preuve inébranlable sur la cause de l’altération spontanée de ces huiles, cause qui ne provient que de la privation de leur mucilage, dont le lien d’union avec l’huile essentielle est détruit en partie, ainsi qu’il sera encore dit ci-après.

En découvrant cette vérité, j’avois perdu de vue le premier objet de ma recherche, qui étoit de savoir si dans ces huiles grasses les plus récentes, tirées sans l’action de la chaleur, si, dis-je, dans la graine même il y avoit naturellement une huile éthérée surabondante dans sa mixtion au mucilage : l’ébullition avec l’eau en ayant sans doute développé qui ne l’étoit pas, ou du moins plus qu’il n’y en avoit, puisqu’avec la patience j’aurois pu réduire beaucoup d’huile grasse en huile éthérée ; j’abandonnai cette voie d’analyse & j’appliquai à l’huile grasse, vierge & récente, mais retirée de la graine marchande, de l’esprit de vin rectifié & à froid. Je fis la même chose sur de la bonne huile d’olive récente.

L’esprit de vin a dissout si peu de chose dans l’huile d’olive, qu’à peine rendoit-il l’eau, dans laquelle on la méloit, de couleur opale : la même expérience faite sur de l’huile d’olive gardée, mais que le goût n’apercevoit point encore rance, fournit à l’esprit de vin assez d’huile éthérée pour blanchir assez fortement l’eau où on le mettoit. L’huile de colza, de navette, &c, vierge & récente, donna au contraire, d’abord à l’esprit de vin, assez d’huile éthérée pour blanchir l’eau, & cette blancheur étoit toujours augmentée en raison de la rancidité des huiles, soit de graine, soit d’olives, employées dans ces expériences.

La graine de colza, de navette, &c, macérée dans l’esprit de vin, donnoit une teinture qui blanchissoit très-fortement l’eau où on la mettoit : il y précipitoit même des grumeaux blancs, ce qui indique dans ces semences non-seulement l’huile éthérée, mais encore, que cette huile y est contenue dans une combinaison résineuse. En effet, la teinture évaporée a fourni une résine. Cette résine est très-apparente dans la pellicule qui recouvre l’amande, fruit de l’amandier, ainsi que l’huile éthérée ; c’est la raison pour laquelle cette huile rancit si promptement. Il faut encore ajouter à cette cause la précipitation de son mucilage par l’absence de cette partie d’air fixe qui formoit le lien de la masse générale.

Les huiles grasses retirées des graines, sans chaleur & avec toutes les précautions possibles pour ne pas les altérer, contiennent donc naturellement une petite portion d’huile éthérée, principe d’âcreté & de rancidité. Le défaut de mucilage suffisant pour la lier & la combiner de même que dans l’huile grasse parfaite, est peut-être aussi la raison qui fait que cette huile ne se coagule qu’à un grand froid. Les huiles qu’on retire des semences qui fournissent en même temps l’huile grasse & l’huile éthérée, se coagulent aussi difficilement. Les huiles éthérées ne se coagulent jamais ; & leur résine se précipite au contraire plus en été qu’en hiver : c’est aussi pourquoi plus ces huiles grasses sont rances, plus elles sont limpides, donnent moins de fumée en brûlant, & sont à préférer dans les préparations des laines où l’objet est de dissoudre des enduits & vernis graisseux déjà très-mucilagineux, & où par conséquent les huiles grasses les plus parfaites auroient moins d’action dissolvante.

Les huiles de graines les plus parfaites pour les apprêts des alimens, seront donc celles dans lesquelles les principes constitutifs seront unis dans la plus juste proportion ; elles seront agréables au goût & à l’odorat, si on leur enlève, avec le principe âcre & caustique, celui de l’odeur fatigante, soit de chou, soit de navette, soit de moutarde, &c. Enfin, le second but, aussi essentiel que le premier, consiste à les conserver le plus long-temps possible sans défaut. Jusqu’à présent je me suis occupé à établir en abrégé, une théorie que j’ai, autant qu’il m’a été possible, mise à la portée de tous mes lecteurs ; il me reste actuellement à traiter de la pratique résultante d’une théorie fondée sur des expériences, & que je crois démontrée jusqu’à l’évidence.


CHAPITRE II.

Observations pratiques sur la fabrication fes Huiles.


Section Première.

De la Récolte des graines à Huile.


Les semences, relativement à notre goût & à la qualité essentielle des huiles grasses, qui est la douceur & la suavité, ont un vice originel, je veux dire que, sortant du moulin, elles sont déjà âcres, & j’en ai indiqué la cause, ainsi que de leur saveur légèrement caustique. Les mauvaises manipulations, suite ou de l’ignorance, ou de la paresse, ou des préjugés, ajoutent à ces vices naturels, & conduisent les huiles retirées des graines à une prompte & manifeste rancidité, & à une odeur détestable.

Si la graine n’est pas bien mûre quand on coupe la plante, les principes qui doivent former l’huile ne sont point dans leur perfection ; on en aura moins d’huile, elle sera plus mauvaise, & si elle n’est pas mûre, on n’en obtiendra point. Il faut cependant que la graine ne soit pas dans une si parfaite maturité qu’elle fasse craindre d’en perdre beaucoup en abattant la plante ; elle sera fauchée ou sciée, ou coupée dans un beau jour, étendue sur la terre pour qu’elle sèche parfaitement, ensuite mise en meule ou portée à sécher sous un hangar. Mais on aura soin de faire un lit de paille & un lit de plantes, pour que l’humidité ne s’y conserve pas ; car si ces plantes ne sont pas sèches, elles s’échauffent, pourrissent, communiquent une humidité corrompue & chaude à la semence ; le mucilage de la graine & même celui de l’huile, subit alors une altération qui le décompose en partie, ce qui rompt son état de combinaison avec le principe huileux éthéré.

Cet accident arrive aussi à la graine même quand elle n’est pas bien mûre & qu’elle est fermée humide. Cette graine est de la classe des substances végétales qui attirent &c retiennent l’humidité de l’air ; ce qui fait que cette semence est elle-même sujette à la rancidité, lorsqu’elle est gardée trop long-temps ou qu’elle l’est sans précaution ; telles sont toutes les semences émulsives, à moins qu’elles n’aient éprouvé la correction dont nous parlerons dans la suite.

Lorsque la graine est sèche, il est dangereux de lui enlever la coque qui la couvre, soit en froissant cette graine, soit en la faisant tomber de trop haut, soit enfin par d’autres causes quelconques ; alors son amande à nu & à découvert, rancit facilement & communique son mauvais goût à l’huile, & cette huile devient détestable s’il y a une certaine quantité de graines viciées.

J’ai passé ici très-légèrement sur la manière de récolter les graines, de les conserver, &c., afin d’éviter des répétitions. Il faut à ce sujet consulter l’article Chou, Chou-Colza, page 316, tome III, & ce que j’ai dit dans cet article s’applique en général à la conservation de toutes les graines destinées à donner de l’huile. J’ajouterai seulement que si on tarde plus de quatre ou cinq mois à porter la graine au moulin, (suivant la chaleur du climat), son mucilage sera si sec qu’il ne pourra pas se combiner avec l’huile.

De toutes les manœuvres capables d’altérer & de nuire à la juste proportion des principes, & à la bonne qualité des huiles, la pire & la plus détestable à éviter est la méthode employée dans plusieurs provinces. On y met environ une livre d’eau sur une mesure qui contient cinquante livres de froment, poids de marc ; on fait fortement échauffer cette pâte dans un vaisseau de cuivre, torréfier même avant de la mettre au pressoir pour en tirer l’huile, comme s’il ne suffisoit pas de l’exprimer simplement. Je sais qu’en hiver elle coule moins facilement ; mais ayez de bons pressoirs, de bons moulins, à la manière des hollandois, (voyez ce mot) & vous obtiendrez des huiles vierges ; servez-vous d’un peu d’eau chaude pour les dernières pressées, & suivant la force du pressoir, vous retirerez toute l’huile ; mais si absolument vous désirez en retirer jusqu’au dernier atome, servez-vous du moulin de récensse, qui sera décrit ci-après. Cependant, comme la construction de ce moulin est dispendieuse, & qu’il est essentiel de se servir de ceux qu’on a, je conseille de supprimer la torréfaction, mais de faire chauffer les plaques du pressoir par l’intermède de l’eau bouillante ; de ne torréfier qu’à la troisième ou quatrième pressée, & de ne point mêler ce produit, parce qu’il est d’une qualité très-inférieure aux autres fournis par les pressées précédentes. Lorsqu’on emploie la chaleur pour obtenir tous les produits, le premier est une huile déjà rance sortant de la presse, ce que la digestion avec l’esprit de vin démontre ; elle y donne une teinture qui blanchit l’eau.

Outre les qualités mauvaises que l’on donne à l’huile par une fausse manipulation, elle porte en elle-même des vices essentiels, ainsi qu’on l’a vu ; mais elle a encore d’autres défauts qui lui sont communiqués par le sol où la plante croît, sans parler même de celui qu’on appelle goût de terroir. Plus le climat & la saison sont chauds, plus les graines contiennent d’huile essentielle, & par conséquent, plus de rancidité. Il en est ainsi de ces semences, lorsque la plante végète dans une terre sèche, sablonneuse, caillouteuse. Si la terre ou la saison sont trop humides, il y aura peu d’huile, elle sera trop mucilagineuse, & la graine sera très émulsive pour peu qu’on ajoute de l’eau dans la fabrication de l’huile. Ces objets doivent être pris en considération & prévus par ceux qui désirent faire de la bonne huile.


Section II.

De la récolte des noyaux & fruits à Huile.


§. I. De celle des noyaux.


On conçoit aisément que ce que je viens de dire s’applique aux noyaux & aux olives. Il convient de conserver l’amande dans sa coque presque jusqu’au moment où l’on veut la porter au moulin, & alors de se hâter de casser cette coque, de la séparer de ses débris, & fermer les amandes, les noix, &c. dans des sacs. Il est impossible, en cassant les coques, de ne pas attaquer un grand nombre d’amandes ; toutes les amandes dont l’écorce est divisée, & toutes celles qui sont brisées, ne tarderont pas à rancir, s’il fait chaud, si le lieu où on les met est humide, si elles sont en contact avec l’air libre, & si l’on diffère de les porter au moulin.

Les noix, les amandes, les noisettes, &c., demandent à être séparées de leur enveloppe herbacée aussitôt qu’elle sera sèche, parce qu’elle fait l’office de l’éponge qui attire & retient l’humidité de l’air. Ces brous se sépareroient d’eux-mêmes, si on attendoit la chute naturelle des fruits ; mais on la devance communément, parce qu’on gaule les arbres afin de faire la récolte tout à la fois. Si on amoncèle ces fruits avec leur enveloppe herbacée, s’ils sont en trop grande masse, s’ils restent trop longtemps, leurs enveloppes fermentent & communiquent leur chaleur à l’amande. Dès-lors le principe huileux y est altéré ; ce qui prouve la nécessité d’étendre ces fruits & de les râteler souvent, afin de les séparer de leurs enveloppes. Plus la coquille est dure & ligneuse, plus l’amande se maintient longtemps dans son intégrité. La noisette, l’amande, par exemple, se conservent plus long-temps que les noix, que la faine, &c. Lorsque l’on casse ces fruits afin de séparer la partie ligneuse de la partie charnue, on doit avoir grand soin de mettre à part les fruits piqués des vers, & dont une couleur jaune foncé ou tirant sur le noir, annonce l’altération. Quelque petite qu’en soit la quantité, il faut la séparer, parce qu’elle agira sur la masse de la même manière que le fait le peu d’huile essentielle ajoutée à l’huile grasse récente, ainsi que je l’ai dit plus haut. Elle donnera la première impulsion de rancidité, favorisera la réaction de l’huile essentielle sur l’huile grasse de la partie qui reste.


§. II. De la récolte des fruits à Huile.


L’olivier est le seul arbre connu jusqu’à ce jour, dont la chair du fruit fournit de l’huile grasse. Cette partie essentielle de l’agriculture de trois à quatre de nos provinces, exige des détails & un examen particulier de sa fabrication ; dans ce moment la récolte de l’olive est le seul objet qui m’occupe.

Les espèces primitives d’olivier sont en très-petit nombre, s’il est vrai qu’il en existe aujourd’hui, excepté celle de l’olivier sauvage. Je regarde toutes celles que nous cultivons, comme des espèces jardinières du premier ordre ; (Voyez le mot Espèce) à l’article Olivier nous les examinerons séparément. On peut les comparer, pour la différence de leur maturité, aux espèces de raisins, dont les uns sont mûrs, même dans les environs de Paris, au mois d’août, tandis que plusieurs autres n’y mûrissent jamais ; & même dans nos provinces méridionales, plusieurs ne sont ce qu’on appelle mûrs, que vers la fin du mois d’octobre, tandis que celles que l’on cultive en Champagne ou en Bourgogne, & transportées dans les provinces méridionales, seroient dans le cas d’y être cueillies y pour faire du vin, au commencement ou au milieu de septembre. La différence de maturité des olives est aussi frappante ; cependant on les cueille toutes à la même époque, parce qu’à moins d’avoir des pressoirs à foi, il faut attendre l’ouverture des moulins publics. Ainsi les unes commencent à changer de couleur, tandis que les autres sont trop mûres : voilà deux extrêmes à éviter. Dans le premier cas on aura moins d’huile, & d’un goût âpre, amer, & elle sera chargée d’un mucilage inutile ; dans le second, l’huile est trop grasse, perd son goût de fruit ; enfin, elle a une tendance singulière à devenir forte, rance, & à ne pas se conserver ; même en supposant que les olives aient été cueillies avec soin. Pendant l’intervalle des différentes maturités, s’il survient des coups de vent, (très-fréquens dans cette saison & dans les provinces du royaume où croît l’olivier), il en tombe un très-grand nombre des arbres, mûrs & non mûrs, suivant l’énergie du coup de vent. Ces olives sont successivement exposées à l’humidité des rosées, à la dessiccation lorsque le soleil paroît, & aux effets de la chaleur de ses rayons. Ces alternatives perpétuelles détériorent le fruit, le mucilage moisit, pourrit sous l’écorce ; la quantité d’huile n’est pas diminuée, mais elle en est altérée au point que lorsqu’on l’exprimé, même sans avoir amoncelé le fruit, & lorsqu’on le presse sans le secours de l’eau chaude, &c., son odeur est fétide, & sa saveur âcre & détestable. Le seul parti à prendre, est de faire ramasser ces olives, &, dans aucun cas, ne pas les mêler avec celles qu’on doit cueillir sur les arbres. Il est donc absurde d’avoir plusieurs espèces d’oliviers dans un même champ, ou du moins, des olives inégales en époque de maturité.

Il en est des oliviers comme des vignes ; l’espèce de plant, l’exposition, le grain de terre, changent, d’une façon extraordinaire, la qualité du produit de deux champs, quoique limitrophes. Je ne citerai qu’un exemple. L’olivier planté sur la montagne appelée d’Avignon, à Aix en Provence, fournit un fruit dont l’huile n’approche pas de celle qu’on retire des oliviers de la colline au-dessus du Séminaire. De cette diversité de qualité dans l’huile, quoique retirée des mêmes espèces d’olives & avec le même soin, il en résulte, en grand, qu’on ne doit pas mêler les olives des coteaux avec celles des bas-fonds ; celles des terres fortes & végétatives avec celles des sols rocailleux, pierreux, &c. On veut l’abondance, on va au plus vite fait, & on détériore les qualités. On auroit eu la même abondance, & l’opération auroit été presqu’aussitôt achevée si on avoit eu un peu plus de précaution, sans même augmenter la dépense. C’est souvent de ces petits soins réunis que dépend la perfection.

L écorce est la conservatrice des fruits, elle est pour eux ce que l’épiderme & la peau sont à notre chair. Dès que la peau est entamée, les impressions de l’air augmentent la plaie. C’est précisément la même chose pour les fruits, pour l’olive jusqu’à ce que la dessiccation ait fermé la cicatrice ; mais la plaie ne se ferme plus dès que le fruit mûr ou non mûr est séparé de l’arbre qui le portoit ; il ne lui reste qu’à se corrompre. De ces points de fait, qu’il est si facile de vérifier, on doit de toute nécessité conclure qu’il est absurde de gauler les oliviers avec de grandes perches pour en abattre le fruit. Les coups redoublés portent sur les olives & les meurtrissent ; le mouvement de leur chute est précipité par la force des coups, & celles que les perches n’avoient pas meurtries sur l’arbre, le font en tombant à terre avec violence. Je ne parle pas du tort irréparable que l’on fait aux jeunes pousses de l’olivier : je l’examinerai en parlant de cet arbre, & je reviendrai à plusieurs objets de détails sur lesquels je fuis obligé de glisser en parlant des généralités. Il faut cueillir les olives à la main comme on cueille des cerises ; l’opération est plus longue, il est vrai, mais le fruit, mais les arbres ne seront pas endommagés. Je prévois toutes les objections qu’on peut me faire sur cette manière de récolter : je les discuterai au mot Olivier, afin de ne pas m’écarter de mon objet.

Voulez-vous ne pas avoir la peine de cueillir les olives, imitez l’exemple des habitans de la rivière de Gènes & des corses : ils laissent le fruit sur l’arbre jusqu’à ce qu’il soit abattu par les vents, ou qu’il tombe de lui-même à force de maturité, ou lorsque les nouveaux bourgeons (voy. ce mot) commencent à pousser. J’ai vu dans ces deux cantons, des olives sur les arbres, & en grand nombre, jusqu’à la fin d’avril. Cependant les habitans de la rivière de Gènes, pour faire ce qu’ils appellent l’huile fine, & destinée pour la France, récoltent les olives dans le temps ordinaire ; ils disent qu’ils ont eu une mauvaise saison, si les coups de vents n’ont pas été fréquens, & s’ils sont survenus trop tard. Enfin, j’y ai vu la terre couverte d’olives qui attendoient d’être ramassées depuis un à deux mois. Aussi, quelle huile puante on en retira ! Aussi, en sortant du pressoir elle a tous les caractères de la vétusté, de l’âcreté, de la rancidité, & une odeur détestable.

Quoique les changemens de couleurs qui s’opèrent à mesure que l’olive perd sa couleur verte, ne soient pas strictement les mêmes dans toutes les espèces, cependant on remarque en général quatre nuances de couleurs. Du vert elle passe au citrin, ensuite au rouge tirant sur le pourpre, au rouge vineux ; enfin, au rouge noir. Ce dernier terme est l’époque de leur véritable maturité, & par conséquent, celui de la récolte. À cette époque les olives sont pleines de sucs, & cèdent facilement au doigt qui les presse. Si on attend plus tard, la couleur prend une teinte plus noire, l’écorce se ride, & pour peu que l’on presse le fruit, il s’écrase. Dès-lors on peut assurer que l’huile ne sera pas parfaite, qu’elle sera grasse, qu’elle s’altérera, qu’elle se conservera peu, &c. Il y a une espèce d’olive qui devient blanche comme de la cire lors de sa maturité ; une autre n’a que la couleur gris de lin ; mais quelle que soit la couleur, la pression & la résistance sous le doigt indiquent la maturité en général. On doit conclure de ce qui vient d’être dit, qu’il n’y a point de jour, d’époque fixe pour la cueillette des olives ; que leur maturité plus prompte ou plus retardée dépend de la saison, de l’exposition & de la nature du sol dans lequel l’olivier est planté, ainsi que de son espèce. C’est donc un abus criant de récolter dans un même jour toutes les espèces d’olives. Je ne crains pas d’avancer que jamais on n’aura de l’huile parfaite, si l’on manque le vrai terme de la récolte & si on ne se hâte pas de cueillir avant la grande noirceur du fruit. Il vaut beaucoup mieux devancer cette époque, que de différer la cueillette.

À ce défaut déjà si essentiel, on en a ajouté un bien plus redoutable encore, parce qu’il est fondé sur un préjugé dont la conséquence est prise pour une économie. Quelques personnes séparent les olives tombées & ramassées sur terre, de celles qui sont cueillies ou gaulées sur les arbres ; mais presque par-tout on a la détestable coutume d’amonceler ces dernières depuis le premier jour de la récolte jusqu’à la fin ; c’est-à-dire, que chaque jour on ajoute un monceau, & on attend que son tour de presser soit venu. Des personnes prudentes donneroient le moins de hauteur & le plus de surface possible aux olives, afin qu’elles ne s’échauffassent pas ; mais point du tout, on a dans l’angle d’un cellier, d’une remise, &c, une partie environnée de murs de tous côtés, excepté l’ouverture nécessaire au passage ; ces murs d’enceinte ont environ de 4, 5 à 6 pieds de hauteur, & leur étendue est proportionnée à la quantité d’olives que l’on récolte habituellement. Voilà donc les olives saines ou meurtries dûment pressées & accumulées les unes sur les autres en pyramides, autant que l’enceinte en peut contenir ; & souvent elles restent dans cet état pendant 8, 15 jours, & même pendant trois semaines. Qu’arrive-t-il ? Leur propre poids commence à les presser ; les olives meurtries & saines s’affaissent, il coule par le bas de la masse une eau brune de couleur vineuse, dépouillée d’huile, & c’est l’eau de Végétation. La sortie de cette eau annonce donc déjà un genre d’altération dans les fruits ; la chaleur de chaque olive en particulier, & de la masse générale, excite la fermentation ; (voyez ce mot) elle devient forte & si forte, que si je n’avois pas vu & bien suivi ses effets, j’aurois peine à le croire. Je plaçai dans le monceau un thermomètre à spirale, & par conséquent très-sensible. Pendant les deux premiers jours la liqueur resta stationnaire dans le tube, peu à peu elle s’éleva ; enfin, au quinzième jour, quoique pendant tout ce temps on eût journellement ajouté au monceau, la chaleur étoit parvenue au 36e. degré du thermomètre de Réaumur, (voyez ce mot) tandis que dans les plus grandes cuves remplies de raisins, & dans les années où la fermentation avoit été la plus tumultueuse & la plus rapide, je n’avois jamais vu la chaleur de la cuvée monter à plus de 16 degrés du même thermomètre. Je ne revenois pas de ma surprise, & dans la crainte de quelque erreur ou accident arrivé au thermomètre, je plongeai dans le même monceau un second thermomètre, dont la marche étoit parfaitement semblable au premier. Le résultat fut le même, & toujours 36 degrés de chaleur. Il fallut envoyer les olives au moulin ; à mesure qu’on les retiroit, il s’élevoit une odeur vineuse, piquante, que j’attribuai au dégagement de l’air fixe. Je fis approcher une lumière, elle ne s’éteignit pas comme si on l’eût présentée sur une cuve en fermentation, mais elle étoit fortement altérée ; la flamme, c’est-à-dire, la partie bleue de cette flamme, ne tenoit plus qu’au bout de la mèche, & peut-être que si j’eusse attendu un jour de plus, l’air qui s’échappoit, auroit été entièrement air fixe ou air mortel, ou air méphitique, tout comme on voudra l’appeler. Peut-être encore que si l’endroit qui recéloit dans un de ses coins ce grenier à olives, n’avoit pas été aussi vaste, aussi aéré, l’air méphitique auroit pris le dessus sur l’air atmosphérique, & l’auroit entièrement vicié. Voilà donc une grande partie du puissant conservateur des corps & de l’huile en particulier, dissipée sans retour. Ce n’est pas tout : à mesure qu’on levoit ces olives agglutinées par lits, par paquets, on voyoit des couches blanches de moisissure. Il est inutile de dire que l’huile que j’en obtins étoit détestable. Que doit donc être celle dont les olives sont amoncelées pendant des mois entiers ? Avant qu’on entamât ce monceau d’olives, il s’étoit affaissé de plus de 15 pouces. Si on me demande pourquoi je n’avois pas agi d’après mes principes pour la fabrication de mon huile ? je réponds : je voulois connoître, par ma propre expérience, les dégradations successives de qualité que les olives éprouvent, & juger plus sûrement des mauvaises qualités que des manipulations absurdes impriment à l’huile avant de les porter au moulin.

Je dis plus. La fermentation trop long-temps continuée diminue de beaucoup la quantité de l’huile, en raison de son degré de chaleur. L’expérience de comparaison est si facile à faire, qu’il est inutile d’insister sur cet objet. Somme totale, ce procédé nuit essentiellement à la quantité & à la qualité.

Si les circonstances obligent de garder les olives pendant long-temps, étuvez-les ainsi que je l’ai dit, & ce qui vaut encore mieux, ayez un faux plancher percé de trous, afin d’établir, sous ce faux plancher, un grand courant d’air qui pénétrera à travers les olives & les empêchera de fermenter. Cette précaution rendra l’huile moins mauvaise, si les olives restent long-temps dans cet état.

On a poussé l’absurdité jusqu’au point d’établir des règles sur l’amoncèlement, en voici la substance : 1°. À mesure qu’on recueille les olives, on doit les enfermer dans des endroits non humides & pavés, mais jamais sur le terrain ; elles contracteroient alors trop d’humidité ; il faut que la pièce soit spacieuse, relativement à la quantité d’olives que l’on y renferme, & il seroit à propos qu’elle fût aérée. (Dans la supposition que l’amoncèlement soit nécessaire, ces précautions sont utiles & bien vues).

2°. Si les olives sont mûres, & que l’année ait été humide, qu’elles ayent été ramassées avec la pluie, il ne faut pas leur donner plus de deux pieds d’épaisseur, & il faut les porter au moulin dès qu’on en a une pressée ou deux sur-tout, si les arbres sont plantés dans un terrain gras & humide. (Article très-bon à l’amoncèlement près).

3°. Si au contraire les olives ont été cueillies vertes & avec un temps sec, après une saison non pluvieuse, & dans des terrains arides, on peut les accumuler davantage, leur donner une plus grande épaisseur, & les laisser plus long-temps dans les pièces avant de les porter au moulin ; car il est certain que la fermentation procure une sortie plus libre à l’huile, (cela est vrai, mais aux dépens de la qualité) un plus grand développement de ces principes, (oui, de l’air fixe, &i une exaltation des principes âcres), & la dépouille des parties hétérogènes, avec lesquelles elle est liée ; elle diminue même l’amertume de l’huile, (c’est encore vrai ; la fermentation fait ici l’office d’une maturité plus que passée) ; mais si cette fermentation est trop considérable & trop continuée, elle rend l’huile forte : (la plus légère fermentation est déjà un commencement de d’agrégation de principes).

4o. Pour connoître s’il est temps de porter les olives au moulin, il faut les remuer un peu dans divers endroits ; si elles fument & qu’elles soient moites & humides, il faut tout de suite les faire moudre & presser.

Voilà certainement de tous les principes, de toutes les maximes, la plus révoltante. Je dis à mon tour, 1o. si les olives fument, donc la chaleur du monceau est plus forte que celle de l’atmosphère, puisque la fraîcheur de l’atmosphère condense cette vapeur au point de la rendre sensible. On voit cette vapeur comme celle de notre respiration en hiver. Cependant le grenier à olives est ordinairement dans un lieu couvert ; & dans les provinces méridionales, la liqueur du thermomètre est presque toujours, en novembre & décembre, de six à huit degrés au dessus du point de la congélation.

2o. Supposé que la chaleur du jour de la récolte ait été de 8 degrés, il est constant que celle du grenier doit être au moins d’un à deux degrés de plus ; la chaleur des olives doit, au bout de quelques jours, se mettre en équilibre avec celle du grenier, & par conséquent, acquérir la même intensité de chaleur ; mais il y a bien loin de ce degré à celui qui réduit & condense en vapeurs & en fumée la transpiration des olives. Si on prenoit la peine de plonger un thermomètre dans ce monceau, on trouveroit certainement de douze à dix-huit degrés de chaleur, puisque j’en ai vu trente six.

3o. S’il y a de la fumée, il y a donc une très-vive fermentation, & s’il y a fermentation, l’huile est déjà gâtée dans l’olive. Voilà la conclusion & le dernier résultat de la pratique de ces maximes qu’on ose qualifier de maximes fondées sur une longue suite d’expériences de plusieurs années consécutives : plutôt que d’accuser d’ignorance ceux qui parlent ainsi, on doit conclure qu’ils ont le palais peu délicat, & qu’ils n’ont jamais fait la comparaison des huiles de leurs fabriques avec les huiles fines d’Aix.

Des personnes sensées ne se douteroient pas de l’origine de l’abus d’accumuler & de laisser fermenter les olives ; la voici. On s’imagine qu’on retire une plus grande quantité d’huile, & il en coûte moins au moulin pour faire moudre.

1o. Dès que l’olive est mûre convenablement, l’huile est formée dans le fruit, & la plus grande maturité, & même la pourriture du mucilage ne sauroient en ajouter un atome, ainsi que je l’ai déjà dit ; si on doute de ce fait, on peut le vérifier. Or, si cela est, à quoi sert donc cette espèce de compote d’olives ? à rien, quant à la quantité de l’huile, si on a trituré & pressé les olives comme on doit le faire. Pour s’en convaincre, qu’on prenne un nombre déterminé d’olives mûres au point requis : qu’on prenne un nombre égal des mêmes olives, de la même espèce, du même sol, du même arbre, &c., après qu’elles ont subi la fermentation, & on verra qu’elles ne rendront pas une goutte d’huile les unes plus que les autres. Je suppose que la pâte est dans le même état de division & de trituration. Il faut cependant convenir que lorsque l’on tend plus à la quantité qu’à la qualité, les moulins banaux vous forcent, pour ainsi dire, à cette pernicieuse manipulation, parce que tout s’y fait à la hâte, parce que chacun attend son tour avec impatience : enfin, parce que plus les ouvriers font des presses, plus ils gagnent. Ainsi, lorsque les olives n’ont pas longuement fermenté, il reste une certaine quantité d’huile dans le marc, ce qui est prouvé par les moulins de récensse. Mais je demande si le prix auquel sera vendue l’huile douce, suave & agréable, ne dédommagera pas de celui qu’on retirera d’un peu plus d’huile qui n’est bonne que pour les fabriques ou pour les savonneries.

2°. Les ouvriers attachés aux moulins & aux pressoirs à huiles, prélèvent une somme fixée sur chaque mesure remplie d’olives. Il est clair que dans cette mesure, il y entre un bien plus grand nombre d’olives longuement fermentées, que de celles qui n’ont pas subi ce genre d’altération. Alors on a effectivement moins de mesures à payer. Quelle pitoyable économie ! quel raffinement d’avarice ! ou plutôt, quelle absurdité !

Je pardonne aux corses de laisser leurs olives presque pourrir sur des terrasses exposées au plus gros soleil, ils n’ont ni moulins, ni pressoirs ; ils sont obligés d’attendre que leurs fruits se réduisent à une espèce de pâte. Dans cet état, ils les mettent dans des sacs, passent un bâton à chaque extrémité & tordent le tout, afin d’exprimer l’huile autant que cette opération le permet : on doit bien s’imaginer que le noyau reste intact ; que le tout est mal exprimé, & que l’huile est détestable.

On ne cesse de répéter qu’on vend cette huile, autant qu’une huile bonne & douce. Cela est faux & très-faux, au moins en France : la bonne marchandise & bien fabriquée a toujours son prix.

Je sais que, dans les pays du nord, l’huile la plus claire, la moins colorée, la plus limpide, & qui imprime au nez une odeur vive, & au gosier une saveur bien âcre, est fort recherchée. Le long de la rivière de Gènes on en fabrique exprès pour ces pays, & lorsque sur l’arrière-saison il y arrive quelques vaisseaux de Hollande, d’Hambourg, ou de Dantzic, &c, cette huile, que les françois ne peuvent sentir, augmente de prix, & souvent elle est vendue plus cher que les huiles appelées fines. Mais nos mauvaises huiles de France, ne sont pas dans le cas d’être achetées, à cause de leur couleur foncée. On ne sera peut-être pas fâché de connoître le procédé suivi pour cette clarification ; d’ailleurs, il peut être utile pour ceux qui veulent avoir des huiles presqu’exemptes de fumée, lorsqu’elles brûlent dans les lampes.

On se sert communément de vastes bassins en ciment, en béton, (voyez ces mots), ou en pierre ou en plomb coulé ou laminé, qui ont autant de surface qu’on peut, ou qu’on veut leur donner, sur cinq à six pouces de profondeur. On les remplit aux deux tiers d’eau, & d’huile pour l’autre tiers. Ces bassins sont exposés à l’air libre, & à toute l’action du soleil. La masse s’échauffe, l’air fixe se dégage, le mucilage se précipite, le soleil décolore l’huile, comme il blanchit la cire, & après quinze jours ou trois semaines, voilà une huile sans couleur, approchante de celle de l’eau, d’une odeur très forte, rance par excellence, & presque réduite à la qualité d’huile essentielle. Si le bassin est en plomb, il faut moins de temps pour blanchir l’huile ; mais outre son goût & son odeur abominable, je ne voudrois pas manger de l’huile préparée dans ces bassins, parce qu’elle dissout beaucoup de plomb. De temps à autre, on ajoute par aspersion un peu d’eau sur l’huile dans les bassins ; ces gouttelettes qui imitent celles de la pluie, entraînent, en allant à fond, la partie du mucilage qui resta adhérente à l’huile. On pourroit se servir de cette méthode dans la préparation des huiles à brûler, & que l’on consomme dans les grandes villes. Revenons à l’objet dont cet épisode nous a éloigné.

À quelle époque faut-il porter les olives au moulin ? Voilà une question sur laquelle les sentimens sont singulièrement partagés, & j’oserai dire qu’ils tiennent plus à l’habibitude qu’à une expérience raisonnée. L’huile d’Aix en Provence, & de quelques cantons de cette province, est la plus estimée, la plus douce & la meilleure que l’on connoisse dans le monde entier. On ne manquera pas de dire que cela tient aux espèces d’oliviers cultivés dans ce pays, au terroir, &c. ; cela est vrai jusqu’à un certain point ; mais la qualité supérieure de ces huiles ne tient-elle qu’à cela ? je ne puis me le persuader, & j’ai même la preuve la plus complette du contraire, puisque j’ai fait en Languedoc, des huiles aussi fines, aussi douces, que les plus parfaites d’Aix, auxquelles il ne manquoit que le goût particulier du terroir qu’elles seules possèdent. Il en est des huiles, comme des vins du Clos de Vougeau, de la Romanée, de Reuilli, de Nuits, de Beaune, &c. faits avec les mêmes espèces de raisins ; & cependant, tous caractérisés par une saveur propre, & qui les distingue.

J’ai pris pour exemple les huiles d’Aix, comme les plus parfaites ; mais à quelques exceptions près, je dis que leur perfection tient à la manière de les fabriquer, ou plutôt à la manière de les cueillir ; & au peu d’intervalle que l’on met du moment de la cueillette à celui du transport au moulin. On y cueille les olives à la main, & par conséquent, aucune n’est meurtrie ni écrasée par la gaule, ou par la chute ; pendant toute la journée elles sont étendues sur des draps, le soir portées à la maison, & aussi-tôt étendues sur le plancher par lits minces & peu épais, Elles restent ainsi, jusqu’à ce qu’elles commencent légèrement à le rider, & c’est l’affaire de vingt-quatre ou quarante huit heures, suivant la saison & la maturité du fruit. On les laisse ainsi se rider, afin que la meule les réduise mieux en pâte. Lorsque le fruit a le degré de maturité convenable, il vaut beaucoup mieux le porter tout de suite de l’arbre au moulin : on retire moins d’huile, j’en conviens, mais elle est plus parfaite, & je certifie le fait d’après ma propre expérience. Cette méthode peut-elle être adoptée dans tous les pays à oliviers ? oui, sans doute, sans exception aucune, dès que l’opiniâtre préjugé saura se rendre à la conviction.

On objectera, sans doute, les différentes maturités des olives ; on dira que les premières mûres doivent attendre les secondes qui font le plus grand nombre suivant les cantons, & ces secondes attendre les troisièmes. Qu’arrive-t-il de ce mélange ? précisément ce qui arrive à la vendange d’une vigne de cépages différens, soit en espèces, soit en maturité. Cette bigarrure tue la qualité ; il est bien plus facile de cueillir séparément chaque espèce d’olive que chaque espèce de raisin. Cueillez donc les différentes espèces à part, à l’époque fixée par la maturité du fruit, & portez successivement ces espèces au moulin, pour en avoir l’huile à part.

Je sais que telle espèce donne une huile grasse ; & l’autre une huile fine, ou parfumée, ou colorée, &c. ; qu’il résulte du mélange de quelques espèces, une huile plus parfaite, & qui se conserve plus long-temps ; mais rien n’empêche, que lorsque ces huiles séparées auront déposé leur marc, au moins en grande partie, on ne les mêle, on ne les coupe dans des proportions connues. Si des propriétaires intelligens suivoient ce procédé, s’ils ne se contentoient pas de marier des huiles d’olive d’espèces différentes, & s’ils faisoient des mélanges d’huiles de différens terroirs, & préparées avec soin, je suis sûr qu’ils parviendroient à avoir des huiles d’une qualité infiniment supérieure à celles qu’ils ont communément : c’est ainsi que le célèbre abbé Godinot de Rheims, étoit venu à bout d’avoir des vins de Champagne d’une qualité infiniment supérieure & hors de rang. Si je n’étois pas soumis à la fatale nécessité des moulins banaux, où je n’ai pas la liberté de presser quand je le veux, ni comme je le veux, je me serois occupé de ces mélanges ; & je dirois aujourd’hui quelque chose de positif sur ce sujet. J’invite ceux qui les ont à leur disposition, à suivre ce genre de travail, & à avoir la complaisance de m’en communiquer le résultat, j’en ferai mention au mot Olivier, où je parlerai de beaucoup d’objets qui ne peuvent entrer dans l’article que je traite, sans en déranger la marche.

La cueillette séparée des olives, au moins suivant les époques de leur maturité, n’entraîne pas à de plus grands frais que la cueillette générale.

On se règle communément (ceux qui ont des prétentions à faire de la bonne huile) sur la qualité des olives, pour l’intervalle de temps qu’elles doivent rester accumulées. Si elles sont vertes ou sèches, soit par l’aridité du sol, soit par le défaut de pluie de la saison, on les laisse un plus grand nombre de jours que lorsqu’elles sont mûres ; les premières achèvent de mûrir, & les secondes se ramollissent & rendent plus d’huile. Il vaudroit mieux, ainsi que je l’ai dit, laisser les premières sur l’arbre, & si les dernières sont bien sèches, on aura à coup sûr une huile déjà altérée dans le fruit. Si l’on compte la qualité pour quelque chose, ces espèces d’olives ne doivent pas être mélangées avec les autres, mais soigneusement mises à part, puisque, outre leurs mauvaises qualités déjà acquises, elles en contractent de nouvelles lorsqu’elles sont accumulées pendant trop longtemps. La chaleur & la fermentation gâtent tout.

Soit que l’on cueille les olives à la main, soit qu’on les gaule, il faut avoir grand soin d’en séparer les feuilles ; elles donnent à l’huile une amertume désagréable, & qui n’est point cette petite amertume du fruit, dont l’huile se dépouille en vieillissant : d’ailleurs, elle n’est point désagréable, excepté pour le plus grand nombre des parisiens, & des habitans de quelques-unes de nos provinces, qui n’aiment les huiles que lorsqu’elles n’ont aucun goût dominant ; aussi préfèrent-ils, ce qu’on appelle huiles fines d’Italie, lesquelles sont, à mon avis, fort plates. Quant à moi je m’en tiens à celles d’Aix par-dessus toutes, & à celles que je fais lorsque la saison est bonne ; car elle influe d’une manière aussi marquée sur la qualité de l’huile que sur celle du vin. Les olives peu mûres donnent trop d’amertume, & de celles trop mûres on retire une huile trop grasse, trop mucilagineuse, qui se conserve peu & rancit plus facilement que les autres, quoique bien faite.


Section III.

De la préparation de toutes espèces d’ustensiles qui doivent servir à la fabrication, soit de l’Huile de graine, soit de noyaux ou de fruit.


Dans la Flandre françoise & autrichienne, & dans la Hollande surtout, on fabrique, pendant toute l’année, de l’huile tirée des graines. Un pressoir à huile se ressent de la propreté extrême des habitans : chaque chose est à sa place, rien ne traîne ; le service se fait avec aisance, & de quelque côté qu’on promène ses regards, on ne voit ni poussière, ni malpropreté. Quel contraste de ces moulins avec ceux de France ? Ceux-ci sont tapissés de toiles d’araignées, la crasse accumulée depuis la première fabrication incruste, revêt toute la surface des pilons, des meules, des pressoirs ; les mesures, les cuillers, la patelle pour lever l’huile, sont en cuivre, & ce cuivre ne se connoît que par le vert de gris qui le recouvre. Je n’exagère point, je peins d’après nature. Le magistrat met à l’amende le particulier qui ne balaye pas devant chez lui ; il est surprenant qu’il ne porte point la même vigilance sur un objet qui intéresse autant la santé du citoyen. Plusieurs villes ont, ou se sont attribué le droit de mesurer l’huile qui se vend, & les mesures sont déposées à l’hôtel de-ville, Le corps municipal entier les voit, & les laisse subsister dans cet état ! J’admire cette étonnante sécurité, ou plutôt cette insouciance de la chose publique. Il seroit bien à désirer que la police de Paris, qui a supprimé tous les vaisseaux de cuivre, même étamés, destinés à porter le lait dans cette ville, donnât l’exemple aux magistrats des provinces.

Ce n’est pas dans un seul endroit que le vert-de-gris recouvre les ustensiles en cuivre dont on se sert ; je puis assurer que depuis la partie du Languedoc où l’on cultive les oliviers, jusqu’en Provence, & de Provence jusqu’à Gènes, j’ai vu, mais vu partout les ustensiles destinés à l’huile, chargés de vert-de-gris. J’insiste sur cet objet ; puisse ce que je viens de dire, réveiller l’attention du magistrat sur un danger si évident ! On dira que c’est un infiniment petit dans une grande masse d’huile ; & qu’ainsi il n’est pas dangereux : on trouvera même des apologistes qui s’autoriseront de l’exemple du verdet ; (dissolution du cuivre par l’acide de la rafle du raisin ou du vinaigre) ils diront que ceux qui le fabriquent, tiennent leur pain avec des mains vertes, chargées de la poussière de cette préparation, & qu’ils n’en sont pas incommodés. La couleur plombée de leur teint dément cette assertion ; d’ailleurs, il y a une très-grande différence entre l’activité du poison du verdet, & celle du vert-de-gris, qui est une chaux de cuivre formée lentement & d’une combinaison bien différente de la première.

Suppléer les ustensiles en cuivre par des semblables en bois, ou en fer étamé par le zinc, ne seroit pas plus coûteux, & il n’y auroit plus de dangers à redouter. Ce que je dis sur les vaisseaux de cuivre des provinces méridionales, s’applique très-exactement à ceux dont on se sert dans nos provinces du nord ; ainsi, mon reproche est général ; quelques fabriques particulières sont tout au plus des exceptions en bien petit nombre. Je ne crains pas d’avancer que dans toutes les fabriques où règne la mal-propreté, il est impossible d’avoir de l’huile susceptible d’être conservée aussi long-temps qu’elle auroit pu l’être.

Dans les moulins où l’on travaille pendant toute l’année, (je parle des moulins à graines), une couche de crasse est ajoutée à une autre couche de crasse, & le bois est pénétré à la longue d’une huile qui y rancit au dernier période. Voilà un premier levain sans cesse agissant sur la pâte qu’on travaille. On vient de finir les pressées de vieilles graines déjà ou rances ou moisies ; on apporte ensuite de bonnes graines ; mais à coup sûr l’huile qu’on tirera de celles-ci, ne tardera pas à devenir forte. Comment cela ne seroit-il pas ? l’étoffe de laine qui enveloppera la masse, le moulin qui réduira la graine en pâte, &c, sont encore imprégnés de la première huile rance, qui se communiquera de pressée en pressée. Heureux celui qui fera moudre après ce second, son huile sera moins viciée, mais elle le sera toujours, puisque, d’après l’expérience citée dans le premier Chap. un atome d’huile essentielle suffit pour altérer une assez forte masse d’huile. Passons actuellement à l’attelier de la fabrication des huiles d’olives. Je parlerai de la construction de ses moulins & pressoirs au mot Pressoir.

Une vaste chaudière & son fourneau ; un moulin à peu près semblable à celui dont on écrase les pommes à cidre, un pressoir ; un certain nombre de cabas fabriqués avec la plante maritime appelée spart ; plats, carrés formant une poche, & ouverts dans la partie supérieure ; des piles, ou bassins de pierre ; deux cuviers placés sur le devant du pressoir, sont les principaux meubles de l’attelier.

Lorsque l’époque de la mouture approche, ou plutôt la veille ou l’avant-veille d’ouvrir le moulin, le propriétaire fait remplir la chaudière, & à grande eau bouillante lave à plusieurs reprises, & cabas & pressoirs & meule, &c., & il pense avoir tout fait. Je dis qu’il vaudroit mieux laver avec l’eau froide, elle entraîneroit les grosses ordures, & elle ne réveilleroit ni n’exalteroit pas le principe de rancidité contenu dans la crasse qui rêvet depuis longues années les pièces qui servent à la fabrication de l’huile. Tout le monde sait que l’eau froide, tiède, chaude, ou bouillante, n’est jamais miscible à l’huile. Elle coule nécessairement sur cette crasse huileuse & résineuse, sans en dissoudre la plus légère parcelle. À quoi servent donc les lavages ? à rien, quant à la propreté, & à beaucoup, quant à l’exaltation de la rancidité : si on doute du fait que j’avance, je prie les personnes exemptes de préjugés, de découvrir, si cela se peut, de quelle nature sont les pierres, soit de la meule, soit celle sur laquelle elle tourne, soit celle des piles ? Une croûte de crasse éternelle dérobe à la vue l’espèce de grain dont elles sont formées. Le plancher en bois du pressoir est plus visible ; mais il n’est pas moins imprégné d’huile depuis longues années.

Quant aux cabas, ils sont ou vieux ou neufs ; s’ils sont neufs, le spart, dont ils sont faits, imprime aux premières pâtes, dont on les remplit, une saveur âpre & amère, & c’est tout au plus après quarante-huit heures consécutives de service, que le mauvais goût est entièrement absorbé par l’huile qui en est sortie. On lave ces cabas, vous dira t-on, on les laisse tremper pendant plusieurs jours dans l’eau ; enfin, le propriétaire du moulin est obligé de s’en servir le premier pour son huile, & ceux qui font moudre après lui, ne craignent plus les suites fâcheuses d’un goût amer & mariné pour leurs huiles. Vaines excuses, plus captieuses que solides. Je sais par ma propre expérience, que vingt lavages consécutifs à l’eau chaude, & même bouillante, ne détruisent pas le mauvais goût. Je sais que laisser ces cabas surnagés d’eau pendant dix jours, & l’eau changée tous les jours, ne suffit pas. Je demande quel propriétaire de moulin les tient aussi long-temps sous l’eau, & quel ouvrier non salarié prendra la peine de puiser l’eau nécessaire au bain, ou de la changer ? C’est aux ouvriers du moulin à préparer tout ce qui est nécessaire, & ils ne sont payés que du moment qu’ils tirent l’huile ; ils n’ont aucun intérêt à la qualité de l’huile ; donc tout travail gratuit est mal fait. Je m’en rapporte sur ce point à ceux qui connoissent les ateliers.

Admettons que des lavages & des soins recherchés ayent, en grande partie, dissipé le goût de spart, le propriétaire fera la première huile avec les olives qui lui appartiennent ; mais pourra-t-on se persuader que le maître du moulin soit assez dénué de bon sens, & assez peu attentif à son intérêt, pour sacrifier ses bonnes olives ? Point du tout, il commence par presser celles ramassées sous les arbres, & à moitié pourries, ou qui auront subi, dans l’amoncèlement, le plus fort degré de fermentation. Dès-lors, le principe de rancidité est établi dans ces cabas neufs, & influera sur toutes les pressées suivantes. On dira que lorsque l’on échaude la pâte à grands flots d’eau bouillante, & lorsqu’on soumet les cabas à la presse, cette eau entraîne l’huile essentielle avec l’huile grasse ; cela est vrai, jusqu’à un certain point ; mais rien n’entraîne les débris du fruit ; son parenchyme se niche entre les brins de spart, dont le cabas est composé, & plus on presse, plus il s’y incruste. Que l’on examine l’épaisseur d’un cabas qui a servi, & qu’on la compare à celle d’un cabas neuf, & on se convaincra de cette incrustation. Examinez, & vous vous convaincrez mieux que ce que je pourrois dire.

Le grand germe de la mauvaise odeur, de l’acrimonie & de la rancidité, est dans les cabas vieux. Lorsque la saison de presser est passée, on lave à l’eau chaude les vieux cabas en état de servir l’année suivante ; on les met sur le pressoir, afin de faire écouler l’eau du lavage ; enfin, on les laisse sécher avant de les renfermer. Il vaudroit tout autant les laisser tels qu’ils sont, puisque l’eau n’est pas capable de dissoudre l’huile essentielle & grasse, ni d’extraire les ordures nichées entre les brins de spart. Ce vieux oing rancira de plus en plus dans le cours de l’année. Si on trouve que je porte les choses trop loin, quoique je ne sois ici que le simple narrateur de ce que je vois chaque année, j’admets que les cabas vieux ou neufs ne sont pas dans le cas d’agir sur l’huile qu’ils serviront à extraire ; mais comme dans les moulins banaux chacun passe à son tour, il est impossible de faire de la bonne huile. Tout propriétaire a des olives tombées sous l’arbre, des olives mûres, des olives vertes, des olives fermentées, à faire moudre, ou peut-être un unique mélange de toutes ces olives. S’il a de bonnes olives, il les fait passer les premières, & conserve les plus mauvaises pour la fin ; par conséquent, celui qui vient après lui, doit avoir une huile viciée par l’huile essentielle & fétide qui reste dans les cabas, ainsi qu’une portion de la pâte. La bonne règle exigeroit que, dans un attelier, il y eut un double équipage de cabas, de pressoirs, de moulins, de piles, &c. Le premier seroit uniquement destiné aux olives de qualité ; & le second, aux olives ramassées sur terre ou fermentées.

J’ai indiqué les vices de fabrication, & qui agissent d’une manière si marquée sur les huiles. On a eu la plus grande attention à bien choisir les olives, on a séparé l’huile vierge de l’huile échaudée ; enfin, on prend beaucoup de précautions pour avoir de bonne huile, & cependant, quelques mois après on est tout étonné de lui trouver un goût fort & exalté. Qu’arrive-t-il ? on s’en prend à la saison, c’est plutôt fait, & on ne veut pas remonter au vrai principe. Je le répète, il ne faut qu’un petit atome d’huile essentielle pour infecter une grande masse. Elle ressemble à la feuille d’or appliquée sur un lingot d’argent, d’un pied de longueur sur un pouce d’épaisseur, qui recouvre entièrement le trait, quoique tiré par des filières où le cheveu ne sauroit passer. L’huile essentielle se transmet ainsi de pressées en pressées.

Je réfléchissais sur ces abus & sur leurs suites, ne trouvant pas à mon arrivée, dans la retraite que j’habite aujourd’hui, une seule goutte d’huile sans odeur forte & sans rancidité, lorsque mon tour de faire l’huile arriva. Il falloit opter entre en avoir de semblable à celle que l’on trouve bonne dans le pays, (quoique très-forte), ou chercher des expédiens capables de faire disparoître les principes d’acrimonie & de rancidité inhérens aux ustensiles de l’atelier. Voici comme je m’y pris : il m’en coûta le double pour la mouture, je ne quittai pas l’attelier, & je réussis à faire de l’huile très-fine qui a conservé sa douceur & sa qualité pendant deux ans. Il est vrai que je me donnai des soins pour la conserver, & j’en parlerai dans la suite. Cette méthode de préparation s’applique également aux huiles de graines & de noyaux.

Il est bien démontré que l’huile la plus bouillante ne s’unit pas aux corps graisseux, huileux, &c ; qu’elle ne les dissout ni se combine avec eux ; mais il est également démontré que si on interpose entre ces substances si opposées un corps susceptible de s’unir à toutes deux, il facilite leur combinaison & leur union. Les sels alcalis, comme la chaux, la cendre gravelée ou clavelée, (voyez ce mot) la lessive très-chargée du sel des cendres avec lesquelles on l’a faite, dissolvent l’huile, l’amalgament avec l’eau. C’est sur ce point qu’est établie toute la théorie & la pratique de l’art du savonnier.

L’huile réduite à l’état de savon, devient soluble dans l’eau, & alors l’eau chaude la détache des corps qu’elle recouvroit ou qui la contenoient.

Partant de ces vérités premières & immuables, je me servis de la cendre gravelée, comme la moins coûteuse, & parce que, sous un très-petit volume, elle contient beaucoup d’alcali. Avec huit livres de cette substance j’eus de quoi passablement alcaliser la valeur de 80 à 100 bouteilles d’eau. Lorsque l’eau fut bouillante, on en jetta à grands flots une partie sur la meule, sur la table sur laquelle elle roule verticalement, sur le pressoir, les piles, &c. ; & les cabas qui avoient déjà servi, furent mis dans la chaudière avec le reste de l’eau alcalisée. À force de balayer, de frotter toutes les pièces, la couche crasseuse, huileuse & tenace se détacha du bois, de la pierre, des cabas, &c. &c ; enfin, le grain des pierres fut à nu, & devint aussi visible que celui des marbres polis. Le spart des cabas ne reprit point sa couleur primitive ; mais les interstices entre les brins ne furent plus obstrués que par la matière savonneuse qui venoit de se former. Aussitôt après cette première opération, je fis tout laver à grande eau bouillante & à grand flot, afin de dissoudre la substance savonneuse.

J’aurois pu, à la rigueur, m’en tenir à ces premières préparations, mais je savois combien la plus légère parcelle d’alcali, unie aux huiles douces, leur donne de mauvais goût ; pour plus de précaution je voulus me convaincre, de la manière la plus certaine, qu’il ne restoit plus d’alcali dans les ustensiles dont je devois me servir. À cet effet, je fis dissoudre environ deux livres d’alun, pour la même quantité d’eau indiquée ci-dessus, &, lorsque le tout fut bouillant, on opéra cette fois comme à la première. L’alcali suit la loi des affinités, il s’unit à la surabondance d’acide de l’alun qui est un sel neutre, le neutralise, & le tout est entraîné par l’eau bouillante, versée ensuite à grands flots après qu’on a fortement frotté, gratté, brossé & balayé pendant l’action de l’eau alunée. J’ai préféré ce sel à tous les autres, non-seulement à cause de son bas prix, mais parce qu’il est insoluble dans l’huile ; & dans la supposition qu’il en restât quelques parcelles, elles se précipiteroient au fond du vase avec le mucilage. De cette opération, en général, il est impossible qu’il en résulte aucun inconvénient ni pour la santé des hommes ni pour la qualité de l’huile. Quant aux cabas, on fera bien, à chaque lotion, soit d’eau simple bouillante, soit aiguisée par les sels, de les mettre sur le pressoir & de faire donner une bonne serre. Cette précaution est indispensable après le lavage aluné, parce que cette eau détruit le nerf du spart, & les cabas ne durent pas autant qu’à l’ordinaire. Le dernier lavage à l’eau simple & bouillante, ne laisse plus d’alun, & l’intérêt du propriétaire du moulin n’est pas lésé. Celui qui fait moudre, au contraire, n’y perdroit pas, puisque, si on ajoute un peu d’alun aux olives, on en exprime mieux l’huile qu’elles contiennent. J’annonce cette vérité avec une certaine répugnance, dans la crainte qu’elle ne serve à la fraude.


Section IV.

Des procédés ordinaires pour faire l’Huile.


§. I. Des Huiles de graines.


I. Manière des hollandois. En tout ce qui concerne la propreté, l’économie dans la main-d’œuvre, la supériorité dans la fabrication, & ce qu’on appelle, le savoir tirer parti des choses, ce peuple industrieux & patient doit servir de modèle. Il calcule la dépense de construction de ses machines, ajoute à la masse les intérêts, & ensuite il additionne au plus bas ce qu’un moulin doit rendre. Pour peu que le bénéfice soit décidé, la machine est construite ; & si on lui présente le modèle d’une machine plus parfaite & plus économique de la main-d’œuvre, il abandonne la première, & ne dit pas froidement, comme les françois : elle est bien compliquée ; nos pères se servoient de celles dont nous nous servons, les nôtres sont assez bonnes, &c. Voilà comme tout reste en stagnation, & comme la majeure partie de nos provinces est en arrière de plus d’un siècle de l’Angleterre & de la Hollande, relativement aux connoissances pratiques dans les arts les plus utiles & les plus familiers. En France, rien ne se fait qu’à force de bras ; en Angleterre & en Hollande les machines font tout.

Pour bien entendre ce que je vais dire, il faudroit avoir sous les yeux la gravure du moulin hollandois. Elle se trouvera à l’article Moulin ; les détails qu’il exige nous mèneroient trop loin dans ce moment. Cependant je ferai en sorte d’être entendu au moins de ceux qui connoissent nos moulins ordinaires de graines à huile.

Qu’on se figure un massif de maçonnerie circulaire, élevé au-dessus du sol, de 3 à 4 pieds, recouvert à son sommet par de larges pierres dures & bien lisses, & parfaitement jointes les unes aux autres. Tout autour de ce massif règne, dans la partie supérieure, une planche d’un pied de largeur & garnie du rebord ; à la partie de cette planche, qui répond à la pile ou bassin placé en dessous, est une trappe qui s’enlève & qu’on remet à volonté. Du milieu du massif s’élève un arbre qui tourne sur son pivot ; à cet arbre sont attachés deux bras de levier qui soutiennent chacun une meule de 6 à 7 pieds de hauteur sur 18 à 20 pouces d’épaisseur. Elles ont un mouvement de rotation sur elle-même, & le mouvement circulaire que leur imprime le levier. L’une de ces roues est plus intérieure, & décrit un cercle concentrique ; l’autre, plus extérieure, plus rapprochée du bord, décrit un cercle excentrique au premier. Derrière chaque roue est une pièce de bois que j’appelle Valet, destinée à porter la graine que la meule a écartée en l’écrasant, sous la meule qui suit ; de manière que la meule intérieure soulève la pâte, & la pousse dans l’endroit où doit passer la meule extérieure, & ainsi tour à tour. Ces meules sont mises en action par l’eau, &, par-tout ailleurs qu’en Hollande elles peuvent être mues de même. Jusqu’à présent l’homme ne fait rien, la machine fait tout. En est-il ainsi dans nos ateliers ? Poursuivons.

Lorsque la graine est suffisamment broyée, triturée & réduite en pâte sèche, on enlève la fermeture de la trappe ; on baisse une alonge relevée pendant l’opération sur le valet de la meule, & cet avant-bras faisant le tour de la table, entraîne sur la trappe tout ce qui recouvroit la table ; enfin, la graine moulue tombe dans le bassin ou pile. Jusqu’à présent, l’homme n’a encore rien fait, sinon d’avoir jeté la graine sur la table à moudre.

Pendant le temps que dure cette première opération, le seul ouvrier de l’attelier est occupé à prendre la pâte, à en mettre dans un sac de drap de laine, qu’il reploie sur lui-même, & il place ce sac dans le pressoir latéral & à coin, dont il sera question en décrivant le moulin. Ce pressoir agit par le moyen de pilons qui tombent sur les coins, & les coins pressent le tout ; l’huile coule en dessous dans un réservoir. Lorsque le coin n’entre plus, l’ouvrier laisse tomber un autre pilon sur le coin placé dans le milieu des autres ; mais comme son plus large côté est par le bas, à mesure qu’il s’enfonce, il soulève les coins voisins, & le tout vient à la main avec la plus grande aisance. Le même ouvrier, porte ce marc ou tourteau déjà pressé, dans des mortiers de bois, dont le bas est garni d’une plaque de fer, & de nouveaux pilons destinés à cet objet, tombent dans ces mortiers, écrasent & divisent fortement ce marc. L’ouvrier le reprend & le porte de nouveau à la presse ; cette seconde opération fournit de l’huile vierge, que l’on mêle ordinairement avec la première. Le travail de cet ouvrier s’étend & finit toujours à ce point, pour recommencer toujours la même opération.

Après la seconde pressée, il remet le marc à un second ouvrier qui a ses pilons, les mortiers, son pressoir, & de plus, un petit fourneau surmonté d’une chaudière peu profonde, & de trois à quatre pieds de diamètre ; on la nomme payelle. Le marc moulu & pressé deux fois, est remis sous les pilons, ainsi qu’il a été dit. Retiré de la presse, on le jette dans la payelle, après l’avoir émietté, & on y ajoute un peu d’eau. Le feu du fourneau échauffe la pâte ; mais comme il pourroit la torréfier & la brûler dans le fond, il y a une barre de fer soutenue dans son milieu par un long manche, mis en action par l’arbre qui communique le mouvement général à toutes les pièces ; cette barre tourne sur elle-même, & sur le fond de la payelle, de manière que la pâte s’échauffe sans cesser d’être en mouvement. Ce petit mécanisme dispense d’un ouvrier, puisqu’il en faudroit nécessairement un pour remuer la pâte, & l’empêcher de se brûler. On retire la pâte de la payelle, on la met dans les sacs, on la presse, &c. Enfin, l’huile est si bien exprimée, que le tourteau qu’on en sort est dur comme une pierre, & qu’on peut le manier sans craindre de se salir les doigts. Je ne crois pas que les moulins de recensse fissent fortune avec de pareils marcs, & l’on peut dire que les hollandois en ont tiré jusqu’à la quintessence, suivant la nature de la graine. Voilà quatre espèces d’huile de qualité différente ; la dernière sur-tout est réservée pour la peinture. J’ai fait construire en petit, & dans les plus exactes proportions le moulin hollandois ; toutes les pièces jouent avec facilité ; j’offre de prêter ce modèle à ceux qui seront dans l’intention d’en construire un semblable. Si j’avois de l’eau à ma disposition, il y a long-temps que j’en aurois un.

II. Manière des Flamands. Leurs moulins sont en général mus par le vent, & ils pourroient l’être par l’eau. C’est le même mécanisme que celui des hollandois, à l’exception qu’ils n’ont point de meules, mais seulement un pressoir & des pilons. On met tout uniment la graine dans les mortiers ; l’opération de la presse est la même, ainsi que le reste ; mais on retire plus des trois quarts d’huile échaudée. Si on compare les tourteaux des fabriques hollandoises avec ceux des fabriques flamandes, on verra que ceux-ci sont gras, onctueux au toucher, & que, si la dureté, par exemple, est comme dix, celle des tourteaux hollandois l’est comme trente. Je n’exagère point, je parle de ce que j’ai vu, & de ce que j’ai vu avec le plus grand soin.

J’ignore si, dans le reste du Royaume, excepté dans nos provinces du Nord, on fabrique des huiles de graines ; mais ce que je sais très-positivement, c’est que les hollandois achètent nos graines de lin dans nos provinces maritimes du midi & du couchant, & qu’ils viennent ensuite nous revendre l’huile de nos graines. Cet objet n’est pas d’aussi petite conséquence qu’on pourroit se l’imaginer, & mérite que le gouvernement encourage en France, les établissemens du moulin hollandois.


§. II. Des Huiles de noyaux.


Les noix & la faine sont, à bien prendre, les seuls noyaux dont on fabrique l’huile en grand ; on pourroit encore y ajouter la noisette. Quant à l’huile d’amande, on en prépare peu à la fois, à cause de sa tendance extrême à la rancidité ; & son extraction est réservée aux apothicaires & aux parfumeurs.

Les noyaux dépouillés de leur coque & de toute immondice, sont portés au moulin, excepté dans le temps des gelées, parce qu’alors ils retiennent plus d’huile ; on en met une certaine quantité sur la meule gissante d’un moulin (voyez ce mot & la gravure) semblable à celui dont on se sert pour écraser les pommes à cidre. Lorsque cette quantité est réduite en pâte, on la transporte sur un pressoir qui diffère peu de ceux à vin, soit à cliquet, soit à grand levier, sur une vis ; soit à arbre horizontal, sur deux vis ; & l’arbre s’abaisse uniformément. Dans quelques endroits, on se sert de cabas, dans d’autres, de sacs de drap en laine ; & dans plusieurs, sur la maie ou table du pressoir, est une forte caisse quarrée dans laquelle la pâte est jetée. Une pièce de bois de la largeur & de la longueur de la caisse, entre dans l’intérieur ; la vis abaissée serre la pièce de bois sur la pâte, & on l’enfonce jusqu’à ce qu’il ne sorte plus d’huile vierge, qu’on met de côté.

Dans quelques endroits, le marc est remis sous la meule, & ensuite pressé de nouveau ; mais en général on le met tout de suite dans la bassine ou payelle pour l’échauder. Enfin, on le presse comme la première fois ; on obtient alors ce qu’on appelle l’huile cuite qui a toujours une saveur & un goût fort.


§. III. Des Huiles de fruit, ou plutôt de la fabrication de l’Huile d’olive.


Le pressoir ne diffère point de ceux à vin dont on se sert dans le pays, excepté ces petits pressoirs que l’on promène de rues en rues, & de maisons en maisons ; on peut les appeler des pressoirs en miniature ; cependant ils suffisent dans un pays où l’énorme quantité de vin fait qu’il a très-peu de valeur.

Les seules différences consistent dans le rebord antérieur de la maie qui est percé de deux trous sur les côtés, & au-dessous sont placés deux tonnes ou cuviers, à moitié enfoncés en terre, & percés à une certaine hauteur, afin de donner une libre issue à l’eau qui a échaudé la pâte, & que la pression fait sortir des cabas. Cette eau surabondante coule dans l’enfer, mot très-expressif, & dont on aura bientôt la signification. Le maître ouvrier ou leveur d’huile, est placé entre ces deux tonnes.

En dehors de l’endroit de la maie qui correspond à l’arbre horizontal qui presse sur les cabas, sont communément placées deux barres droites, enclavées sur la maie, & qui passent chacune dans un anneau fixé contre l’arbre horizontal, mais assez large pour qu’en montant ou en descendant, il ne soit pas gêné par les barres. Ces barres soutiennent les cabas par-devant, lorsqu’on les monte pleins de pâte les une sur les autres pour les presser.

Le moulin, proprement dit, consiste dans une meule horizontale & gissante, percée dans son milieu pour placer la grenouille qui porte un arbre vertical retenu à son sommet ou dans un large anneau fixé à une poutre, ou par un boulon de fer qui entre dans le milieu de cette poutre. À cet arbre vertical est attaché un bras de levier qui traverse la meule, & se termine au-delà par un boulon. La partie du bras de levier, de l’autre côté de l’arbre & de celui de la meule, est assez grande pour excéder de deux pieds le massif de maçonnerie dans lequel est encaissée la meule gissante ; & la partie du bras de levier qui excède ce massif, sert à attacher les traits de la mule ou du cheval qui fait tourner la meule. L’animal travaille pendant trois heures consécutives, les yeux bouchés sans quoi il tomberoit d’étourdissement causé par la marche circulaire.

La meule gissante est environnée par un plan doucement incliné, en maçonnerie, de deux pieds de largeur, recouverte par des planches épaisses, fortement clouées & liées ensemble. La hauteur de ce talus est d’environ six pouces ; un homme armé d’une pelle repousse sans cesse sous la meule la pâte qu’elle écarte en tournant, & c’est lui qui est chargé de faire marcher la mule.

Les piles ou bassins sont placés aussi près qu’il est possible & du moulin & du pressoir, parce que du moulin on porte la pâte dans les piles, & c’est sur la pile qu’on remplit successivement les cabas qui sont ensuite portés sur le moulin. C’est l’ouvrage des ouvriers destinés à tourner une ou plusieurs barres des vis du pressoir.

Enfin, un dernier homme est chargé de pomper l’eau, de remplir la chaudière, de vider l’eau bouillante dans les cabas lorsqu’on échaude, & d’entretenir le feu sous la chaudière. Ainsi, le service d’un attelier exige huit hommes, & à la grande rigueur, au moins six ; il faut encore deux mules, mulets ou chevaux.

Que l’on compare actuellement la dépense qu’entraînent ces bras avec celle d’un moulin hollandois, & l’on verra lequel mérite la préférence ?

Le prix de la mouture varie suivant le pays ; mais on peut dire, en général, que chaque mesure est payée vingt-cinq sols, ce qui fait à peu près cent sols par charge d’huile pesant environ trois cent vingt livres poids de marc. Cet argent est tout pour les ouvriers, & le propriétaire du moulin n’en prélève pas une obole. Où est donc son bénéfice, & l’intérêt de ses avances premières, car il fournit tout, excepté les mules ou les chevaux ? Qu’on se tranquillise sur son compte, il ne perdra rien ; le produit lui assure un bénéfice honnête. Les ouvriers prélèvent encore la moitié du marc à leur profit. Cette police d’attelier peut varier suivant les lieux, mais elle est assez générale. Dans quelques endroits, les ouvriers se paient de leur travail en huile, & c’est plus raisonnable dans un sens, parce qu’il est de leur intérêt de retirer autant d’huile qu’ils peuvent du marc, au lieu qu’il est de leur intérêt de multiplier les pressées, parce qu’il leur importe très-peu qu’il reste beaucoup d’huile dans le marc. Reprenons la suite de l’opération.

Lorsque le temps est fixé pour moudre l’olive & son noyau, & réduire le tout en pâte, on débarrasse le moulin, & la pâte est jetée dans les piles. Si l’année est bonne, & si les olives sont bien conditionnées, on voit paroître sur leur surface une huile proprement dite vierge, trop épaisse & en trop petite quantité pour la séparer. De cette pâte on remplit les cabas, on les presse, &c. l’huile vierge coule sur le pressoir, & du pressoir dans une des deux tonnes, aux trois quarts remplie d’eau. Lorsque la pressée est finie, on donne peu de temps pour laisser écouler le suintement des cabas ; ce ne seroit pas le compte de l’ouvrier qui travaille à la tâche ; les hommes qui tournoient la barre du pressoir, desserrent, montent sur le pressoir, ouvrent les cabas aplatis, appuient le côté étroit sur le cabas de dessous, dégrumèlent la pâte, & placent à fur & mesure en pile les cabas sur le bord du pressoir, Du côté de la chaudière. L’ouvrier chargé du soin de la chaudière & du feu, vulgairement appelé le diable, met une mesure d’eau bouillante dans chaque cabas ; on remonte les cabas, & on presse comme la première fois. Cette opération est nommée échauder.

Un peu avant que l’eau chaude mêlée avec l’huile commence à couler des cabas, le premier ouvrier bouche les ouvertures du pressoir qui communiquent aux tonnes ; alors, avec une patelle, ou espèce de cuiller de cuivre très-plate, il lève l’huile qui surnage l’eau des tonnes. Elle est censée être entièrement venue à la surface pendant le repos.

Lorsque le dessus du pressoir est couvert d’eau huileuse sortie des cabas, le maître ouvrier enlève un des bouchons, & le tout tombe dans une des deux tonnes ; on procède à un second échaudage comme le premier, & la levée de l’huile est la même à la troisième & à la seconde fois, comme à la première. Après qu’on est censé avoir levé toute l’huile des tonnes, le maître ouvrier les débouche, & toute l’eau s’écoule dans l’enfer.

L’enfer est une vaste cîterne voûtée qui tient exactement l’eau, & dans laquelle on descend par un escalier fermé par une porte dont le propriétaire du moulin a seul la clef. Elle est percée d’un trou dans son milieu, fermé par un bouchon que l’on retire lorsqu’elle est trop pleine d’eau, & pour la faire couler à un demi-pied où à un pied près au-dessus du bouchon.

Comme l’eau de l’enfer y reste stationnaire pendant vingt-quatre ou quarante-huit heures, suivant la grandeur de la citerne, le mucilage très-abondant a le temps de se précipiter au fond, & l’huile qu’elle contenoit, spécifiquement plus légère que l’eau, s’élève à sa surface, & forme, par son agrégation, une nappe d’huile. J’ai vu des enfers où la conduite des eaux des tonnes se prolongeoit presque vers la base de la citerne. Par ce moyen, la couche d’huile supérieure n’étoit pas agitée & divisée par la chute de l’eau ; mais au contraire, le mucilage précipité au fond, l’étoit beaucoup, & la rapidité avec laquelle cette eau l’agitoit & le divisoit, le forçoit à lâcher la plus grande partie de l’huile qu’il pouvoit recéler. Plus l’eau reste stationnaire dans l’enfer, & plus l’huile & le mucilage s’en séparent ; il est donc de l’intérêt du propriétaire d’avoir un très-grand enfer. À la fin de ce qu’on appelle la campagne c’est-à-dire, lorsqu’il n’y a plus d’huile à passer, le propriétaire lève l’huile de la surface de l’eau de son enfer, lâche l’eau inutile, puise celle qui recouvre le mucilage ; le laisse égoutter ; quelques-uns l’echaudent encore, & le repassent de nouveau pour en extraire toute l’huile. Il dépend du maître ouvrier de rendre gras l’enfer, pour peu qu’il s’entende avec le propriétaire (cette collusion n’est pas rare) ; il suffit pour cela de se hâter de lever l’huile sur les tonnes, d’en lâcher l’eau ; ou bien, par un tour de main trop ordinaire, il suffit, lorsqu’il lève l’huile, d’appuyer sa patelle un peu fortement : alors l’huile de la surface mêlée à beaucoup de mucilage, & par conséquent guère plus légère spécifiquement que l’eau, se précipite avec lui au fond de la tonne, & il faudroit attendre un temps qu’on ne donne pas, pour qu’elle remontât à la surface. Ainsi un propriétaire peut dire : mon enfer rend ce que je veux. Je ne veux pas inférer de là que tous les propriétaires des moulins soient des mal-honnêtes gens ; je veux dire seulement que lorsqu’il est possible d’augmenter son bénéfice sans que cela paroisse trop ouvertement ; que lorsqu’on peut lever une petite cruchée sur chaque particulier, il est bien difficile de se refuser à l’occasion. En effet, l’enfer est une bonne chose, puisqu’il couvre l’intérêt de la mise première en bâtimens, en ustensiles, & pourvoit à l’entretien annuel & général de la totalité ; enfin il assure en outre un bénéfice réel, puisqu’il ne manque jamais de fermiers, si le propriétaire veut louer son attelier. Dans les cas de probabilité, j’aimerois mieux envoyer mes olives dans un moulin que fait valoir le propriétaire, que dans celui qui est affermé. L’huile d’enfer, bien puante, bien rance, est vendue aux fabricans d’étoffes en laine, & ils l’achètent dix-huit ou vingt francs de moins par charge que l’huile ordinaire. Faisons actuellement quelques réflexions sur les abus de la fabrication de cette huile.

I. Sur les pressoirs. Chacun vante la force expressive du pressoir de son canton, soit parce qu’il n’en connoît pas de meilleurs, ou plutôt parce que les premières idées reçues, dans l’enfance, de la forme de ces pressoirs, sont difficiles à déraciner chez les personnes naturellement faites pour réfléchir, & pour ne pas se laisser subjuguer par les préjugés.

Voyons si cette prétendue énergie tiendra contre un point de fait de la dernière évidence. On a établi en divers endroits de la Provence, du Languedoc, des moulins de recensse, dont je parlerai bientôt ; ils sont uniquement destinés à repasser le marc vulgairement appelé grignon ; & on sera étonné de la quantité d’huile qu’on en retire. Il est donc clair qu’il reste beaucoup d’huile ; & par une autre conséquence aussi naturelle, il est plus clair encore que la pâte a été mal pressée, 1°. parce que l’olive n’a pas été assez triturée au moulin ; 2°. parce qu’il n’y a pas eu assez d’intervalle vaste d’une pressée à une autre ; 3°. parce que le pressoir n’avoit pas assez d’énergie. En effet, après la dernière pressée, lorsqu’on met le cabas sur champ, & qu’on appuie un peu fortement la main par dessus, la pâte s’émiette, & sort avec facilité du cabas ; enfin, jetée sur le sol, elle y est sans consistance, &, à peu de chose près, comme la sciure de bois légèrement humectée. J’en appelle à ceux qui ont vu les tourteaux lorsqu’ils sortent des moulins & pressoirs flamands, & bien plus encore à ceux des hollandois, & les prie de décider s’il y a la même onctuosité, & aussi peu d’adhérence que dans les grignons d’olives, même les mieux pressés. Il faudroit n’avoir point d’yeux, ou vouloir s’aveugler pour oser nier un fait de cette évidence.

On objectera peut-être que le marc d’olives ne peut pas acquérir, par la pression, la même consistance, la même dureté & ténacité que celui des graines, parce que les noyaux de l’olive mal brisés s’y opposent. Enfin, les pellicules & les débris du parenchyme de l’olive, ne ressemblent pas à ceux des graines.

Si le noyau est mal brisé, on n’a donc pas laissé assez long-temps l’olive sur la meule, ou bien la meule n’étoit pas assez lourde ; défaut essentiel, puisque la meule a glissé sur la partie charnue du fruit qui étoit aux deux côtés du noyau. En employant le moulin hollandois, l’olive & son noyau auroient été pulvérisés, si je puis m’exprimer ainsi, par les deux meules ; mais, dans la supposition qu’ils eussent mal ou pas assez été moulus, ils auroient été deux nouvelles fois encore écrasés dans les mortiers par de très-gros pilons. Somme totale, deux meules de sept pieds de hauteur, & pendant autant de temps roulent sur les graines, tandis qu’une seule roule sur les olives, & cette meule est beaucoup moins pesante. Après la première pressée, les graines sont pilées encore deux fois, & les olives ne le sont pas. Les pressoirs latéraux des hollandois sont infiniment plus expressifs qu’aucun des nôtres ; 1°. parce qu’ils ne pressent à la fois que deux sacs, ce qui revient à nos cabas ; & par conséquent la pression agissant sur une petite masse, la serre plus que lorsque cette masse est montée en pyramide au nombre de douze à dix-huit cabas de hauteur. 2°. En Hollande l’énergie de pression ne dépend pas de la volonté ou de la force des ouvriers comme dans nos moulins, puisqu’elle s’exécute par des coins chassés avec force, comme le mouton enfonce les pilotis, & jusqu’au refus du mouton. Il est donc démontré, jusqu’à l’évidence, que tout l’avantage est du côté du moulin hollandois, & la perte réelle & considérable est pour nous. Enfin le hollandois retire deux fois de l’huile vierge, & nous une seule fois & en petite quantité, parce qu’il est impossible de bien presser la première fois. Que sera-ce donc si les olives sont mal étrités, c’est-à-dire, mal moulues ?

2. Sur la qualité. Les personnes qui ne se piquent pas de faire de la bonne huile, mêlent le produit de toutes les presses, & ils ont raison, puisqu’ils ont auparavant mis ensemble les olives ramassées par terre après un long séjour, & celles cueillies sur l’arbre, ensuite accumulées les unes sur les autres, & qui ont fortement fermenté. Dès-que l’olive a fermenté, ou a commencé à fermenter en masse, l’huile est nécessairement mauvaise, en raison de son degré de fermentation. Ces assertions trouveront un grand nombre de contradicteurs, les uns de bonne foi, & les autres seulement parce qu’elles sont différentes de leur manière de voir, & le résultat d’une opération différente. J’appelle opposans de bonne foi, ceux qui sont accoutumés à manger habituellement de l’huile forte ; il n’est donc pas étonnant qu’ils trouvent très-bonne l’huile nouvelle & déjà forte. Si elle n’a pas ce goût dominant, elle ne sent rien, disent-ils ; mais l’homme accoutumé à l’huile douce & fine, & dont le palais est délicat, décide, même au pressoir, si l’huile deviendra forte par la suite, quoique conservée avec soin.

Ceux qui séparent l’huile vierge des autres produits, se flattent de l’avoir douce & agréable, puisque leurs olives ont été cueillies & choisies avec soin, & qu’elles n’ont point été amoncelées. Ils sont tout étonnés, quelques mois après, de lui trouver, dès que la chaleur commence à se faire sentir, une saveur piquante, une tendance à la rancidité ; cependant ils avoient eu raison de présumer que leur huile conserveroit sa douceur & son aménité. La surprise cessera s’ils réfléchissent que la personne qui a fait moudre avant eux, avoit des olives fermentées ; & sur-tout qu’ils ont conservé pour la dernière presse les rebuts & les olives cueillies par terre. Comme on n’a point changé de cabas, que ce sont toujours les mêmes qui servent ; que la chaleur de l’eau bouillante développe & exalte les principes du mauvais goût, & qu’elle en imprègne les cabas, il est dans l’ordre des choses que la première pâte que l’on mettra dans ces cabas, s’approprie ces principes destructeurs de la qualité, & qu’ils agissent dans la suite sur l’huile vierge, comme le levain sur la pâte. Ce que je dis des cabas, s’applique à la meule, aux piles, &c. Cela sera toujours ainsi, tant qu’on ne prendra pas le parti de lessiver tous les ustensiles de l’attelier, d’après le procédé que j’ai indiqué.

Une personne qui a la superficie des connoissances sur une multitude d’objets, par conséquent qui ne sait rien à fond, & d’ailleurs l’oracle du canton, me soutenoit que plus on jetoit d’eau bouillante sur la pâte, moins l’huile étoit amère, qu’elle ne rancissait point, qu’elle se déchargeoit plus aisément de ses parties hétérogènes qui l’embarrassent & l’entraînent en bas par sa pesanteur. Elle avoit raison, pour ce dernier cas seulement.

L’huile vierge bien faite, dont l’olive n’a pas fermenté, qui n’est pas trop mûre, qui n’a pas été exprimée après une mauvaise huile, est moins dans le cas de rancir que tout autre, ce que je prouverai bientôt en parlant de la rancidité. Il est étonnant qu’on veuille s’aveugler sur l’effet de l’eau bouillante, lorsqu’on a sous les yeux l’exemple de l’huile qu’on fait cuire : son principe volatil prend à la gorge, fait tousser, cuire les yeux, & l’huile auparavant très-douce, devient âcre & forte. Ce que la cuisson opère en grand, l’eau bouillante l’opère également ; mais non pas à un degré si caractérisé, parce que la chaleur & le feu agissent directement sur l’huile nue, au lieu que l’eau bouillante agit sur une grande masse de mucilage comparée à celle de l’huile. Il est constant qu’avec des pressoirs tels que nous les avons, on retireroit très-peu d’huile, sans l’action de l’eau bouillante ; mais c’est corriger un vice par un autre vice ; tandis qu’avec le moulin hollandois, on obtiendroit une plus grande quantité d’huile, & même de l’huile vierge, par trois ou quatre pressées ; alors aux dernières pressées, ajoutez autant d’eau bouillante que vous le voudrez, ou même faites cuire la pâte dans la payelle, mêlée avec beaucoup d’eau, puisqu’on n’a pas à craindre ici l’émulsion comme avec les graines.

Dans nos provinces où l’on cultive l’olivier, on est sûr de vendre avantageusement son huile, & on a la ressource des manufactures de laine, les savonneries emploient l’huile commune ; le tout est payé comptant ; enfin, le débit est assuré. Je crois qu’on doit attribuer à cette facilité du débouché, & à la difficulté de moudre commodément, le peu de soin qu’on donne à la fabrication de l’huile. Cependant, si l’on considère le prix auquel sont vendues les huiles d’Aix, comparé à celui des autres endroits, on calculera le bénéfice qui proviendroit d’une bonne fabrication. N’est-il pas honteux que, dans la majeure partie du Languedoc, les grands propriétaires d’oliviers soient obligés de tirer d’Aix, l’huile nécessaire pour leurs tables ! Quel abus ! & personne ne pense à y remédier : mais ce qui est plus honteux encore, c’est que si un particulier travaille à perfectionner la fabrication de son huile, il devient un sujet d’épigrammes, de quolibets, & on décrie son huile i


Section V.

Procédé de M. Sieuve, pour extraire l’huile d’olive.


Je me suis abstenu, jusqu’à présent, de parler des différentes natures d’huiles contenues dans l’olive, & de l’action des unes sur les autres, lorsqu’elles sont mélangées par la trituration, & par l’expression, afin de rapporter les expériences de M. Sieuve. J’ai déjà fait remarquer la différence qui se trouve entre l’huile contenue dans l’amande des graines, & celle de leur écorce. Les expériences de M, Sieuve, sont si concluantes, qu’elles n’ont pas besoin de commentaires. L’auteur va parler.

Le vingt-deux du mois de novembre 1762, je cueillis cinquante livres pesant d’olives bien saines, & parvenues au vrai point de maturité. Ma première précaution fut d’abord de détacher les chairs des noyaux, & de les peser séparément. Les chairs produisirent 38 livres 1 once ; les noyaux 11 livres ; les 15 onces qui manquoient pour compléter les 50 livres d’olives, ont été perdues dans le détail de l’opération.

Je mis sous le pressoir 38 livres 1 once de chair d’olives ; elles me rendirent net, 10 liv. 10 onces d’huile ; elle étoit de couleur citrine, très limpide, douce, agréable au goût.

Deux jours après, je fis casser les 11 livres de noyaux pour en retirer les amandes ; les amandes pesées produisirent 3 livres 7 onces ; & le bois, 7 livres 2 onces. Ces deux derniers poids diffèrent du premier de 7 onces qui ont été également perdues dans le détail de l’opération.

Je mis sous le pressoir les 3 livres 7 onces d’amandes ; elles rendirent 1 livre 14 onces d’huile ; sa qualité étoit aussi belle & presqu’aussi claire que la première extraite de la chair des olives ; mais d’une odeur plus forte, & d’une saveur plus âcre au goût.

Je passai ensuite sous la meule, les 7 livres 2 onces de bois de noyaux ; cette matière réduite en pâte & mise au pressoir, me rendit encore 3 livres 14 onces d’huile ; mais celle-ci n’étoit ni si belle, ni si claire que les 2 premières ; elle étoit même de couleur brune, & chargée de parties visqueuses fétides & sulfureuses.

Pour connoître distinctement les propriétés & qualités particulières de ces trois différentes huiles, je pris cinq bouteilles ; dans la première je mis 5 livres 5 onces d’huile, extraite uniquement des chairs.

Dans la seconde, 15 onces d’huile provenante de l’amande.

Dans la troisième, 1 livre 15 onces d’huile tirée du bois des noyaux.

Dans la quatrième, la même quantité de ces trois différentes huiles, dont je fis le mélange.

Dans la cinquième, de bonne huile, extraite selon l’ancienne méthode.

Je bouchai exactement les cinq bouteilles, chacune ayant son numéro ; je les plaçai sur ma fenêtre à l’exposition du midi ; je les y laissai pendant trois ans, pour donner à la fermentation le temps d’opérer, pour connoître, par ses effets, les divers changemens dont toutes ces qualités d’huiles pouvoient être susceptibles.

Ce ne fut qu’après l’expiration de ces trois années, que je jugeai à propos d’examiner mes cinq bouteilles, & les huiles que j’y avois renfermées. Je commençai par la bouteille qui contenoit les 5 livres 5 onces d’huile extraite de la chair des olives. Cette huile étoit intacte, d’une couleur citrine, d’une odeur douce, agréable au goût, & telle que je l’avois mise dans la bouteille, sans avoir formé aucun dépôt.

Je passai à la seconde bouteille, contenant les 15 onces d’huile, extraite des amandes ; elle n’étoit plus si belle, ni si limpide ; elle étoit devenue jaunâtre, & d’un goût si piquant & si corrosif, qu’en la goûtant elle m’occasionna de petits ulcères dans la bouche[2].

Je vins ensuite à la troisième bouteille, qui renfermoit 1 livre 15 onces d’huile, extraite du bois des noyaux ; celle-ci étoit entièrement dénaturée, sa matière visqueuse s’étoit épaissie, & là couleur brune étoit devenue presque noire. En ouvrant la bouteille, il s’en exhala une odeur si forte, que je ne pus la supporter.

Les changemens qu’avoient éprouvés ces deux dernières qualités d’huiles, tirées des amandes & du bois des noyaux, m’annonçaient assez le sort de ma quatrième bouteille qui contenoit le mélange que j’avois fait des trois qualités. Je ne fus point trompé dans mon attente ; car lorsque j’en fis l’examen, je trouvai cette huile trouble, obscure, d’une odeur forte, rance & désagréable ; elle avoit même formé un dépôt considérable.

Or, si l’huile extraite uniquement des chairs des olives, & mise séparément dans ma première bouteille, n’avoit point souffert d’altération, & n’avoit rien perdu de ses qualités, il résulte que l’huile de ma quatrième bouteille, quoique extraite également de la chair des olives, ne s’étoit corrompue que par le mélange que j’en avois fait avec les huiles extraites des amandes, & du bois des noyaux.

Je vérifiai enfin ma cinquième bouteille, qui renfermoit l’huile extraite selon l’ancienne méthode : je la trouvai tout aussi corrompue que celle de ma quatrième bouteille, qui réunifiait le mélange des trois qualités énoncées ci-dessus.

Cette expérience nous fait connoître que c’est à l’amande & au au bois de noyaux, que nos huiles doivent en général ce qu’elles ont de défectueux. Elle étoit trop décisive pour ne pas la réitérer plusieurs fois sur différentes qualités d’huile ; j’ai trouvé dans les unes & dans les autres, selon leurs proportions, les mêmes produits & les mêmes effets.

Pour mieux connoître la propriété des huiles extraites de l’amande des olives, & du bois des noyaux, je pris une lame d’acier bien nette, sur laquelle je mis d’un côté quelques gouttes éparses d’huile extraite des amandes, & de l’autre quelques gouttes d’huile de bois de noyaux ; je les laissai reposer l’espace, de trente heures ; je les examinai après, & je reconnus que les gouttes d’huile d’amande avoient noirci les parties qu’elles occupoient sur la lame, & qu’elle y avoit même fait des cavités aisées à distinguer au microscope, au lieu que les gouttes d’huile du bois des noyaux, n’avoient fait qu’obscurcir les parties de la lame sur laquelle elles étoient placées ».

À la prochaine récolte des olives, je reprendrai ces expériences sous œuvre, & je les diversifierai de manière à constater de nouveau les faits avancés par M. Sieuve, & dont je n’ose douter ; mais la meilleure conviction est de voir par moi-même. M. Sieuve a fait construire un moulin pour séparer la chair des noyaux : comme il est uniquement consacré aux olives ; je vais transcrire ici la description qu’il en donne, pour ne point renvoyer cet article à la description générale des moulins : c’est toujours l’auteur qui parle.

L’élévation de ce moulin consiste dans un bâtis qui renferme une caisse fou tenue horizontalement & en équilibre, par un axe transversal placé au-dessous de la caille, pour la pouvoir incliner suivant le besoin. (Voyez ci-après la planche XXI).

Cette caisse est séparée en deux parties, par une table horizontale la première partie est destinée pour recevoir les olives, & la seconde, les sucs huileux qui en résultent lorsque l’on détrite. La surface supérieure de la table est cannelée en lignes droites, parallèles à l’axe ; les cannelures sont trouées par distances, pour donner passage aux sucs huileux, dans la partie inférieure de la caisse, & retenir en même temps tous les noyaux.

À l’une des extrémités de cette caisse est pratiqué un entonnoir par où les sucs huileux vont se dégorger & filtrer au travers d’une chausse de flanelle attachée au bout de l’entonnoir, sous lequel est placé un baquet pour les recevoir.

Cette caisse a deux ouvertures ; la première est à l’une des extrémités, au-dessous de la table, pour donner la liberté de nettoyer, avec un rable, la partie inférieure de la caisse qui reçoit les sucs huileux ; la seconde, à côté de la caisse, au-dessus de la table, pour ramener, avec un râteau, les noyaux des olives, & les verser dans une auge placée au dessous de l’ouverture : l’une & l’autre ouverture se ferment par une trappe.

Au-dessus de cette caisse est un fort madrier, cannelé au-dessous, que je nommerai détritoir, & qui s’emboîte avec beaucoup d’aisance dans la partie supérieure de la caisse.

À l’une des extrémités de ce détritoir, il y a un creux sonnant un demi-cercle en talus, pris dans l’épaisseur du détritoir pour recevoir les olives d’une trémie placée au-dessus de la caisse.

Ce détritoir est encore armé, sur les deux extrémités de son épaisseur, de deux boutons, afin que les impulsions, qu’on donne au détritoir pour écraser les olives, n’écrasent point les noyaux qui pourroient se rencontrer entre l’épaisseur du détritoir, & les parois intérieures de la caisse.

Ce détritoir est suspendu par une corde qui passe sur une poulie attachée à la traverse supérieure du bâtis, & va se rouler sur un treuil : à ce treuil est sixé un rochet denté, ou espèce de cric, dont les dents reçoivent un cliquet qui arrête le treuil à volonté.

L’arbre ou axe du treuil est terminé quarrément par une de ses extrémités, pour recevoir une roue creusée en forme de poulie, sur laquelle est une corde roulée à plusieurs tours ; le bout de cette corde sert à faire tourner le treuil, & par ce moyen on a la faculté d’élever ou de baisser le détritoir.

Au-dessus de l’une des extrémités de la caisse, est une trémie dans laquelle on verse des olives : elle est supportée par deux des montans du bâtis. Sa partie inférieure est terminée par une coulisse ou soupape, dont la queue, percée d’une mortoise, reçoit une cheville plantée sur le détritoir, & par l’impulsion qu’il donne à ce détritoir, on ouvre & ferme alternativement cette soupape, dont l’action fournit successivement des olives dans la caisse.

Pour en faire usage, on commencera par jeter de l’eau chaude sur toutes les parties du moulin qui servent à détriter les olives & à recevoir l’huile. Cette préparation a deux objets, la propreté & l’économie. La propreté, pour que l’huile ne prenne aucune impression ; l’économie, pour que le bois ne puisse point s’abreuver aux dépens des sucs huileux de l’olive.

Après cette opération, on fera une couche d’huile d’olives de quatre à cinq doigts d’épaisseur sur la table trouée & cannelée.

On baissera ensuite le détritoir sur la couche d’olives, de manière que l’impulsion qu’on lui donnera, puisse faire rouler les olives sur les cannelures, & en détacher les noyaux.

On maintiendra en même temps la trémie toujours pleine d’olives. Par ce moyen, l’ouvrier, en les détritant, s’en fournira lui-même par l’action de la soupape.

On disposera des jarres à petites ouvertures, dans lesquelles on déposera à mesure les huiles filtrées par la chausse, & qui couleront dans le baquet. On les laissera reposer dans ces jarres pendant l’espace de quinze jours au moins. On les transvasera après dans de nouvelles jarres qu’on bouchera avec soin, & au fond desquelles on mettra une éponge préparée[3], pour maintenir leur limpidité.

Comme les chairs des olives forment un marc qui contient encore beaucoup de sucs huileux, qu’il est intéressant de ménager, on ramassera ce marc, on le mettra dans des sacs de molleton d’environ deux pieds en quarré ; on les fermera & les placera ensuite, chacun en particulier, sous un pressoir, de façon que l’ouverture du sac soit toujours adaptée sous le plateau supérieur du pressoir.

Pour extraire avec plus d’aisance l’huile de ce marc, & ménager en même temps les sacs qui pourroient crever par une pression trop subite, on aura l’attention de ne les pressurer que de quatre en quatre minutes. On observera encore de ne jamais employer d’eau chaude dans cette opération, mais de placer seulement le pressoir ainsi que le moulin dans un lieu tempéré, afin que l’huile puisse ne point se condenser, & qu’elle filtre avec plus de facilité.

Cette seconde huile ne différera en rien de la qualité de la première ; ainsi, on doit les mêler ensemble ; mais comme l’huile extraite du marc pourroit renfermer quelques parties crasses, on aura la précaution, avant d’en faire le mélange, de la laisser reposer plus long-temps, & jusqu’à ce qu’elle en soit entièrement dépouillée.

Comme l’huile qu’on doit retirer des noyaux est également utile, soit pour brûler, soit pour les fabriques de savon, on ne doit pas moins, en détritant les olives, en ramasser des noyaux, afin d’en extraire l’huile. On les mettra, à cet effet, sous une petite meule pour les écraser & les réduire en pâte. Cette pâte sera mise dans un sac de grosse toile qu’on aura soin de mouiller auparavant. On les placera ensuite, chacun en particulier, sous le pressoir ; & en suivant l’ancienne méthode, c’est-à dire, on les arrosera avec de l’eau bouillante, on parviendra, par la pression en à extraire l’huile.

On déposera cette huile dans des jarres particulières, pour la laisser reposer pendant l’espace d’un mois, après lequel on la transvasera dans des nouvelles jarres.

Les olives tombées sous l’arbre doivent être détritées sous la meule & avec les noyaux.


Comparaison du produit du moulin nouveau & des anciens.


Je choisis six quintaux d’olives bien saines, dont je fis deux parts ; je m’en réservai une de 300 livres, je divisai l’autre en trois parties égales de 100 livres chacune. J’envoyay ces dernières à trois différens moulins publics, & je m’y transportai moi-même pour en faire extraire l’huile sous mes yeux.

Le premier quintal produisit 38 livres 8 onces.

Le second, 36 livres 13 onces.

le troisième, 37 livres 3 onces.

Total du produit en huile de 3 quintaux d’olives, 112 livres 8 onces.

Je fis ensuite extraire sous mes yeux, par mon moulin, les 300 livres d’olives que je m’étais réservées. Les chairs des olives me produisirent 96 livres 6 onces d’huile.

Les noyaux passés sous la meule ordinaire, produisirent 41 livres 7 onces.

Le total du produit en huile des trois quintaux d’olives, fut de 137 livres 13. Le bénéfice donné par mon moulin, est donc de 24 livres 5 onces en sus de ce qu’avaient donné les moulins publics ».

Je ne doute point de la véracité des expériences de M. Sieuve, ni de la certitude de leurs produits ; mais comme on accuse en général les auteurs, de voir avec des yeux microscopiques leurs machines & leurs résultats, il auroit été bien important pour le public, & même pour M. Siuvee, dans un objet d’aussi grande importance que les expériences eussent été faites sous les yeux des officiers municipaux, ou de personnes de l’art, & de les constater par des procès verbaux en règle. Mais en n’admettent que l’égalité dans le produit sans augmentation de dépense en main-d’œuvre, ce feroit déjà un grand point, puisque chacun pourroit avoir chez soi un pareil moulin, & faire son huile fine dans un tems oportun, en assureroit la qualité. Quant aux noyaux, on les porteroit aux moulins publics, lorsqu’il est impossible que leur huile ait de la qualité.

Je ne connois point M. Sieuve, je n’ai pas vu son moulin, ainsi le témoignage que je vais rendre sur l’huile qu’on débite sous ce nom à Paris, que je connais très-particulièrement par l’usage que l’en ai fait, ne paraîtra pas suspect. Je puis certifier que cette huile étoit très-douce, agréable au goût & d’une odeur suave ; le seul defaut que je lui aie trouvé, c’est d’être un peu grasse. Je sais qu’il a éprouvé beaucoup de contradictions dans son pays, & c’est dans l’ordre habituel ; je sais qu’on a cherché à décrier son opération ; que l’on a dit que les vers se mettoient à son huile, &c. &c. Ces propos ne m’empêchent pas de dire ce que j’ai vu, & comme je l’ai vu. D’ailleurs, tous ses procédés sont conformes aux loix de la saine physi que ; & autant qu’on en peut juger, sans avoir répète les expériences, il est plus que probable que les qualités de l’huile doivent être ainsi que M. Sieuve l’annonce. Au mot olivier, je le répète, je dirai quelque chose de plus positif.
Détails & Explications des Pièces qui composent le moulin de M. Sieuve.
Élévation en perspective du moulin pour détriter les olives. (Pl. XXI, Fig. 1).
AB. CD. Patins.
EF GH. IK LM. Les quatre montans du bâtis, assemblés les uns aux autres par des entre-toises.
N. O. Le treuil.
N. Roue de bois, à laquelle est attaché un bout de corde.
P. Poulie sur laquelle passe la corde où le détritoir est suspendu.
Q. Extrémité de la corde, à laquelle les quatre cordons du détritoir se réunissent.
R. S. Le détritoir placé dans sa caisse.
S. Cheville fixée au détritoir, pour communiquer le mouvement à la soupape de la trémie.
R. Poignée pour pousser & tirer le détritoir dans sa caisse.
T. Trémie.
W. V. La caisse dans laquelle la table cannelée est renfermée.
V. X. Entonnoir terminé par la chausse.
Y. Chausse.
Z. Baquet.
b. c. Trappe par laquelle on fait tomber les noyaux dans l’auge.
d. f. Auge pour recevoir les noyaux.


Plan de la caisse. Fig. 2.
F. H. Les deux montans du côté de l’ouvrier.
K. M. Les deux montans auxquels la trémie est attachée.
a a. Axe ou aibre de fer sur lequel la caisse est portée en équilibre.
W. u. La caisse en dedans de laquelle on voit la table cannelée.
V. Entonnoir.
Coupe de l’entonnoir. Fig. 3.
V. Extrémité de la caisse.
X. L’entonnoir.
Y. La chausse.
Fig. 4. Le rable pour nettoyer l’espace au-dessous de la table.
fig. 5. Râteau pour retirer les noyaux, & les faire sortir par l’ouverture dis la trappe b. c. Fig. 1.


Coupe verticale & longitudinale du moulin par le milieu de sa largeur. Fig. 6, Pl. XXII.
B H. LM. Deux des quatre montans.
N. O. Le treuil.
P. La poulie.
O P Q. La corde.
RS. Le détritoir suspendu par des cordons au-dessus de la table cannelée
WV. La caisse.
a. Arbre ou axe de fer sur lequel la caisse est en équilibre.
VX. L’entonnoir.
Y. La chausse.
T. la trémie.
Z. Le baquet.
Élévation géométral de toute ta machine vue du côté opposé à l’ouvrier. Fig. 7.
CD. Patin.
IK. LM. Deux montans.
T. La trémie.
C. Soupape.
S. Le détritoir placé dans sa caisse.
V. La caisse.
X. L’entonnoir.
Y. La chausse.
Z. Le baquet.

Voilà en général tout ce qui concerne la fabrication d’huiles en grand ; il me reste à parler de la manière de les conserver ; mais auparavant, je dois faire connoître le moulin de recense dont il a été question plusieurs fois. Comme ce moulin, ne peut servir qu’à l’huile, il seroit déplacé d’en renvoyer la description à l’article général Moulin.


Section VI.

Description du moulin de recense, ou de recensement.


Ce genre de moulin n’est pas aussi connu, aussi multiplié qu’il devroit l’être. On laisse dans les marcs une si grande quantité d’huile, que sur la masse totale des récoltes d’huiles dans nos provinces à oliviers, on peut évaluer à peu près à 100,000 livres de perte réelle & en nature d’huile. On appelle recenser, extraire par de grands lavages & par l’agitation, l’huile qui reste adhérente aux noyaux, aux débris des chairs, aux pellicules, &c.

J’ai vainement cherché à remonter à l’origine de ces moulins, à en connoître l’inventeur ; on m’a dit, en Provence, que l’on devoit cette découverte à un simple paysan, & je n’ai tiré rien de plus de mes recherches. La planche XXIII. représente tout l’attelier de recensement, & les ustensiles dont on se sert.

A, tuyau en plomb, ou en bois, ou en briques, par lequel on conduit l’eau dans une espèce de tour creuse ou cuve.

B, robinet qui donne l’eau dans la tour, ou la retient dans le tuyau ou conduit A.

C, tour proportionnée à la grandeur de la meule G. Cette tour peut être construite en pierres de taille, de quatre à six pouces d’épaisseur, ou en béton, (voyez ce mot) d’un pied d’épaisseur, ou en plateaux de bois dur & bien jointes par des feuillures, & le tout, justement cerclé par des bandes de fer. Cette tour porte sur un massif de maçonnerie, ferme, très-solide, & de deux pieds d’épaisseur, dans lequel la pierre de taille, ou les plateaux sont implantés & fortement mastiqués, afin que ces différentes parties ne fassent qu’un tout, qui s’oppose à la fuite de l’eau, résiste à son poids & à la force du mouvement que la roue G lui communique en tournant. À la base de la tour, est une meule gissante, qui repose sur le ma sis, & elle est percée dans son m ; li u par un trou qui renverse l’arbre D.

D, arbre de bois dur, communément en chêne ; il traverse & est arrêté à son sommet par la poutre F, qui le tient vertical. Une pièce de bois E, est fortement assujettie dans cet arbre, & porte la meule perpendiculaire G ; cet arbre traverse la maçonnerie C C, pour gagner l’ouverture ou vide II ; là, il est adapté à la roue K, & finit par tourner sur son pivot H ; E, morceau de bois dur en buis ou en chêne vert, presque du diamètre du support de la meule, traversant l’épaisseur de l’arbre, & y étant fortement arrêté par des tenons & des chevilles.

G. Il ne s’agit pas ici, comme pour les grains, que la pierre soit poreuse. Elle doit, au contraire, être très-lisse, afin que toutes ses parties touchent & portent sur le marc répandu sur la meule gissante également lisse & polie. La meule est communément de cinq à huit pouces d’épaisseur, & de trois à quatre pieds de hauteur. Plus cette meule perpendiculaire est pesante, mieux le marc est écrasé & réduit en pulpe très-fine. De cette division extrême des parties dépend le plus ou moins de bénéfice qu’on retire du moulin. La grandeur de la meule, comme je l’ai déjà dit, décide la capacité de la tour. Cette meule est adhérente à l’arbre D, par la traverse E ; de sorte qu’elle a deux mouvemens, 1°. de décrire un cercle, en tournant perpendiculairement avec l’arbre D, & par conséquent en parcourant tout l’espace de la tour ; 2°. celui de rouler sur elle-même, étant portée par la traverse D ; de sorte que l’effet de la roue sur le massif, est à peu près le même que celui des deux cylindres des lamineurs de métaux. Je ne doute pas que le moulin à cylindre dont les hollandois se servent pour convertir les chiffons de toile en pâte pour le papier, ne produisît un effet plus prompt & plus marqué que le moulin dont il s’agit. (Voyez la nouvelle Encyclopédie par ordre de matières). Sa description & les détails qu’elle demande ne sont pas de mon ressort.

H, base de l’arbre armé d’un boulon de fer qui tourne dans une grenouille de fer, & encore mieux de bronze.

II, ouverture pratiquée dans la maçonnerie, & suffisante pour laisser tourner la roue horizontale KK, mise en mouvement par la chute de l’eau du canal M.

KK, roue horizontale garnie de palettes LL, contre lesquelles l’eau du canal vient frapper avec impétuosité, & leur communique le mouvement. Ces palettes doivent être creusées en manière de cuiller à pot, afin de présenter plus de surface à l’eau, d’en retenir plus longtemps une partie, & d’augmenter sa force.

M. M. C’est du volume d’eau de ce canal, & de la rapidité de sa chute, que dépend le mouvement plus ou moins accéléré de la roue K, & par conséquent, de l’arbre D & de la roue G.

N, canal de dégorgement qui part de la surface de l’eau de la tour C, remplie par l’eau venue du canal A, & qui délaye, par le moyen de la meule GG, le marc mis dans la tour C. Les débris du parenchyme, des écorces du fruit surnagent l’eau, de même que les petites portions d’huile qui s’en séparent par le moyen de ce fluide ; le tout est entraîné dans le canal N, auquel on, fait faire plusieurs contours, afin que son eau coule avec moins de violence dans le réservoir P ; mais pour que la chute de cette eau ne fasse pas remonter la crasse du fond du réservoir, elle frappe contre un morceau de bois OO, qui rompt son effort.

O, morceau de bois pris ordinairement dans un tronc d’arbre. Il est fixé par sa base dans la maçonnerie, retenu à son sommet par deux autres morceaux de bois ou de fer, & enchâssé dans la partie supérieure de la maçonnerie, de sorte qu’il reste immobile.

P, premier réservoir bâti en maçonnerie, ou eh béton, ou en briques ; c’est le plus grand de tous. Il a communément dix pieds de longueur sur huit de largeur. Il convient qu’il soit recouvert d’un toit, afin d’empêcher les ordures d’y tomber, & sur-tout, pour mettre son eau à l’abri de la pluie. Les gouttes d’eau tombant sur les débris du fruit ou de l’écorce, les feroient précipiter au fond du bassin. On n’a point ici représenté cette charpente que chacun peut se figurer.

Q. Si l’écoulement du bassin P étoit dans la partie supérieure, l’eau entraîneroit les portions huileuses & les débris du fruit qui surnage. Pour éviter cette perte réelle, on pratique dans la maçonnerie une sous-pape Q, qui s’ouvre, se ferme à volonté, & laisse couler l’eau dans la partie mitoyenne par le conduit RR.

R, conduit de communication du premier bassin P dans le bassin S, où l’eau qui s’écoule rencontre un morceau de bois OO, semblable à celui du premier bassin, & qui retient l’effort de sa chute.

S, second bassin semblable au premier, mais dont l’écoulement se fait directement avec le troisième bassin T, & celui-ci avec le quatrième X. La communication de ces trois bassins est au centre, comme on le voit en Y, qui uniroit le bassin X à un suivant, si on le désiroit.

Z, la même soupape qui laisse couler l’eau en Y & en Z, en même temps & à volonté ; il suffit de la soulever plus ou moins, & on ne la soulève entièrement que lorsqu’on veut nettoyer le bassin.

L’eau qui s’écoule par la partie supérieure de la tour n’est chargée que des débris du fruit & d’un peu d’huile, & des parties brisées de l’amande contenue dans le noyau : on les appelle grignon noir ; mais les débris du noyau ne surnagent point l’eau, & restent précipités au fond de la tour ; cependant, comme ils peuvent retenir, & retiennent en effet, des débris du fruit, il est important de ne rien perdre. Pour y remédier, on ménage, dans la maçonnerie & au bas de la tour, une ouverture qui communique par le trou 2 dans l’épaisseur du mur 3, & va sortir par le canal 4, qui conduit l’eau & les débris du noyau nommé grignon blanc, dans le bassin 5, également garni, comme les bassins du grignon noir, d’une soupape 6 ; ainsi se remplissent successivement les bassins 7 & 8, & un aussi grand nombre qu’on désire en construire. Les derniers fournissent toujours des portions huileuses en petite quantité, il est vrai ; mais comme elle ne coûte rien à rassembler, l’huile qu’on en retire est un bénéfice net. Telle est la construction & la description de toutes les parties qui composent ce moulin ; passons actuellement à la manière d’y opérer.

Le marc des olives pressurées dans les moulins ordinaires, est répandu sur le plancher de l’attelier de recense. C’est-là qu’on en prend une portion pour la jeter dans la tour ; lorsqu’il y en a une quantité suffisante, on laisse tourner la meule pendant un quart-d’heure, opération qui broye & écrase de nouveau le grignon. Après ce moulinage, on ouvre le robinet B, pour donner de l’eau, & la roue continue toujours à se mouvoir. L’effort de l’eau qui tombe avec rapidité, joint à celui de la meule, délaye le grignon ; on ajoute de nouvelle eau, la meule tourne toujours ; enfin, on lâche l’eau entièrement. Le grignon noir monte à la surface, & l’eau qui s’écoule par le canal N, l’entraîne dans les différens réservoirs P, S, T, X. Lorsque l’eau ne paroît plus entraîner de grignon noir, on ouvre la soupape 2 du bas de la tour, & l’eau s’écoule avec le grignon blanc, par le canal 3, 4, dans les réservoirs 5, 7, 8. Lorsque l’eau des grignons noirs & blancs est parvenue dans les bassins qui leur sont destinés, c’est-à-dire, lorsque la tour est vide de grignon quelconque, on ferme la soupape 1, ainsi que le robinet B, & on garnit de nouveau la tour avec du marc répandu sur le plancher.

Pendant qu’on renouvelle cette opération dans le râtelier, un homme p lacé près des bassins, armé d’un grand bâton 10, au bout duquel il y a un croisillon, le promène légèrement sur la surface de l’eau des réservoirs, & pousse ainsi dans l’angle du bassin l’huile qui surnage avec les débris de la chair du fruit, de l’écorce. Alors il prend une poêle à manche court & percé comme une écumoire 12, ou ce qui est encore mieux, un tamis de crin assez serré ; il enlève par ce moyen tout ce qui se trouve rassemblé à la surface de l’eau, & le jette dans un petit baquet ou vaisseau de bois, de forme quelconque. Il ne cesse de répéter ce travail jusqu’à ce que l’eau des différens bassins, sans être agitée, ne fournisse plus rien ; enfin, il porte son baquet vers la chaudière 13, dans laquelle il le vide. Je ne décrirai point ici les détails de la chaudière, ils sont trop connus : je dirai seulement qu’elle est à moitié pleine d’eau ; qu’on y jette le grignon noir, & que l’on l’y laisse bouillir jusqu’à ce que la fumée soit blanche & dense, ce qui annonce que l’eau est suffisamment évaporée, & que la pâte est assez rapprochée. Alors, avec un poêlon 14, l’ouvrier prend la matière dans la chaudière, en remplit les cabas 15, les dispose les uns sur les autres sur le pressoir, ainsi qu’ils sont représentés, & on appelle cette opération charger le pressoir. Alors quatre hommes, dont deux sont places à chaque barre qui entre dans l’ouverture 16, à force de serrer, font descendre la vis, les cabas sont pressés, l’huile s’écoule dans les vaisseaux 17 ; lorsqu’ils sont pleins, on en substitue d’autres, & on vide les premiers dans des jarres de terre, où cette huile dépose une fécule abondante.

On n’enlève jamais toute la pâte ou eau pâteuse de la chaudière, pendant tout le temps que dure le recensement ; il faut en laisser dans le fond une certaine quantité, afin que la chaudière ne brûle pas, & l’eau première est prise ou dans la tour ou dans les bassins.

À mesure que la force du pressoir agit sur les cabas, on prend de l’eau bouillante dans la chaudière, dont on les arrose légèrement tout autour ; cette eau en détache les parties huileuses qui seroient trop épaisses pour couler, & est reçue avec l’huile dans les baquets ; le tout est porté ensemble dans les jarres. Comme l’eau est plus pesante que l’huile, elle gagne le fond du vase, & l’huile surnage. On les laisse ainsi pendant quelques jours, & durant ce temps, la crasse, la portion terreuse, &c., se séparent de l’huile & se précipitent au fond de l’eau. Alors, par le moyen d’une canelle adaptée à la jarre, on ouvre son robinet, la crasse s’écoule la première, & elle est mise de nouveau de côté pour rebouillir dans la chaudière. L’eau vient ensuite, & lorsque l’huile commence à couler, on ferme le robinet. Cette huile est alors mise dans des tonneaux. Quelques-uns la placent dans de nouvelles jarres, pour la faire encore mieux dépouiller de sa crasse, & pour la soutirer une seconde fois, ce qui vaut beaucoup mieux. Revenons actuellement aux réservoirs des différens grignons : après avoir enlevé, autant qu’il est possible, la portion huileuse & les débris du fruit, un ouvrier, armé de l’instrument 9, à peu près semblable à celui dont les maçons se servent pour unir le sable à la chaux, & en faire du mortier, agite le fond des bassins où se sont précipités la crasse & autres débris ; alors toutes les parties huileuses & légères du fruit se séparent de la crasse, viennent à la surface & sont enlevées. Cette opération se répète plusieurs fois ; & lorsque l’on croit ne pouvoir plus rien tirer des réservoir P, S, T, X, on ouvre la soupape Z du réservoir X ; & toute l’eau & la crasse des bassins s’écoulent. Ne pourroit on pas encore reprendre ces crasses, & les faire bouillir ? C’est une expérience à tenter, & qui ne coûteroit que la main-d’œuvre. Il est certain que s’il y avoit cent réservoirs placés les uns après les autres, les derniers fourniroient de nouvelles portions huileuses, puisqu’on en trouve encore dans les eaux tranquilles des ruisseaux qui ont servi au recensement, souvent à plus d’un quart & même d’une demi lieue de l’endroit.

Le marc que l’on retire des cabas après la pression, sert & suffit pour entretenir le feu sous la chaudière, & tenir son eau toujours bouillante. On dit que les cendres ne peuvent servir à aucun usage pour la lessive ; ce qu’il y a de sûr, c’est qu’on les jette. On pourroit cependant les amonceler sous un hangar ; elles attireroient les sels aériens comme le font les terres lessivées par les salpêtriers, & dont ils retirent ensuite du nitre ou salpêtre comme la première fois. Si on ne les destine pas à cet usage économique, & qui ne coûte rien, il seroit bien important de les répandre sur les prairies marécageuses, ou sur les champs argileux ou à sol tenace.

Je n’ai plus à parler que du grignon blanc, c’est-à-dire, du débris des noyaux restés dans les bassins 5, 7, 8. Ici se répètent les mêmes opérations qu’aux réservoirs du grignon noir ; enfin, on lève la soupape ; mais comme dans le dernier bassin elle est garnie d’une grille de fer, l’eau seule s’écoule, & le grignon blanc reste à sec : alors on le jette sur le terrain où il finit de sécher. C’est dans cet état qu’on le vient prendre dans des sacs pour le porter à la ville la plus voisine. J’ai vu à Grasse, en janvier 1776, vendre deux sacs ou la charge d’un mulet, six sols ; & suivant l’éloignement des lieux, la charge revient à 12 ou 15 sols. Les boulangers achètent par préférence ce grignon blanc, & comme il n’est composé que des débris des noyaux, son feu est très-actif & chauffe bien le four. Qui croiroit que la vente du grignon blanc seul, suffit pour payer la nourriture & la journée des ouvriers employés à la recense ! Cependant rien n’est plus vrai. Les cendres en sont très estimées, & se vendent à un prix réglé.

Quoique j’aie placé en dessous la roue KK, qui reçoit l’eau du canal M, c’est-à-dire, horizontalement dans ses palettes, on sent qu’il est facile de la disposer d’une manière différente, par exemple, de la placer perpendiculairement contre un mur, & de la faire mouvoir par une égale chute d’eau. Alors il faudra une lanterne & une roue de rencontre, ou de telle autre manière, suivant le local & la prise d’eau. Quel sera l’étonnement de ceux qui n’ont point d’idée de ce moulin, quand ils apprendront que les six recenses de la ville de Grasse, donnent, année commune, environ 2000 rub d’huile ! Le rub pèse 20 livres, poids du pays. Les recenseurs achetoient, dans le mois de janvier 1776, le marc des olives, de 20 à 25 sols les deux quintaux du pays, ce qui revient à peu près à 170 livres, poids de marc ; & par leur opération ils en retiroient de 8 à 10 livres d’huile, poids de marc. La livre d’huile recensée ne se vendoit qu’un sol de moins que l’huile commune, l’huile fine étoit payée 9 livres 10 sols le rub ; l’huile commune 7 livres 10 sols, & l’huile recensée 6 livres 10 sols. Le bénéfice étoit donc de 5 livres 5 sols, pour une mise première de 25 sols, puisque les seuls grignons blancs payent les frais de fabrication.

Cette dernière huile est verte & très-verte ; on la préfère pour le savon, parce qu’il faut moins de temps pour qu’elle prenne avec la lessive, & par conséquent, c’est une grande économie de bois.

L’établissement des recenses, encore très-rare en Languedoc, a causé de grandes plaintes & de fortes réclamations de la part des propriétaires des olives ; parce qu’ils disoient que les recenseurs s’entendoient avec les ouvriers des moulins à huile, & que ceux-ci pressoient moins les cabas ; tant ils étoient étonnés de la quantité d’huile qu’on jetoit auparavant avec le marc : comme chaque particulier, par lui, ou par ses gens, voit faire son huile, il doit veiller à ce que le marc soit pressé convenablement ; d’ailleurs, personne ne le force à l’abandonner, & d’en tirer le meilleur parti. Les clameurs ont cessé, lorsqu’on a eu la conviction que les moulins pressoient avec trop peu d’énergie, & que les olives étoient mal etritées. Il faudra en venir au moulin hollandois.


CHAPITRE III.

De la conservation des Huiles en général.


On a vu, dans le premier Chapitre, que les graines & les olives contenoient, outre l’huile grasse, une huile essentielle ou éthérée, & un esprit recteur. On a également vu, que par art on pourroit réduire les huiles grasses en huiles éthérées, & qu’elles fournissent plus ou moins de résine. Il a été également prouvé que chaque huile grasse, devoit à l’esprit recteur de la semence ou du fruit, son odeur particulière ; qu’en prenant un peu d’huile essentielle, de colza, de navette, chargée de son esprit recteur, l’huile d’olive dans laquelle on la mélangoit, contractoit l’odeur & la saveur de chou, & ainsi tour-à-tour ; par le mélange des huiles essentielles, avec les différentes espèces d’huile ; enfin, on doit avoir sur-tout remarqué les effets qui résultoient de l’union des huiles essentielles, avec les huiles les plus douces, & combien dans le moment même on pourroit les faire ressembler à des huiles vieilles, & très-détériorées. Si j’ai exactement suivi la marche de la nature dans la décomposition des bonnes qualités d’huiles, il me paroît que la connoissant, il est facile de retarder cette marche, de prolonger la durée des combinaisons qui rendent les huiles douces, agréables, & saines ; & même d’enlever les principes créateurs de leur saveur & de leur odeur désagréable.


Section Première.

De la conservation & rectification des Huiles de graines.


J’aurois pu faire entrer dans le Chapitre de la fabrication des huiles de graines, ce que je vais dire sur l’extraction des principes d’où dépendent leur mauvais goût & leur mauvaise odeur ; mais ces détails auroient détourné l’attention du lecteur, de la suite des procédés de la fabrication de ces huiles ; d’ailleurs, les procédés dont j’ai parlé, ne changent en rien les manipulations ordinaires.

J’ai à détruire dans les huiles de graines (celle de pavot exceptée), 1°. un goût naturel, âcre & désagréable qu’il faut bien distinguer de la rancidité, & qui dépend de son esprit recteur. 2°. Indépendamment de ce principe, un second qui existe dans le parenchyme même de ces graines, & que l’huile combine. Ce n’est pas une vraie résine, mais une résine sous la forme & la combinaison savonneuse, formant le corps qu’on appelle gommo-résineux. Si on doute de son existence, on peut appliquer à ces graines, l’éther vitriolique. Les résines dissoutes ont un goût âcre qui n’est pas la source de la rancidité dans les huiles grasses, quoiqu’il puisse y contribuer en partie.

On diminue de beaucoup l’odeur & l’âcreté naturelles aux graines, en les semant dans un terrain sablonneux. On doit cette observation à M. Dalibard : cet estimable physicien a reconnu que les semences des plantes odoriférantes qui contiennent toutes de l’esprit recteur & des huiles essentielles éthérées, ont produit des plantes dénuées de ces propriétés, quoiqu’on les ait transplantées ensuite dans une terre plus fertile, & dans laquelle ces mêmes plantes ont coutume de conserver ces propriétés, lorsqu’elles y sont germées. Cette méthode est d’autant plus aisée à suivre, qu’on est dans l’usage de transplanter les jeunes plants de choux, de navette, &c., du terrain où les graines ont germé, dans celui où on les cultive. Cette pratique, quoique très-bonne, ne remplit pas toutes les vues de correction relatives à l’objet présent. Je réponds, d’après l’expérience, du fait avancé par M. Dalibard.

Voici un procédé plus sûr, plus commode & plus général. Faites macérer à froid les graines, dans une lessive de cendres ordinaires faite à froid, dont le véhicule est de l’eau de chaux ordinaire. Une livre de bonne chaux suffit pour faire cent livres d’eau de chaux, que l’on emploie pour lessiver trois ou quatre livres de cendres, plus ou moins, suivant leur qualité alcaline. Il suffit dans la macération, que la liqueur surnage un peu la graine. Toute autre dissolution alcaline, faite dans l’eau de chaux, comme des cendres gravelées, de soude, de potasse, &c. (voyez ces mots), remplissent le même but. J’ai indiqué les cendres par économie, & l’eau de chaux même n’est conseillée que pour aiguiser & rechausser l’action alcaline & employer moins de cendres. cage BB, formée de deux planches minces parallèles & horizontales DD.

Pendant combien d’heures doit durer la macération des graines ? Il est de la dernière impossibilité de la déterminer d’une manière fixe & positive ; la longueur de la macération dépend de la chaleur du jour où on la fait ; de l’année ou sèche ou pluvieuse, pendant la végétation de la plante ; de l’exposition du sol au midi, au levant, ou au nord, &c, & sur-tout de sa qualité. Si la graine reste trop long-temps dans sa lessive, elle y germera pour peu que la chaleur soit active, ou à l’extérieur, ou dans le lieu où l’on opère. Je me contente de dire que les deux extrêmes du temps est de 15 à 36 heures ; mais l’homme prudent, qui ne donne rien au hasard, prend quelques poignées de graines, & fait des expériences en petit. La graine germée ne donne plus d’huile, ou du moins la quantité & la qualité sont prodigieusement altérées.

Cette graine doit être ensuite lavée à plusieurs eaux, & mise de nouveau à macérer, pendant quelques heures, dans une légère dissolution d’alun faite à l’eau ; après cela, on fera très-exactement sécher ses graines, en les étendant sur des claies, ou sur un plancher très-propre & dans un lieu bien aéré, pour être portées dans le temps indiqué sous le pressoir. Si on négligeoit la lotion dans l’eau, l’huile que l’on extrairoit seroit très-douce au goût, mais elle sentiroit fortement l’odeur propre à la plante & à la graine dont on l’auroit retirée. Si la graine n’est pas bien sèche, lorsqu’on la portera-au pressoir, on retirera une espèce d’émulsion pâteuse, au lieu d’huile. Il vaut mieux opérer cette correction sur la graine fraîche, que sur celle déjà séchée ; elle prend mieux la lessive, & la macération est plutôt faite : d’ailleurs, on évite les détails d’une seconde dessiccation. Il est bien démontré que cette préparation ne diminue point la quantité de l’huile ; car les seules solutions alcalines très-concentrées, sont capables de la dissoudre.

Lorsque j’ai appliqué à l’huile même déjà extraite, cette dissolution de cendres & de chaux, je n’ai obtenu qu’une correction imparfaite ; l’huile est devenue très-douce à la vérité, sans aucune espèce d’âcreté, de causticité, de rancidité, mais l’odeur de la graine s’étoit fortement développée dans les différentes huiles employées aux expériences ; d’ailleurs, ces huiles agitées avec cette dissolution alcaline, & même étendues dans beaucoup d’eau, ont une si grande tendance à l’union savonneuse, qu’elles restent long-temps à s’en séparer ; la liqueur conserve la couleur & la consistance d’une émulsion, que l’addition même des acides ne décompose pas ; mais ils y changent singulièrement le goût : par exemple, l’huile de colza ou de navette, perd son goût, acquiert celui de l’huile de noix ; fait particulier, auquel je ne m’attendois pas. J’ai fait un grand nombre d’expériences ; les unes n’ont rien produit, & les autres m’ont donné des combinaisons qui n’ont aucun, rapport au sujet que je traite. Cependant je dirai que la macération des graines dans du vinaigre de vin, la digestion de ces huiles dans l’esprit de vin, dans un mélange d’eau & de vinaigre de saturne, faite à froid, mérite cependant d’être remarquée, comme ayant bonifié ces huiles. Ces derniers procédés ne valent pas celui dont nous avons parlé plus haut.

La théorie de la correction, que je viens d’indiquer, par le moyen des dissolutions alcalines, est fondée sur les propriétés qu’ont les alcalis de s’unir & de se combiner facilement avec les esprits recteurs. Ils dissolvent aussi facilement les substances résino-gommeuses, du parenchyme des graines dans lequel réside le principe âcre, caustique & amer.

Je n’établis point la dulcification des graines sur la théorie de celle des acides par les alcalis, parce que je suis bien éloigné de croire qu’il existe dans ces graines, ou dans les huiles qui en sont extraites, aucun acide libre, nu & développé, le seul cependant auquel les alcalis pourroient s’unir dans ces graines ou dans ces huiles. Le développement de ces assertions nous mèneroit trop loin, & ne seroit pas du goût de la majeure partie des lecteurs. Les chimistes doivent en connoître les preuves.

Ce que je dois dire de la conservation des huiles d’olive, s’applique à celles tirées des graines & des noyaux. Ainsi, pour ne pas multiplier les détails, je renvoie à la section suivante, & j’aurai soin d’indiquer les différences. Les causes destructives de celles-ci, sont, à peu de chose près, les mêmes que celles-là.


Section II.

De la conservation des Huiles d’olive.


Jusqu’à présent, je me suis occupé du manuel de la fabrication de l’huile, là voilà qui sort des mains de l’ouvrier & passe dans celles du propriétaire. C’est une liqueur trouble, d’un œil louche, d’une couleur peu agréable & indécise, mêlée avec un mucilage surabondant des débris du fruit, &c. &c.

Les huiles à cette époque sont plus ou moins douces & suaves, suivant les soins qu’on aura pris, lors de la récolte & de la fabrication. Elles doivent se dépouiller des parties hétérogènes & du mucilage surabondant à leur composition & à l’agrégation de leurs principes. Sans ce dépouillement elles seroient promptement sujettes à la putréfaction, & les vers ne tarderoient pas à s’y multiplier, sur-tout dans l’huile d’olive.

Du moulin on la porte chez le propriétaire, ordinairement dans des outres, ou dans tels autres vaisseaux ; & ce sont les mêmes qui servent pendant toute la campagne. Je suppose avoir préparé tous les ustensiles de l’attelier avec la plus scrupuleuse exactitude, avoir récolté les olives au point fixe de leur maturité, ne point les avoir laissé fermenter, avoir séparé les meurtries dès saines, &c. &c. je dois avoir de la bonne huile, cela est vrai ; mais cette huile si bien faite a passé par ces outres banales qui peut-être venoient de servir à l’huile des olives ramassées par terre, ou fermentées à l’excès ; dès lors, il n’en faut pas davantage pour que mon huile, si douce alors, ne tarde pas à manifester un goût fort & âcre. Quoi, dira-t-on, si peu de chose est capable de la détériorer ? Oui, sans doute, & vous pourrez vous en convaincre. Prenez une très-petite goutte d’huile essentielle, d’essence de lavande, par exemple, de citron, &c. ; jettez-la dans une bouteille pleine d’huile nouvellement faite, agitez, sentez, goûtez tout de suite ; laissez-la reposer pendant quelques jours, & vous verrez après, sur-tout s’il fait chaud, avec quelle énergie cette parcelle aura agi sur la masse. Je ne connois qu’un seul expédient capable de prévenir cet abus, c’est d’avoir à soi des outres ou des futailles qu’on aura fait laver avec les précautions indiquées. À mesure que le maître ouvrier lèvera l’huile, il les remplira, & même ne se servira pas de sa mesure en cuivre, mais du vase qu’on lui fournira ; car cette mesure est aussi infectée que les outres. On ne doit jamais perdre de vue que les huiles sont peut-être de tous les fluides, les plus susceptibles de s’approprier les mauvais goûts & les mauvaises odeurs.

Lorsque l’huile est portée au domicile du propriétaire, elle doit être tenue, au moins pendant quinze à vingt jours, dans un lieu dont la température soit de quinze à dix-huit degrés du thermomètre de Réaumur, afin que les parties hétérogènes aient le temps de se précipiter. Si l’on veut hâter cette précipitation, il faut ajouter de l’eau dans laquelle on aura fait dissoudre de l’alun, & la bien agiter avec l’huile. Comme ce sel n’est pas miscible ou soluble avec lui, il l’abandonne, s’attache au mucilage, le rend spécifiquement plus pesant ; & par conséquent, le précipite plus promptement qu’il ne l’auroit été par le repos.

J’ai demandé que la température du lieu fût de quinze à dix-huit degrés, afin que l’huile ne se coagulât pas promptement, & qu’elle eût le temps de déposer avant de cristalliser, ou autrement dit, de figer. Si le froid la saisit trop promptement, la précipitation est incomplette, & l’opération est manquée. Pour travailler avec facilité, il convient d’avoir un nombre de vaisseaux en bois, & non en cuivre ou en plomb, &c., tels que ceux destinés à transporter la vendange de la vigne au pressoir, bien propres, bien lavés, & même passés au vinaigre ; ou bien des barriques garnies de faussets à différentes hauteurs. À mesure que le mucilage se précipite, la partie supérieure de l’huile devient claire, limpide, dépouillée, la couche en dessous plus épaisse, & successivement de couche en couche jusqu’au dépôt ; alors on lève légèrement cette couche supérieure, & c’est toujours l’huile la meilleure, la plus fine & la plus délicate, & on la met en réserve, comme l’huile de la première qualité. Si elle est contenue dans des barriques, on ouvre le fausset supérieur, & on reçoit dans un vase l’huile qui coule. Quelques jours après, on lève la nouvelle couche éclaircie, qui forme l’huile de qualité seconde, & ainsi de suite jusqu’au dépôt. Ce dépôt n’est point à rejetter ; on le met à part dans des vaisseaux de terre vernissée, ou dans des jarres, & on les porte dans un lieu chaud, par exemple, au coin de la cheminée de la cuisine, ou encore mieux sur un four, à l’endroit nommé gloriette par les boulangers. Là, par une longue digestion, le marc lâche les parties huileuses & grossières qu’il contenoit ; on les passe à travers un linge double & mouillé ; & cette huile sert à brûler dans les lampes. Le résidu absolument grossier est rejeté ; on le pétrit avec du son jusqu’à siccité, & on le distribue aux poules, aux cochons, &c.

Si on a une certaine quantité d’huile, il vaut beaucoup mieux se servir de bonnes barriques en bois de chêne, que de tout autre vaisseau. Dès que l’huile est tirée à clair, sans différer, il faut remplir ces barriques, les boucher avec grand soin, & les rouler dans un lieu froid, afin que l’huile se fige promptement. Si on ne se sert pas de barriques, mais de grandes cruches vernissées (mauvaise méthode), on peut attendre que l’huile soit figée, & on l’aura beaucoup plus pure, & plus dépouillée de corps étrangers. Il en est de l’huile qui se fige, comme de l’eau qui se convertit en glace. Cette espèce de cristallisation s’exécute par le resserrement des parties les plus fines & les plus atténuées les unes contre les autres, & elle précipite les plus grossières, à peu près comme l’eau de mer glacée qui n’est plus salée, ni saumâtre, mais épurée & très-bonne à boire ; opération que l’art est venu à bout d’imiter imparfaitement par la distillation. Ce qu’il y a de certain, c’est que l’huile la plus transparente, avant de figer, & sans dépôt au fond du vase, en laisse un lorsqu’elle défige, & si elle est dans un vase de verre, on verra le dépôt se former pendant la cristallisation.

Je crois que l’acte par lequel l’huile se fige & se glace, s’exécute en grande partie par l’absorption de l’air, de la même manière que la cristallisation des corps fluides. L’huile figée & la glace occupent plus d’espace ; cette dernière surnage l’eau, & lorsque le tout reprend son premier état de fluidité, elle occupe moins d’espace qu’avant d’avoir cristallisé. J’attribue cette différence de volume à l’absorption de l’air atmosphérique interposé entre les parties pendant la cristallisation, & à la perte de ce même air qui a donné des ailes à celui de combinaison des corps, & en a entraîné avec lui une quantité suffisante pour que le volume du fluide soit diminué, ou peut-être par une plus grande atténuité des parties. Ce qu’il y a de certain, c’est que l’huile placée dans des barriques, du moment qu’elle est défigée, fait des efforts pour se répandre au-dehors par la jointure des douves, à peu près comme le vin qui travaille & qui tend à sa décomposition. Or la décomposition des corps n’est due, ainsi que leur putréfaction, qu’à la séparation & à l’abandon de leur air fixe ou air de combinaison. Ayez un tube de verre ; remplissez-le aux trois quarts d’huile, soudez sa partie supérieure à la lampe de l’émailleur ; ayez un second & un troisième tube de verre, remplissez-les de la même manière, bouchez exactement le second avec de la cire molle, & le troisième avec un bouchon de liège fin, & vous verrez que le volume de l’huile ne diminuera pas dans le premier, un peu dans le second, & beaucoup plus dans le troisième. Après deux ou trois ans, goûtez ces huiles, vous les trouverez détériorées, en raison de la perte de leur air de combinaison, & de leur dépôt qui en est la suite. Il ne faut pas confondre ce dépôt avec celui des huiles ; aussitôt après la sortie du moulin, ce dépôt n’étoit qu’un mucilage surabondant, tandis qu’ici c’est un mucilage de décomposition tenu en dissolution dans l’huile par l’air, & qui donnoit des entraves, & masquoit au goût l’huile essentielle contenue dans l’huile grasse. C’est ainsi, mais dans un sens contraire, que l’air tient en dissolution plusieurs substances dans les eaux minérales, acidulées, & qui, malgré cela, paroissent de la plus grande limpidité ; mais si cet air de combinaison s’échappe, elles deviennent troubles & déposent.

J’ai insisté sur la présence & sur la nécessité de conserver cet air fixe préparé par les mains de la nature dans le fruit, depuis le moment qu’il est noué, jusqu’à ce qu’il soit mis sous le pressoir, parce que je regarde sa conservation comme tenant en équilibre tous les principes qui entrent dans la formation de l’huile ; or, comme cet air est le plus mobile, le plus actif, & le vrai lien des corps, il ne peut se dissiper sans désagréger les autres principes dont les plus forts ont plus d’action & d’énergie sur les plus foibles. Tel est le point fondamental d’où dépend la conservation de la qualité d’une huile quelconque. Si on compare & si on adopte les principes que je viens d’établir aux manières ordinaires de conserver les huiles, on verra combien on s’écarte du but. Reprenons la suite des manipulations.

Lorsqu’on rapporte l’huile du moulin, plusieurs particuliers le contentent de la transvaser des outres dans de grands vaisseaux vulgairement appelés jarres, ou dans des piles, les unes & les autres fermées par un couvercle de bois. La jarre est en terre cuite, vernissée en dedans ; sa forme est celle d’une urne tronquée à ses deux extrémités, & renflée dans le milieu. Quelques-unes contiennent depuis un jusqu’à quatre ou cinq quintaux d’huile. La pile est un assemblage de cinq dalles ou pierres taillées, à grain dur & nullement spongieux, assemblées comme pour un bassin ; effectivement c’en est un. Il y en a qui tiennent jusqu’à dix quintaux. Dans certains endroits, ce sont de grands coffres en bois, doublés en fer blanc, & plus souvent en plomb ; ces derniers sont très-dangereux, & devroient être prohibés, parce qu’il s’y forme du sucre de saturne très soluble dans l’huile. Les autres sont moins dangereux, mais ils exigent souvent des réparations.

On n’attend pas, en général, que l’huile soit dépouillée de ses premières crasses pour les jeter dans ces vaisseaux ; elles passent l’hiver sur leur dépôt ; & lorsque la chaleur du printemps a fait défiger l’huile, à peine daigne-t-on l’enlever de dessus son marc. Ce marc est alors d’un caractère tout opposé à celui de l’huile, puisqu’il ne sauroit s’y dissoudre, & qu’il est devenu miscible à l’eau dans tous ses points ; en un mot, c’est un vrai mucilage à nu. Or, l’on sait avec quelle facilité le mucilage se corrompt & se putréfie, dès-lors on doit juger combien un voisin si incommode & sur lequel porte la masse d’huile, doit l’altérer & la détériorer. Je le répète, je ne vois pas de meilleur expédient que de tirer à clair l’huile avant d’en remplir les jarres, les piles, les coffres, les barriques, de soutirer l’huile aussitôt qu’elle est défigée au printemps suivant, car dès que les chaleurs se feront sentir, le mucilage travaillera avec force, & communiquera sa mauvaise odeur à l’huile, &c. Si on craint de multiplier les manipulations, on peut laisser figer l’huile lorsqu’elle vient du moulin, & quand elle est parfaitement prise, la lever avec de grandes cuillers, & la jeter ainsi dans d’autres vases lavés rigoureusement avec les lessives indiquées dans le second Chapitre.

Un second défaut aussi essentiel que le premier, tient au couvercle placé sur les vaisseaux. Si l’huile, dans un tube fermé avec un bouchon de liège, laisse évaporer son air de combinaison, si elle précipite plus de mucilage, si elle prend plutôt un goût de fort que celle du tube bouché avec de la cire molle, ou fermé exactement au chalumeau, on doit nécessairement conclure qu’elle se détériorera bien plus promptement, bien plus fortement dans des vaisseaux dont le couvercle sert tout au plus à garantir le fluide de la grosse poussière, & qui laisse une communication directe entre l’huile & l’air de l’atmosphère ; enfin, cette huile éprouve toutes les variations de l’atmosphère ; & l’on sait que la chaleur dilate les fluides, que le froid les resserre, en un mot, qu’il les tient dans une agitation perpétuelle, & que de cette agitation dépend la plus prompte altération & décomposition des fluides aussi composés que le sont les huiles, L’expérience prouve que plus l’huile est tenue dans des vaisseaux bien bouchés & dans des caves fraîches, (voyez ce mot) & peu susceptibles des variations de l’atmosphère, mieux elle se conserve. Une expérience bien simple va encore le prouver. Prenez une bouteille de verre très-nette, remplissez-la d’huile bien faite & soutirée à propos ; bouchez-la exactement ; enfin, plongez la dans un puits très-profond, & vous verrez, après quatre ou cinq ans, que sa qualité n’aura pas diminué. À moins que l’huile ne reste constamment figée dans les caves pendant toute l’année, si on veut la conserver bonne pendant deux ans, il faut la soutirer avant & après l’hiver, bien laver les vaisseaux qui doivent les recevoir, & les boucher ensuite avec le plus grand soin. On observera chaque fois de mettre à part la couche d’huile la plus voisine du marc. Le marc ne peut servir que pour la lampe. Si on veut procéder avec la plus grande attention & telle que la qualité de l’huile le demande, on fera bien, à chaque soutirage, de battre l’huile avec de l’eau claire, qui s’appropriera le mucilage restant. On laissera reposer le tout pendant quelques heures, & après la séparation des deux substances incompatibles dans cet état l’une avec l’autre, on lèvera l’huile ; l’eau sera plus ou moins laiteuse, suivant la quantité de mucilage qu’elle aura dissout.


Section III.

Des causes de la rancidité de l’Huile & des moyens de la corriger.


Il est moins difficile de traiter cet article, que de se faire entendre du commun des lecteurs, peu familiarisés avec les termes de chimie, & qu’on ne peut guère suppléer par d’autres. Je pense que ce que j’ai dit les mettra un peu sur la voie, & j’aime mieux, en quelque façon, me répéter dans ce que je vais dire, afin de renouveler & de fixer les idées.

Pour bien démontrer les moyens d’empêcher ou de retarder la rancidité d’une huile, il faut examiner les phénomènes de la rancidité dans différentes classes d’huiles, en différens degrés de rancidité, & les causes qui y concourent ; c’est poutquoi il faut absolument entrer dans quelques détails préliminaires & nécessaires à ce sujet.

La rancidité est un genre d’altération spontanée, ou de fermentation indéfinie, comme tant d’autres classes d’altération, telle que la pousse dans les vins, le pourri dans les fruits, le corrompu dans les viandes, la vapeur des latrines, le gas & les moffettes de différens genres, le principe âcre du beurre fondu, &c. &c., & tant d’autres qu’on n’a pu encore analyser ni bien définir.

Il est cependant certain que la rancidité est un genre de corrosivité & d’âcreté propre aux graisses, beurre, lard & huiles, survenue à ces substances par la vétusté ou par l’action appliquée de la chaleur. Il ne faut pas croire que cette altération métamorphose l’huile grasse à un tel point qu’on n’y reconnoisse plus le goût du mucilage. Les huiles grasses, même très-rances, ont toujours un goût plat & fade très-dominant ; elles ont une odeur forte, désagréable & même indéfinissable.

Elles irritent la gorge à la manière des huiles essentielles, mais faiblement. Leur goût mucilagineux & leur odeur fastidieuse percent toujours.

On observe que les huiles de graines, vierges & récentes, sont plus grasses que celles qui sont gardées ; que battues dans l’eau, elles donnent plus de mucilage qui se dissout en partie dans l’eau quand on l’y agite ; mais elles en donnent moins quand on les agite sur leur dépôt.

Le mucilage étant le seul corps fermentatif ; si on l’éloigne de l’huile au bas de laquelle il est rassemblé en masse, on éloigne donc une cause d’altération ; c’est sur ce principe qu’est établie la nécessité de laisser déposer les huiles nouvelles, & de les soutirer. Cependant ce n’est pas la perte de ce premier mucilage qui altère sensiblement l’huile, puisqu’il est seulement surabondant ; mais il la rend louche & très-grasse, & les vers peuvent s’y engendrer.

Ces huiles contiennent une très-grande quantité d’air libre (sur-tout celle des graines) & d’eau, principes, c’est-à-dire, un air combiné avec les autres principes constitutifs de l’huile. Tous ces principes ont une adhésion lâche entr’eux, parce que ces huiles sont des agrégats surcomposés, & présentent trop de prise à l’action des différens agens qui tendent à les désunir. Dans un corps composé & surcomposé, lorsqu’un des mixtes constitutifs vient à manquer ou à être en moindre quantité, les autres mixtes restans changent de façon d’être, & d’une manière plus ou moins marquée.

Lorsque la chaleur, soit naturelle, soit artificielle, agit sur les huiles, elle tend à faire évaporer les parties les plus subtiles, & sans contredit, c’est l’air qu’elles contiennent qui subit insensiblement le premier dégagement, mais lentement quand l’huile n’est exposée qu’à la chaleur de l’atmosphère, & très-promptement quand elle bout ; on voit alors ces huiles s’élever en écume, & elles sont même si expansibles, que simplement chauffées dans l’esprit de vin, elles le surnagent ; ce qui n’arrive pas avec les huiles cuites.

On voit par ces observations, combien il est essentiel de tenir les huiles dans de bonnes caves, & non pas, suivant la coutume générale, dans des celliers, afin de prévenir, autant qu’il est en son pouvoir, le développement, soit de l’air libre, soit de l’air principe ; car, quand il manque à ces huiles tous les autres mixtes, comme l’huile éthérée, le mucilage, les principes même de ces mixtes, qui sont eux-mêmes des corps composés, souffrent des désunions selon le rapport de la perte du principe qui est enlevé. Le mucilage se précipite, & l’huile éthérée, devenue libre & isolée, se manifeste par ses qualités dans le reste de l’huile qui n’a pas encore subi d’altération. Elle est alors plus aisément évaporée que lorsqu’elle composoit l’huile grasse.

Cela sert encore à expliquer pourquoi les huiles, qui se coagulent par le froid, rancissent difficilement dans cet état. La liquidité & la chaleur sont les premières conditions requises pour le développement de l’air. L’huile grasse cuite n’a pas un goût si désagréable que l’huile proprement appelée rance, & devenue telle par vétusté, parce que l’ébullition enlève avec l’air l’huile éthérée & devenue plus légère, & le mucilage précipité se combine dans les fritures. L’huile restante, au moyen de la coction, acquiert plus de consistance, & le goût des fritures est moins âcre. Observation essentielle qui trouvera par la suite son application particulière.

Il s’élève dans les premières ébullitions de l’huile, une vapeur si âcre, si subtile, si pénétrante, qu’il est aisé de juger que l’air seul peut donner cette activité à l’huile éthérée qui s’évapore avec lui.

Les substances que j’ai jusqu’à présent appelées mucilage, & dont j’ai dit que la précipitation rendoit libre une partie du principe huileux éthéré, & rance l’huile grasse, & dans laquelle il est mêlé, est le corps muqueux, doux ou sucré des végétaux, qui se trouve abondamment dans les fruits & dans les graines. C’est le seul mucilage qui soit élaboré par la nature, pour pouvoir former, lorsqu’il fermente, le spiritueux qui caractérise les vins. Les preuves de cette assertion sont détaillées au mot Fermentation. Les corps mucilagineux non sucrés ne produisent point de vin.

Le mucilage sucré est le seul capable de s’unir aux huiles, & d’unir aussi l’huile à l’eau. Plus le mucilage est précipité, plus l’huile grasse est rance, & plus elle approche de la nature de l’huile éthérée ; en cet état les huiles naturelles déposent leur résine. Les noyaux de l’olive & les graines en contiennent plus que la chair de l’olive ; & cette résine existoit dans le végétal avant l’extraction de l’huile. Ces substances ont une union lâche.

C’est de la désunion des principes que naît la réaction de l’huile essentielle sur l’huile grasse, la séparation du mucilage, sa fermentation & sa putréfaction ; enfin, de ces différentes réactions combinées, la rancidité ; en un mot, le tout est le résultat de la perte & de l’évaporation de l’air fixe par les suites de la fermentation.


Section IV.

Des moyens de prévenu la rancidité.


Ce que j’ai dit dans les Chapitres précédens sur la fabrication & la conservation des huiles, s’applique à l’objet présent. Il ne me reste plus qu’à ajouter quelques objets de détail.

On a imaginé plusieurs moyens pour prévenir la fermentation du marc & ses effets. Le plus prompt & le plus simple, sans doute, seroit de soutirer souvent les huiles, ainsi que je l’ai dit ; mais la crainte d’en perdre, l’avarice, la négligence & les préjugés s’opposeront toujours à l’emploi de ce moyen.

Si on a pu imiter artificiellement des eaux minérales, aérées, connues sous le nom d’acidules, il est possible, sans doute, de reproduire l’air dans une huile grasse, qui le perd journellement. Il ne faut, pour empêcher cette séparation & le dépôt de son mucilage, que renfermer dans le fond du vase, avec l’huile, une éponge trempée dans une pâte un peu liquide, formée d’un mélange de deux parties d’alun en poudre, & d’une craie appelée de Champagne ou d’Espagne, ou de tout autre terre absorbante, qui aura plus d’affinité avec l’acide, l’alun, que la terre argileuse n’en a avec elle-même. Il se formera alors une nouvelle décomposition & une combinaison lente de ces sels ; mais, comme il ne se fait, dans ce genre, aucune nouvelle union, qu’il ne se dégage en même temps beaucoup d’air fixe, l’huile s’appropriera cet air à mesure qu’il s’échappera ; ainsi, cet air étranger supplée à celui que l’huile perd insensiblement. Je l’ai déjà dit, l’alun est un sel insoluble dans l’huile, & par conséquent on n’a rien à craindre de sa qualité styptique. (Voyez le mot Alun). Si malgré cet avantage, l’huile faisoit encore un dépôt mucilagineux, ce dépôt étant répandu dans les cavités & dans les cellules de l’éponge, se trouve en plus petites masses rassemblées ; il est, par cette raison, moins disposé à la fermentation.

Il faut que l’éponge soit plus large que haute, & qu’elle occupe en assez grande partie le fond du vaisseau. Chaque fois que l’on soutire l’huile, on enlève ces éponges chargées du dépôt, on les lave, les nettoye, & on les prépare de nouveau. On feroit très-bien, à chaque soutirage, d’agiter les huiles avec une dissolution d’alun dans l’eau. Ce sel s’unit à la terre du mucilage.

Une autre méthode empêche les huiles de rancir. Elle consiste à ajouter une plus grande quantité de mucilage doux, qu’elles n’en contiennent ordinairement, pour parer d’avance à la perte qu’elles en feront dans la suite. Le sucre est la seule substance qui puisse être employée avec facilité. Il faut le faire dissoudre par trituration & à froid, dans une portion d’huile, pour être mélangé ensuite dans la masse. Les proportions qui m’ont paru les plus convenables, sont de six onces de sucre sur cent livres d’huile ; mais il faut observer, que si l’huile est déjà rance, où qu’elle n’ait pas été faite avec les précautions indiquées, ce mélange devient très-désavantageux, puisqu’il développe encore plus le goût & l’odeur que les huiles peuvent avoir.


Section V.

Existe-t-il des moyens de corriger la rancidité.


Toutes les méthodes pour corriger la rancidité d’une huile très-rance & très-forte, se réduisent, suivant la théorie que j’ai établie, à enlever de cette huile le principe de l’odeur désagréable qui réside dans l’huile éthérée, dans les résines mises à nu par l’abandon du mucilage occasionné par la perte de l’air fixe. Je n’ai trouvé que les esprits ardens, capables d’opérer cet effet sans inconvénient, & même sans que le procédé soit dispendieux, comparé avec l’avantage qui résulteroit de la bonification de l’huile.

J’ai fait chauffer de l’huile de graine, très-rance, environ une livre séparée de son dépôt, dans un matras de verre à long col, sur les cendres chaudes & tamisées. L’huile étoit surmontée de deux doigts par l’esprit de vin. J’agitai fortement le vase quand cette huile eut perdu beaucoup de bulles d’air, & lorsque toute la masse fut assez chaude, pour faire frémir l’esprit de vin sans le faire bouillir. Je séparai alors l’huile de l’esprit de vin pour ajouter de nouvelle huile, & cet esprit de vin enleva à toutes deux le principe de l’odeur de la rancidité. Ces huiles sont devenues limpides, moins colorées, & n’avoient aucun mauvais goût ni odeur désagréable.

L’esprit de vin que l’on a employé dans ce procédé, qui est chargé d’huile éthérée, & peut-être de résine, n’est ni perdu ni altéré en le traitant de la manière suivante. Il faut l’étendre dans six parties d’eau de chaux légère ; séparer l’huile éthérée qui surnage cette eau après le mélange ; la filtrer sur de la chaux lessivée. Cette eau déposera son principe huileux, & par la distillation on retirera & on séparera l’esprit de vin de l’eau dans laquelle on l’avoit mêlé ; alors il est aussi pur, aussi inodore que dans son premier état.

On conclura que la dépense & les pertes ne sont pas considérables, si on se rappelle que nous avons dit que les huiles les plus rances, contiennent très-peu de cette huile éthérée. Il faudra donc employer peu d’esprit de vin pour la dissoudre, & quand cette opération sera faite en grand, elle sera alors lucrative, relativement au prix de ces huiles douces ou rances, & aux moyens indiqués pour conserver l’esprit de vin.

La chaleur que l’on a fait subir à l’huile dans cette opération, est peu considérable. Je l’ai d’ailleurs réitérée à froid avec une plus grande quantité d’esprit de vin, sans y trouver un amendement bien avantageux. L’altération que l’huile est susceptible de prendre par l’action de cette chaleur douce, trouve en même temps son correctif dans l’esprit de vin.

Les huiles ainsi corrigées, conservent pendant plusieurs jours une sensation fraîche lorsqu’on les goûte, & une légère odeur d’esprit de vin qui ne leur nuit pas, lorsqu’on veut les conserver, mais qu’on peut dissiper par des lotions réitérées, s’il faut les employer tout de suite.

J’avois entendu dire que l’on raffinait à Orléans les huiles d’olive. En passant par cette ville, je cherchai à visiter ces raffineries & à en étudier les procédés. Mes démarches furent inutiles : je conclus alors qu’on vouloit en faire un secret. Cette idée me fatiguoit depuis long-temps ; enfin, l’année dernière je m’adressai à M. Couret de Villeneuve, homme très-instruit, bon citoyen, pour le prier de me mettre au fait de ce que je n’avois pu découvrir. Voici sa réponse. « Toutes les huiles qu’on vend a Orléans, viennent par Marseille & Lyon, & descendent ensuite la Loire. Leur réputation est due à l’attention de nos négocians, qui ne tirent d’Italie, & sur-tout de port-Maurice, que des huiles de première qualité. Ces huiles sont très-douces & légères, mais elles ne sont pas susceptibles d’être gardées long-temps, qualité qu’ont au contraire celles qu’on tire de Provence. Ces dernières ont, à la vérité, un goût de fruit & d’âpreté, mais elles le perdent après quelques années. Aussi les négocians, qui veulent spéculer sur les huiles, ont-ils le soin de choisir, dans les huiles de Provence, celles de meilleure qualité, & ils ne les vendent que lorsqu’elles sont devenues douces & légères. C’est cette précaution qui a fait croire aux marchands de Paris & de Nantes, où on n’avoit autrefois que des huiles médiocres ; qu’il y avoit à Orléans un secret particulier de les rendre meilleures en les raffinant. On croit ici, (& on a raison) que la fraîcheur des caves où on les conserve, les perfectionne ; mais il est plus naturel d’attribuer ce mérite au choix que les négocians en font ». Je ne suis pas tout-à-fait de l’avis de M. Couret de Villeneuve ; sans le choix, point de perfection, mais la cave l’augmente dans l’huile comme dans le vin, dans les fromages & dans toutes les substances sujettes à la fermentation lente.

Dans les cahiers du Journal de Physique pour les mois de mars & de mai 1779, j’imprimai les méthodes de MM. Œtinger & Sieffert, sur la purification des huiles viciées par l’odeur & le goût forts, ou susceptibles de les contracter. Comme cet Ouvrage est peu connu des cultivateurs, je vais donner le précis des procédés qu’ils indiquent. Lorsque l’on craint, dit M. Sieffert, que l’huile rance ne se corrompe, on doit la laver avec une eau salée & laisser déposer. On tirera à clair, & sur l’huile qui vient d’être séparée, on jettera, ou une lessive faite avec des cendres gravelées, (voyez ce mot), ou huit à dix gouttes d’huile de tartre par défaillance, par livre d’huile. Ce mélange fortement agité avec une spatule de bois, restera pendant vingt-quatre heures en repos, & ensuite on lavera le tout avec de l’eau tiède & pure, jusqu’à ce que le mélange blanchisse. Cette lessive alcaline, (voy. Alcali), s’emparera de la partie rance de l’huile, & l’huile dépouillée de ce mélange, sera transvasée de nouveau. On ajoutera ensuite dans cette huile une substance susceptible de la fermentation acide, & tels sont les pommes de reinette, par exemple, les cerises, les fraises, les prunes, les framboises, &c., dépouillées de leurs noyaux ou de leurs pépins ; on écrase le tout pour le réduire en pâte. Il en faut une partie contre dix de l’huile que l’on veut corriger. Pendant cette union l’huile se trouble, la fermentation s’établit ensuite ; la surface est couverte d’une croûte muqueuse que l’on fait précipiter ; l’huile reprend ensuite sa limpidité, sa fluidité ; & elle est enfin dépouillée de mauvais coût & de mauvaise odeur. Si on se sert de fraises ou de framboises, il convient d’y ajouter un peu de miel.

M. Œtinger dit que le moyen qui lui paroît mériter la préférence sur une infinité d’autres qu’il a employés, c’est une lessive faite avec une partie de sel de cuisine, & trois de chaux vive.


CHAPITRE IV.

Des Propriétés économiques et médicinales de l’Huile.


Section Première.

Des propriétés économiques.


L’huile est la base de presque tous les apprêts, sur-tout dans les provinces méridionales où le beurre est rare. Il est donc important d’avoir des huiles dépouillées de mauvais goût, de rancidité, &c. Ces huiles détériorées sont très-préjudiciables à la santé par leur causticité & leur corrosiveté, sans parler du goût rebutant qu’elles donnent aux apprêts.

Toutes les fois que l’on fait assez fortement chauffer l’huile, même la meilleure, elle prend un goût fort, & le communique aux préparations, aux fritures, &c. En Provence, en Languedoc, les fritures en causent une grande consommation, parce qu’à chaque fois on emploie de la nouvelle huile, & l’on jette ou l’on garde pour la lampe le reste de l’huile de friture. C’est une perte réelle qui tourne au détriment du goût & de l’intérêt du propriétaire.

À la première & vive impression de chaleur, l’huile devient forte, ce fait est démontré ; à une seconde cuite ou friture, elle est plus forte encore, &, de même à la troisième ; mais successivement, elle perd le goût fort & devient très-douce, parce que l’ébullition dissipe avec l’air l’huile éthérée, ainsi qu’il a été dit dans la troisième section du Chapitre précédent. Les communautés vouées au maigre, & sur-tout celles qui mangent tout à l’huile, le savent très-bien : la même huile de friture sert depuis longues années, on se contente de la recroître de temps à autre, & de la séparer de son mucilage précipité, & des débris des fritures également précipités. Il est impossible d’avoir une huile plus douce : plus de mauvais goût, plus de mauvaise odeur.

Cette coutume de se servir longtemps pour des fritures, de la même huile, soit d’olives, soit de faine, de graines, &c, est établie dans plusieurs de nos provinces où les huiles sont chères ; l’économie a indiqué ce procédé dont on démontre réellement la bonté, & que le préjugé empêchera d’adopter dans les autres ; on peut, par ce moyen, destiner à la friture les huiles de qualité médiocre, puisque de cette manière elles deviendront douces, & conserver, pour les apprêts à froid, les huiles fines & douces. Les fritures faites avec l’huile de colza, sont plus fermes qu’avec toutes les autres huiles.

Les huiles de graines perdent plus difficilement leur goût fort que les huiles d’olives. Si on trouve trop compliquée la manipulation à l’esprit de vin décrite dans la section cinquième du Chapitre précédent, en voici de plus simples pour les huiles de friture. Remplissez jusqu’à moitié de sa hauteur un chaudron, ou tel autre vaisseau susceptible de résister au feu, &c., avec l’huile destinée à la friture ; établissez promptement un feu vif, clair & ardent, faites bouillir l’huile ; lorsqu’elle bouillira, retirez de dessous les parties du bois qui donnent de la flamme, laissez un peu cuire, versez ensuite rapidement, avec un vaisseau adapté à un long manche, une certaine quantité de vinaigre ; il s’élèvera aussitôt à une grande hauteur, une vapeur noire, & plus épaisse suivant la qualité de l’huile, (celles de graines en fournissent plus que celles d’olives) accompagnée du très-grand bouillonnement dans l’huile. L’eau froide produit le même effet, mais elle ne corrige pas aussi bien l’huile. Dès que le bouillonnement a cessé, on peut s’approcher du vaisseau & le retirer de dessus le feu ; alors on transvase l’huile dans le vaisseau destiné à la recevoir & à la conserver. Avant de s’en servir pour les apprêts, on remplit la poêle aux trois quarts, on fait bouillir l’huile, & on y jette alors une croûte de pain, à laquelle ce qui reste d’huile éthérée, de résine, &c., s’attache & abandonne l’huile. On peut répéter cette dernière opération plusieurs fois de suite. Lorsque l’on veut frire, on remplit la poêle à moitié, afin que la substance à frire nage dans un bain d’huile ; au lieu qu’en Provence, en Languedoc, &c., on ne couvre d’huile que le fond de la poêle.

On lit dans le Journal de Paris, n°. 301, 1781, un procédé pour empêcher l’huile de fumer, &c. Personne n’ignore combien l’usage de l’huile est préférable pour les gens d’étude, à celui de la chandelle, & même de la bougie ; cependant l’huile ordinaire n’est pas sans inconvéniens : elle exhale des vapeurs désagréables & nuisibles. On peut y remédier de la manière suivante. On met dans un vase de terre de l’eau de puits ou de fontaine, en observant qu’il n’y ait qu’autant d’eau & de sel qu’il en faut pour que le sel se dissolve sans que l’eau paroisse changée. On trempe dans cette eau salée une mèche, que l’on laisse sécher avant que de la placer dans la lampe. On verse ensuite dans une bouteille, égale quantité d’huile & de cette eau, & on laisse reposer le mélange. Cela fait, on peut en verser dans la lampe : on aura beaucoup de clarté, sans fumée & sans odeur. Il est à remarquer que, par cette méthode, on consume beaucoup moins d’huile. Toutes les huiles propres à éclairer sont susceptibles de ce correctif.


Section II.

Des propriétés médicinales des Huiles,


Les huiles d’olives & d’amandes sont indiquées dans les mêmes cas. La première est à préférer, à moins que celle d’amande ne soit très-récemment faite. Pour éviter les répétitions, voyez ce qui a été dit au mot Amandier. L’huile des graines des cucurbitacées, comme melon, concombre, courge, &c., produisent le même effet, ainsi que toutes les huiles douces. Elles deviennent pernicieuses dès qu’elles sont âcres ou rances ; appliquées sur la peau, même très-douces, lorsqu’il y a inflammation, elles bouchent les pores, augmentent l’inflammation, deviennent promptement rances & épigastriques : l’usage interne & habituel de l’huile, relâche beaucoup ; il est souvent la cause des hernies. En général, l’huile est indigeste. À l’article de chaque plante, dont la graine fournit de l’huile, on parlera de ses qualités : il est donc inutile d’entrer ici dans de plus grands détails.


  1. Le pavot n’est pas n’est la même famille des plantes.
  2. Note du Rédacteur. C’étoit donc une huile réduite à l’état d’huile essentielle. Je vérifierai les faits cités par M. Sieuve, & j’en rendrai compte au mot Olivier, ou à la fin du Volume qui contiendra ce mot, si les objets de comparaison n’ont pas resté assez long-temps en expérience. Si les résultats sont les mêmes, comme je n’en doute pas d’après M. Sieuve, il est clair & démontré que toute la théorie de la fabrication des huiles d’olives doit porter sur les trois qualités que renferme l’oliye.
  3. M. Sieuve se réserve la connoissance de la préparation de cette éponge. J’en ferai connoître une dans le Chapitre suivant.