Doutes sur la religion/02
CHAPITRE II.
Sur les preuves de la Religion.
§. I.
La foi ſuppoſe l’autorité divine ; donc il ne faut point croire ſans raiſonner. Avant de croire il faut examiner ſi Dieu a réellement révélé le culte qu’on nous propoſe. Il eſt auſſi dangereux de croire trop légérement que de ne point croire du tout. Cet examen ne peut ſe faire que par la raiſon. L’opinion des autres ne peut juſtifier la nôtre, donc la raiſon doit précéder la foi. D’ailleurs la foi & la raiſon ſont également des dons de Dieu : pourquoi l’un l’emporteroit-il ſur l’autre ?
Pluſieurs Ecrivains Chrétiens ſe vantent de démontrer la vérité de la Religion. Si cela étoit il n’y auroit point de mérite à croire. Fra-Paolo refuſa de lire le livre d’un de ſes amis qui lui avoit envoyé un traité de la Religion démontrée, de peur, diſoit-il, de perdre le mérite de la foi.
§. II.
Les vérités de la Religion ne ſont point des vérités innées, éternelles ou métaphyſiques, ſenties & connues partout. Ce ſont des vérités qui dépendent des faits. Si elles ſont néceſſaires à tous les hommes, leurs preuves doivent être claires, faciles & convaincantes, donc il faut rejetter toute preuve équivoque, générale & d’une diſcuſſion difficile ; un Dieu juſte ne peut point me damner pour n’avoir point eu l’eſprit de diſcuſſion.
§. III.
Tout ce qui nous eſt tranſmis par les hommes eſt ſujet à l’erreur ; donc Dieu n’a pu faire dépendre la vérité de la tradition des hommes. Le témoignage de la raiſon doit l’emporter ſur celui de tous les hommes joints enſemble. Ma raiſon vient de Dieu qui ne veut ni ne peut me tromper, au lieu que les hommes peuvent ou veulent me tromper
§. IV
Dieu eſt immuable, pourquoi ſon culte a-t-il perpétuellement changé ? Moyſe a changé le culte d’Adam, Salomon a changé celui de Moyſe, Jéſus-Chriſt a détruit l’un & l’autre. Une maiſon réparée par tant d’architectes ne peut gueres paſſer pour bonne.
§. V.
Dans le Myſtere il y a deux choſes à diſtinguer, la ſubſtance & le fait. Quomodo ſit & an ſit ? La ſubſtance eſt inconcevable, je l’avoue, mais le fait doit être évident. Donc il eſt du reſſort de la raiſon précisément parceque la ſubſtance n’en eſt point.
§. VI.
La raiſon nous fait diſtinguer deux ſortes de vérités dans la Révélation : les unes ſont de pure ſpéculation, ſans être néceſſaires au ſalut ; les autres ſont de pratique & eſſentiellement néceſſaires. Il n’importe que la connoiſſance des premieres vérités ſoit difficile, mais les autres doivent être claires, faciles & convaincantes, ſans cela elles ne ſeroient faites que pour les gens d’eſprit & les ſavans. Les ſimples & les ignorans, dira-t-on, doivent ſe laiſſer conduire par les ſavans.
§. VII.
Deſcartes ne veut croire que ce qu’il voit clairement, excepté en matiere de Religion où il faut fermer les yeux. Si cela eſt, quelle religion embraſſera-t-on ? Toutes ſe vantent d’avoir la vérité de leur côté. Pour choiſir il faut examiner les preuves ; comment voir les preuves ſi l’on ferme les yeux ?
§. VIII.
L’examen des religions ſuppoſe le raiſonnement, beaucoup de gens raiſonnent mal ; donc Dieu damnera pour un faux raiſonnement ceux à qui il n’avoit qu’à donner un eſprit plus juſte !