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Description d’un parler irlandais de Kerry/Conclusion

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CONCLUSION

Une morphologie flexionnelle reposant largement sur l’utilisation en alternances finales, médianes ou initiales des sourdes : oppositions consonantiques (vélaires : palatales, sonores : sonores, sonores pures : nasales) qui caractérisent la phonétique et dominent la phonologie du parler (voir Première Partie) ; alternances auquel le mot irlandais, peu encombré de désinences mais souvent privé de noyau phonique stable, doit sa légèreté mais aussi cet aspect protéiforme qui en est un des caractères les plus frappants.

Complexe si l’on considère les moyens flexionnels mis en œuvre (mutations, alternances, désinences, particules, formes périphrastiques, composition, sans compter les adjuvants lexicaux) cette morphologie apparaît comme simple, si on dénombre les oppositions systématiques sur quoi elle repose.

La flexion nominale, archaïque par la multiplicité des types et le nombre des formes anomales, moderne par la large part qu’y tient la préposition, est moins systématique que la flexion verbale. Elle tend à se simplifier par élimination du cas prépositionnel, fonctionnellement superflu, mais non pas à s’abolir, le génitif, cas nécessaire au maniement du groupe nominal, restant solide, du moins au singulier (voir §§ 50 sq., 55 sq.).

Si la catégorie du cas, de valeur grammaticale, apparaît comme abstraite, la catégorie du nombre garde un caractère concret, qui tend à s’accentuer plus qu’à s’atténuer : maintien du duel, développement d’un singulatif du duel (§ 18), emploi de numéraux personnels (§ 80), tendance sporadique à constituer un collectif à côté du pluriel par spécialisation de formes concurrentes (§ 49), manque d’homogénéité de la série numérale (§ 77). À ce caractère concret de l’évaluation quantitative dans le substantif, correspond le même caractère de l’évaluation qualitative dans l’adjectif qui, à côté de la série (morphologique) des formes exprimant l’intensité relative (équatif, comparatif exclusif ou inclusif, § 59 sq.) possède une série (lexicale, par préfixation) de formes exprimant l’intensité absolue (§ 63).

Le pronom personnel est remarquable par une opposition cas sujet (de la phrase verbale), cas régime, qui ne se retrouve pas dans le substantif (§ 74) ; par une série de formes emphatiques qui permettent de distinguer formellement le pronom mot plein, équivalent d’un substantif, du pronom particule verbale, équivalent d’une désinence personnelle (§§ 70 et 166) ; enfin par sa flexion prépositionnelle, singulière et de type archaïque, mais vivace (§ 104 sq.).

La complication qui caractérise, à première vue, le verbe, recouvre deux ordres de fait qu’il faut distinguer, leur valeur systématique n’étant pas la même.

D’une part le verbe simple conserve dans notre parler l’opposition de séries différenciées ou non fonctionnellement, mais non spécialisées sémantiquement : ainsi des formes à désinence personnelle en face des formes à pronom sujet, parfois alternant d’une personne ou d’un temps à l’autre, et dont la répartition parfois en concurrence, peut varier arbitrairement (§ 166) ; dans l’ensemble, c’est un des caractères distinctifs du parler que le large maintien des formes à désinence personnelle, et leur vitalité ; en revanche l’opposition, propre à certains paradigmes anomaux (§ 177), d’une série absolue et d’une série conjointe (non autonome fonctionnellement) tend à s’éliminer dans une large mesure tout en étant maintenue rigoureusement dans le verbe d’existence (§ 177) ; il en va de même des paradigmes hétéroclites, dont la plupart apparaissent en voie de normalisation (§ 180 sq.).

Par ailleurs, et abstraction faite de ces oppositions non significatives, le verbe présente un ensemble, complexe mais symétrique, d’oppositions significatives. Il combine avec un système temporel fort simple (§ 158) : prétérit, présent, futur, auxquels s’ajoutent un présent secondaire (imparfait) passé à l’expression de l’aspect (§ 212) et un futur secondaire (conditionnel) largement modal (§ 158 et 241), un système d’aspect reposant sur une opposition à trois termes (§ 201 sq.) : aspect tensif (forme simple), aspect cursif (forme composée du substantif verbal), aspect extensif (forme composée de l’adjectif verbal). Cette opposition est recoupée, au présent et au passé, par l’opposition du sémelfaclif et de l’itératif (§§ 207 et 212). Dans ce système dominé par l’aspect le rôle du mode apparaît réduit, limité à l’impératif, à l’optatif et à l’emploi modal (conditionnel) du futur secondaire (§§ 158, 159). Il n’y pas place pour l’expression de la voix indépendamment de l’aspect, l’emploi passif étant tenu par l’extensif (§ 206).

A l’opposition du nom et du verbe, qui domine la morphologie du mot, répond, dans la morphologie de la phrase, l’opposition de la phrase nominale (§ 145 sq.) et de la phrase verbale (§ 214 sq.). La phrase nominale, avec ou sans forme prédicative, exprimant un caractère essentiel de l’être, s’oppose à la phrase verbale, avec verbe d’existence, exprimant un caractère accidentel de l’être (§ 154 sq.). Dualité qui répond à deux démarches foncièrement différentes, et qui domine la structure de la phrase simple.

A qui s’est une fois pénétré de cette dualité la phrase complexe n’offre rien d’insolite ; large usage de la juxtaposition pure et simple, de la coordination par agus, is « et », de l’incise et du renvoi (§ 221 sq.) ; subordination reposant principalement sar l’emploi des deux particules relatives ə (a) et go, entre lesquelles tend à se répartir l’expression de la relation directe et de la relation indirecte (§ 225 sq.) ; simplification de cette dernière par l’emploi de formes pronominales de renvoi, précisant la relation assurée par une particule passe-partout (§ 229) ; facilité de mise en vedette d’un élément grâce à la tournure relative (§ 234) et à l’emploi des différentes formes emphatiques de la phrase nominale (§ 153) ; correspondance des temps sommaires (§ 238) ; large emploi du substantif verbal, épargnant une forme personnelle (§ 246 sq.) ; économie des éléments de construction que la clarté n’exige pas (§ 226 et 229) ; tous traits auxquels la phrase doit d’unir, comme le mot lui-même, à un faible volume et à une structure relativement simple une très grande plasticité. Médiocrement adaptée à l’expression des rapports complexes, mais constamment ployée à toutes les inflexions subjectives de la pensée, c’est un instrument créé par l’usage parlé pour l’usage parlé.