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Doutes sur la religion/01

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Anonyme
(p. 1-5).


DOUTES
sur la
RELIGION.




CHAPITRE I

Sur la Révélation.

§. I.


S’Il y avoit une Révélation, elle ſeroit néceſſaire au bonheur de tous les hommes ; ſi elle étoit néceſſaire au bonheur de tous les hommes, Dieu l’aurait donnée à tous les hommes ; Dieu ne peut ſans injuſtice exiger de nous, plus que nous ne ſommes capables de faire ; or il y a eu & il y a des hommes dans l’impuiſſance totale de connoître la Révélation : donc il n’y a point de Révélation : d’un autre côté tous les hommes ont de la raiſon plus ou moins ; donc l’une eſt néceſſaire & l’autre ne l’eſt point.

§. II.

Il y a un Dieu, donc il faut un culte ; fauſſe conséquence ! Le monde n’eſt point éternel, donc il y a eu un Dieu & point de culte. Les bêtes ne rendent aucun culte à Dieu ; donc ſi l’homme n’y étoit pas, il y auroit un Dieu, des créatures & point de culte.

§. III

Mais la créature raiſonnable ne ſauroit ſe diſpenſer de rendre un culte à Dieu ; cela eſt faux : ce culte ſeroit ou pour l’utilité ou pour la gloire de Dieu, ou pour l’utilité ou pour la gloire de l’homme : le premier eſt abſurde, Dieu n’en a pas beſoin ; il ſe ſuffit à lui-même en tout, par-tout & en tout tems. Si le culte n’eſt que pour la créature, la religion ne ſera plus qu’une même choſe avec la ſociété, il n’y aura plus de péché contre Dieu, il n’y en aura que contre les hommes ; donc Dieu reſtera dans l’éternité de ſon immuable repos ſans punir ni récompenſer. C’eſt aux hommes ſeuls qu’appartiendra le droit de punir & de récompenſer, droit qui dénote de la foibleſſe dans celui qui l’a. Une vipere mord un homme, elle ne fait ni bien ni mal relativement à Dieu qui ne la punira, ni ne la récompenſera ; elle fait du mal à l’homme, il l’écraſe, cela eſt dans l’ordre. Un homme vole ſon voiſin, il ne fait ni bien ni mal par rapport à Dieu, il fait du mal par rapport à la Société ; la Société le punit ; il n’y a rien à dire.

§. IV.

S’il y avoit un culte révélé, l’homme ſeroit fait pour Dieu, ou Dieu pour l’homme : or l’un & l’autre répugne. Dieu n’eſt point fait pour l’homme, car pour lors l’homme ſeroit plus noble que lui. L’homme n’eſt pas non plus fait pour Dieu, car Dieu n’a pas beſoin de l’homme. L’homme a été fait parce que Dieu l’a voulu.

§. V.

S’il y avoit une Révélation elle ſeroit inutile, car elle ne pourroit ſe perpétuer que par l’écriture ou par la tradition. Les hommes ne tiennent point de Dieu l’art d’écrire, ſans lequel la Révélation n’auroit pas pu ſe perpétuer ; d’ailleurs cette Révélation n’eût point été faite pour les aveugles. Reſte la tradition, mais elle eſt ſujette à être corrompue, & elle ne peut être d’aucun uſage pour les ſourds de naiſſance.

§. VI.

Beaucoup de gens ignorent qu’il y ait jamais eu.une. Révélation ; parmi ceux qui ne l’ignorent point, très-peu en ont été témoins. Ceux qui prétendent en avoir été témoins rapportent des choſes très-opposées. Jéſus-Chriſt détruit Moyſe, Mahomet détruit Jéſus-Chriſt : d’où viennent ces contrariétés ? C’eſt qu’il n’y a jamais eu de Révélation. Ce n’eſt pas Dieu mais les hommes qui mentent & ſe contrarient.

§. VII.

L’on ne doit point agir dans le doute. Si je ne ſuis pas aſſuré que la Religion de mes Peres eſt vraie, je ne dois point m’expoſer à rendre à Dieu un culte que peut-être il abhorre.

§. VIII.

Dieu, dit-on, a tout fait pour ſa gloire : qu’eſt-ce que cela ſignifie ? La gloire eſt reſpective & n’exiſte que dans l’opinion des autres ; ainſi la gloire ne peut convenir à Dieu ; donc il eſt abſurde de dire que Dieu récompenſe dans le Ciel pour faire éclater ſa bonté, qu’il punit en Enfer pour manifeſter ſa juſtice. Quels ſont les ſpectateurs dont Dieu cherche à mériter l’eſtime par ces deux actes ? Il s’admire, il s’aime, il s’eſtime lui même ; cela lui ſuffit. Que lui font le reſpect & les louanges des hommes, leurs bonnes ou leurs mauvaiſes actions ? tout eſt bon relativement à lui parceque tout ce qui l’intéreſſe eſt lui-même.