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Encyclopédie anarchiste/Mystification - Mythologie

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Collectif
Texte établi par Sébastien FaureLa Librairie internationale (tome 3p. 1753-1758).


MYSTIFICATION n. f. (Étymologie mal connue. La composition de mystifier rappelle mistigouri, mystigorfier, usités, avec un sens à peu près analogue, au xvie siècle). Mystifier quelqu’un c’est abuser de sa sottise ou de sa crédulité. Méchanceté et tromperie, voilà ce qu’implique la mystification du côté de l’auteur ; du côté de la victime, elle suppose l’absence d’esprit critique, une naïveté qui prédispose à jouer les rôles de dupe, pour le plus grand profit des charlatans qui dirigent la société. En d’autres termes, les mystifiés sont des poires que les mystificateurs cueillent et savourent dès qu’elles apparaissent suffisamment mûres. Dans l’art de la tromperie, convenons d’ailleurs que les escrocs, qui se bornent à soulager de quelques francs la bourse des grosses commères, restent des bambins de taille minuscule à côté de ces mystificateurs géants que sont prêtres, généraux, politiciens. Une Thérèse Humbert, un Rochette, un Oustric, malgré une adresse qui dépasse et de beaucoup la mesure ordinaire, font infiniment moins de dupes et de victimes qu’un pape ou un chef d’État, d’esprit même vulgaire ; et ce sont de petits saints à côté des Foch et des Clemenceau, qui sacrifièrent par millions les vies humaines, sans craindre ni l’échafaud, ni la prison. S’il existait une justice, c’est une corde pour se pendre, non l’habit vert des grenouilles académiques que recevraient maints professeurs célèbres, maints plumitifs illustres, maints savantasses couverts de parchemins des pieds à la tète. Des mystifications, et de la pire espèce, ces titres et diplômes universitaires qui, dans les hauts grades surtout, témoignent seulement du servilisme et de l’absence d’originalité du lauréat. Est-il race plus peureuse et plus sotte que celle des agrégés et des docteurs qui président aux destinées de l’enseignement moyen et supérieur ! Malgré les louanges dont eux-mêmes se couvrent, et les satisfécits que leur octroie volontiers l’administration, il apparaît clairement aujourd’hui que ces enfants sages sont des prétentieux incapables, généralement. Autre farce de haut goût, cette Ecole Unique que le parti radical tend aux masses populaires comme un appât. Nul plus que moi ne désire que soit diffusée l’instruction et j’aurais applaudi à une tentative pour mettre à la portée de tous une science non frelatée. Mais l’étude des projets qui circulent officieusement, m’a démontré qu’il s’agissait surtout d’accentuer une centralisation scolaire déjà trop grande, d’éliminer les autodidactes et d’écrémer le peuple afin d’empêcher toute fermentation révolutionnaire. On veut créer une nouvelle catégorie de privilégiés, que l’on armera davantage pour mieux tenir en bride les exploités. Au règne de l’or succédera celui des parchemins, qui ne vaut pas mieux, comme l’exemple de la Chine l’a démontré. Mais les politiciens ont trouvé là un moyen commode de duper les pères de famille qui compteront sur l’État pour faire de leurs fils des intellectuels bien payés. Hélas ! sous la troisième république, les vrais savants, les écrivains probes sont aussi dédaignés, aussi besogneux que sous le plus réactionnaire des souverains. Qu’importe, il est vrai, à l’aspirant député ! Pour lui tout mensonge est légitime qui permet de piper les voix des électeurs (voir politique, politiciens). D’ailleurs, lorsqu’il s’agit de fixer la liste des pensionnaires primés du Palais-Bourbon, le spectacle est instructif, même dans la plus paysanne des circonscriptions. Longtemps avant la foire, les écuries s’ouvrent, les poulains hennissent, tandis que courtiers et maquignons s’agitent près du populaire assemblé. Un beau feu anime le candidat, qu’il soit blanc, bleu ou rouge. Il faut le voir courir la campagne et s’arrêter dans les moindres hameaux : les plus laides commères trouvent en lui galant, il tapote la joue des bambins, et s’appuie sur l’épaule des paysans, tout ébahis d’une si tendre affection. Même s’il fabrique des chapeaux, du drap ou des casseroles, même s’il est avocat ou dirige un café-concert, il n’a rien tant à cœur que l’agriculture. Fumier, purin, vaches, récoltes, tout l’intéresse également, à ce qu’il assure ; et, pour favoriser les cultivateurs, il donnerait volontiers sa dernière chemise. En ville, dans les milieux ouvriers, l’aspirant-député se grime d’autre façon, il tient un langage différent ; mais, roulé dans du vermillon, de l’ocre ou de la farine, il s’agit toujours pour le rodilard parlementaire de tirer parti du raton citadin ou campagnard. Car, bien entendu, pour un parlementaire même élu par des agriculteurs, la campagne se résume dans les douceurs de la buvette ou dans l’excellent pinard de l’hôtellerie du coin. Entre la poire et le fromage, ou lorsqu’il déguste les meilleurs crus de l’arrondissement, il peut même être sincère en déclarant à ses comitards que de tels produits ne le laissent point indifférent. Ajoutons qu’à la Chambre il entonnera l’hymne du retour à la terre avec un glapissement pleurard, qu’il couvrira de fleurs la famille paysanne, qu’il prononcera d’interminables palabres, naturellement suivies d’aucun effet. Pure comédie, qui sauve les apparences !

A la mystification parlementaire se mêle fréquemment la mystification financière. Périodiquement, avec la complicité payée des journaux, les financiers marrons mettent en coupe réglée la naïveté des gogos ; sans contrevenir au code, ou très peu, et avec l’appui de politiciens en renom, généralement. Pour un qui tombe, dix atteignent le but convoité ; beaucoup décrochent titres et décorations. On les remercie, de la sorte, d’avoir subtilisé l’argent du populaire, pour le faire passer dans leurs coffres-forts. Si un scandale trop fort éclate, on calme l’opinion en annonçant que désormais l’on exigera de sérieuses garanties des banquiers. A l’occasion, les Chambres nomment une commission, chargée d’enquêter, à ce qu’on prétend, mais dont le but secret est d’étouffer l’affaire ou de limiter les dégâts. Il est vrai que Poincaré fut porté aux nues parce qu’il avait stabilisé le franc ou, en termes moins trompeurs, parce qu’il avait officiellement et définitivement fait perdre au franc les trois quarts de sa valeur ! Si l’on passe en revue les diverses institutions publiques : armée, clergé, magistrature, patronat, presse, etc., l’on s’aperçoit qu’elles ne sont toutes que d’immenses mystifications. Afin que le populaire oublie les millions de cadavres qui lentement se décomposent, l’armée multiplie les parades, couvre ses gradés de dorures qui brillent au loin, fait sonner haut le bruit des sabres et des éperons. Les enterrements de Foch et de Joffre suffiraient à démontrer que le secret, pour être un grand chef, c’est d’être avant tout un excellent cabotin. Dans des occasions pareilles, les robes à queue des cardinaux et des prélats se mêlent, comme de juste, aux brillants uniformes de l’état-major. Nous n’insisterons pas ici sur l’Église ; chacun sait qu’en fait de mystification, le bouddha vivant de Rome détient le record. Aujourd’hui l’on n’ose plus faire commerce d’excréments du saint homme qui, séchés, réduits en poudre, constitueraient un incomparable remède, un préservatif efficace contre toutes les maladies. Mais de graves personnages, des dévotes richissimes continuent de lécher ses pantoufles et d’accepter comme relique la fine lingerie qu’il porte sous ses jupons. Quant à Thémis, son palais d’allure si vénérable n’est qu’un antre où la justice n’a rien à voir ; et la robe des magistrats laisse échapper des odeurs qui ne sont pas celles de la vertu, dès qu’un doigt indiscret s’avise de la soulever tant soit peu. Seulement un homme en impose de suite au populaire, s’il marche la tête haute, siège sur une estrade et porte des habits qui ne sont pas ceux du commun. Un simple ruban à la boutonnière, quelquefois suffira pour qu’on vous classe hors de l’humanité ordinaire. A l’infini, nous pourrions multiplier les exemples qui démontrent que, dans nos sociétés, la mystification joue un rôle essentiel, fondamental. Ce serait inutile. Toutefois, à l’inverse de plusieurs, nous espérons que l’espèce humaine ne restera pas en enfance constamment. Il y faudra bien des siècles sans doute, mais lorsqu’elle atteindra l’âge adulte, nous pensons qu’elle répudiera les faux prestiges qui la captivèrent si longtemps. Nos os seront en poussière quand ces heureux jours luiront. Présentement, ils ont à souffrir, et beaucoup, ceux qui, trop en avance sur leur temps, ont percé le mystère de l’universelle mystification. Reconnaissons que, pour qui exploite ou gouverne, cette race est aussi dangereuse que celle des poires est profitable. — L. Barbedette.


MYTHOLOGIE n. f. (du grec muthos, fable, et logos, discours, étude). Le terme de mythologie désigne le cercle des divinités, avec leur faisceau de légendes, propres à une race ou à un peuple ; c’est dans ce sens que l’on parle de la mythologie indo-européenne, de la mythologie grecque, etc. La mythologie embrasse ainsi la totalité des récits divers par la forme, semblables par le fond, sur lesquels les poètes ont aimablement brodé (l’Illiade, d’Homère, est un modèle du genre), récits dont les personnages échappent par leur nature même au contrôle du fait positif et qui concernent exclusivement les dieux, les demi-dieux et les héros, lesquels ne sont, en dernière analyse, que des dieux défigurés… Mais la mythologie est aussi la science des mythes : ce sont les recherches consacrées à leur origine, à leur développement ; c’est l’histoire des personnages divins du polythéisme, avec l’explication de leur formation, de leur caractère ; c’est la connaissance et l’éclaircissement des récits émanant du temps et des idées de religions dans lesquelles les êtres divins ne sont pas immuables mais sont soumis, comme les simples mortels, à des changements, sont, comme eux, sujets à des accidents… Les savants, dès le ive siècle avant l’ère chrétienne, s’essayaient déjà à pénétrer jusqu’à la source des mythes. Parmi les mythographes (autres que ceux dont nous mentionnons les ouvrages à la fin de cette étude) qui se sont ingéniés à construire ou à développer des systèmes explicatifs — philologique, iconographique, anthropologique, psychologique, etc. — citons : Evhémère, philosophe de la Grèce antique. Depuis : E. David, A. Kühn, Clermont-Ganneau, Bérard, H. Spencer, etc…



C’est une tendance instinctive que de confondre religion et mythologie. Quand on parle de la religion des Grecs, par exemple, on pense volontiers aux fables charmantes que les poètes hellènes ont racontées sur leurs dieux, leurs déesses, leurs héros. Cette confusion résulte de ce que, à la base de toute mythologie, il y a de la religion. Les conceptions religieuses des peuples sont antérieures à toutes mythologies, celles-ci n’en sont que des dérivées. Les dieux sont un produit immédiat de l’ignorance humaine, une résultante de la conception animiste du monde qui prête la vie et la volonté à tout ce qui existe, sans distinction de nature entre les hommes, les animaux, les végétaux et les choses. Cet animisme universel aboutit à la personnification complète de toutes choses, c’est-à-dire à leurs identifications avec l’homme lui-même ; il conduit à reconnaître dans tous les événements une résultante de l’action et de la volonté d’un être vivant ; à prêter aux êtres et aux choses qui limitent la personnalité humaine des intentions malignes ou bienfaisantes ; à les considérer comme des alliés ou des ennemis doués de facultés que l’homme remarque en lui-même. Les mythologies ne sont que des produits indirects de la religiosité humaine. Elles sont nées à l’époque où l’homme qui, d’abord avait cherché à se créer des alliés dans le monde des invisibles qu’il avait enfanté, en choisissant des gris-gris, des amulettes parmi les multiples objets ou les êtres qui lui paraissaient les plus aptes à remplir cette fonction, essayait petit à petit de substituer aux grossiers fétiches du commencement, les conceptions plus subjectives de puissances indépendantes du monde matériel. L’animisme fétichique prend progressivement une forme nouvelle par cette extension du subjectivisme et sa substitution graduelle à la réalité. Le fétichiste en face de son gri-gri qui est le plus souvent une pierre, un morceau de bois, un animal, un coquillage, peut lui supposer un spectre dont la forme est précisément celle sous laquelle il le voit dans ses rêves, mais le subjectivisme croissant de l’humanité finit par ne plus se contenter de cet animisme indécis. Peu à peu, l’homme détacha les phénomènes naturels de leurs formes visibles et leur en impose une autre qui se trouve être celle de l’homme lui-même. Les esprits du monde terrestre, météorologique et sidéral deviennent autant d’êtres revêtus de la forme humaine, animés des mêmes passions, possédant les mêmes volontés et soumis aux mêmes besoins que le bipède humain, quoique différant de lui par le précieux privilège d’une puissance plus considérable. C’est le règne de l’anthropomorphisme qui ne se produit dans l’histoire que là où le fétichisme proprement dit cesse de dominer, puisqu’il est précisément l’indice de la substitution prochaine du polythéisme au fétichisme.

La conception est polythéiste en même temps qu’anthropomorphique le jour où aux objets eux-mêmes le subjectivisme humain a substitué : Indra, Agni, Vishnu, Jahvé, Cybèle, Jupiter, Apollon, etc. Cette substitution du polythéisme anthropomorphique au fétichisme animique marque encore une autre évolution de l’intelligence humaine. Les phénomènes réguliers et constants prennent dans l’esprit de l’homme la place prépondérante qui lui appartient ; les faits accidentels sont relégués à l’arrière plan. L’observation longtemps tenue en échec par la faiblesse native des facultés intellectuelles s’exerce sur des souvenirs accumulés pendant une longue suite de siècles et finit par établir entre les faits mythologiques une gradation qui entraîne entre les puissances de la terre, de l’atmosphère et du ciel, une hiérarchie correspondante.

Les mythologies qui charmèrent et gouvernèrent nos pères ont été l’apanage de tous les peuples, mais l’émission des mythes préhistoriques de la race indo-européenne a laissé des traces si profondes dans la mentalité et les mœurs des peuples actuels, qu’elle a empêché d’apercevoir le travail analogue qui s’était opéré parmi les autres familles humaines. Aussi ne considère-t-on généralement comme constituant la mythologie que les mythes primitifs des peuples indo-européens : Indous, Perses. Grecs, Latins, Germains, Slaves et Celtes, en y adjoignant tout au plus les traditions religieuses de l’Égypte et de l’Assyrie. Parmi les diverses théories conçues pour l’explication des mythes, trois méthodes connurent, dans les temps modernes connue dans l’antiquité, successivement le succès. Ce sont : la méthode historique, la méthode allégorique, et l’école symbolique.

Les partisans de la méthode historique avaient la prétention de retrouver des faits réels sous les fables, en essayant d’identifier les dieux des mythologies avec les personnages bibliques et les légendaires héros de l’antiquité. L’école allégorique crut que les fables antiques étaient l’apparence des mouvements célestes et des phénomènes de la nature allégorisés et embellis. Les sciences naturelles et la fable, nées d’une commune source, se sont divisées après avoir marché de compagnie pendant très longtemps, en deux branches distinctes, de manière à laisser ignorer aux âges suivants le point commun de réunion ou de départ (mythe solaire). L’école symbolique ne voulait voir dans les mythes que l’expression d’une antique sagesse nous ayant légué, sous le voile de l’allégorie, de profondes vérités morales ou physiques.

Les progrès de l’archéologie et de la linguistique comparées, la connaissance toujours plus précise des étapes de la civilisation et des progrès inégaux des races et des peuples ont créé la mythologie comparée qui, en nous affirmant l’identité originelle de toutes les conceptions religieuses et en mettant en évidence les caractères essentiels des mythologies ont fait table rase de toutes ces assertions abusives, tout en leur reconnaissant les services qu’elles ont rendus dans la découverte toujours plus précise de la vérité.

Après avoir démontré que les dieux ne sont que des appellations d’objets matériels, d’aspects de la nature ou de facultés humaines, passant aux aventures des dieux ou des héros, les mythologues modernes en ont trouvé le germe dans certaines locutions d’usage courant qui exprimaient les événements les plus ordinaires de la vie et du monde et ont établi que les mythologies doivent leur existence autant à la tendance à douer les êtres et les choses de facultés animales et humaines qu’à l’influence prépondérante de la puissance métaphysique inhérente au langage même le plus rudimentaire.

La grande majorité des religions se rattachent à la religion des Aryas (Iraniens et Indous) : les unes en proviennent directement, les autres s’y rattachent par une communauté évidente d’origine. De même la plupart des mythes grecs, persans, latins, germains et slaves ont aussi été empruntés à la mythologie védique. Ils se sont transformés au gré des fantaisies locales, des relations internationales et même des conceptions philosophiques. Aussi l’importance prise à la fin du siècle dernier par les études philologiques a démontré que l’origine des mythologies se rapproche de celle du langage et que la nature des dieux nous est révélée très souvent par le nom qu’on leur avait donné. Notre langage est essentiellement animiste et, chez tous les groupes humains, à l’origine comme aux divers moments de l’évolution religieuse, les êtres surnaturels ont dû leur existence, leur activité et leur emprise sur la conduite des humains, à la puissance métaphorique que le langage comporte. Au début des temps historiques, le nom, à la fois substantif et adjectif, faisait des fétiches, des esprits ou des dieux des êtres qualifiés ; le genre leur prêta des sexes. Il y en eut des mâles, des femelles et des androgynes, participant à la fois des deux sexes. Le même dieu, chez le même peuple, selon les époques, le caprice du langage, fut femme sous un nom, homme sous un autre et, par conséquent, pourvu de laideur ou de beauté, de bienveillance ou de malignité.

Toute succession de mots implique une action, une impulsion, donnée ou reçue. Le sujet se meut et communique un mouvement. Chaque mot, soit par sa place dans la phrase, soit en vertu d’affixes contient un verbe, ainsi qu’un adjectif ou un nom. Le mot, nom de chose, de qualité ou de concept, de par le verbe qui est en lui ou qui dérive de lui, agit et se comporte comme un être vivant, comme une personne passionnée et volontaire. Cette force animante du langage s’impose malgré nous à la raison comme à l’imagination, elle crée spontanément la mythologie. Ce n’est que difficilement, par un oubli des illusions verbales, par une sorte d’usure et d’épuisement de la vertu métaphorique du langage que la science se soustrait à cette force animante que tout idiome contient. Mille locutions banales, d’usage courant, nous la révèlent : l’eau coule, charrie des sables, transporte des alluvions : le soleil se lève, monte à travers le ciel se couche derrière les montagnes ; le vent chasse les nuages ; la foudre frappe, tue, déchire ; la victoire guide les armées ; la justice et le devoir prescrivent tels actes, défendent telles actions. Autant d’expressions, source de confusions, d’erreurs qui, à l’origine, contribuèrent à former les mythes en fortifiant la métaphysique. N’est-ce pas Alfred de Musset, dans son invocation à Vénus, qui nous donne un exemple frappant de cette force animiste du langage :

Étoile qui descends sur la verte colline
Triste larme d’argent du manteau de la nuit
· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
Étoile, où t’en vas-tu dans cette nuit immense ?
Cherches-tu sur la rive un lit dans les roseaux ?
Où t’en vas-tu si belle à l’heure du silence
Tomber comme une perle au sein profond des eaux ?

L’étoile est un être doué de mobilité, de désirs, de besoins, qui cherche un endroit où se reposer. Y a-t-il loin de l’état d’esprit qu’accusent ces vers à celui du sauvage qui affirme que l’eau coule « parce que l’esprit de l’eau la pousse à fuir ! » Nous sommes habitués à redresser en nous-mêmes les effets de cette réfraction involontaire, mais combien a dû être grand l’empire du langage aux époques où chaque mot était une image, chaque nom un personnage doué de vie, chaque verbe un acte physique. Exprimés par des mots aussi significatifs, les concepts les plus simples prenaient aussitôt une splendeur extraordinaire et les phénomènes de la nature, rapportés à des êtres qu’on supposait doués d’une vie analogue à celle de l’homme, traduits dans un langage où chaque mot parlait à l’esprit, paraissaient être les actes d’un drame grandiose dont les acteurs, divins par l’origine, étaient semblables à nous par le cœur.

La race indo-européenne fit, des forces de la nature, ses premières divinités ; elle adora, après les grossiers fétiches qu’elle inventa au début de sa vie religieuse, les phénomènes de l’atmosphère et du ciel. Elle prêta au soleil, aux astres, à la pluie, à la tempête, au veut, une intelligence, une volonté libre, des sentiments d’amitié ou de haine pour les mortels. Mais, au début, tout en leur rendant hommage comme à des êtres supérieurs, les hommes ne perdaient pas de vue leurs caractères physiques. Les premiers poètes védiques qui chantèrent « Dyaus » n’ignoraient aucunement qu’il était le ciel déployé sur leurs têtes ; en célébrant la sagesse de « Mitra et de Varouna », ils savaient parfaitement bien qu’ils faisaient l’allusion la plus claire à la succession régulière du jour et de la nuit. C’était le temps où le nom des dieux était encore le nom même du phénomène, c’était l’époque où le peuple en disant : « Képhalos poursuit Séléné » parlait aussi simplement que nous lorsque nous disons : « Le Soleil se lève en face de la Lune qui se couche. » C’était la nature vivante que les hommes adoraient, la nature douée par des peuples follement animistes de pensée, de raison, de passions, de sentiments dont ils sont pleins eux-mêmes.

Ceux qui virent les mythes se former de la sorte ne furent pas dupes des illusions du langage, les premiers poètes védiques connaissaient la signification des fables qu’ils répétaient. Mais il n’en fut plus de même aux époques suivantes. Maintes locutions claires pour les rédacteurs du Rig Véda (Véda de la louange, le plus ancien recueil d’hymnes religieux connu) devinrent obscures pour leurs continuateurs, pour les Perses, les Grecs, les Latins, les Slaves qui s’étaient appropriés en les défigurant les principaux mythes védiques.

A mesure que certains termes vieillirent, que le sens mythologique des mots s’oublia, le langage perdit peu à peu de sa transparence, les noms des forces de la nature devinrent des noms propres et les personnages mythiques commencèrent leur évolution. Dyaus-Pitar est encore le ciel pour les Védas ; il devient, chez les Grecs, qui ont emprunté ce nom aux Indous, Zeus pater (Jupiter en latin), maître des dieux. Ces premiers changements, substituant de prétendus personnages aux phénomènes physiques, transformèrent les faits énoncés au sujet des forces de la nature en actions merveilleuses.

Les idiomes jeunes se caractérisent tous par une prodigalité qui leur fait employer pour désigner un seul objet ou un seul être une quantité étonnante de synonymes. Dans les Védas, le soleil est nommé de plus de vingt façons différentes ; chaque terme n’est pas l’équivalent d’un autre, chacun prête à l’astre du jour un caractère physique ou moral. Le soleil est tour à tour : le brillant (Surya), le Généreux (Aryaman). Celui qui nourrit (Pùshan), le maître du ciel (Divaspâti), et ainsi de suite. Lorsque l’homme créa tous ces termes pour désigner un seul être, il savait qu’une confusion entre tous ces synonymes était impossible, une même passion emplissant toutes les âmes. Mais une fois que ce premier âge de l’humanité fut passé, l’époque suivante chercha à mettre de l’ordre dans ce chaos, Elle supposa que tant de termes ne pouvaient s’appliquer à un seul être, au même objet, et elle commença à distinguer Surya d’Aryaman, Pùshan de Divaspâti. Néanmoins, comme toutes ces figures avaient un air de parenté, connue très souvent elles se substituaient l’une à l’autre, on se tira d’embarras en faisant d’elles le père et le fils ou bien des frères. On dressa des tailles généalogiques, on établit une hiérarchie entre les dieux, on inventa les dynasties célestes, les révolutions violentes en plaçant dans le panthéon, comme autant de rois déchus, les synonymes vieillis, et, pour ce, incompris, des divinités actuelles. Cette classification des mythes a été l’œuvre des prêtres qui, après avoir imposé à la terre la constitution qui s’accordait le mieux avec les intérêts de leur caste, ont organisé l’armée des dieux en y introduisant cette hiérarchie qui, en subordonnant la multitude des dieux de second ordre aux puissances supérieures de l’atmosphère et du ciel, leur ont permis de devenir maîtres des dieux. Les prêtres se défient des divinités antérieures qui ne leur appartiennent pas suffisamment. Il leur faut des dieux cachés, mystérieux, dont la puissance s’exerce par des intermédiaires invisibles et qui se prêtent à la métaphysique absurde qu’ils préparent. Le résultat de l’intervention des prêtres a été de jeter dans l’histoire des mythes et de leur développement une multitude de complications, des obscurités souvent impossibles à débrouiller, car souvent ils ont créé des divinités qui faisaient double emploi avec les précédentes, tandis qu’ils s’efforçaient d’accaparer les divinités antérieures en les marquant de leur estampille particulière.

Un second mode de formation, provient aussi de la confusion des différents sens d’un même terme. C’est ainsi que le « Pramantha », le morceau de bois utilisé chez les Aryas, dont la pointe en tournant dans l’arani produisait le feu, est devenu Prométhée, un titan dont la légende a pris des proportions fantastiques. Cette cause a produit un grand nombre de mythes qu’elle a défigurés davantage.

D’autres éléments que ceux que nous venons d’examiner sont venus renforcer, pour les mieux consolider, les mythologies.

Dans la nature, tout paraît à l’homme primitif, imprévu et redoutable. À cette terreur des êtres et des choses vint s’ajouter celle des ombres, des âmes des morts, des fantômes logés dans les objets et les phénomènes, lorsque l’homme s’avisa de prêter la vie et la volonté aux choses et aux morts. Aussi, les premiers, invisibles, méchamment actifs, ne songèrent qu’à faire du mal, se délectèrent de hurles, de larmes et de sang. Reportons-nous à ces temps de la vie pastorale, où chaque famille errait isolée dans les vastes plaines à la suite de ses troupeaux, exposée aux attaques nocturnes des animaux féroces et nous concevrons sans peine par quelles alternatives de terreurs et de joies devait la faire passer la succession des ténèbres et de la lumière. Quelle épouvante lorsqu’elle voyait s’étendre sur elle cette ombre qui la livrait à tous les dangers et contre laquelle elle ne savait pas encore se défendre, Mais avec quelle allégresse les humains saluaient les premières lueurs de l’aube qui, avec, la clarté, leur ramenaient la vie et la sécurité. L’obscurité était pour eux l’image de la mort, du néant, c’était la destruction du monde. Dans le retour de la lumière, ils voyaient une sorte de résurrection, de renaissance comme une création nouvelle qu’ils accueillaient par des cris, des chants, des danses dont le souvenir est resté plus ou moins vivant dans toutes les religions. Si l’on songe que les hommes n’avaient aucune idée, à cette époque, des lois naturelles expliquant les faits astronomiques et météorologiques et particulièrement la production des orages, la succession constante du jour et de la nuit, il est facile de comprendre que leur ignorance les ait poussés à voir dans tous ces phénomènes les effets de causes vivantes et volontaires, ainsi qu’eux-mêmes. Les mythes naissent du besoin instinctif qui pousse l’homme à chercher la raison d’êtres surnaturels, semblables aux humains, par la forme et les traits de leurs caractères, mais supérieurs par leur empire et l’ampleur de leurs qualités ou de leurs défauts. La condition première des hommes a été si longtemps misérable que, jusqu’à des temps relativement rapprochés de nous, la puissance des divinités malfaisantes a été considérée connue supérieure à celle des autres. C’est pourquoi les cultes les plus anciens ont été les plus farouches. Puis, à mesure que l’expérience apprenait aux hommes à se garantir en partie des dangers et des misères des premiers âges, que des coutumes et des institutions plus stables leur apportaient une certaine somme de sécurité, ils remarquaient les effets bienfaisants du vent et de la pluie ; le retour régulier des saisons ; ils voyaient les jours alterner avec les nuits et s’habituaient à l’idée d’un ordre maintenu par des puissances amies.

Comme, d’un autre côté, ces phénomènes échappent à toute puissance humaine, il fallait bien reconnaître que les causes qui les produisaient étaient d’un ordre supérieur à l’humanité et que les invisibles qui présidaient aux phénomènes célestes et météorologiques étaient nécessairement plus forts et plus grands que les multiples petits dieux n’ayant que des attributions locales et que l’on ne pouvait rien en obtenir que par la prière, les sacrifices, les offrandes.

Sans doute, cet ordre était loin d’être parfait, les météores et les astres étaient enclins à de capricieuses violences, les dieux de l’atmosphère et du ciel se plaisaient à inquiéter leurs adorateurs par des colères soudaines, des désastres imprévus. Mais le respect est fils de la crainte. Si les dieux étaient uniquement occupés à répartir également leurs bienfaits, les prières, les génuflexions, les offrandes seraient vaines. Sur quelle autorité, sur quelles menaces, les rois, les magistrats baseraient-ils leur omnipotence ? De quoi vivraient les devins, les prophètes, les prêtres et autres sorciers ? C’est pourquoi le plus débonnaire des dieux a toujours su garder un visage irrité : l’inquiétude ravive la reconnaissance, l’échauffe la tiédeur lorsque la faveur est soulignée par l’opportune calamité !

Et c’est ainsi qu’en face des innombrables puissances malignes, s’est insensiblement constitué le groupe des divinités supérieures foncièrement bienveillantes, capables de largesses dans la mesure compatible avec la dignité et les intérêts du culte. Et sans cesser d’amadouer les premières par toutes sortes de conjurations, de rites, les hommes imploraient et bénissaient les grands dieux de l’atmosphère et du ciel ; ils leurs demandaient secours contre les ennemis invisibles de l’humanité contre les maladies, les menées ténébreuses des démons. De là deux grandes catégories qui, sous des formes diverses, ont persisté dans tous les cultes : les divinités bienfaisantes et les divinités funestes. On adorait également les unes et les autres, les unes pour en obtenir protection active et vigilante, les autres pour désarmer ou adoucir leurs colères.

Ce dualisme est l’aboutissement logique de toutes les religions qui dérivent de l’animisme. Partout où l’on retrouve cette conception des dieux bons luttant contre les dieux méchants, on peut être certain, en remontant aux origines, de retrouver l’opposition de la lumière aux ténèbres. Ce culte des divinités bienfaisantes prit toujours plus de développement et progressivement on arriva à ne plus considérer les autres que comme des mauvais génies en révolte contre les dieux amis de l’humanité. C’est à ce point que les conceptions religieuses en sont arrivées dans les Védas. Indra, le ciel lumineux, est le dieu protecteur de l’homme. C’est lui qui chaque matin combat et détruit la mort que les puissances ténébreuses, sous le nom de Vitra, dissimule dans les nuages et dans l’obscurité.

Ces dieux puissants et débonnaires n’étaient que des hommes, leur vie reproduisait exactement la vie humaine. Industries, arts, occupations, passions et désirs, tout leur était commun avec la race humaine. La guerre, avec son cortège de vengeances, de haines inexpiables, de victoires et de revers, entra dans ce monde calqué sur la société humaine. Tous les personnages des panthéons se trouvèrent classés par paires, deux par deux ; la lumière en face des ténèbres, le feu devant l’eau, la terre contre la mer, le chaos contre l’ordre. Ce fut une lutte acharnée, rarement suspendue, toujours renaissante. La métaphore, propriété fondamentale du langage, multipliait et variait à l’infini les événements de la bataille éternelle livrée entre les dieux. D’un côté, les dragons redoutables, les géants difformes, les démons, les anges rebelles ; de l’autre, les dieux d’en haut et leurs alliés, les héros et les défenseurs de l’ordre universel.

Cette philosophie primitive qui crée les mythologies, résulte du dualisme moral qui a ses attaches au plus profond de l’âme humaine. Il s’est développé et affiné avec les sentiments affectifs et les concepts qui en dérivent. La sensation a deux faces : plaisir et douleur. Comment ne pas rapporter ces sensations contraires à deux causes également contraires soit à la bienveillance, soit à la colère des dieux, les uns amis, les autres ennemis des hommes ? De cette conception dualistique est issue l’idée que les bonnes actions sont agréables aux dieux bienfaisants et déterminent leurs faveurs, que les vices et les crimes exposent à leurs courroux. Considérations qui, si elles ont rarement réprimé chez certains de vils penchants, ont livré la morale aux clergés qui, au nom des dieux, se sont arrogé le droit de punir ou d’absoudre, de mesurer le mérite et le démérite.

Il est difficile pour ne pas dire impossible, de débarrasser les mythologies de tous les éléments parasites qui sont venus s’y amalgamer, au point, parfois, d’en altérer le sens primitif. Elles se compliquent de souvenirs historiques, d’arrangements arbitraires, elles s’augmentent de fabuleux récits de conquête où le triomphe des dieux nouveaux rejette au rang de démons, de rebelles, les dieux des nations vaincues. Elles se calquent, se répètent, se fragmentent, se mélangent les unes dans les autres ; parfois elles mettent aux prises des groupes de dieux similaires où chacun est vainqueur sous un nom, vaincu sous un autre qui équivaut au premier, elles se divisent en multiples épisodes que commentent et modifient les fictions des poètes. Mais toujours au fond de chacune d’elles se retrouve l’antagonisme des deux principes : le bien et le mal. Cette opposition à la fois dualistique et cosmogonique, se retrouve dans toutes les mythologies les plus rudimentaires et elle est si puissante que les religions monothéistes en sont toutes imprégnées. Tous les couples naturels ou factices, les sexes, le jour et la nuit, le ciel et la terre, ont été rangés en catégories distinctes. La nature humaine, le corps, la femme, les ténèbres, les enfers, les titans, les vices appartiennent au royaume du mal ; la lumière l’énergie, l’ordre, le ciel, le paradis, les personnages de l’Olympe, etc., appartiennent au royaume du bien. Tous les dieux favorables à la race humaine forment une même famille, le groupe lumineux et céleste, auteur de tous les biens, auxquels on demande la santé, la richesse, la victoire, etc. Le menu peuple des esprits, des héros, des fétiches de tout genre, subordonnés aux dieux supérieurs, leur font cortège, leur servent de ministres, d’intermédiaires, d’alliés fidèles. Dans la multitude des puissances malignes se détachent les grands dieux des « ténèbres et du mal » qui, avec leur troupes d’invisibles hargneux et mauvais, harcèlent les humains et cherchent constamment à ravir aux dieux débonnaires la puissance et le pouvoir. Et des multiples péripéties de cette lutte incessante, implacable entre les puissances du bien et du mal, naissent et évoluent les religions, se créent et se détruisent les mythologies. Aux traditions primitives s’ajoutent constamment des éléments nouveaux, des épisodes multiples qui accrurent considérablement le domaine des mythes. Les prêtres donnèrent un chef à chacune des catégories divines, en assemblant une partie en conseil suprême, sous la présidence d’une triade, d’un couple, ou d’un maître, père des Dieux et des hommes.

De même, les dieux du mal sont réunis en troupes placées sous les ordres des plus puissants d’entre eux. C’est la bataille entre ces deux groupes ennemis. L’Égypte oppose Typhon à Osiris, les Iraniens Indra à Vitra, les Perses Ormuzd à Ahriman, les Grecs Zeus aux Titans, les catholiques Dieu à Satan. Et ironie plaisante, le diable, le prince du mal, cet épouvantail aux multiples noms que connaissent toutes les mythologies, et sur lequel les clergés comptent autant pour leurs coffres que pour courber les fronts sous la teneur des vengeances divines, est, aujourd’hui, vainqueur. Nul clergé n’a vu que Satan allait grouper autour de lui les ennemis de l’obéissance et de l’obscurantisme religieux ; que les opprimés de l’art et de la science — déclarés d’origine diabolique — allaient s’unir aux prétendues puissances du mal pour attaquer victorieusement les religions, en opposant à leurs affirmations gratuites, absurdes autant qu’abstruses, les résultats de l’expérimentation et de l’observation scientifiques.

Les mythologies qui, à un certain moment de l’évolution religieuse des peuples, jouent un rôle prépondérant, ne sont d’abord que le résultat des sensations de l’homme primitif, un timide essai d’implication des phénomènes naturels. Avec les progrès de la civilisation, les mythologies s’affinent, se condensent, font, chez certains peuples, (les Grecs, par exemple), des progrès très rapides. Les dieux trop nombreux, diminuent en nombre, croissent en importance, deviennent plus puissants, plus « spiritualisés ». C’est le règne du polythéisme anthropomorphique qui, tout en attribuant aux invisibles, une vie analogue à celle des hommes, établit dans la cohue des dieux une hiérarchie qui les classe en groupes distincts. Calqué sur la société humaine, le monde des divinités est soumis aux mêmes besoins, aux mêmes désirs, aux mêmes passions que les mortels. Et des multiples conflits, résultant de l’opposition de passions contraires, de besoins différents, résulte cette profusion de récits naïfs ou charmants qui composent l’histoire infiniment touffue des dieux. Le personnel divin est alors au complet ; les dieux ont assez de pensée, de raison, pour permettre à l’homme de leur demander pourquoi ils ont créé l’homme. Et la chaîne indéfinie des fictions séduisantes, qui a pour point de départ l’assimilation du ciel et de la terre au premier couple ancestral, aboutit au dualisme moral du bien et du mal. Entre ces deux principes se joue le drame éternel. L’histoire de leur union, de leur séparation, de leurs rivalités, de leurs triomphes et de leurs défaites constitue la trame même des mythologies.

Mais, à mesure que l’horizon intellectuel des peuples s’élargit, que le domaine de l’inconnu diminua, les dieux subirent les mêmes réductions et on en arriva soit au monothéisme, soit au panthéisme. « A leur tour, ces dernières créations mythiques subissent la destinée de leurs devancières », elles s’effritent sous les attaques répétées de la science, malgré les efforts des prêtres et des métaphysiciens qui veulent, à tout prix, rattacher l’homme au divin, sans vouloir comprendre que ce mot n’explique rien, Et si, aujourd’hui encore, la plupart des humains persistent à admettre l’existence d’un dieu, continuent à croire à un dualisme entre deux principes opposés : dieu et le mal, ils ne font qu’obéir à des habitudes intellectuelles qui leur sont imposées par l’atavisme et que renforcent, dès l’enfance, une éducation et une instruction fermées aux progrès de la science. Parmi ceux qui s’attachent à cette croyance, les uns ne peuvent se résoudre pour eux-mêmes à renoncer aux espérances d’immortalité que les doctrines religieuses font briller à leurs yeux ; les autres y tiennent moins pour eux-mêmes que pour la multitude, ne comprenant pas qu’il puisse exister une morale en dehors de la perspective future des châtiments et des récompenses célestes. Ce qui survit des doctrines religieuses, c’est moins la doctrine elle-même que le besoin qui les a fait imaginer. On s’attache plus aux conséquences en vue desquelles la doctrine a été inventée qu’à la théorie elle-même. C’est dire qu’elle n’existe plus en réalité et que la base chancelante sur laquelle elle repose ne tardera pas à lui faire définitivement défaut. — Charles Alexandre.

Bibliographie. — Michel Bréal : Hercule et Cacus. — Max Müller : Essais sur la mythologie comparée. — Tylor : Civilisations primitives. — And. Lang : La mythologie. — de Milloué : Histoire des religions de l’Inde. — Letourneau : Sociologie ; L’évolution religieuse ; Science et matérialisme. — Hovelacque : d’Avesta, Zoroastre et le magdéisme, — Gérard de Rialle : Mythologie comparée. — Preller : Les Dieux de l’ancienne Rome. — Lefebvre : Essai de mythologie et de religion comparée ; Essai de philologie et de linguistique. — Franz Cumont : Les religions orientales dans le paganisme romain. — P. Decharme : Mythologie de la Grèce antique. — Salomon Reinach : Cultes, mythes, religions ; Orphéus. — Toutain : Étude de mythologie et d’histoire des religions antiques. — A. Haggerty Krappe : Mythologie universelle, etc. Consulter aussi la bibliographie à la fin du mot « Religions ».