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De Kant aux postkantiens/Conclusion

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Texte établi par Maurice BlondelAubier-Montaigne (p. 203-204).

CONCLUSION

Nous sommes bien loin d’avoir épuisé les commentaires que la pensée de Kant a reçus des influences mêmes qu’elle a exercées. Nous nous sommes borné à indiquer, souvent par des traits généraux, les principales doctrines allemandes de la fin du xviii et du commencement du xixe siècle qui se rattachent à elle et qui en dérivent. Nous nous sommes surtout appliqué à montrer comment, de diverses thèses plus ou moins complètement posées dans les limites de la Critique, s’étaient dégagées par transformation et extension des formes de pensée métaphysique. — Nous avons dû laisser de côté des doctrines qui ont surtout comme point commun avec la Critique l’idée de la limitation de la raison et qui, à ce titre, ont défendu à des degrés différents un certain irrationalisme, Jacobi, Schleiermacher ; mais nous avons vu cet irrationalisme réaliste se concilier chez Schopenhauer avec un idéalisme subjectiviste plus ou moins fidèlement reproduit de Kant. Et il est bien vrai que le Kantisme peut reconnaître comme un fruit légitime aussi bien le réalisme que l’idéalisme spéculatif. Chez Kant, réalisme de la Chose en soi, — mais réalisme du donné, du phénomène lui-même, en tant qu’il est justiciable de l’intuition, et non pas de l’entendement ; réalisme par la nécessité proclamée de lier l’intuition à l’entendement pour que la connaissance soit objective, par l’impossibilité affirmée de conclure du concept à l’être. En ce sens le réalisme hyper-objectiviste de Herbart descend de Kant comme en descend l’idéalisme hyper-subjectiviste de Fichte. Cependant la descendance de l’idéalisme n’est pas là seulement la première dans l’ordre de primogéniture, mais celle qui présente le plus manifestement des preuves de filiation. Idéalisme de la Critique : les conditions de la connaissance n’existent que dans et par la pensée. De la pensée législatrice à la pensée créatrice, de la pensée qui a pour contenu des synthèses a priori à la pensée qui synthétise par conciliation des contradictoires, la marche est en somme assez directe : — oui, si l’on considère que progrès est développement de conséquences. — Mais il y a peut-être mieux dans le Kantisme : union d’exigences complémentaires, exigence de l’esprit et souci de l’expérience, mesure dans la spéculation, et condamnation du dogmatisme naturaliste scientifique. — Le retour à Kant de la pensée allemande durant la seconde moitié du xixe siècle a été pour elle une façon de se ressaisir contre les témérités d’une spéculation aventureuse et contre les prétentions dogmatiques d’une certaine science, traduisant ou procurant ainsi une notion plus souple de l’esprit et une notion plus large de l’expérience.